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24/05/2023 | FRANCE | N°474297

France | France, Conseil d'État, Juge des référés, 24 mai 2023, 474297


Vu la procédure suivante :

L'Association de défense des libertés constitutionnelles (ADELICO), le Syndicat des avocats de France, le Syndicat de la magistrature et Mme B... A... ont demandé au juge des référés du tribunal administratif de Nice, statuant sur le fondement de l'article L. 521-2 du code de justice administrative, de suspendre l'exécution de l'arrêté n° 2023-360 du 15 mai 2023 du préfet des Alpes-Maritimes portant interdiction de manifester ou de se rassembler dans un périmètre donné au sein de la commune de Cannes, pendant le 76ème festival international du

film de Cannes. Par une ordonnance n° 2302320 du 17 mai 2023, le juge...

Vu la procédure suivante :

L'Association de défense des libertés constitutionnelles (ADELICO), le Syndicat des avocats de France, le Syndicat de la magistrature et Mme B... A... ont demandé au juge des référés du tribunal administratif de Nice, statuant sur le fondement de l'article L. 521-2 du code de justice administrative, de suspendre l'exécution de l'arrêté n° 2023-360 du 15 mai 2023 du préfet des Alpes-Maritimes portant interdiction de manifester ou de se rassembler dans un périmètre donné au sein de la commune de Cannes, pendant le 76ème festival international du film de Cannes. Par une ordonnance n° 2302320 du 17 mai 2023, le juge des référés du tribunal administratif de Nice a rejeté leur demande.

Par une requête, enregistrée le 18 mai 2023 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, l'ADELICO, le Syndicat des avocats de France, le Syndicat de la magistrature et Mme A... demandent au juge des référés du Conseil d'Etat, statuant sur le fondement de l'article L. 521-2 du code de justice administrative :

1°) d'annuler l'ordonnance du 17 mai 2023 du juge des référés du tribunal administratif de Nice ;

2°) de suspendre l'exécution de l'arrêté n° 2023-360 du 15 mai 2023 du préfet des Alpes-Maritimes portant interdiction de manifester ou de se rassembler dans un périmètre donné au sein de la commune de Cannes, pendant le 76ème festival international du film de Cannes ;

3°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 2 500 euros au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Ils soutiennent que :

- ils justifient d'un intérêt à agir eu égard, d'une part, à leur objet social et, d'autre part, à leur projet d'organiser et de participer au rassemblement " Land of Freedom " qui se tiendra le 24 mai 2023 sur une plage visée par les interdictions ;

- le référé-liberté conserve son objet en dépit de l'abrogation de l'arrêté du 11 mai 2023 du préfet des Alpes-Maritimes initialement contesté, dès lors que ses effets ont été prolongés par l'arrêté du 15 mai 2023 pris par la même autorité ;

- la condition d'urgence est satisfaite dès lors que, d'une part, les effets de l'arrêté du 15 mai 2023 prendront fin avec le festival de Cannes, soit le 28 mai 2023, sans qu'un autre recours ne permette sa contestation effective avant cette date et, d'autre part, une manifestation est organisée le 24 mai 2023 sur une plage visée par les interdictions ;

- il est porté une atteinte grave et manifestement illégale à la liberté de manifester, à la liberté de réunion et à la liberté d'aller et venir ;

- l'arrêté contesté est insuffisamment motivé en ce qu'il se borne à faire état de l'insuffisance des effectifs des forces de l'ordre pour contenir l'ensemble des troubles à l'ordre public ;

- il méconnaît l'article L. 211-4 du code de la sécurité intérieure dès lors qu'il interdit toute manifestation alors qu'aucune manifestation n'a été déclarée ou même annoncée ;

- il pose une interdiction qui n'est ni adaptée, ni nécessaire, ni proportionnée à l'objectif de sauvegarde de l'ordre public dès lors que, en premier lieu, le préfet a adopté d'autres mesures, non contestées, qui suffisent à garantir la sécurité du périmètre, en deuxième lieu, il ne précise pas l'ampleur et la nature des troubles à l'ordre public susceptibles de survenir, en dernier lieu, son arrêté constitue une interdiction générale et absolue.

