La jurisprudence francophone des Cours suprêmes


recherche avancée

10/07/2023 | FRANCE | N°475130

France | France, Conseil d'État, Juge des référés, 10 juillet 2023, 475130


Vu la procédure suivante :

Mme C... B... a demandé au juge des référés du tribunal administratif de Marseille, statuant sur le fondement de l'article L. 521-2 du code de justice administrative, en premier lieu, de l'admettre à titre provisoire au bénéfice de l'aide juridictionnelle, en deuxième lieu et à titre principal, d'enjoindre à la présidente du conseil départemental des Bouches-du-Rhône de la prendre en charge en qualité de jeune majeure, dès la notification de l'ordonnance et sous astreinte de 150 euros par jour de retard, en dernier lieu et à titre subsidiaire,

de réexaminer sa situation, dans un délai d'un mois à compter de la n...

Vu la procédure suivante :

Mme C... B... a demandé au juge des référés du tribunal administratif de Marseille, statuant sur le fondement de l'article L. 521-2 du code de justice administrative, en premier lieu, de l'admettre à titre provisoire au bénéfice de l'aide juridictionnelle, en deuxième lieu et à titre principal, d'enjoindre à la présidente du conseil départemental des Bouches-du-Rhône de la prendre en charge en qualité de jeune majeure, dès la notification de l'ordonnance et sous astreinte de 150 euros par jour de retard, en dernier lieu et à titre subsidiaire, de réexaminer sa situation, dans un délai d'un mois à compter de la notification de l'ordonnance, sous astreinte de 150 euros par jour de retard passé ce délai, et, dans l'attente, d'assurer son hébergement dans un logement adapté. Par une ordonnance n° 2305005 du 1er juin 2023, le juge des référés du tribunal administratif de Marseille a, en premier lieu, admis à titre provisoire Mme B... au bénéfice de l'aide juridictionnelle, en deuxième lieu, enjoint au département des Bouches-du-Rhône d'accorder provisoirement à Mme B..., dans un délai de soixante-douze heures à compter de la notification de cette ordonnance, le bénéfice de la prise en charge temporaire prévue en faveur des jeunes majeurs par l'article L. 222-5 du code de l'action sociale et des familles, en troisième lieu, mis à la charge du conseil départemental des Bouches-du-Rhône la somme de 800 euros à verser à l'avocat de Mme B..., en application des dispositions des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991, sous les réserves énoncées au point 8 de cette ordonnance et sous réserve de l'admission définitive de Mme B... à l'aide juridictionnelle sans laquelle la somme de 800 euros lui sera versée et, en dernier lieu, rejeté le surplus des conclusions de la demande.

Par une requête et un mémoire, enregistrés les 16 juin et 23 juin 2023 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, le département des Bouches-du-Rhône demande au juge des référés du Conseil d'Etat, statuant sur le fondement de l'article L. 521-2 du code de justice administrative :

1°) d'annuler l'ordonnance du 1er juin 2023 du juge des référés du tribunal administratif de Marseille ;

2°) de rejeter la demande présentée par Mme B... devant le juge des référés du tribunal administratif de Marseille.

Il soutient que :

- la condition d'urgence n'est pas satisfaite dès lors qu'il s'est engagé à maintenir le placement de Mme B... en maison mère-enfant jusqu'à ce qu'une prise en charge identique lui soit proposée de façon inconditionnelle par le 115 ;

- il n'est pas porté d'atteinte grave et manifestement illégale à une liberté fondamentale ;

- le refus de prise en charge de Mme B... est justifié au titre du 5° de l'article L. 222-5 du code de l'action sociale et des familles dès lors que celle-ci n'était pas mineure lors de sa prise en charge provisoire par l'aide sociale à l'enfance ;

- il n'a pas fait une appréciation manifestement erronée de l'âge de l'intéressée dès lors que, d'une part, celle-ci n'avait été confiée à l'aide sociale à l'enfance qu'à titre provisoire, par des jugements avant-dire droit qui n'ont pas pris parti sur sa minorité alléguée et ont ordonné des expertises aux fins de la déterminer et, d'autre part, de nombreux éléments permettaient d'écarter l'âge allégué par l'intéressée et de conclure à sa majorité ;

- la requête n'est pas dépourvue d'objet.

Par un mémoire en défense, enregistré le 23 juin 2023, Mme B... conclut, à titre principal, au rejet de la requête et à la confirmation de l'ordonnance du juge des référés du tribunal administratif de Marseille, à titre subsidiaire, à ce qu'il soit enjoint à la présidente du conseil départemental des Bouches-du-Rhône de la prendre en charge en sa qualité de jeune majeure à compter de la notification de l'ordonnance et sous astreinte de 150 euros par jour de retard ou à défaut, de réexaminer sa situation dans un délai d'un mois à compter de la notification de l'ordonnance et sous astreinte de 150 euros par jour de retard et dans l'attente, d'assurer son hébergement dans un logement adapté et, en tout état de cause, de mettre à la charge du conseil départemental des Bouches-du-Rhône au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative la somme de 3 000 euros. Elle soutient que, en premier lieu, le juge administratif est incompétent pour se prononcer sur sa minorité alors que le juge des enfants l'a déjà appréciée en prononçant son placement provisoire, en deuxième lieu, le litige a perdu son objet, en troisième lieu, la condition d'urgence est satisfaite et, en quatrième lieu, il est porté une atteinte grave et manifestement illégale à plusieurs libertés fondamentales.

