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27/01/2023 | FRANCE | N°464149

France | France, Conseil d'État, 7ème - 2ème chambres réunies, 27 janvier 2023, 464149


Vu la procédure suivante :

La société GETELEC TP a demandé au juge des référés du tribunal administratif de la Guadeloupe, sur le fondement de l'article R. 532-1 du code de justice administrative, de désigner un expert afin de déterminer avec précision les causes du retard pris par le chantier et le volume de travaux réellement effectués dans le cadre de l'exécution du lot 401 " VRD / Station-Service " du projet de reconstruction, restructuration et extension du centre hospitalier Beauperthuy qui lui a été attribué par un acte d'engagement du 18 octobre 2013. Par une ord

onnance n° 2100129 du 13 janvier 2022, le juge des référés du tribuna...

Vu la procédure suivante :

La société GETELEC TP a demandé au juge des référés du tribunal administratif de la Guadeloupe, sur le fondement de l'article R. 532-1 du code de justice administrative, de désigner un expert afin de déterminer avec précision les causes du retard pris par le chantier et le volume de travaux réellement effectués dans le cadre de l'exécution du lot 401 " VRD / Station-Service " du projet de reconstruction, restructuration et extension du centre hospitalier Beauperthuy qui lui a été attribué par un acte d'engagement du 18 octobre 2013. Par une ordonnance n° 2100129 du 13 janvier 2022, le juge des référés du tribunal administratif de la Guadeloupe a désigné un expert aux fins de déterminer, notamment, d'une part, les quantités de travaux réalisées par cette société et, d'autre part, les causes des retards subis par celle-ci ainsi que le montant des préjudices qui en ont résulté.

Par une ordonnance n° 22BX00311 du 4 mai 2022, le juge des référés de la cour administrative d'appel de Bordeaux a rejeté l'appel formé par le centre hospitalier Louis-Daniel Beauperthuy contre cette ordonnance.

Par un pourvoi sommaire, un mémoire complémentaire et un mémoire en réplique, enregistrés les 18 mai, 2 juin et 27 octobre 2022 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, le centre hospitalier Louis-Daniel Beauperthuy demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler cette ordonnance ;

2°) de mettre à la charge de la société GETELEC TP la somme de 6 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :

- le code des marchés publics ;

- l'arrêté du 8 septembre 2009 portant approbation du cahier des clauses administratives générales applicables aux marchés publics de travaux;

- le code de justice administrative ;

Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de M. Frédéric Gueudar Delahaye, conseiller d'Etat,

- les conclusions de M. Marc Pichon de Vendeuil, rapporteur public ;

La parole ayant été donnée, après les conclusions, à la SARL Matuchansky, Poupot, Valdelièvre, avocat du centre hospitalier Louis-Daniel Beauperthuy et à la SCP Melka-Prigent-Drusch, avocat de la société GETELEC TP ;

Vu la note en délibéré, enregistrée le 11 janvier 2023, présentée par la société GETELEC TP ;

Considérant ce qui suit :

1. Il ressort des pièces du dossier soumis au juge des référés que, par acte d'engagement du 18 octobre 2013, le centre hospitalier Louis-Daniel Beauperthuy a confié l'exécution du lot 401 " VRD / Station-Service " du projet de " reconstruction, restructuration et extension du centre hospitalier " à la société GETELEC TP. De nombreuses difficultés dans l'exécution du marché ont conduit le centre hospitalier à prononcer sa résiliation par une décision du 5 novembre 2019. Il a ensuite notifié, le 10 août 2020, à la société GETELEC TP un décompte de liquidation comportant notamment des pénalités de retard à hauteur de 59 252,72 euros et fixant le solde du marché à la somme négative de 512 411,18 euros. Par lettre du 1er octobre 2020, la société GETELEC TP a fait part de son refus de signer le décompte de liquidation et a transmis un mémoire en réclamation, rejeté par une décision du centre hospitalier du 9 novembre 2020. Sur demande de la société, par une ordonnance du 13 janvier 2022, le juge des référés du tribunal administratif de la Guadeloupe a désigné un expert aux fins de déterminer, notamment, d'une part, les quantités de travaux réalisées par la société GETELEC TP et, d'autre part, les causes des retards subis par celle-ci ainsi que le montant des préjudices qui en ont résulté. Le centre hospitalier Louis-Daniel Beauperthuy se pourvoit en cassation contre l'ordonnance du 4 mai 2022 par laquelle le juge des référés de la cour administrative de Bordeaux a rejeté son appel contre l'ordonnance prescrivant cette expertise.

