Vu la procédure suivante :
Mme A... B... a demandé au juge des référés du tribunal administratif de Nancy, statuant sur le fondement de l'article L. 521-2 du code de justice administrative, de l'admettre au bénéfice de l'aide juridictionnelle provisoire, de suspendre l'exécution de la décision du 31 août 2022 de la présidente du conseil départemental de Meurthe-et-Moselle mettant fin à sa prise en charge au titre du contrat " jeune majeur " et d'enjoindre au département de Meurthe-et-Moselle de lui proposer un accompagnement comportant l'accès à un hébergement et la prise en charge de ses besoins alimentaires et sanitaires, ainsi qu'un suivi éducatif. Par une ordonnance n° 2202721 du 27 septembre 2022, le juge des référés du tribunal administratif de Nancy a accordé l'aide juridictionnelle à Mme B... et rejeté le surplus de sa demande.
Par une requête et un mémoire en réplique, enregistrés les 11 octobre et 21 novembre 2022 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, Mme B... demande au juge des référés du Conseil d'Etat, statuant sur le fondement de l'article L. 521-2 du code de justice administrative :
1°) de lui accorder le bénéfice de l'aide juridictionnelle provisoire ;
2°) d'annuler cette ordonnance ;
3°) de faire droit à sa demande ;
4°) de mettre à la charge du département de Meurthe-et-Moselle la somme de 2 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- l'ordonnance du juge des référés du tribunal administratif de Nancy est entachée d'irrégularité et d'une erreur de droit, en ce qu'elle est fondée sur des éléments relevés d'office et non soumis au contradictoire et en ce qu'elle omet de répondre au moyen tiré de la méconnaissance des dispositions du 5° de l'article L. 222-5 du code de l'action sociale et des familles, seules applicables à sa situation ;
- la condition d'urgence est satisfaite dès lors que l'exécution de la décision mettant fin à sa prise en charge la privera de toute solution d'hébergement, en l'absence de soutien familial et d'aucune ressource ;
- la décision mettant fin à sa prise en charge est manifestement illégale au regard du droit à une prise en charge qu'elle tire des dispositions du 5° de l'article 222-5 du code de l'action sociale et des familles ;
- cette décision porte une atteinte grave au droit de ne pas être soumis à des traitements inhumains ou dégradants garanti par l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, au principe constitutionnel de sauvegarde de la dignité humaine ainsi qu'au droit au logement.
Par un mémoire en défense, enregistré le 18 novembre 2022, le département de Meurthe-et-Moselle conclut au rejet de la requête. Il soutient que les moyens soulevés ne sont pas fondés.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- le code de l'action sociale et des familles ;
- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;
- le code de justice administrative ;
Après avoir convoqué à une audience publique, d'une part, Mme B... et, d'autre part, le département de Meurthe-et-Moselle ;
Ont été entendus lors de l'audience publique du 22 novembre 2022, à 11 heures :
- Me Gatineau, avocat au Conseil d'Etat et à la Cour de cassation, avocat de Mme B... ;
- Me Delamarre, avocat au Conseil d'Etat et à la Cour de cassation, avocat du département de Meurthe-et-Moselle ;
- la représentante du département de Meurthe-et-Moselle ;
à l'issue de laquelle le juge des référés a clos l'instruction ;
Considérant ce qui suit :
1. Aux termes de l'article L. 521-2 du code de justice administrative : " Saisi d'une demande en ce sens justifiée par l'urgence, le juge des référés peut ordonner toutes mesures nécessaires à la sauvegarde d'une liberté fondamentale à laquelle une personne morale de droit public ou un organisme de droit privé chargé de la gestion d'un service public aurait porté, dans l'exercice d'un de ses pouvoirs, une atteinte grave et manifestement illégale. (...) ".
2. Il résulte de l'instruction que Mme B..., ressortissante angolaise née le 3 mai 2002, entrée en France en 2017, a été prise en charge par les services de l'aide sociale à l'enfance du département de Meurthe-et-Moselle jusqu'à sa majorité, puis au titre d'un contrat " jeune majeur " renouvelé en dernier lieu jusqu'au 31 août 2022. Par un arrêté du 4 août 2021 assorti d'une obligation de quitter le territoire français, le préfet de Meurthe-et-Moselle a refusé de lui délivrer un titre de séjour au motif qu'elle ne justifiait pas de son état civil. Par une décision du 31 août 2022 motivée par l'intervention de cet arrêté préfectoral, la présidente du conseil départemental de Meurthe-et-Moselle a mis fin à sa prise en charge par l'aide sociale à l'enfance, avec une date d'effet au 30 septembre 2022. Mme B... relève appel de l'ordonnance du 27 septembre 2022 par laquelle le juge des référés du tribunal administratif de Nancy, statuant sur le fondement de l'article L. 521-2 du code de justice administrative, a rejeté sa demande tendant à la suspension de l'exécution de cette décision et à ce qu'il soit enjoint au département de lui proposer un accompagnement comportant l'accès à un hébergement et la prise en charge de ses besoins alimentaires et sanitaires, ainsi qu'un suivi éducatif.
