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30/05/2023 | FRANCE | N°473632

France | France, Conseil d'État, Juge des référés, 30 mai 2023, 473632


Vu la procédure suivante :

Par une requête et un mémoire en réplique, enregistrés les 26 avril et 15 mai 2023 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, la société par actions simplifiée (SAS) Redcore demande au juge des référés du Conseil d'Etat, statuant sur le fondement de l'article L. 521-1 du code de justice administrative :

1°) de suspendre l'exécution des décisions implicites par lesquelles le ministre de l'intérieur et des outre-mer a refusé de classer le lanceur de balles de défense (LBD) " POK 44 " en catégorie C, 3° et sa munition " KOT 44 " e

n catégorie C, 8°, en application de l'article R. 311-2 du code de la sécurité ...

Vu la procédure suivante :

Par une requête et un mémoire en réplique, enregistrés les 26 avril et 15 mai 2023 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, la société par actions simplifiée (SAS) Redcore demande au juge des référés du Conseil d'Etat, statuant sur le fondement de l'article L. 521-1 du code de justice administrative :

1°) de suspendre l'exécution des décisions implicites par lesquelles le ministre de l'intérieur et des outre-mer a refusé de classer le lanceur de balles de défense (LBD) " POK 44 " en catégorie C, 3° et sa munition " KOT 44 " en catégorie C, 8°, en application de l'article R. 311-2 du code de la sécurité intérieure ;

2°) d'enjoindre aux services de l'Etat concernés, à titre principal, de réexaminer les demandes de classement dans un délai d'un mois, assorti d'une astreinte de 500 euros par jour de retard à compter de la notification de l'ordonnance à intervenir et, à titre subsidiaire, d'accorder, à titre provisoire, un classement en catégorie C, 3° pour le LBD " POK 44 " et un classement en catégorie C,8° pour sa munition " KOT 44 " ;

3°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 3 000 euros au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- la condition d'urgence est satisfaite dès lors que, d'une part, l'absence de classement du LBD " POK 44 " et de sa munition " KOT 44 ", dont la demande a été effectuée auprès du ministère de l'intérieur et des outre-mer le 3 novembre 2022, et la durée excessive d'instruction effectuée, font obstacle à la commercialisation de cette arme et de sa munition alors qu'elle a investi une somme financière importante en recherche et développement afin de concevoir ces produits et que, d'autre part, la restriction du marché LBD classés en catégorie B et C et la domination quasi-monopolistique de la société concurrente Verney-Carron portent atteinte au droit de la concurrence ;

- il existe un doute sérieux quant à la légalité des décisions contestées ;

- les décisions contestées méconnaissent le principe d'égalité ainsi que les règles de la concurrence dès lors que l'arrêté du 30 avril 2001 relatif au classement de certaines armes et munitions a permis à la société Verney-Carron, société concurrente, d'une part, d'obtenir le classement de son lanceur, identique au LBD " POK 44 ", en catégorie C et, d'autre part, de commercialiser son produit lui permettant ainsi d'être la seule société sur le marché ;

- elles sont entachées d'une erreur d'appréciation dès lors que, d'une part, le LBD " POK 44 " présente les mêmes caractéristiques que le flash-ball modèle compacte de la société Verney-Carron qui bénéficie d'un classement en catégorie C ce qui justifie que le LBD " POK 44 " relève également de cette catégorie et, d'autre part, la munition " KOT 44 " respecte les dimensions imposées par la commission internationale permanente pour l'épreuve des armes à feu portatives de manière à appartenir également à la catégorie C.

Par un mémoire en défense, enregistré le 11 mai 2023, le ministre de l'intérieur et des outre-mer conclut au rejet de la requête. Il soutient que la requête n'est pas recevable, que la condition d'urgence n'est pas remplie et qu'aucun des moyens n'est propre à créer un doute sérieux sur la légalité des actes contestés.

Après avoir convoqué à une audience publique, d'une part, la société Redcore et, d'autre part, le ministre de l'intérieur et des outre-mer et le ministre des armées ;

Ont été entendus lors de l'audience publique du 16 mai 2023, à 10 heures :

- les représentants de la Société Redcore ;

- les représentants du ministre de l'intérieur et des outre-mer ;

à l'issue de laquelle le juge des référés a différé la clôture de l'instruction au mardi 23 mai à 18h.

