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21/02/2023 | FRANCE | N°470989

France | France, Conseil d'État, Juge des référés, 21 février 2023, 470989


Vu la procédure suivante :

Par une requête, enregistrée le 1er février 2023, au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, M. D... B... A... et M. C... E... demandent au juge des référés du Conseil d'Etat, statuant sur le fondement de l'article L. 521-2 du code de justice administrative :

1°) de suspendre l'exécution du décret n° 2022-1543 du 8 décembre 2022 de la Première ministre portant dissolution d'un groupement de fait ;

2°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 5 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.


Ils soutiennent que :

- la condition d'urgence est satisfaite dès lors qu'elle rés...

Vu la procédure suivante :

Par une requête, enregistrée le 1er février 2023, au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, M. D... B... A... et M. C... E... demandent au juge des référés du Conseil d'Etat, statuant sur le fondement de l'article L. 521-2 du code de justice administrative :

1°) de suspendre l'exécution du décret n° 2022-1543 du 8 décembre 2022 de la Première ministre portant dissolution d'un groupement de fait ;

2°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 5 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Ils soutiennent que :

- la condition d'urgence est satisfaite dès lors qu'elle résulte directement de l'atteinte grave et manifestement illégale portée à la liberté fondamentale de réunion ;

- il est porté une atteinte grave et manifestement illégale à la liberté de réunion ;

- le groupement de fait ne s'inscrit pas dans la continuité de l'association s'étant volontairement dissoute " Ferveur parisienne " dès lors que l'association ne comptait aucun membre en dehors des membres de son bureau, que M. B... A..., ancien président de " Ferveur Parisienne " ne dirige pas le groupement de fait dont le chef est E... et, en dernier lieu, que l'association et le groupement de fait n'ont pas les mêmes symboles ;

- le décret contesté est entaché d'erreurs matérielles quant à la réalité des actes qu'il retient et leur imputabilité aux membres de l'association ou du groupement ;

- les faits reprochés ne justifient pas la dissolution du groupement, d'autant que certains d'entre eux ont déjà donné lieu à des sanctions pénales ou à des mesures administratives individuelles ;

Par un mémoire en défense, enregistré le 13 février 2022, le ministre de l'intérieur conclut au rejet de la requête. Il soutient que la condition d'urgence n'est pas satisfaite, et que les moyens soulevés ne sont pas fondés.

La requête a été communiquée à la Première ministre, qui n'a pas produit d'observations.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :

- la Constitution ;

- le code du sport, notamment son article L. 332-18 ;

- le code de justice administrative ;

Après avoir convoqué à une audience publique, d'une part, M. D... B... A... et M. C... E... et d'autre part, la Première ministre ainsi que le ministre de l'intérieur et des outre-mer ;

Ont été entendus lors de l'audience publique du 15 février 2023, à 10h30 :

- le représentant de M. B... A... et de M. E... ;

- M. E... ;

- les représentantes du ministre de l'intérieur et des outre-mer ;

à l'issue de laquelle le juge des référés a clos l'instruction ;

Considérant ce qui suit :

1. Aux termes de l'article L. 521-2 du code de justice administrative : " Saisi d'une demande en ce sens justifiée par l'urgence, le juge des référés peut ordonner toutes mesures nécessaires à la sauvegarde d'une liberté fondamentale à laquelle une personne morale de droit public ou un organisme de droit privé chargé de la gestion d'un service public aurait porté, dans l'exercice d'un de ses pouvoirs, une atteinte grave et manifestement illégale. (...) ".

2. Aux termes de l'article L. 332-18 du code du sport : " Peut être dissous ou suspendu d'activité pendant douze mois au plus par décret, après avis de la Commission nationale consultative de prévention des violences lors des manifestations sportives, toute association ou groupement de fait ayant pour objet le soutien à une association sportive mentionnée à l'article L. 122-1, dont des membres ont commis en réunion, en relation ou à l'occasion d'une manifestation sportive, des actes répétés ou un acte d'une particulière gravité et qui sont constitutifs de dégradations de biens, de violence sur des personnes ou d'incitation à la haine ou à la discrimination contre des personnes à raison de leur origine, de leur orientation sexuelle ou identité de genre, de leur sexe ou de leur appartenance, vraie ou supposée, à une ethnie, une nation, une race ou une religion déterminée ".

