Vu la procédure suivante :
La Commission nationale des comptes de campagne et des financements politiques a saisi le tribunal administratif de Limoges, en application de l'article L. 52-15 du code électoral, après avoir constaté l'irrégularité du compte de campagne de M. D... A... et Mme C... F..., candidats lors des opérations électorales qui se sont déroulées les 20 et 27 juin 2021 en vue de la désignation, pour le canton d'Ambazac, des membres du conseil départemental de la Haute-Vienne.
Par un jugement n° 2200347 du 16 juin 2022, le tribunal administratif de Limoges a déclaré M. A... et Mme F... inéligibles pendant une durée de douze mois.
Par une requête, enregistrée le 15 juillet 2022 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, M. A... et Mme F... demandent au Conseil d'Etat :
1°) d'annuler ce jugement ;
2°) d'enjoindre à la Commission nationale des comptes de campagne et des financements politiques d'approuver leur compte de campagne dans un délai de quinze jours à compter de la décision à intervenir ;
3°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
- le code électoral ;
- le code de procédure civile ;
- le code de justice administrative ;
Après avoir entendu en séance publique :
- le rapport de M. Frédéric Gueudar Delahaye, conseiller d'Etat,
- les conclusions de M. Marc Pichon de Vendeuil, rapporteur public ;
Considérant ce qui suit :
1. Il résulte de l'instruction que M. A... et Mme F... ont obtenu 42,52 % des suffrages exprimés à l'issue du second tour de scrutin organisé le 27 juin 2021 pour l'élection des conseillers départementaux dans le canton d'Ambazac (Haute-Vienne). Par une décision du 28 février 2022, la Commission nationale des comptes de campagne et des financements politiques a rejeté leur compte de campagne au motif que les candidats avaient payé directement, après désignation de leur mandataire, 695 euros de dépenses, soit 11 % du montant total des dépenses du compte et 4,1% du plafond légal des dépenses, et a saisi le juge de l'élection en application des dispositions de l'article L. 52-15 du code électoral. Par un jugement du 16 juin 2022, le tribunal administratif de Limoges, après avoir constaté que le compte de campagne de M. A... et Mme F... avait été rejeté à bon droit par la Commission nationale des comptes de campagne et des financements politiques, les a déclarés inéligibles pour une durée de douze mois. M. A... et Mme F... relèvent appel de ce jugement.
2. Aux termes de l'article R. 114 du code électoral : " En cas de renouvellement général, le tribunal administratif prononce sa décision dans le délai de trois mois à compter de l'enregistrement de la réclamation au greffe ; la décision est notifiée dans les huit jours à partir de sa date au préfet et aux parties intéressées, dans les conditions fixées à l'article R. 751-3 du code de justice administrative. / En cas d'élection partielle, ce délai est réduit à deux mois. (...) ". En vertu de l'article R. 117 du même code, faute d'avoir statué dans ces délais, le tribunal administratif est dessaisi. Aux termes de l'article R.25-2 du code électoral : " Sauf dispositions contraires, la computation des délais prévus au présent code est faite conformément aux dispositions des articles 640, 641 et 642 du code de procédure civile ". Aux termes de l'article 641 du code de procédure civile " (...) Lorsqu'un délai est exprimé en mois ou en années, ce délai expire le jour du dernier mois ou de la dernière année qui porte le même quantième que le jour de l'acte, de l'événement, de la décision ou de la notification qui fait courir le délai. A défaut d'un quantième identique, le délai expire le dernier jour du mois. (...) ". Aux termes de l'article 642 du même code : " Tout délai expire le dernier jour à vingt-quatre heures. / Le délai qui expirerait normalement un samedi, un dimanche ou un jour férié ou chômé est prorogé jusqu'au premier jour ouvrable suivant ".
3. D'une part, il résulte des dispositions mentionnées au point précédent que, en cas de renouvellement général, le tribunal administratif est dessaisi de la réclamation qui lui est présentée à l'expiration d'un délai de trois mois à compter de l'enregistrement de la réclamation au greffe. Ce délai s'applique tant au jugement des protestations électorales qu'à celui des saisines de la Commission nationale des comptes de campagne et des financements politiques, que le candidat concerné ait été élu ou non. D'autre part, en application de ces mêmes dispositions, ce délai, comme celui imparti à la Commission nationale des comptes de campagne et des financements politiques pour se prononcer sur un compte de campagne ou saisir le juge de l'élection, ne constitue pas un délai franc.
