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15/05/2023 | FRANCE | N°473605

France | France, Conseil d'État, Juge des référés, 15 mai 2023, 473605


Vu la procédure suivante :

M. B... D... et Mme E... A..., agissant en leur nom personnel et en celui de leur enfant mineur C..., ont demandé au juge des référés du tribunal administratif de Paris, statuant sur le fondement de l'article L. 521-2 du code de justice administrative, d'enjoindre au préfet compétent de les prendre en charge dans le cadre du dispositif d'hébergement d'urgence, sans délai, à compter de la notification de l'ordonnance à intervenir, sous astreinte de 150 euros par jour de retard.

Par une ordonnance n° 2307846 du 10 avril 2023, le juge des réfÃ

©rés du tribunal administratif de Paris a enjoint au préfet de la région ...

Vu la procédure suivante :

M. B... D... et Mme E... A..., agissant en leur nom personnel et en celui de leur enfant mineur C..., ont demandé au juge des référés du tribunal administratif de Paris, statuant sur le fondement de l'article L. 521-2 du code de justice administrative, d'enjoindre au préfet compétent de les prendre en charge dans le cadre du dispositif d'hébergement d'urgence, sans délai, à compter de la notification de l'ordonnance à intervenir, sous astreinte de 150 euros par jour de retard.

Par une ordonnance n° 2307846 du 10 avril 2023, le juge des référés du tribunal administratif de Paris a enjoint au préfet de la région d'Ile-de-France, préfet de Paris, de proposer à M. D... et à Mme A... ainsi qu'à leur enfant mineur un hébergement d'urgence pouvant les accueillir dans un délai de deux jours à compter de la notification de cette ordonnance.

Par une requête et un nouveau mémoire, enregistrés les 25 avril et 11 mai 2023 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, la délégation interministérielle à l'hébergement et à l'accès au logement demande au juge des référés du Conseil d'Etat, statuant sur le fondement de l'article L. 521-2 du code de justice administrative :

1°) d'annuler cette ordonnance ;

2°) de rejeter la demande présentée par M. D... et Mme A... en première instance.

Elle soutient que :

- l'absence de prise en charge des intéressés et de leur enfant ne saurait caractériser une carence de l'Etat dans la mise en œuvre du droit à l'hébergement d'urgence dès lors que, eu égard aux moyens dont il dispose, l'Etat a accompli des efforts significatifs pour accroître la capacité d'hébergement d'urgence dans le département de Paris et en Ile-de-France ;

- les éléments produits ne sont pas de nature à établir un degré de vulnérabilité tel que M. D... et Mme A... ainsi que leur enfant doivent être regardés comme prioritaires par rapport aux autres familles en attente d'un hébergement ;

- la circonstance qu'aucune solution n'a pu être proposée à ce jour à M. D... dans le cadre du droit au logement opposable n'est pas constitutive d'une situation de détresse au sens de l'article L. 345-2-2 du code de l'action sociale et des familles.

Par un mémoire en défense et un nouveau mémoire, enregistrés les 5 et 10 mai 2023, M. D... et Mme A... concluent au rejet de la requête et à ce qu'une somme de 1 500 euros soit mise à la charge de l'Etat au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative. Ils soutiennent que la condition d'urgence est satisfaite et qu'il est porté une atteinte grave et manifestement illégale à leur droit à un hébergement d'urgence, en méconnaissance notamment des stipulations de l'article 3-1 de la convention internationale relative aux droits de l'enfant.

Après avoir convoqué à une audience publique, d'une part, la délégation interministérielle à l'hébergement et à l'accès au logement, et d'autre part, M. D... et Mme A... ;

Ont été entendus lors de l'audience publique du 10 mai 2023, à 10 heures 30 :

- les représentants de la délégation interministérielle à l'hébergement et à l'accès au logement ;

- le représentant de M. D... et Mme A... ;

- M. D... ;

à l'issue de laquelle le juge des référés a reporté la clôture de l'instruction au 11 mai à 17h00 ;

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :

- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- la convention internationale relative aux droits de l'enfant ;

- le code de l'action sociale et des familles ;

- le code de justice administrative ;

Considérant ce qui suit :

1. Aux termes de l'article L. 521-2 du même code : " Saisi d'une demande en ce sens justifiée par l'urgence, le juge des référés peut ordonner toutes mesures nécessaires à la sauvegarde d'une liberté fondamentale à laquelle une personne morale de droit public ou un organisme de droit privé chargé de la gestion d'un service public aurait porté, dans l'exercice d'un de ses pouvoirs, une atteinte grave et manifestement illégale (...) ".

2. L'article L. 345-2 du code de l'action sociale et des familles prévoit que, dans chaque département, est mis en place, sous l'autorité du préfet, " un dispositif de veille sociale chargé d'accueillir les personnes sans abri ou en détresse (...) ". L'article L. 345-2-2 du même code dispose que : " Toute personne sans abri en situation de détresse médicale, psychique ou sociale a accès, à tout moment, à un dispositif d'hébergement d'urgence (...) ". Aux termes de son article L. 345-2-3 : " Toute personne accueillie dans une structure d'hébergement d'urgence doit pouvoir y bénéficier d'un accompagnement personnalisé et y demeurer, dès lors qu'elle le souhaite, jusqu'à ce qu'une orientation lui soit proposée (...) ". Aux termes de l'article L. 121-7 du même code : " Sont à la charge de l'Etat au titre de l'aide sociale : (...) 8° Les mesures d'aide sociale en matière de logement, d'hébergement et de réinsertion, mentionnées aux articles L. 345-1 à L. 345-3 (...) ".