Après avoir convoqué à une audience publique, d'une part, le département des Bouches-du-Rhône, et d'autre part, Mme B... ;

Ont été entendus lors de l'audience publique du 26 juin 2023, à 11 heures :

- Me Gilbert, avocat au Conseil d'Etat et à la Cour de cassation, avocat du département des Bouches-du-Rhône ;

- Me Poupot, avocat au Conseil d'Etat et à la Cour de cassation, avocat de Mme B... ;

à l'issue de laquelle le juge des référés a différé la clôture de l'instruction au 27 juin 2023 à 14 heures ;

Par un mémoire, enregistré le 26 juin 2023, le département des Bouches-du-Rhône maintient les conclusions de sa requête.

Par un mémoire, enregistré le 27 juin 2023, Mme B... maintient ses conclusions.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :

- le code de l'action sociale et des familles ;

- le code de justice administrative ;

Considérant ce qui suit :

1. Aux termes de l'article L. 521-2 du code de justice administrative : " Saisi d'une demande en ce sens justifiée par l'urgence, le juge des référés peut ordonner toutes mesures nécessaires à la sauvegarde d'une liberté fondamentale à laquelle une personne morale de droit public ou un organisme de droit privé chargé de la gestion d'un service public aurait porté, dans l'exercice d'un de ses pouvoirs, une atteinte grave et manifestement illégale. (...) ".

2. Aux termes de l'article L. 111-2 du code de l'action sociale et des familles : " Les personnes de nationalité étrangère bénéficient dans les conditions propres à chacune de ces prestations : / 1° Des prestations d'aide sociale à l'enfance ; (...) ". Aux termes de l'article L.222-1 du même code : " Le service de l'aide sociale à l'enfance est un service non personnalisé du département chargé des missions suivantes : 1° Apporter un soutien matériel, éducatif et psychologique tant aux mineurs et à leur famille ou à tout détenteur de l'autorité parentale, confrontés à des difficultés risquant de mettre en danger la santé, la sécurité, la moralité de ces mineurs ou de compromettre gravement leur éducation ou leur développement physique, affectif, intellectuel et social, qu'aux mineurs émancipés et majeurs de moins de vingt et un ans confrontés à des difficultés familiales, sociales et éducatives susceptibles de compromettre gravement leur équilibre (...) " ; " Aux termes de l'article L.222-5 du même code: " Sont pris en charge par le service de l'aide sociale à l'enfance sur décision du président du conseil départemental : (...) 5. 5° Les majeurs âgés de moins de vingt et un ans et les mineurs émancipés qui ne bénéficient pas de ressources ou d'un soutien familial suffisants, lorsqu'ils ont été confiés à l'aide sociale à l'enfance avant leur majorité, y compris lorsqu'ils ne bénéficient plus d'aucune prise en charge par l'aide sociale à l'enfance au moment de la décision mentionnée au premier alinéa du présent article. "

3. Une carence caractérisée dans l'accomplissement par le président du conseil départemental des missions fixées par les dispositions rappelées aux points précédents, notamment dans les modalités de prise en charge des besoins du mineur ou du jeune majeur relevant de l'aide sociale à l'enfance, lorsqu'elle entraîne des conséquences graves pour l'intéressé, est de nature à porter une atteinte grave et manifestement illégale à une liberté fondamentale.

4. Il résulte de l'instruction que Mme B..., de nationalité guinéenne, est entrée illégalement en France le 11 mars 2022, accompagnée de sa fille A..., alors âgée d'un an, et a déposé une demande d'asile, déclarant être née le 13 février 2004. Accueillie dans un centre d'hébergement pour demandeurs d'asile, elle a saisi le juge des enfants afin d'être prise en charge au titre de l'aide sociale à l'enfance, déclarant alors être née le 13 mai 2005, et a produit au soutien de ses affirmations une photocopie d'acte de naissance et un jugement supplétif guinéens. Par un jugement avant-dire droit du 18 août 2022, le juge des enfants l'a confiée, pour une durée de six mois, au service d'aide sociale à l'enfance du département des Bouches-du-Rhône, dans l'attente du résultat d'expertises concernant son âge. Par un deuxième jugement avant-dire-droit du 9 janvier 2023, le juge des enfants a ordonné la poursuite de sa prise en charge et la réalisation d'une expertise osseuse permettant de déterminer l'âge de Mme B.... Par un troisième jugement du 12 mai 2023, le juge des enfants a, eu égard aux doutes persistants sur l'âge de Mme B..., ordonné une nouvelle expertise osseuse, et le maintien du placement provisoire jusqu'au dépôt de l'expertise ou à la majorité de Mme B.... Par une décision du 22 mai 2023, la présidente du conseil départemental des Bouches-du-Rhône a refusé la poursuite de la prise en charge de Mme B... au titre de l'aide sociale à l'enfance en tant que jeune majeur, au motif que les différents éléments portés à sa connaissance établissaient qu'elle n'était pas mineure au moment de sa prise en charge initiale, de sorte qu'elle ne pouvait exciper d'un droit à sa prolongation en tant que jeune majeure au titre de l'article L.222-5 du code de la famille et de l'action sociale. Par une ordonnance du 1er juin 2023, dont le département relève appel, le juge des référés du tribunal administratif de Marseille, saisi par Mme B... sur le fondement de l'article L.521-2 du code de justice administrative, a enjoint au département des Bouches-du-Rhône de poursuivre la prise en charge Mme B... en tant que jeune majeure.