2. Aux termes de l'article 47 du cahier des clauses administratives générales (CCAG) applicables aux marchés publics de travaux, dans sa rédaction applicable au marché en litige : " (...) 47.2.1. En cas de résiliation du marché, une liquidation des comptes est effectuée. Le décompte de liquidation du marché, qui se substitue au décompte général prévu à l'article 13.4.2, est arrêté par décision du représentant du pouvoir adjudicateur et notifié au titulaire. (...) / 47.2.3. Le décompte de liquidation est notifié au titulaire par le pouvoir adjudicateur, au plus tard deux mois suivant la date de signature du procès-verbal prévu à l'article 47.1.1. (...) ". Aux termes de l'article 13 de ce même CCAG : " (...) 13.4.2. (...) Le représentant du pouvoir adjudicateur notifie au titulaire le décompte général. (...) Si le représentant du pouvoir adjudicateur ne notifie pas au titulaire, dans les délais stipulés ci-dessus, le décompte général signé, celui-ci lui adresse une mise en demeure d'y procéder. L'absence de notification au titulaire du décompte général signé par le représentant du pouvoir adjudicateur, dans un délai de trente jours à compter de la réception de la mise en demeure, autorise le titulaire à saisir le tribunal administratif compétent en cas de désaccord. (...) / 13.4.4. Dans un délai de quarante-cinq jours compté à partir de la notification du décompte général, le titulaire renvoie au représentant du pouvoir adjudicateur, avec copie au maître d'œuvre, le décompte général revêtu de sa signature, sans ou avec réserves, ou fait connaître les motifs pour lesquels il refuse de le signer. (...) / 13.4.5. Dans le cas où le titulaire n'a pas renvoyé le décompte général signé au représentant du pouvoir adjudicateur, dans le délai de quarante-cinq jours fixé à l'article 13.4.4, (...) ce décompte général est réputé être accepté par lui ; il devient alors le décompte général et définitif du marché (...) ". Enfin, aux termes de son article 50 : " (...) 50.1.1. Si la réclamation porte sur le décompte général du marché, ce mémoire est transmis dans le délai de quarante-cinq jours à compter de la notification du décompte général (...) ".

3. Il résulte de la combinaison de ces stipulations, en l'absence de stipulation particulière relative au décompte de liquidation du marché, que, en cas de résiliation du marché, l'établissement et la contestation du décompte de liquidation, qui se substitue alors au décompte général établi dans les autres cas, sont régis par les stipulations des articles 13 et 50 du cahier des clauses administratives générales.

4. Il résulte des stipulations de l'article 13.4.2 que l'absence de notification au titulaire par le représentant du pouvoir adjudicateur du décompte de résiliation dans le délai, fixé par l'article 47.2.3, de deux mois suivant la date de signature du procès-verbal prévu à l'article 47.1.1, permet seulement au titulaire de mettre le représentant du pouvoir adjudicateur en demeure de le faire, l'absence de réponse à cette mise en demeure dans un délai de trente jours l'autorisant alors à saisir le tribunal administratif en cas de désaccord. Par conséquent, la notification du décompte de résiliation postérieurement au délai de deux mois, qu'elle réponde à une mise en demeure adressée par le titulaire au représentant du pouvoir adjudicataire ou pas, fait courir le délai de 45 jours imparti par l'article 13.4.4 au titulaire pour renvoyer au représentant du pouvoir adjudicateur le décompte général revêtu de sa signature, sans ou avec réserves, ou pour faire connaître les motifs pour lesquels il refuse de le signer, à peine d'être regardé comme ayant accepté le décompte notifié par le représentant du pouvoir adjudicateur.

