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11/07/2022 | FRANCE | N°465305

France | France, Conseil d'État, Juge des référés, 11 juillet 2022, 465305


Vu la procédure suivante :

I. Sous le numéro 465305, par une requête, enregistrée le 27 juin 2022 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, la Fédération des syndicats des travailleurs du rail - Sud-Rail demande au juge des référés du Conseil d'Etat, statuant sur le fondement de l'article L. 521-1 du code de justice administrative :

1°) de suspendre l'exécution de la délibération du 9 juin 2022 du conseil d'administration de la SNCF en tant qu'elle introduit un article 16 au chapitre 1 et un article 4-10 au chapitre 9 du statut des relations collectives entre

SNCF et son personnel (GRH0001) ;

2°) de mettre à la charge de la socié...

Vu la procédure suivante :

I. Sous le numéro 465305, par une requête, enregistrée le 27 juin 2022 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, la Fédération des syndicats des travailleurs du rail - Sud-Rail demande au juge des référés du Conseil d'Etat, statuant sur le fondement de l'article L. 521-1 du code de justice administrative :

1°) de suspendre l'exécution de la délibération du 9 juin 2022 du conseil d'administration de la SNCF en tant qu'elle introduit un article 16 au chapitre 1 et un article 4-10 au chapitre 9 du statut des relations collectives entre SNCF et son personnel (GRH0001) ;

2°) de mettre à la charge de la société nationale SNCF la somme de 4 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- la juridiction administrative est compétente pour connaître du statut particulier concernant les salariés de la SNCF qui présente un caractère réglementaire en tant qu'il touche à l'organisation du service public alors même que la SNCF ne constitue plus un établissement public mais une société anonyme à capitaux majoritairement publics ;

- sa requête est recevable ;

- la condition d'urgence est satisfaite dès lors, d'une part, que les nouvelles dispositions statutaires contestées entrent en vigueur le 1er juillet 2022 et, d'autre part, que, supprimant, pour les unes, l'application des articles 4 à 9 du chapitre 1er relatifs aux modalités d'exercice de l'action syndicale au sein des filiales créées en réponse à appel d'offres d'une autorité organisatrice de transport et, pour les autres, la possibilité de saisir le conseil de discipline pour les salariés affectés dans ces mêmes filiales, elles préjudicient de manière grave et immédiate aux intérêts des salariés sous statut de la SNCF et aux intérêts des organisations syndicales qui les représentent en portant atteinte à des droits fondamentaux ;

- il existe un doute sérieux quant à la légalité des mesures contestées ;

- elle est entachée d'un vice de procédure en ce que le conseil d'administration de la SNCF n'a pas délibéré en présence d'au moins la moitié de ses membres conformément à l'article 12 du décret n° 2019-1585 du 30 décembre 2019 ;

- elle est entachée d'une erreur de droit en ce qu'elle est contraire au principe d'unicité du statut, aux dispositions légales du code des transports, notamment celles de l'article L. 2101-2-1 qui garantissent l'application du statut en cas de transfert de salariés au sein de filiales, et au principe d'égalité entre les salariés soumis à un même statut ;

- elle est entachée d'un détournement de pouvoir en ce qu'elle a pour objectif de contourner les dispositions du code des transports prévoyant le maintien des dispositions statutaires antérieurement applicables aux salariés transférés au sein des filiales.

Par un mémoire en défense, enregistré le 1er juillet 2022, la société nationale SNCF, la société SNCF Réseau et la société SNCF Voyageurs concluent au rejet de la requête. Elles soutiennent que la condition d'urgence n'est pas satisfaite, et que les moyens soulevés ne sont pas de nature à faire naître un doute sérieux quant à la légalité des mesures contestées.