Sur l'âge de Mme B... et son droit à la poursuite de sa prise en charge au titre de l'aide sociale à l'enfance en qualité de jeune majeur :

5. En premier lieu, il résulte de l'instruction et des différentes expertises ordonnées par le juge des enfants les 18 août 2022 et 9 janvier 2023, d'une part, que les doutes concernant la date de naissance de Mme B... n'ont pu, à le date de la présente décision, être levés, eu égard notamment à l'absence de force probante de la copie d'acte de naissance et du jugement supplétif guinéens produits par l'intéressée, et d'autre part, que le juge des enfants a ordonné, par un nouveau jugement du 12 mai 2023, la poursuite de la prise en charge de l'intéressée par le département des Bouches-du-Rhône dans l'attente de la réalisation d'une nouvelle expertise osseuse. En second lieu, si Mme B..., selon ses propres affirmations, serait née le 13 mai 2005 et aurait donc atteint sa majorité le 13 mai 2023, il résulte également de l'instruction qu'elle est sans ressources ni soutien en France, élève seule sa fille A..., âgée de deux ans, et suit notamment de façon régulière une formation qualifiante visant à lui permettre d'obtenir un CAP. En l'état de l'instruction, elle doit être regardée comme remplissant les conditions posées par les dispositions du 5° de l'article L.222-5 du code de la famille et de l'aide sociale, qui imposaient la poursuite de sa prise en charge en qualité de jeune majeur. Par suite, le refus de sa prise en charge à ce titre porte une atteinte grave et manifestement illégale à la liberté fondamentale que constitue le droit à une prise en charge au titre de l'aide sociale à l'enfance du jeune majeur remplissant ces conditions.

Sur l'urgence et la possibilité pour Mme B... d'être prise en charge par l'Etat au titre de l'aide sociale et de bénéficier d'un hébergement d'urgence :

6. Le département des Bouches-du-Rhône fait valoir, au soutien de son appel, qu'il s'est engagé à poursuivre la prise en charge de Mme B... à la maison d'accueil Maélis avec sa fille, jusqu'à ce qu'une solution d'hébergement d'urgence dans une structure d'accueil mère-enfant puisse lui être proposée par le 115, permettant la poursuite de sa prise en charge par l'Etat au titre de l'aide sociale, de sorte que la condition d'urgence requise par l'article L.521-2 du code de justice administrative n'est pas remplie. Toutefois, il ne résulte pas de l'instruction que la poursuite de la prise en charge socio-éducative globale de Mme B..., qui remplit, à la date de la présente ordonnance, ainsi qu'il a été dit au point 4, les conditions posées par l'article L.222-5 du code de la famille et de l'aide sociale précité, soit compatible avec la fin de la prise en charge au titre de l'aide sociale à l'enfance en qualité de jeune majeur, qui aurait pour elle des conséquences graves.

7. Il résulte de l'ensemble de ce qui précède que les conclusions d'appel du département des Bouches-du-Rhône doivent être rejetées.

Sur les conclusions présentées par Mme B... au titre de l'article L.761-1 du code de justice administrative :

8. Il y a lieu de mettre à la charge du département des Bouches-du-Rhône une somme de 3000 euros au titre de l'article L.761-1 du code de justice administrative.

O R D O N N E :

------------------

Article 1er : La requête du département des Bouches-du-Rhône est rejetée.

Article 2 : le département des Bouches-du-Rhône versera à Mme B... une somme de 3000 euros au titre de l'article L.761-1 du code de justice administrative.

Article 3 : La présente ordonnance sera notifiée au département des Bouches-du-Rhône et à Mme B....

Fait à Paris, le 10 juillet 2023

signé : Cyril Roger-Lacan


Synthèse
Formation : Juge des référés
Numéro d'arrêt : 475130
Date de la décision : 10/07/2023
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Plein contentieux

Publications
Proposition de citation : CE, 10 jui. 2023, n° 475130
Inédit au recueil Lebon

Composition du Tribunal
Avocat(s) : SARL LE PRADO – GILBERT ; SARL MATUCHANSKY, POUPOT, VALDELIEVRE

Origine de la décision
Date de l'import : 10/08/2023
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CE:2023:475130.20230710
Association des cours judiciaires suprmes francophones
Organisation internationale de la francophonie
Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie. Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie.
Logo iall 2012 website award