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29/06/2023 | FRANCE | N°474733

France | France, Conseil d'État, Juge des référés, 29 juin 2023, 474733


Vu la procédure suivante :

Par une requête et un mémoire en réplique, enregistrés les 2 et 22 juin 2023 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, la société Algonquin demande au juge des référés du Conseil d'Etat, statuant sur le fondement de l'article L. 521-1 du code de justice administrative :

1°) de suspendre l'exécution du décret n° 2022-1516 du 3 décembre 2022 relatif aux exigences de performance énergétique et environnementale des constructions temporaires ainsi que de l'arrêté du 22 décembre 2022 relatif aux exigences de performance énergétiq

ue et environnementale des constructions temporaires ou de petite surface ;

2°) ...

Vu la procédure suivante :

Par une requête et un mémoire en réplique, enregistrés les 2 et 22 juin 2023 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, la société Algonquin demande au juge des référés du Conseil d'Etat, statuant sur le fondement de l'article L. 521-1 du code de justice administrative :

1°) de suspendre l'exécution du décret n° 2022-1516 du 3 décembre 2022 relatif aux exigences de performance énergétique et environnementale des constructions temporaires ainsi que de l'arrêté du 22 décembre 2022 relatif aux exigences de performance énergétique et environnementale des constructions temporaires ou de petite surface ;

2°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 5 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- la condition d'urgence est satisfaite dès lors qu'en soumettant les habitations légères de loisirs à la norme RE 2020, le décret et l'arrêté attaqués préjudicient, d'une part, à un intérêt public en ce qu'ils conduisent à une augmentation des émissions de gaz à effet de serre contraire à l'objectif de neutralité climatique et, d'autre part, à sa situation économique en ce que le surcoût de fabrication de 29 % des habitations légères de loisirs fabriquées par sa filiale a déjà entraîné une baisse des commandes générant un retrait des investisseurs et des banques ;

- il existe un doute sérieux quant à la légalité des décisions contestées ;

- elles auraient dû faire l'objet d'une évaluation préalable prenant la forme d'une fiche d'impact conformément à la circulaire du Premier ministre du 17 juillet 2013 ;

- elles méconnaissent l'impératif de diminution des émissions de gaz à effet de serre fixé aux articles 4 et 5 du règlement UE 2021/1119 du Parlement européen et du Conseil du 30 juin 2021, à l'article L. 100-4 du code de l'énergie et à l'article L. 171-1 du code de la construction et de l'habitation ;

- elles méconnaissent le principe d'égalité dès lors que, d'une part, les habitations légères de loisirs de campings saisonniers auraient dû faire l'objet d'un traitement différent des autres habitations légères de loisirs qui ne sont pas des campings saisonniers en raison de leur spécificité et, d'autre part, les résidences mobiles de loisir sont favorisées par rapport aux habitations légères de loisirs alors même que ces deux types d'habitats ne présentent pas de différence notable ;

- elles portent atteinte à la liberté du commerce et de l'industrie dans la mesure où les surcoûts engendrés par la nouvelle réglementation impliquent, à court terme, la fin de l'activité économique des entreprises qui construisent des habitations légères de loisirs ;

- elles sont entachées d'erreur manifeste d'appréciation dès lors qu'elles imposent des règles de construction conduisant à une augmentation importante des émissions de gaz à effet de serre ainsi que l'installation d'un volet roulant sur la seule issue de secours de l'habitation alors qu'il s'agit d'une construction légère en bois, qui n'est utilisée que de façon saisonnière et qui consomme peu d'énergie.