3. Par décret du 8 décembre 2022, la Première ministre a, sur le fondement de l'article L. 332-18 du code du sport, prononcé la dissolution du groupement de fait " Ferveur parisienne ". Pour justifier la dissolution ainsi prononcée, le décret relève, d'une part, que si l'association " Porte 411 ", devenue " Ferveur Parisienne " à la suite d'un changement de dénomination, qui avait pour objet de soutenir l'équipe du Paris Saint-Germain, association sportive mentionnée à l'article L. 122-1 du code du sport, s'est volontairement dissoute le 6 avril 2022, ses membres ont, depuis lors, poursuivi son objet et ses activités, de sorte qu'elle doit être regardée comme formant désormais un groupement de fait, auxquels peuvent être imputés les actes commis par les membres de l'association. Il retient, d'autre part, que des membres de l'association puis du groupement de fait " Ferveur Parisienne " ont commis en réunion, en relation ou à l'occasion de manifestations sportives, des actes répétés de dégradations de biens et de violences sur des personnes, l'absence de passage à l'acte, dans certains cas, n'étant due qu'à l'intervention préventive des forces de l'ordre. Par la présente requête, M. B... A..., en tant qu'ancien président de l'association dissoute, et M. E..., en qualité de représentant du groupement de fait, ont saisi le juge des référés du Conseil d'Etat d'une demande, fondée sur l'article L. 521-2 du code de justice administrative, tendant à la suspension de l'exécution de ce décret.

4. En premier lieu, en ce qui concerne la continuité qu'il retient entre l'association " Ferveur Parisienne " et le groupement de fait, le décret contesté se fonde sur la circonstance que ce groupement demeure représenté par M. B... A..., ancien président de l'association " Ferveur Parisienne ", et que les anciens membres ou sympathisants de l'association au profil de supporters " ultras " classés à risques dont une douzaine particulièrement actifs se retrouvent dans le groupement de fait qui s'identifie toujours au travers de symboles communs. Si les deux requérants - l'un d'entre eux étant M. B... A... - contestent cette continuité, il ne résulte pas de l'instruction que les circonstances ainsi relevées seraient entachées d'erreur matérielle. Contrairement à ce qui est soutenu, il n'est notamment pas douteux, au vu des pièces produites par le ministère de l'intérieur, que le drapeau représentant un homme cagoulé montrant ses dents constitue l'un des symboles de l'association " Ferveur Parisienne ", et que ce symbole continue d'être utilisé par les membres du groupement de fait, ainsi qu'en atteste, par exemple, la photographie d'une quarantaine de supporters rassemblés autour d'un tel drapeau à l'occasion du déplacement du Paris Saint-Germain à Lisbonne le 5 octobre 2022.

5. En deuxième lieu, il résulte de l'instruction que les actes de dégradation commis contre des biens dans des enceintes sportives ou à leurs abords imputés à plusieurs membres de " Ferveur parisienne " ne sont pas sérieusement contestés. Il en va ainsi, notamment, de la dégradation d'un bus de l'équipe de Lens sur lequel un message injurieux a été peint, intervenue le 30 avril 2021 à Boulogne-Billancourt (Hauts-de-Seine), ainsi que des tags provocateurs réalisés à proximité de la gare de Brest le 20 août 2021.