5. Il résulte de ce qui précède qu'en jugeant que le décompte de liquidation du marché notifié par le centre hospitalier à la société GETELEC TP, le 10 août 2020, soit neuf mois après la signature du procès-verbal de résiliation du marché, ne pouvait tenir lieu de décompte de liquidation, au motif que sa notification était intervenue au-delà du délai de deux mois prévu par l'article 47.2.3 du cahier des clauses administratives générales, et que la société GETELEC TP ne pouvait ainsi se voir opposer les délais de contestation de ce décompte prévus par ce cahier, le juge des référés de la cour administrative de Bordeaux a commis une erreur de droit. Le centre hospitalier Louis-Daniel Beauperthuy est, par suite et sans qu'il soit besoin de se prononcer sur les autres moyens du pourvoi, fondé à demander l'annulation de l'ordonnance qu'il attaque.

6. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de régler l'affaire au titre de la procédure de référé engagée, en application des dispositions de l'article L. 821-2 du code de justice administrative.

7. L'utilité d'une mesure d'instruction ou d'expertise qu'il est demandé au juge des référés d'ordonner sur le fondement de l'article R. 532-1 du code de justice administrative doit être appréciée, d'une part, au regard des éléments dont le demandeur dispose ou peut disposer par d'autres moyens et, d'autre part, bien que ce juge ne soit pas saisi du principal, au regard de l'intérêt que la mesure présente dans la perspective d'un litige principal, actuel ou éventuel, auquel elle est susceptible de se rattacher. A ce dernier titre, il ne peut faire droit à une demande d'expertise lorsque, en particulier, elle est formulée à l'appui de prétentions qui ne relèvent manifestement pas de la compétence de la juridiction administrative, qui sont irrecevables ou qui se heurtent à la prescription. De même, il ne peut faire droit à une demande d'expertise permettant d'évaluer un préjudice, en vue d'engager la responsabilité d'une personne publique, en l'absence manifeste, en l'état de l'instruction, de fait générateur, de préjudice ou de lien de causalité entre celui-ci et le fait générateur.

8. Il résulte de l'instruction que la demande d'expertise présentée par la société GETELEC TP vise à déterminer les éléments relatifs aux conditions de réalisation des travaux et aux prestations effectivement réalisées dans le cadre d'un litige portant sur l'établissement du décompte de liquidation du marché après sa résiliation. Toutefois, en vertu des stipulations citées au point 2, applicables, ainsi qu'il dit, au décompte de liquidation en cas de résiliation, la société titulaire du marché disposait d'un délai de 45 jours pour renvoyer le décompte signé ou faire connaître les motifs pour lesquels elle refusait de le signer. Il n'est pas contesté que la réclamation sur le décompte de liquidation notifié le 10 août 2020 n'a été formée que par le courrier du 1er octobre 2020, notifié le 5 de ce même mois, soit après l'expiration de ce délai. A défaut d'avoir respecté ce délai et dès lors qu'il ne résulte pas de l'instruction que la résiliation du marché aurait elle-même fait l'objet d'une contestation, ce décompte est devenu définitif et ne peut plus être contesté. Par suite, l'expertise demandée est dépourvue d'utilité.

9. Il résulte de ce qui précède, et sans qu'il soit besoin de se prononcer sur les autres moyens de la requête, que le centre hospitalier Louis Daniel Beauperthuy est fondé à soutenir que c'est à tort que, par l'ordonnance attaquée, le juge des référés du tribunal administratif de la Guadeloupe a ordonné l'expertise demandée par la société GETELEC TP.

10. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de la société GETELEC TP la somme de 3 000 euros à verser au centre hospitalier Louis-Daniel Beauperthuy, au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative. Ces mêmes dispositions font obstacle à ce qu'une somme soit mise à ce titre à la charge du centre hospitalier Louis-Daniel Beauperthuy qui n'est pas, dans la présente instance, la partie perdante.

D E C I D E :

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Article 1er : L'ordonnance du 4 mai 2022 du juge d'appel des référés de la cour administrative d'appel de Bordeaux et l'ordonnance du 13 janvier 2022 du juge des référés du tribunal administratif de la Guadeloupe sont annulées.