Par un mémoire en défense, enregistré le 15 juin 2023, le ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires conclut au rejet de la requête. Il soutient que la condition d'urgence n'est pas satisfaite et qu'aucun des moyens invoqués n'est de nature à faire naître un doute sérieux quant à la légalité des décisions contestées.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :

- la Constitution, et notamment son Préambule ;

- le règlement (UE) 2021/1119 du Parlement européen et du Conseil du 30 juin 2021 ;

- le code de la construction et de l'habitation ;

- le code de l'urbanisme ;

- le code de justice administrative ;

Après avoir convoqué à une audience publique, d'une part, la société Algonquin, et d'autre part, la Première ministre, le ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires ainsi que le ministre de la transition énergétique ;

Ont été entendus lors de l'audience publique du 23 juin 2023, à 10 heures :

- les représentants de la société Algonquin ;

- les représentants du ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires ;

à l'issue de laquelle le juge des référés a clos l'instruction ;

Considérant ce qui suit :

1. Aux termes de l'article L. 521-1 du code de justice administrative : " Quand une décision administrative, même de rejet, fait l'objet d'une requête en annulation ou en réformation, le juge des référés, saisi d'une demande en ce sens, peut ordonner la suspension de l'exécution de cette décision, ou de certains de ses effets, lorsque l'urgence le justifie et qu'il est fait état d'un moyen propre à créer, en l'état de l'instruction, un doute sérieux quant à la légalité de la décision ".

2. La société Algonquin qui est la société mère d'un groupe qui exploite des campings dits " nature " et possède une filiale qui fabrique des habitations légères de loisirs, dits " bungalow de camping ", destinés à une occupation saisonnière, demande, sur le fondement de l'article L. 521-1 du code de justice administrative, la suspension de l'exécution du décret du 3 décembre 2022 relatif aux exigences de performance énergétique et environnementale des constructions temporaires ainsi que de l'arrêté du 22 décembre 2022 relatif aux exigences de performance énergétique et environnementale des constructions temporaires ou de petite surface. Ainsi qu'elle l'a indiqué à l'audience, les conclusions de la société requérante sont uniquement dirigées contre les dispositions des décisions contestées en tant qu'elles soumettent à des exigences de performance énergétique et environnementale les habitations légères de loisirs, d'une surface inférieure ou égale à 35 m², destinées à une utilisation saisonnière dans un camping.

Sur le cadre juridique :

3. La section I du titre VII du livre Ier du code de la construction et de l'habitation traite des " exigences de performance énergétique et environnementale applicables à la construction de bâtiments ou parties de bâtiments d'habitation, de bureaux ou d'enseignement primaire ou secondaire ". Dans sa rédaction issue du décret du 29 juillet 2021 relatif aux exigences de performance énergétique et environnementale des constructions de bâtiments en France métropolitaine, le II de l'article R. 172-1 du code de la construction et de l'habitation prévoit que " Les dispositions de la présente section s'appliquent, à compter du 1er janvier 2023, à la construction de bâtiments d'habitation, de bureaux, ou d'enseignement primaire ou secondaire exonérés de demande de permis de construire et de déclaration préalable au titre des habitations légères de loisirs, au sens du b de l'article R. * 421-2 du code de l'urbanisme, et des constructions provisoires, au sens de l'article R. * 421-5 du code de l'urbanisme. Un arrêté des ministres chargés de l'énergie et de la construction précise les catégories de bâtiments concernées ". Le décret contesté du 3 décembre 2022 relatif aux exigences de performance énergétique et environnementale des constructions temporaires a modifié cette disposition qui prévoit désormais que " Les dispositions de la présente section s'appliquent, à compter du 1er juillet 2023, à la construction temporaire de bâtiments d'habitation, de bureaux, ou d'enseignement primaire ou secondaire mentionnés à l'article R. * 421-5 du code de l'urbanisme et à celle de ces mêmes bâtiments implantés pour une durée n'excédant pas deux ans, ainsi qu'aux habitations légères de loisirs mentionnées au b de l'article R. * 421-2 du code de l'urbanisme ".