Par un mémoire en défense, enregistré le 22 mai 2023, le ministre de l'intérieur et des outre-mer conclut au rejet de la requête. Il soutient que la requête n'est pas recevable, que la condition d'urgence n'est pas satisfaite et qu'il n'est pas porté d'atteinte grave et manifestement illégale à une liberté fondamentale.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :

- la Constitution, et notamment son Préambule ;

- la convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- le code de la sécurité intérieure ;

- le décret n° 2023-365 du 13 mai 2023 ;

- le code de justice administrative ;

Après avoir convoqué à une audience publique, d'une part, l'ADELICO, le Syndicat des avocats de France, le Syndicat de la magistrature et Mme A..., et d'autre part, le ministre de l'intérieur et des outre-mer ;

Ont été entendus lors de l'audience publique du 22 mai 2023, à 15 heures :

- les représentants de l'ADELICO ;

- le représentant du ministre de l'intérieur et des outre-mer ;

à l'issue de laquelle le juge des référés a clos l'instruction ;

Considérant ce qui suit :

Sur l'office du juge des référés et la liberté fondamentale en jeu :

1. Aux termes de l'article L. 521-2 du code de justice administrative : " Saisi d'une demande en ce sens justifiée par l'urgence, le juge des référés peut ordonner toutes mesures nécessaires à la sauvegarde d'une liberté fondamentale à laquelle une personne morale de droit public ou un organisme de droit privé chargé de la gestion d'un service public aurait porté, dans l'exercice d'un de ses pouvoirs, une atteinte grave et manifestement illégale. (...) ".

2. La liberté d'expression et de communication, garantie par la Constitution et par les articles 10 et 11 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et dont découle le droit d'expression collective des idées et des opinions, constitue une liberté fondamentale au sens de l'article L. 521-2 du code de justice administrative. Son exercice, notamment par la liberté de manifester ou de se réunir, est une condition de la démocratie et l'une des garanties du respect d'autres droits et libertés constituant également des libertés fondamentales au sens de cet article. Il doit cependant être concilié avec les exigences qui s'attachent à l'objectif à valeur constitutionnelle de sauvegarde de l'ordre public.

Sur le droit applicable :

3. Aux termes de l'article L. 211-1 du code la sécurité intérieure : " Sont soumis à l'obligation d'une déclaration préalable tous cortèges, défilés et rassemblements de personnes, et, d'une façon générale, toutes manifestations sur la voie publique ". Aux termes de l'article L. 211-2 du même code : " La déclaration est faite à la mairie de la commune ou aux mairies des différentes communes sur le territoire desquelles la manifestation doit avoir lieu, trois jours francs au moins et quinze jours francs au plus avant la date de la manifestation. A Paris, la déclaration est faite à la préfecture de police. Elle est faite au représentant de l'Etat dans le département en ce qui concerne les communes où est instituée la police d'Etat. / La déclaration fait connaître les noms, prénoms et domiciles des organisateurs et est signée par au moins l'un d'entre eux ; elle indique le but de la manifestation, le lieu, la date et l'heure du rassemblement des groupements invités à y prendre part et, s'il y a lieu, l'itinéraire projeté. / L'autorité qui reçoit la déclaration en délivre immédiatement un récépissé. ". Aux termes du premier alinéa de l'article L. 211-4 de ce code : " Si l'autorité investie des pouvoirs de police estime que la manifestation projetée est de nature à troubler l'ordre public, elle l'interdit par un arrêté qu'elle notifie immédiatement aux signataires de la déclaration au domicile élu. ".

4. Il résulte des dispositions citées au point précédent que le respect de la liberté de manifestation, qui a le caractère d'une liberté fondamentale au sens des dispositions de l'article L. 521-2 du code de justice administrative ainsi qu'il a été dit au point 2, doit être concilié avec la sauvegarde de l'ordre public et qu'il appartient à l'autorité investie du pouvoir de police, lorsqu'elle est saisie de la déclaration préalable prévue à l'article L. 211-1 du code de la sécurité intérieure ou en présence d'informations relatives à un ou des appels à manifester, d'apprécier le risque de troubles à l'ordre public et, sous le contrôle du juge administratif, de prendre les mesures de nature à prévenir de tels troubles, au nombre desquelles figure, le cas échéant, l'interdiction de la manifestation, si une telle mesure est seule de nature à préserver l'ordre public.

5. La seule circonstance qu'un évènement annoncé soit susceptible d'être l'occasion de troubles majeurs à l'ordre public, y compris en présence d'une menace terroriste, n'est pas de nature à justifier en toute circonstance une interdiction générale de manifester dans ses abords, dès lors que l'autorité administrative dispose des moyens humains, matériels et juridiques de prévenir autrement les troubles en cause que par une telle interdiction.

Sur la requête :

6. Il résulte de l'instruction que, dans le cadre du 76ème festival international du film de Cannes, qui se déroule du mardi 16 mai au samedi 27 mai 2023, le préfet des Alpes-Maritimes a interdit, du 16 mai 2023 à minuit au dimanche 28 mai 2023 à 6 heures, par un arrêté du 15 mai 2023, pris sur le fondement de l'article L. 211-4 du code la sécurité intérieure, toute manifestation ou tout rassemblement sur le territoire de la commune de Cannes, dans une zone comprenant les abords du Palais des Festivals et une partie du Boulevard de la Croisette où se concentrent les établissements accueillant les différents événements. Par une ordonnance du 17 mai 2023 dont les requérants font appel, le juge des référés du tribunal administratif de Nice a rejeté leur demande, présentée sur le fondement de l'article L. 521-2 du code de justice administrative, tendant à la suspension de l'exécution de cet arrêté.