Par un mémoire, enregistré après l'audience publique le 22 mai 2023, le ministre de l'intérieur maintient que, compte tenu de la nécessité d'une expertise et de la possibilité de la réaliser d'ici septembre 2023, la condition d'urgence n'est pas remplie.

Par un mémoire, enregistré après l'audience publique le 23 mai 2023, la société Redcore maintient ses conclusions.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :

- le code de la sécurité intérieure ;

- le code des relations entre le public et l'administration ;

- l'arrêté du 30 avril 2001 relatif au classement de certaines armes et munitions en application du B de l'article 2 et de l'article 5 (a) du décret n° 95-589 du 6 mai 1995 modifié relatif à l'application du décret du 18 avril 1939 fixant le régime des matériels de guerre, armes et munitions ;

- le code de justice administrative ;

Considérant ce qui suit :

1. Aux termes de l'article L. 521-1 du code de justice administrative : " Quand une décision administrative, même de rejet, fait l'objet d'une requête en annulation ou en réformation, le juge des référés, saisi d'une demande en ce sens, peut ordonner la suspension de l'exécution de cette décision, ou de certains de ses effets, lorsque l'urgence le justifie et qu'il est fait état d'un moyen propre à créer, en l'état de l'instruction, un doute sérieux quant à la légalité de la décision ".

2. Le 3 novembre 2022, la société par actions simplifiée (SAS) Redcore a déposé, sur le site internet du référentiel général des armées (RGA) du service central des armes et des explosifs une demande de classement en catégorie C3 d'une arme, le lanceur de balle de défense (LBD) " POK 44 ". Le 26 janvier 2023, elle sollicitait le classement de la munition " KOT 44 " afférente à cette arme en catégorie C8. La société demande la suspension de l'exécution des décisions de rejet qu'elle estime être nées du silence gardé par l'administration à la suite de ces demandes.

Sur le cadre juridique applicable :

3. Aux termes de l'article L. 311-2 du code de la sécurité intérieure : " Conformément aux dispositions de l'article L. 2331-1 du code de la défense, les matériels de guerre, armes, munitions et leurs éléments désignés par le présent titre sont classés dans les catégories suivantes : (...) 3° Catégorie C : armes soumises à déclaration pour l'acquisition et la détention ; (...). / Un décret en Conseil d'Etat détermine les matériels de guerre, armes, munitions, éléments, accessoires et opérations industrielles compris dans chacune de ces catégories ainsi que les conditions de leur acquisition et de leur détention. Il fixe les modalités de délivrance des autorisations ainsi que celles d'établissement des déclarations. / En vue de préserver la sécurité et l'ordre publics, le classement prévu aux 1° à 4° est fondé sur la dangerosité des matériels de guerre et des armes. Pour les armes à feu, la dangerosité s'apprécie en particulier en fonction des modalités de répétition du tir ainsi que du nombre de coups tirés sans qu'il soit nécessaire de procéder à un réapprovisionnement de l'arme. / (...) ".

4. Selon l'article R. 311-2 du même code : " Les matériels de guerre, armes, munitions et éléments désignés par le présent titre sont classés dans les catégories suivantes : (...) III. - Armes de catégorie C : Les armes soumises à déclaration pour l'acquisition et la détention, qui relèvent de la catégorie C, sont les suivantes : (...) 3° Armes à feu fabriquées pour tirer une balle ou plusieurs projectiles non métalliques classées dans cette catégorie par arrêté conjoint du ministre de l'intérieur et du ministre chargé des douanes ; (...) 8° Autres munitions et éléments de munitions des armes de catégorie C ; (...). "

5. Selon l'article R. 311-3 du même code : " Les mesures de classement des armes dans les catégories définies à l'article R. 311-2, autres que celles prévues par arrêtés interministériels, sont prises par le ministre de l'intérieur, à l'exclusion de celles des armes et matériels de guerre de la catégorie A2, prises par le ministre de la défense. / A cette fin, toute arme des catégories A, B ou C fabriquée, transformée, introduite ou importée en France, sous réserve, dans ces deux derniers cas, des dispositions respectivement prévues aux articles R. 316-17 et R. 316-32 et qui, à ce titre, est réglementairement soumise à épreuve obligatoire, au sens de la convention relative à la reconnaissance réciproque des poinçons d'épreuve des armes à feu portatives et du règlement avec annexes I et II, faits à Bruxelles le 1er juillet 1969, fait concomitamment l'objet d'une décision de classement du ministre de l'intérieur ou du ministre des armées dans le cas d'une arme classée en catégorie A2, préalablement à sa mise sur le marché. / (...) / Pour instruire ces décisions de classement, le ministre de l'intérieur peut solliciter l'avis d'experts techniques, au sein d'un réseau constitué, notamment, du banc national d'épreuve de Saint-Etienne, des laboratoires de police technique et scientifique de la direction générale de la police nationale et de la direction générale de la gendarmerie nationale ainsi que des services désignés par ces directions. Le cas échéant, il peut également solliciter le concours d'un établissement technique désigné par le ministre de la défense, s'il s'agit d'armes susceptibles de présenter des caractéristiques techniques comparables à celles définies à la rubrique 2 du I de l'article R. 311-2. "