4. Par ailleurs, l'article R. 421-2 du code de l'urbanisme dispose que " Sont dispensées de toute formalité au titre du présent code, en raison de leur nature ou de leur très faible importance, sauf lorsqu'ils sont implantés dans le périmètre d'un site patrimonial remarquable, dans les abords des monuments historiques ou dans un site classé ou en instance de classement : (...) b) Les habitations légères de loisirs implantées dans les emplacements mentionnés à l'article R. 111-38 et dont la surface de plancher est inférieure ou égale à trente-cinq mètres carrés (...) ". Son article R. 111-38 prévoit que " Les habitations légères de loisirs peuvent être implantées : (...) 4° Dans les terrains de camping régulièrement créés (...) ".

Sur l'urgence :

5. La condition d'urgence à laquelle est subordonné le prononcé d'une mesure de suspension doit être regardée comme remplie lorsque la décision administrative contestée préjudicie de manière suffisamment grave et immédiate à un intérêt public, à la situation du requérant ou aux intérêts qu'il entend défendre. Il appartient au juge des référés d'apprécier concrètement, compte tenu des justifications fournies par le requérant, si les effets de l'acte contesté sont de nature à caractériser une urgence justifiant que, sans attendre le jugement de la requête au fond, l'exécution de la décision soit suspendue. L'urgence doit être appréciée objectivement et compte tenu de l'ensemble des circonstances de l'affaire.

6. Le décret contesté du 3 décembre 2022 modifie les dispositions du II de l'article R. 172-1 du code de construction et de l'habitation pour soumettre explicitement à des exigences de performance énergétique et environnementale, à compter du 1er juillet 2023, les habitations légères de loisirs, d'une surface inférieure ou égale à 35 m², destinées à une utilisation saisonnière dans un camping. Or, les dispositions, citées au point 3, de l'article R. 172-1 du code de la construction et de l'habitation, dans leur rédaction antérieure au décret du 3 décembre 2022, issue du décret du 29 juillet 2023, avaient rendu applicables, au 1er janvier 2023, les exigences de performance énergétique et environnementale à la " construction de bâtiments d'habitation, de bureaux, ou d'enseignement primaire ou secondaire exonérés de demande de permis de construire et de déclaration préalable au titre des habitations légères de loisir, au sens du b de l'article R. * 421-2 du code de l'urbanisme ". Dans la mesure où ces dispositions ne mentionnaient pas en tant que telles les habitations légères de loisirs d'une surface inférieure ou égale à 35 m² installées dans des campings dès lors que ces dernières ne sont pas des bâtiments d'habitation, de bureaux ou d'enseignement mais ont le caractère d'un hébergement touristique, la société requérante, est fondée à soutenir qu'elle pouvait considérer que les habitations légères de loisirs qu'elle construit n'étaient pas soumises à des exigences de performance énergétique et environnementale avant le décret du 3 décembre 2022.

7. Pour justifier de l'urgence de la suspension de l'exécution du décret du 3 décembre 2022 ainsi que de l'arrêté du 22 décembre 2022 pris pour son application, en tant qu'ils concernent les habitations légères de loisirs, d'une surface inférieure ou égale à 35 m², destinées à une utilisation saisonnière dans un camping, la société requérante se prévaut des conséquences financières et économiques de l'application des exigences de performance énergétique et environnementale pour sa filiale qui construit ces habitations, dans la mesure où le respect des normes en matière d'isolation se heurte à des contraintes techniques importantes et génère des surcoûts élevés qui ont déjà provoqué un arrêt des commandes de ses clients pour la saison 2024.

8. Il résulte de l'instruction, et notamment des explications fournies à l'audience, que les règles d'isolation et de protection solaire des baies vitrées résultant des exigences de performance énergétique et environnementale imposées par les décisions contestées conduisent à un surcoût de près de 30 % pour la fabrication des habitations légères de loisirs par la filiale de la société requérante qui a déjà provoqué une baisse de 50 % de son chiffre d'affaires et risque de faire disparaître ce secteur d'activité qui ne comporte qu'un nombre réduit de fabricants. En l'absence d'élément invoqué par le ministre pour justifier d'un intérêt public à l'application immédiate des nouvelles normes aux habitations légères de loisirs destinées à une utilisation saisonnière dans un camping, et eu égard aux conséquences résultant de l'application, au 1er juillet prochain, des décisions contestées, la société requérante doit être regardée comme justifiant une atteinte suffisamment grave et immédiate à ses intérêts.