II. Sous le numéro 465414, par une requête, enregistrée le 1er juillet 2022 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, l'Union fédérale des cheminots et activités complémentaires (UFCAC-CFDT) demande au juge des référés du Conseil d'Etat, statuant sur le fondement de l'article L. 521-1 du code de justice administrative :

1°) de suspendre l'exécution de la délibération du 9 juin 2022 du conseil d'administration de la SNCF en tant qu'elle introduit un article 16 au chapitre 1 et un article 4-10 au chapitre 9 du statut des relations collectives entre SNCF et son personnel (GRH0001) ;

2°) de mettre à la charge de la SNCF la somme de 3 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- la condition d'urgence est satisfaite en ce que, d'une part, les organisations syndicales se trouvent immédiatement privées d'une partie des moyens dont elles disposent jusqu'alors, notamment s'agissant de la mise à disposition de salariés et des autorisations d'absence dont ils peuvent bénéficier au titre de l'exercice du droit syndical et en ce que, d'autre part, le nouvel article 4-10 du chapitre 9 du statut qui supprime le conseil de discipline pour les salariés transférés dans les filiales créées en réponse à des appels d'offres, prive immédiatement ces salariés d'une des garanties les plus importantes de la procédure disciplinaire ;

- il existe un doute sérieux quant à la légalité de la décision contestée ;

- elle est entachée d'un vice de forme dès lors que les organisations syndicales représentatives n'ont pas été consultées sur les modifications apportées aux nouvelles dispositions statutaires ;

- elle porte atteinte aux principes de continuité et d'unicité du statut résultant de l'article L. 2101-2 du code des transports et qui doit bénéficier aux nouvelles filiales créées par la SNCF, en ce qu'elle prévoit que certains droits dont bénéficient normalement les organisations syndicales ou les salariés ne seront plus applicables dans les filiales.

Par un mémoire en défense, enregistré le 1er juillet 2022, la société nationale SNCF, la société SNCF Réseau et la société SNCF Voyageurs concluent à la mise hors de cause de la société SNCF Réseau et au rejet de la requête. Elles soutiennent que la condition d'urgence n'est pas satisfaite, et que les moyens soulevés ne sont pas de nature à faire naître un doute sérieux quant à la légalité des mesures contestées.

Les requêtes ont été communiquées à la Première ministre, au ministre du travail, du plein emploi et de l'insertion et au ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires qui n'ont pas produit d'observations.

Après avoir convoqué à une audience publique, d'une part, la Fédération des syndicats des travailleurs du rail - Sud-Rail et l'Union fédérale des cheminots et activités complémentaires, et d'autre part, la Première ministre, le ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires, le ministre du travail, du plein emploi et de l'insertion, la société nationale SNCF, la société SNCF Réseau et la société SNCF Voyageurs ;

Ont été entendus lors de l'audience publique du 5 juillet 2022, à 15 heures :

- Me Uzan-Sarano, avocat au Conseil d'Etat et à la Cour de cassation, avocat de la Fédération des syndicats des travailleurs du rail - Sud-Rail ;

- le représentant de la Fédération des syndicats des travailleurs du rail - Sud-Rail ;

- Me Coudray, avocat au Conseil d'Etat et à la Cour de cassation, avocat de l'Union fédérale des cheminots et activités complémentaires ;

- le représentant de l'Union fédérale des cheminots et activités complémentaires ;

- Me Célice, avocat au Conseil d'Etat et à la Cour de cassation, avocat de la société nationale SNCF, de la société SNCF Réseau et de la société SNCF Voyageurs ;

- les représentants de la société nationale SNCF, de la société SNCF Réseau et de la société SNCF Voyageurs ;

à l'issue de laquelle le juge des référés a clos l'instruction ;

Vu les autres pièces des dossiers ;

Vu :

- la Constitution, notamment son Préambule ;

- le code des transports ;

- le décret n° 2019-1585 du 30 décembre 2019 ;

- le code de justice administrative ;

Considérant ce qui suit :

1. Aux termes de l'article L. 521-1 du code de justice administrative : " Quand une décision administrative, même de rejet, fait l'objet d'une requête en annulation ou en réformation, le juge des référés, saisi d'une demande en ce sens, peut ordonner la suspension de l'exécution de cette décision, ou de certains de ses effets, lorsque l'urgence le justifie et qu'il est fait état d'un moyen propre à créer, en l'état de l'instruction, un doute sérieux quant à la légalité de la décision ".