Article 2 : La demande présentée par la société GETELEC TP devant le juge des référés du tribunal administratif de la Guadeloupe est rejetée.

Article 3 : La société GETELEC TP versera au centre hospitalier Louis-Daniel Beauperthuy une somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 4 : Les conclusions de la société GETELEC TP présentées au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.

Article 5 : La présente décision sera notifiée au centre hospitalier Louis-Daniel Beauperthuy et à la société GETELEC TP.

Copie en sera adressée à M. D... B..., expert.


Synthèse
Formation : 7ème - 2ème chambres réunies
Numéro d'arrêt : 464149
Date de la décision : 27/01/2023
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Plein contentieux

Analyses

39-05-02-01 MARCHÉS ET CONTRATS ADMINISTRATIFS. - EXÉCUTION FINANCIÈRE DU CONTRAT. - RÈGLEMENT DES MARCHÉS. - DÉCOMPTE GÉNÉRAL ET DÉFINITIF. - RÉSILIATION D’UN MARCHÉ DE TRAVAUX – DÉCOMPTE DE LIQUIDATION (ART. 47.2.1 DU CCAG TRAVAUX DU 8 SEPTEMBRE 2009) – 1) APPLICABILITÉ, EN L’ABSENCE DE STIPULATION PARTICULIÈRE, DES ARTICLES 13 ET 50 RELATIFS AU DÉCOMPTE GÉNÉRAL – 2) CONSÉQUENCE – NOTIFICATION DU DÉCOMPTE POSTÉRIEUREMENT AU DÉLAI DE DEUX MOIS SUIVANT LA SIGNATURE DU PROCÈS-VERBAL (ART. 47.2.3) – EFFET – DÉCLENCHEMENT DU DÉLAI DE 45 JOURS (ART. 13.4.4) IMPARTI AU TITULAIRE POUR RENVOYER LE DÉCOMPTE, À PEINE D’ÊTRE REGARDÉ COMME L’AYANT ACCEPTÉ.

39-05-02-01 1) Il résulte de la combinaison des articles 13, 47 et 50 du cahier des clauses administratives générales (CCAG) applicables aux marchés publics de travaux, en l’absence de stipulation particulière relative au décompte de liquidation du marché, que, en cas de résiliation du marché, l’établissement et la contestation du décompte de liquidation, qui se substitue alors au décompte général établi dans les autres cas, sont régis par les articles 13 et 50 du CCAG. ...2) Il résulte de l’article 13.4.2 que l’absence de notification au titulaire par le représentant du pouvoir adjudicateur du décompte de résiliation dans le délai, fixé par l’article 47.2.3, de deux mois suivant la date de signature du procès-verbal prévu à l'article 47.1.1, permet seulement au titulaire de mettre le représentant du pouvoir adjudicateur en demeure de le faire, l’absence de réponse à cette mise en demeure dans un délai de trente jours l’autorisant alors à saisir le tribunal administratif en cas de désaccord. ...Par conséquent, la notification du décompte de résiliation postérieurement au délai de deux mois, qu’elle réponde à une mise en demeure adressée par le titulaire au représentant du pouvoir adjudicataire ou pas, fait courir le délai de 45 jours imparti par l’article 13.4.4 au titulaire pour renvoyer au représentant du pouvoir adjudicateur le décompte général revêtu de sa signature, sans ou avec réserves, ou pour faire connaître les motifs pour lesquels il refuse de le signer, à peine d’être regardé comme ayant accepté le décompte notifié par le représentant du pouvoir adjudicateur.


Publications
Proposition de citation : CE, 27 jan. 2023, n° 464149
Mentionné aux tables du recueil Lebon

Composition du Tribunal
Rapporteur ?: M. Frédéric Gueudar Delahaye
Rapporteur public ?: M. Marc Pichon de Vendeuil
Avocat(s) : SARL MATUCHANSKY, POUPOT, VALDELIEVRE ; SCP MELKA-PRIGENT-DRUSCH

Origine de la décision
Date de l'import : 12/02/2023
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CE:2023:464149.20230127
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