3. Il appartient aux autorités de l'Etat, sur le fondement des dispositions citées au point 2, de mettre en œuvre le droit à l'hébergement d'urgence reconnu par la loi à toute personne sans abri qui se trouve en situation de détresse médicale, psychique ou sociale. Une carence caractérisée dans l'accomplissement de cette mission peut faire apparaître, pour l'application de l'article L. 521-2 du code de justice administrative, une atteinte grave et manifestement illégale à une liberté fondamentale lorsqu'elle entraîne des conséquences graves pour la personne intéressée. Il incombe au juge des référés d'apprécier dans chaque cas les diligences accomplies par l'administration en tenant compte des moyens dont elle dispose ainsi que de l'âge, de l'état de la santé et de la situation de famille de la personne intéressée.

4. M. D... et Mme A..., ressortissants bangladais nés respectivement en 1985 et 1996, agissant en leur nom propre et au nom de leur fils mineur, né le 5 mai 2017, ont saisi le juge des référés du tribunal administratif de Paris, sur le fondement de l'article L. 521-2 du code de justice administrative, d'une demande tendant à ce qu'il soit enjoint au préfet de la région d'Ile-de-France de leur attribuer un hébergement d'urgence. La délégation interministérielle à l'hébergement et à l'accès au logement relève appel de l'ordonnance du 10 avril 2023 par laquelle le juge des référés du tribunal administratif de Paris a fait droit à leur demande.

5. Il résulte de l'instruction que M. D..., qui s'est vu reconnaître le statut de réfugié le 30 septembre 2020 et dispose à ce titre d'une carte de résident, a été rejoint en France, le 23 février 2023, par Mme A... et leur enfant au titre de la réunification familiale. Alors que M. D... était jusqu'ici hébergé par des membres de la communauté bangladaise à Paris, la famille se trouve désormais sans abri. Toutefois, malgré les efforts de l'Etat pour accroître les capacités d'hébergement d'urgence à Paris et dans la région d'Ile-de-France, l'ensemble des besoins les plus urgents, en constante augmentation, ne peut être satisfait. Tel est notamment le cas pour les familles avec des enfants. Le 115 a ainsi reçu, dans la seule journée du 20 avril 2023, 2 079 appels, mais seuls 687 ont obtenu une réponse et 971 personnes, dont 711 correspondant à des familles avec des enfants, ces derniers étant au nombre de 332 mineurs, n'ont pu se voir proposer de solution d'hébergement. De même, il résulte des précisions apportées à l'audience que du 1er au 7 mai 2023, sur les 493 enfants de moins de 6 ans concernés par une demande de prise en charge, 252 se sont trouvés sans solution.

6. Le juge des référés, saisi sur le fondement de l'article L. 521-2 du code de justice administrative, ne peut, compte tenu du cadre temporel dans lequel il se prononce, ordonner que des mesures utiles en tenant compte des moyens dont dispose l'autorité administrative compétente et des mesures qu'elle a déjà prises. Il s'ensuit que, en l'état de l'instruction et eu égard à l'office du juge des référés rappelé au point 3, le refus du préfet de procurer un hébergement d'urgence à M. D... et à Mme A... et à leur enfant mineur âgé de 6 ans, qui disposent par ailleurs de moyens de subsistance, ne révèle pas, compte-tenu de la présence de familles encore plus vulnérables dans un contexte de saturation des hébergements d'urgence, une situation justifiant que soit ordonné, au motif d'une atteinte grave et manifestement illégale au droit à l'hébergement d'urgence, de prendre les mesures pour mettre à l'abri cette famille, alors même que, comme indiqué pour la première fois en appel et pour regrettable que soit cette circonstance, M. D..., reconnu prioritaire depuis novembre 2021 dans le cadre de la procédure distincte du droit au logement opposable, ne s'est pas vu proposer à ce jour de solution à ce titre.

7. Il résulte de ce qui précède que la délégation interministérielle à l'hébergement et à l'accès au logement est fondée à soutenir que c'est à tort que, par l'ordonnance attaquée, le juge des référés du tribunal administratif de Paris a enjoint au préfet de proposer un hébergement d'urgence aux intéressés et à demander l'annulation de cette ordonnance. La demande présentée par M. D... et Mme A... afin de bénéficier d'un hébergement d'urgence, y compris leurs conclusions présentées au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative en première instance comme en appel, ne peut par suite qu'être rejetée.

O R D O N N E :

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Article 1er : L'ordonnance du 10 avril 2023 du juge des référés du tribunal administratif de Paris est annulée.

Article 2 : La demande présentée par M. D... et Mme A... devant le juge des référés du tribunal administratif de Paris ainsi que leurs conclusions tendant à l'application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.

Article 3 : La présente ordonnance sera notifiée à la délégation interministérielle à l'hébergement et à l'accès au logement et à M. B... D... et Mme E... A....

Fait à Paris, le 15 mai 2023

Signé : Anne Courrèges


Synthèse
Formation : Juge des référés
Numéro d'arrêt : 473605
Date de la décision : 15/05/2023
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Plein contentieux

Publications
Proposition de citation : CE, 15 mai. 2023, n° 473605
Inédit au recueil Lebon

Origine de la décision
Date de l'import : 21/05/2023
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CE:2023:473605.20230515
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