2. La possibilité pour le juge des référés d'ordonner la suspension de l'exécution d'une décision administrative est subordonnée notamment à la condition qu'il y ait urgence. Il lui appartient d'apprécier concrètement, compte tenu des justifications fournies par le requérant, si les effets de l'acte litigieux sont de nature à porter à un intérêt public, à sa situation ou aux intérêts qu'il entend défendre une atteinte suffisamment grave et immédiate pour caractériser une urgence justifiant que, sans attendre le jugement de la requête au fond, l'exécution de la décision soit suspendue.

3. Aux termes de l'article L. 2101-2 du code des transports : " I. La société nationale SNCF et les sociétés relevant des activités exercées au 31 décembre 2019 par le groupe public ferroviaire mentionné à l'article L. 2101-1 dans sa rédaction antérieure à la loi n° 2018-515 du 27 juin 2018 pour un nouveau pacte ferroviaire emploient des salariés régis par un statut particulier élaboré dans des conditions fixées par décret en Conseil d'Etat et des salariés sous le régime des conventions collectives. / II. Sans discrimination liée à leur statut d'emploi ou à leur origine professionnelle, les salariés des sociétés relevant du champ mentionné au I peuvent occuper tout emploi ouvert sur ce périmètre, avec continuité de leur contrat de travail ". Aux termes du premier alinéa de l'article L. 2101-2-1 du même code: " La création de filiales par la société nationale SNCF ou ses filiales dans le champ du I de l'article L. 2101-2 ne porte pas atteinte à l'application du statut mentionné au même article L. 2101-2 aux salariés précédemment régis par celui-ci. / Cette création ne porte pas davantage atteinte, pour l'ensemble des salariés compris dans le champ du I dudit article L. 2101-2, au maintien des conventions et accords collectifs qui leur étaient applicables ainsi que des dispositions réglementaires propres au groupe public et des dispositions propres à toute société du groupe public unifié mentionné à l'article L. 2101-1 ayant pour effet d'accorder un avantage à tout ou partie des salariés, dans les conditions prévues aux articles L. 2261-14, L. 2261-14-2 et L. 2261-14-3 du code du travail ".

4. La Fédération des syndicats des travailleurs du rail - Sud-Rail et l'Union fédérale des cheminots et activités complémentaires demandent au juge des référés du Conseil d'Etat de suspendre, sur le fondement de l'article L. 521-1 du code de justice administrative, l'exécution de la délibération du 9 juin 2022 du conseil d'administration de la SNCF en tant qu'elle introduit un article 16 au chapitre 1 et un article 4-10 au chapitre 9 du statut des relations collectives entre SNCF et son personnel. L'article 16 rend inapplicables, dans les filiales créées en réponse à appel d'offres d'une autorité organisatrice de transport, les articles 4 à 9 du chapitre 1 relatifs aux moyens des organisations syndicales et aménage, selon les modalités que l'article 16 prévoit, la détermination des moyens de fonctionnement accordés aux organisations syndicales représentatives dans ces filiales. L'article 4-10 précité, qui concerne les salariés du cadre permanent affectés dans ces filiales, prévoit, s'agissant des propositions de sanction au moins égales au déplacement par mesure disciplinaire, que le passage en conseil de discipline n'est pas requis dans ces filiales, et aménage une procédure particulière de consultation de son dossier par l'agent avant l'entretien disciplinaire.