4. Il résulte de l'instruction que la saisine de la Commission nationale des comptes de campagne et des financements politiques a été enregistrée le 15 mars 2022 au greffe du tribunal administratif de Limoges, qui a rendu son jugement le 16 juin suivant, après l'expiration du délai prescrit par les dispositions mentionnées ci-dessus qui expirait le 15 juin 2022 à vingt-quatre heures. Par suite et sans qu'il soit besoin d'examiner les moyens de la requête, ce jugement doit être annulé et il y a lieu de statuer immédiatement sur la saisine de la Commission nationale des comptes de campagne et des financements politiques.
5. Aux termes de l'article L. 52-4 du code électoral : " Tout candidat à une élection déclare un mandataire conformément aux articles L. 52 5 et L. 52-6 au plus tard à la date à laquelle sa candidature est enregistrée. (...) / Le mandataire recueille, pendant les six mois précédant le premier jour du mois de l'élection et jusqu'à la date du dépôt du compte de campagne du candidat, les fonds destinés au financement de la campagne. / Il règle les dépenses engagées en vue de l'élection et antérieures à la date du tour de scrutin où elle a été acquise, à l'exception des dépenses prises en charge par un parti ou groupement politique. Les dépenses antérieures à sa désignation, payées directement par le candidat ou à son profit, ou par l'un des membres d'un binôme de candidats ou au profit de ce membre, font l'objet d'un remboursement par le mandataire et figurent dans son compte de dépôt. (...) ". Aux termes de l'article L.52-12 du code électoral : " I.- Chaque candidat ou candidat tête de liste soumis au plafonnement des dépenses électorales prévu à l'article L. 52-11 est tenu d'établir un compte de campagne lorsqu'il a obtenu au moins 1 % des suffrages exprimés (...) / Pour la période mentionnée à l'article L. 52-4 du présent code, le compte de campagne retrace, selon leur origine, l'ensemble des recettes perçues et, selon leur nature, l'ensemble des dépenses engagées ou effectuées en vue de l'élection par le candidat ou le candidat tête de liste ou pour son compte, à l'exclusion des dépenses de la campagne officielle..(...) ". Aux termes de l'article L.52-15 du même code : " La Commission nationale des comptes de campagne et des financements politiques approuve et, après procédure contradictoire, rejette ou réforme les comptes de campagne. Elle arrête le montant du remboursement forfaitaire prévu à l'article L. 52-11-1. (...) Lorsque la commission a constaté que le compte de campagne n'a pas été déposé dans le délai prescrit, si le compte a été rejeté ou si, le cas échéant après réformation, il fait apparaître un dépassement du plafond des dépenses électorales, la commission saisit le juge de l'élection. (...) ". Aux termes de l'article L. 118-3 du même code : " Lorsqu'il relève une volonté de fraude ou un manquement d'une particulière gravité aux règles de financement des campagnes électorales, le juge de l'élection, saisi par la Commission nationale des comptes de campagne et des financements politiques, peut déclarer inéligible : / (...) 3° Le candidat dont le compte de campagne a été rejeté à bon droit. (...) ".
6. En premier lieu, en raison de la finalité des dispositions de l'article L.52-4 du code électoral rappelées au point précédent, l'obligation de recourir à un mandataire constitue une formalité substantielle à laquelle il ne peut, en principe, être dérogé. Toutefois, le règlement direct de menues dépenses par le candidat peut être admis à la double condition que leur montant global soit faible par rapport au total des dépenses du compte de campagne et négligeable au regard du plafond de dépenses autorisées fixé par l'article L. 52-11 du code électoral. Enfin, l'obligation faite aux candidats de ne régler les dépenses de leur campagne que par l'intermédiaire du mandataire financier ne s'applique qu'à compter de la désignation de celui-ci.