6. En troisième lieu, s'agissant des actes répétés constitutifs de violences sur les personnes imputés aux membres de " Ferveur parisienne ", le décret se réfère tout d'abord aux faits commis le 9 novembre 2019, au stade Francis-le-Blé à Brest (Finistère), lors de la rencontre Stade Brestois 29/Paris Saint-Germain et le 17 décembre 2021 lors de la rencontre Paris Football Club/Olympique Lyonnais. Il résulte de l'instruction que le premier de ces faits, soit l'attaque d'une vingtaine de supporters ultras brestois, au cours de laquelle un supporter breton a été blessé au visage, n'est contestée ni dans sa matérialité ni en ce qu'elle est imputée à 19 membres de l'association " Ferveur parisienne ". En ce qui concerne les faits commis lors de la rencontre Paris Football Club/Olympique Lyonnais, si les requérants soutiennent qu'ils ne sont imputables qu'à M. B... A..., qui a fait l'objet d'une condamnation pénale pour avoir allumé en tribune un engin pyrotechnique et tenté de brûler un supporter lyonnais au torse, et est par ailleurs soumis à une interdiction de stade, la note des services de renseignement produite par le ministre mentionne l'implication d'au moins 7 autres membres de l'association, qu'elle identifie individuellement, dans des incidents violents s'étant déroulés au même moment dans les tribunes entre supporters. Le décret se réfère en outre à l'attaque violente de supporters ultra nancéens à la gare de Lyon le 7 mai 2022, en marge de la finale de Coupe de France, la note des services de renseignement retenant la participation à ces faits d'au moins 4 membres de " Ferveur parisienne " qu'elle identifie individuellement. De même, s'agissant de l'attaque de deux supporters de l'équipe de Reims le 8 octobre 2022 également mentionnée par le décret, la note des services de renseignement retient l'implication d'une dizaine de membres de " Ferveur parisienne " dont deux sont individuellement identifiés.

7. Eu égard aux faits précis ainsi relevés, à l'appui desquels le ministre de l'intérieur a produit une note circonstanciée, qui a été versée au contradictoire, et alors que les requérants n'apportent pour leur part aucun élément sérieux au soutien des erreurs matérielles qu'ils invoquent, c'est sans illégalité manifeste, en l'état de l'instruction menée en référé, que le décret du 8 décembre 2022 retient comme établie, imputable à différents membres de l'association " Ferveur parisienne " ou du groupement qui en poursuit l'activité, et répondant aux conditions posées par le premier alinéa de l'article L. 332-18, la participation répétée, commise en réunion, à des actes de violence contre les personnes.

8. En l'état de l'instruction, à supposer que les autres incidents retenus par le décret à l'encontre des membres de " Ferveur parisienne ", notamment les tentatives d'affrontement interrompues par l'intervention des services de police, ne puissent être regardés comme des actes de violence contre des personnes, il apparaît que la Première ministre aurait pris la même décision si elle ne s'était fondée que sur les faits mentionnés aux points 5 et 6.

9. Enfin, eu égard au caractère répété des faits et à la gravité des actes de violences contre les personnes en cause, commis en réunion, la mesure de dissolution, qui est indépendante des poursuites pénales, et n'est pas incompatible avec l'interdiction administrative de stade, n'est pas manifestement disproportionnée à l'objectif de protection de l'ordre public en vue duquel elle a été édictée.

10. Il résulte de ce qui précède que la requête, en l'absence d'atteinte manifestement illégale à une liberté fondamentale, et sans qu'il soit besoin d'examiner si la condition relative à l'urgence est remplie, ne peut qu'être rejetée, y compris les conclusions présentées au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative

O R D O N N E :

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Article 1er : La requête de M. B... A... et M. E... est rejetée.

Article 2 : La présente ordonnance sera notifiée à M. D... B... A... et M. C... E... ainsi qu'à la Première ministre et au ministre de l'intérieur et des outre-mer.

Fait à Paris, le 21 février 2023

Signé : Alban de Nervaux


Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Références :

Publications
Proposition de citation: CE, 21 fév. 2023, n° 470989
Inédit au recueil Lebon
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Origine de la décision
Formation : Juge des référés
Date de la décision : 21/02/2023
Date de l'import : 28/03/2023

Fonds documentaire ?: Legifrance


Numérotation
Numéro d'arrêt : 470989
Numéro NOR : CETATEXT000047213586 ?
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;conseil.etat;arret;2023-02-21;470989 ?
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