7. En premier lieu, l'insuffisance de la motivation d'un acte administratif n'est pas au nombre des éléments susceptibles d'être retenus par le juge des référés pour caractériser une atteinte grave et manifestement illégale à une liberté fondamentale. Le moyen tiré par les requérants de ce que l'arrêté d'interdiction en cause ne serait pas suffisamment motivé n'est en tout état de cause pas susceptible d'être accueilli.

8. En second lieu, les requérants font valoir, d'une part, que l'interdiction de manifester en cause méconnaît l'article L. 211-4 du code de la sécurité intérieure, dès lors qu'aucune manifestation n'a été déclarée ou même annoncée et, d'autre part, que cette interdiction n'est ni adaptée, ni nécessaire, ni proportionnée à l'objectif de sauvegarde de l'ordre public

9. Ainsi qu'il a été dit au point 4, il appartient à l'autorité administrative d'apprécier le risque de troubles à l'ordre public et de prendre les mesures de nature à prévenir de tels troubles.

10. Il résulte de l'instruction que le 76ème festival international du film de Cannes, a le caractère d'un évènement international, pendant lequel viennent à Cannes, en provenance du monde entier, de centaines de personnalités de la culture, de l'économie et de la politique, et qui rassemble dans un périmètre restreint les 40 000 festivaliers accrédités, les 230 000 spectateurs attendus sur la durée du festival, les 4 000 journalistes accrédités. En outre, pendant le festival, le boulevard de la Croisette et les rue attenantes font l'objet d'une concentration humaine exceptionnelle, le jour comme la nuit. Le ministre de l'intérieur souligne en outre, sans être contesté sur ce point, l'existence lors du festival d'un " haut risque en terme de terrorisme " et d'une résurgence de la délinquance de droit commun.

11. Il résulte par ailleurs de l'instruction que l'Etat mobilise chaque jour, pour assurer la sécurité du festival, une centaine de policiers de la sécurité publique, 4 CRS, une quinzaine de motards CRS pour piloter les cortèges, une quarantaine de gendarmes chargés de la lutte anti-drone, de la surveillance et de la gestion des axes d'accès et de la surveillance maritime, une équipe de déminage présente 24h/24, une équipe d'intervention du RAID et de tireurs postés sur des points hauts, des moyens dédiés du SDIS et du SAMU pour assurer la prise en charge de victimes, des agents des services de renseignement, une quinzaine de militaires de la force Sentinelle, cinq équipes cynophiles avec des chiens détecteurs d'explosifs. Le préfet des Alpes-Maritimes a aussi instauré pour la durée du festival deux périmètres de protection au sein desquels l'accès et la circulation des personnes sont réglementés. Il a autorisé le recours à une caméra installée sur un aéronef et la Première ministre a soumis par décret toute personne accédant, à un autre titre que celui de spectateur ou de participant, à une liste d'établissements et d'installations situés dans la commune de Cannes, à un avis préalable de l'autorité administrative.

12. En décidant, au vu des risques en cause, que les forces de sécurité devaient, dans le périmètre considéré, se consacrer exclusivement à la prévention du terrorisme, à la lutte contre la délinquance et à la gestion des foules, et qu'il n'était pas possible de les solliciter en sus pour l'accompagnement et la surveillance de manifestations dans ce périmètre, et en en déduisant que les manifestations devaient y être interdites, et dès lors que ce périmètre interdit est très restreint - il n'interdit pas de manifester plus loin sur la Croisette - l'arrêté en cause porte à la liberté de manifester une atteinte qui n'est pas manifestement illégale.

13. Par suite, et sans qu'il soit besoin d'examiner les autres moyens de la requête, les requérants ne sont pas fondés à soutenir que c'est à tort que le juge des référés du tribunal administratif de Nice a rejeté leur demande. L'ensemble de leurs conclusions ne peuvent en conséquence qu'être rejetées, y compris celles présentées au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

O R D O N N E :

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Article 1er : La requête présentée par l'ADELICO et autres est rejetée.

Article 2 : La présente ordonnance sera notifiée à l'Association de défense des libertés constitutionnelles, au Syndicat des avocats de France, au Syndicat de la magistrature, à Mme B... A... ainsi qu'au ministre de l'intérieur et des outre-mer.

Copie en sera adressée au préfet des Alpes-Maritimes.

Fait à Paris, le 24 mai 2023

Signé : Thomas Andrieu


Synthèse
Formation : Juge des référés
Numéro d'arrêt : 474297
Date de la décision : 24/05/2023
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Plein contentieux

Publications
Proposition de citation : CE, 24 mai. 2023, n° 474297
Inédit au recueil Lebon

Origine de la décision
Date de l'import : 28/05/2023
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CE:2023:474297.20230524
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