7. Il résulte de l'instruction que le binôme de candidats formé par M. A... et Mme F... a réglé directement, après la désignation du mandataire financier, pour un montant total de 695 euros, d'une part, l'achat de petites fournitures et, d'autre part, des frais de restauration engagés à l'occasion de réceptions publiques. Cette somme, qui représente 11% du montant total des dépenses déclarées dans le compte de campagne et 4,1% du plafond des dépenses applicable à l'élection, ne saurait être regardée ni comme faible au regard de montant total déclaré, ni comme négligeable par rapport à ce plafond. Par ailleurs, M. A... et Mme F... ne peuvent utilement faire valoir que leur mandataire financier ne disposait pas d'un moyen de paiement lui permettant d'acquitter ces différentes dépenses. Par suite, c'est à bon droit que la Commission nationale des comptes de campagne et des financements politiques a rejeté le compte de campagne de M. A... et Mme F...
8. En second lieu, en application des dispositions du code électoral citées au point 5, en dehors des cas de fraude, le juge de l'élection ne peut prononcer l'inéligibilité d'un candidat sur le fondement de ces dispositions que s'il constate un manquement d'une particulière gravité aux règles de financement des campagnes électorales. Il lui incombe à cet effet de prendre en compte l'ensemble des circonstances de l'espèce et d'apprécier s'il s'agit d'un manquement caractérisé à une règle substantielle relative au financement des campagnes électorales et s'il présente un caractère délibéré. En cas de manquement aux dispositions de l'article L. 52-4 du code électoral, il incombe, en outre, au juge de tenir compte de l'existence éventuelle d'autres motifs d'irrégularité du compte, du montant des sommes en cause ainsi que de l'ensemble des circonstances de l'espèce.
9. Si M. A... et Mme F... ne pouvaient ignorer la portée des dispositions de l'article L. 52-4 du code électoral qu'ils ont méconnues, il résulte de l'instruction que cette méconnaissance ne traduit aucune volonté de fraude de leur part et que leur compte de campagne ne fait pas apparaître d'autres irrégularités de nature à justifier une déclaration d'inéligibilité. Il résulte également de l'instruction que les dépenses directement acquittées par le binôme de candidats l'ont été par commodité, uniquement pour l'achat de petites fournitures et l'organisation de collations dans le cadre de la campagne électorale, et pour un montant global qui, sans être faible par rapport au total des dépenses du compte de campagne ou négligeable au regard du plafond de dépenses autorisées, est demeuré limité. Ces irrégularités ne peuvent être qualifiées, dans les circonstances de l'espèce, de manquement d'une particulière gravité aux règles de financement des campagnes électorales, de nature à justifier l'inéligibilité des candidats. Par suite, il n'y a pas lieu de prononcer l'inéligibilité de M. A... et Mme F....
10. Il n'y a pas lieu, dans les circonstances de l'espèce, de faire droit aux conclusions présentées par M. A... et Mme F... au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
D E C I D E :
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Article 1er : Le jugement du 16 juin 2022 du tribunal administratif de Limoges est annulé.
Article 2 : Le compte de campagne de M. A... et Mme F... a été rejeté à bon droit par la décision du 28 février 2022 de la Commission nationale des comptes de campagne et des financements politiques.
Article 3 : Il n'y a pas lieu de déclarer M. A... et Mme F... inéligibles en application de l'article L. 118-3 du code électoral.
Article 4 : Le surplus des conclusions présentées par M. A... et Mme F... est rejeté.
Article 5 : La présente décision sera notifiée à M. D... A... et Mme C... F..., à la Commission nationale des comptes de campagne et des financements politiques et au ministre de l'intérieur et des outre-mer.
Délibéré à l'issue de la séance du 25 novembre 2022 où siégeaient : M. Christophe Chantepy, président de la section du contentieux, présidant ; M. Nicolas Boulouis, M. Olivier Japiot, présidents de chambre ; M. Géraud Sajust de Bergues, Mme Anne Courrèges, M. Benoît Bohnert, M. Gilles Pellissier, M. Jean-Yves Ollier, conseillers d'Etat et M. Frédéric Gueudar Delahaye, conseiller d'Etat-rapporteur.
Rendu le 19 décembre 2022.
Le président :
Signé : M. Christophe Chantepy
Le rapporteur :
Signé : M. Frédéric Gueudar Delahaye
La secrétaire :
Signé : Mme Nadine Pelat