Sur le moyen de nature à créer un doute sérieux :

9. Il résulte de l'instruction et notamment des explications fournies à l'audience que, d'une part, les habitations légères de loisirs dont la surface est inférieure ou égale à 35 m² ne sont utilisées comme mode d'hébergement dans des campings que pendant les mois d'avril à octobre. Ouvertes sur l'extérieur et occupées par des personnes souhaitant un mode de vie proche de la nature, elles ne sont pas équipées de système de climatisation et si elles disposent d'un chauffage, ce dernier ne génère qu'une consommation d'énergie limitée eu égard au mode d'utilisation de ces habitations. D'autre part, le respect des nouvelles règles d'isolation et de protection solaire des baies vitrées imposées par les décisions contestées conduit à une augmentation significative des émissions de gaz à effet de serre lors de la construction des installations en cause. A l'audience, les représentants du ministre n'ont contesté ni la faible consommation d'énergie de ces habitations légères de loisirs, ni le fait que la durée de leur utilisation, limitée à 20 ans, ne permettait pas de compenser l'émission supplémentaire de gaz à effet de serre résultant des nouvelles normes de construction. Ils n'ont pas, par ailleurs, fourni d'élément permettant de justifier de l'impact positif sur le climat de l'application des exigences de performance énergétique et environnementale à ces habitations légères de loisirs alors que les résidences mobiles de loisirs, dont 20 000 sont vendues chaque année en France contre 2 000 habitations légères de loisirs, demeurent hors du champ de ces nouvelles règles. Il s'ensuit qu'en l'état de l'instruction, le moyen tiré de l'erreur manifeste d'appréciation entachant le décret et l'arrêté contestés en tant qu'ils s'appliquent aux habitations légères de loisirs, dont la surface est inférieure ou égale à 35 m², destinées à une utilisation saisonnière dans un camping, est de nature à créer un doute sérieux quant à la légalité de ces décisions.

10. Il résulte de tout ce qui précède qu'il y a lieu, sans qu'il soit besoin de se prononcer sur les autres moyens de la requête, de suspendre l'exécution du décret et de l'arrêté contestés en tant qu'ils s'appliquent aux habitations légères de loisirs, dont la surface est inférieure ou égale à 35 m², destinées à une utilisation saisonnière dans un camping. Dans les circonstances de l'espèce, il y a lieu de mettre à la charge de l'Etat la somme de 3 000 euros à verser à la société requérante au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

O R D O N N E :

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Article 1er : Le décret du 3 décembre 2022 relatif aux exigences de performance énergétique et environnementale des constructions temporaires et l'arrêté du 22 décembre 2022 sont suspendus en tant qu'ils portent sur les habitations légères de loisirs, d'une surface inférieure ou égale à 35 m², destinées à une utilisation saisonnière dans un camping.

Article 2 : L'Etat versera une somme de 3 000 euros à la société Algonquin au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 3 : La présente ordonnance sera notifiée à la société Algonquin et au ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires.

Copie en sera adressée à la Première ministre et au ministre de la transition énergétique.

Fait à Paris, le 29 juin 2023

Signé : Nathalie Escaut


Synthèse
Formation : Juge des référés
Numéro d'arrêt : 474733
Date de la décision : 29/06/2023
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Publications
Proposition de citation : CE, 29 jui. 2023, n° 474733
Inédit au recueil Lebon

Origine de la décision
Date de l'import : 13/08/2023
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CE:2023:474733.20230629
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