Sur la demande de suspension :

En ce qui concerne la recevabilité de la demande :

6. Si l'article L. 231-1 du code des relations entre le public et l'administration dispose que le silence gardé pendant deux mois par l'administration sur une demande vaut décision d'acceptation, l'article L. 231-4 du même code prévoit que, par dérogation, le silence gardé par l'administration vaut décision de rejet lorsque, notamment, la demande ne tend pas à l'adoption d'une décision présentant le caractère d'une décision individuelle.

7. La décision par laquelle le ministre de l'intérieur procède au classement d'une arme dans l'une des catégories définies à l'article R. 311-2 du code de la sécurité intérieure présente un caractère réglementaire. Si le ministre soutient qu'en raison de la complexité et de la technicité du sujet, ainsi que de ses enjeux, seule une décision expresse peut être prise par l'administration, il ne résulte cependant d'aucun texte contraire, ni d'aucun principe que ne trouverait pas à s'appliquer la règle mentionnée au point précédent selon laquelle le silence gardé pendant deux mois par l'administration sur une demande tendant à l'adoption d'une décision réglementaire vaut décision de rejet. Par suite, les fins de non-recevoir soulevées par le ministre tenant à l'absence de décision implicite et au caractère prématuré du recours, faute de décision expresse, doivent être écartées.

8. Si le ministre a, lors de l'audience publique, soulevé une fin de non-recevoir tirée du caractère tardif de la demande, il ne résulte pas de l'instruction que l'administration ait, ainsi que l'exigent les articles L. 112-3 et L. 112-6 du code des relations entre le public et l'administration, accusé réception de la demande de la société requérante et indiqué les voies et délais de recours susceptibles de s'appliquer en cas de naissance d'une décision implicite de rejet. Par suite, le délai de recours ne lui est pas opposable. Cette fin de non-recevoir doit donc être également écartée.

En ce qui concerne l'urgence :

9. La condition d'urgence à laquelle est subordonné le prononcé d'une mesure de suspension doit être regardée comme remplie lorsque la décision administrative contestée préjudicie de manière suffisamment grave et immédiate à un intérêt public, à la situation du requérant ou aux intérêts qu'il entend défendre. Il appartient au juge des référés, saisi d'une demande tendant à la suspension d'une telle décision, d'apprécier concrètement, compte tenu des justifications fournies par le requérant, si les effets de celle-ci sur la situation de ce dernier ou, le cas échéant, des personnes concernées, sont de nature à caractériser une urgence justifiant que, sans attendre le jugement de la requête au fond, l'exécution de la décision soit suspendue.