3. Aux termes de l'article L. 111-2 du code de l'action sociale et des familles : " Les personnes de nationalité étrangère bénéficient dans les conditions propres à chacune de ces prestations : 1° Des prestations d'aide sociale à l'enfance ; (...) / Elles bénéficient des autres formes d'aide sociale, à condition qu'elles justifient d'un titre exigé des personnes de nationalité étrangère pour séjourner régulièrement en France (...) ". Aux termes de l'article L. 222-5 du même code : " Sont pris en charge par le service de l'aide sociale à l'enfance sur décision du président du conseil départemental : (...) 5° Les majeurs âgés de moins de vingt et un ans et les mineurs émancipés qui ne bénéficient pas de ressources ou d'un soutien familial suffisants, lorsqu'ils ont été confiés à l'aide sociale à l'enfance avant leur majorité, y compris lorsqu'ils ne bénéficient plus d'aucune prise en charge par l'aide sociale à l'enfance au moment de la décision mentionnée au premier alinéa du présent article. (...) ".
Sur l'urgence :
4. Il résulte de l'instruction que Mme B..., âgée de 20 ans, est dépourvue de tout soutien familial et ne bénéficie d'aucune ressource ni solution d'hébergement autres que celles résultant de sa prise en charge au titre de l'aide sociale à l'enfance, laquelle a été maintenue dans l'attente de l'issue de la présente instance. Ainsi, la condition d'urgence, qui n'est pas contestée par le département, doit, en l'état de l'instruction, être regardée comme remplie.
Sur l'atteinte grave et manifestement illégale à une liberté fondamentale :
5. Il résulte des dispositions précitées de l'article L. 222-5 du code de l'action sociale et des familles que, depuis l'entrée en vigueur du I de l'article 10 de la loi du 7 février 2022 relative à la protection des enfants, qui a modifié cet article sur ce point, les jeunes majeurs de moins de vingt-et-un ans ayant été pris en charge par le service de l'aide sociale à l'enfance d'un département avant leur majorité bénéficient d'un droit à une nouvelle prise en charge par ce service, lorsqu'ils ne disposent pas de ressources ou d'un soutien familial suffisants. Le département de Meurthe-et-Moselle qui, ainsi qu'il a été dit, a pris en charge Mme B... au titre de l'aide sociale à l'enfance jusqu'à sa majorité est, dès lors qu'il est constant que celle-ci ne bénéficie d'aucun soutien familial ni d'aucune ressource ni d'aucune solution d'hébergement, légalement tenu de poursuivre cette prise en charge. Si le département fait valoir que le refus de titre de séjour opposé à la jeune femme par le préfet de Meurthe-et-Moselle fait obstacle à toute perspective d'insertion sociale et professionnelle et, dans l'immédiat, à la possibilité de mener à bien la formation en CAP " assistant technique en milieu familial et collectif " dans laquelle elle est engagée pour l'année scolaire 2022-2023, de telles considérations, qui pouvaient être prises en compte dans le cadre du large pouvoir d'appréciation dont disposait auparavant le président du conseil départemental pour accorder ou maintenir la prise en charge d'un jeune majeur, ne sauraient suffire, pour l'application des dispositions du 5° de l'article L. 222-5 du code de l'action sociale et des familles issues de la loi du 7 février 2022, à justifier la décision mettant fin à sa prise en charge par l'aide sociale à l'enfance. Par suite, Mme B... est fondée à soutenir que l'exécution de la décision du département de Meurthe-et-Moselle mettant fin à sa prise en charge porte, en l'état de l'instruction, une atteinte grave et manifestement illégale à une liberté fondamentale.
6. Il résulte de ce qui précède qu'il y a lieu d'ordonner la suspension de l'exécution de la décision de la présidente du conseil départemental de Meurthe-et-Moselle du 31 août 2022 mettant fin à la prise en charge par l'aide sociale à l'enfance de Mme B... et d'enjoindre au département de lui proposer un contrat " jeune majeur " adapté à sa situation.
Sur les frais liés au litige :
7. D'une part, il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge du département de Meurthe-et-Moselle la somme de 1 500 euros à verser à Mme B... en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative, au titre de la présente instance. D'autre part, Mme B... a obtenu le bénéfice de l'aide juridictionnelle provisoire devant le tribunal administratif. Par suite, son avocat peut se prévaloir des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge du département de Meurthe-et-Moselle la somme de 1 500 euros à verser à Me Miquet, sous réserve que celui-ci renonce à percevoir la somme correspondant à la part contributive de l'Etat, au titre de la procédure devant le juge des référés du tribunal administratif de Nancy.
O R D O N N E :
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Article 1er : L'ordonnance du juge des référés du tribunal administratif de Nancy du 27 septembre 2022 est annulée.
Article 2 : L'exécution de la décision de la présidente du conseil départemental de Meurthe-et-Moselle du 31 août 2022 mettant fin à la prise en charge par l'aide sociale à l'enfance de Mme B... est suspendue.
Article 3 : Il est enjoint au département de Meurthe-et-Moselle de proposer un contrat " jeune majeur " à Mme B....
Article 4 : Le département de Meurthe-et-Moselle versera une somme de 1 500 euros à Mme B... au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et une somme de 1 500 euros à Me Miquet, en application des mêmes dispositions et de celles de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991, sous réserve que celui-ci renonce à percevoir la somme correspondant à la part contributive de l'Etat.
Article 5 : La présente ordonnance sera notifiée à Mme A... B... et au département de Meurthe-et-Moselle.
Fait à Paris, le 28 novembre 2022
Signé : Suzanne von Coester