5. Au titre de la condition d'urgence, les syndicats requérants soutiennent que la délibération qui est entrée en vigueur à compter du 1er juillet 2022 a des effets immédiats dès lors que la SNCF a d'ores et déjà créé des filiales afin de pouvoir participer à la procédure d'appel d'offres notamment pour les lots mis en concurrence dans la région Provence-Alpes-Côtes d'Azur et a pris en compte la modification du statut dans la présentation de ses offres. Elle soutient en outre que les atteintes sont graves dans la mesure où les modifications du statut préjudicient aux intérêts des salariés de la SNCF sous statut et aux intérêts des organisations syndicales qui les représentent. Elles ont en outre notamment fait valoir lors de l'audience que ces mesures ont d'ores et déjà un impact sur leur capacité d'action en ce que, d'une part, les délégués syndicaux qui seront élus à l'issue des élections professionnelles du mois de novembre 2022 perdront leur mandat en cas d'affectation dans l'une des filiales créées en réponse à appel d'offres d'une autorité organisatrice de transport et en ce que, d'autre part, les délégués syndicaux de ces filiales ne pourront être mis à disposition des organisations syndicales des autres sociétés du groupe SNCF dans le cadre du périmètre d'unité sociale et de dialogue social spécifique mis en place dans le cadre d'un accord collectif propre aux cinq société SNCF issues du groupe public ferroviaire.

6. Il résulte toutefois de l'instruction et des débats lors de l'audience que si l'ensemble des nouvelles dispositions du statut sont entrées en vigueur au 1er juillet 2022, celles contestées, qui sont seulement relatives aux modifications spécifiquement prévues au sein des filiales créées en réponse à appel d'offres d'une autorité organisatrice de transport, ne s'appliqueront pas avant le terme d'un processus de sélection et d'attribution qui conduit à envisager un début d'exploitation au plus tôt au mois de décembre 2024 s'agissant des lots pour lesquels la procédure est la plus avancée et où une filiale dédiée a déjà été constituée juridiquement. Il ne résulte pas en outre des échanges lors de l'audience que les difficultés dont les syndicats ont fait état s'agissant de l'élaboration des listes pour les prochaines élections professionnelles révèlent, en l'état de l'instruction, une atteinte grave et immédiate à leur situation ou aux intérêts qu'ils entendent défendre. Par suite, la condition d'urgence prévue à l'article L. 521-1 du code de justice administrative ne peut être regardée comme remplie.

7. Il résulte de ce qui précède, et sans qu'il soit besoin de se prononcer sur la condition tenant à l'existence d'un doute sérieux sur la légalité de la décision contestée, que les requêtes de la Fédération des syndicats des travailleurs du rail - Sud-Rail et de l'Union fédérale des cheminots et activités complémentaires doivent être rejetées, y compris leurs conclusions présentées au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

O R D O N N E :

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Article 1er : Les requêtes de la Fédération des syndicats des travailleurs du rail - Sud-Rail et de l'Union fédérale des cheminots et activités complémentaires sont rejetées.

Article 2 : La présente ordonnance sera notifiée à la Fédération des syndicats des travailleurs du rail - Sud-rail et à l'Union fédérale des cheminots et activités complémentaires ainsi qu'à la société nationale SNCF, à la société SNCF Voyageurs et à la société SNCF Réseau.

Copie en sera adressée à la Première ministre, au ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires et au ministre du travail, du plein emploi et de l'insertion.

Fait à Paris, le 11 juillet 2022

Signé : Olivier Yeznikian


Synthèse
Formation : Juge des référés
Numéro d'arrêt : 465305
Date de la décision : 11/07/2022
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Publications
Proposition de citation : CE, 11 jui. 2022, n° 465305
Inédit au recueil Lebon

Composition du Tribunal
Avocat(s) : SCP ROCHETEAU, UZAN-SARANO et GOULET ; SCP CELICE, TEXIDOR, PERIER

Origine de la décision
Date de l'import : 14/07/2022
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CE:2022:465305.20220711
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