10. Il résulte de l'instruction que la société requérante a investi de manière significative en recherche et développement pour mettre au point une première arme, qui a finalement été classée en catégorie A2, ce qui n'a pas permis une commercialisation suffisante pour couvrir les dépenses opérées. Elle a, en conséquence, été placée en redressement judiciaire par un jugement du tribunal de commerce de Lorient du 22 avril 2022. Afin d'éviter une liquidation judiciaire, elle a souhaité modifier cette arme pour obtenir un classement en catégorie C3 de nature à en permettre une plus large commercialisation. C'est dans ce but qu'elle a présenté les demandes de classement litigieuses, lesquelles apparaissent essentielles à l'équilibre financier de la société et à sa survie éventuelle. Elle n'a pourtant, six mois après sa demande, reçu aucune réponse, même d'attente, à ces demandes, alors que la prolongation de la période d'observation octroyée par le tribunal de commerce doit s'achever cet été, une audience étant prévue le 25 août prochain. Elle ne dispose, à ce jour, d'aucune perspective d'examen de ses demandes, le ministre de l'intérieur se bornant à indiquer, à la suite de sa sollicitation lors de l'audience publique, que le plan de charge du centre de recherches et d'expertise de la logistique (CREL) est particulièrement lourd - alors même que seules trois demandes de classement de LBD, dont celle de la société Redcore, sont en attente - et ne lui permet pas d'opérer l'expertise technique que le ministre considère être nécessaire. Si le ministre propose d'avoir recours à un prestataire extérieur pour effectuer les tests sous le contrôle du CREL, une décision de classement n'est envisagée qu'entre la mi-septembre et fin novembre 2023, soit près d'un an après la première demande de la société requérante et en outre postérieurement à l'échéance connue de la procédure de redressement judiciaire. Le ministre ne peut par ailleurs sérieusement soutenir que la suspension de l'exécution des décisions en litige porterait atteinte à l'impératif de sauvegarde de l'ordre public, aucune expertise préalable n'ayant pu encore évaluer la dangerosité de l'arme, la décision que la société sollicite ayant précisément pour objet de conduire l'administration à procéder, dans des délais raisonnables, à l'instruction de ses demandes et à statuer, au regard des critères mentionnés aux points 3 à 5, sur les classements sollicités en recueillant le cas échéant l'avis, lequel n'est au demeurant pas obligatoire, des experts techniques mentionnés à l'article R. 311-3 du code de la sécurité intérieure.

11. Il ressort de l'ensemble de ces considérations que, dans les circonstances de l'espèce, la condition d'urgence doit être regardée comme remplie.

En ce qui concerne l'existence d'un doute sérieux sur la légalité des décisions attaquées :

12. Sont propres à créer un doute sérieux, en l'état de l'instruction, les moyens soulevés par la société requérante, tirés de ce que les refus implicites des demandes de classement sont entachés d'erreur d'appréciation et méconnaissent le principe d'égalité et les règles de la concurrence, dès lors que, d'une part, le lanceur " POK 44 " dont elle demande l'inscription présente un canon lisse et un calibre 44/83 BE similaires à l'arme de force intermédiaire de calibre 44/83 à canon lisse fabriquée et commercialisée par la société Verney-Carron sous l'appellation flash-Ball modèle compact, classé au 3 de la catégorie C par l'arrêté du 30 avril 2001 relatif au classement de certaines armes et munitions, et que, d'autre part, la munition dont elle demande l'inscription respecte la norme CIP pour le calibre 44/83 comme la munition à projet non métallique de calibre 44/83 commercialisée par la société Verney-Carron sous l'appellation " 44/83 BE ", classée au 8° de la catégorie C par le même arrêté de 2001.

13. Il résulte de tout ce qui précède que, au regard des pièces soumises à la présente procédure, doit être suspendue l'exécution des décisions implicites de rejet des demandes de classement du LBD " POK 44 " en catégorie C3 et de la munition " KOT 44 " en catégorie C8 présentées par la société Redcore.

14. Il y a lieu d'enjoindre, sans astreinte, au ministre de l'intérieur de réexaminer les demandes de classement présentées par la société Redcore dans un délai d'un mois à compter de la notification de la présente ordonnance.

Sur les conclusions tendant à l'application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :

15. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge du ministre de l'intérieur une somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

O R D O N N E :

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Article 1er : Est suspendue l'exécution des décisions implicites de rejet des demandes présentées par la société Redcore de classer le lanceur de balles de défense " POK 44 " en catégorie C3 et sa munition " KOT 44 " en catégorie C8.

Article 2 : Il est enjoint au ministre de l'intérieur de réexaminer, dans un délai d'un mois, les demandes présentées par la société Redcore de classer le lanceur de balles de défense " POK 44 " en catégorie C3 et sa munition " KOT 44 " en catégorie C8.

Article 3 : Le surplus des conclusions présentées par la société Redcore est rejeté.

Article 4 : Le ministre de l'intérieur versera à la société Redcore une somme de 3 000 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 5 : La présente ordonnance sera notifiée à la société par actions simplifiée Redcore, au ministre de l'intérieur et des outre-mer ainsi qu'au ministre des armées.

Fait à Paris, le 30 mai 2023

Signé : Damien Botteghi


Synthèse
Formation : Juge des référés
Numéro d'arrêt : 473632
Date de la décision : 30/05/2023
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Publications
Proposition de citation : CE, 30 mai. 2023, n° 473632
Inédit au recueil Lebon

Origine de la décision
Date de l'import : 04/06/2023
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CE:2023:473632.20230530
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