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13/06/2022 | FRANCE | N°464177

France | France, Conseil d'État, Juge des référés, 13 juin 2022, 464177


Vu la procédure suivante :

Par une requête et un mémoire en réplique, enregistrés les 19 mai et 7 juin 2022 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, M. A... B... demande au juge des référés du Conseil d'Etat, statuant sur le fondement de l'article L. 521-1 du code de justice administrative :

1°) de suspendre l'exécution de la décision du 12 avril 2022 de la formation restreinte du Conseil national de l'ordre des médecins le suspendant du droit d'exercer la médecine pour une durée de six mois et conditionnant sa reprise d'activité aux résultats d'une exper

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2°) de mettre à la charge du Conseil national de l'ordre des médecin...

Vu la procédure suivante :

Par une requête et un mémoire en réplique, enregistrés les 19 mai et 7 juin 2022 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, M. A... B... demande au juge des référés du Conseil d'Etat, statuant sur le fondement de l'article L. 521-1 du code de justice administrative :

1°) de suspendre l'exécution de la décision du 12 avril 2022 de la formation restreinte du Conseil national de l'ordre des médecins le suspendant du droit d'exercer la médecine pour une durée de six mois et conditionnant sa reprise d'activité aux résultats d'une expertise ;

2°) de mettre à la charge du Conseil national de l'ordre des médecins la somme de 6 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Il soutient que :

- la condition d'urgence est satisfaite à raison de l'atteinte portée par la mesure de suspension à sa réputation professionnelle, de ses conséquences financières et de l'atteinte portée à l'accès aux soins de sa patientèle dans une zone de " désert médical " ;

- il existe un doute sérieux quant à la légalité de la décision contestée ;

- elle est entachée d'erreur de droit et d'insuffisance de motivation dès lors que l'expertise collégiale, sur laquelle elle est fondée, a conclu à l'absence d'état pathologique dangereux pour l'exercice de sa profession ;

- elle est entachée d'une erreur d'appréciation en ce que la durée de la suspension est manifestement excessive et qu'aucun élément de l'instruction ne permet de considérer que son état de santé rendrait dangereux son exercice de la médecine alors que son addiction à l'alcool est révolue et qu'aucune plainte n'a jamais été présentée par un de ses patients.

Par un mémoire en défense, enregistré le 2 juin 2022, le Conseil national de l'ordre des médecins conclut au rejet de la requête et à ce qu'une somme de 4 000 euros soit mise à la charge du docteur B... au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative. Il soutient que la condition d'urgence n'est pas satisfaite et que les moyens soulevés ne sont pas fondés.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :

- le code de la santé publique ;

- le code de justice administrative ;

Après avoir convoqué à une audience publique, d'une part, M. B... et, d'autre part, le Conseil national de l'ordre des médecins ;

Ont été entendus lors de l'audience publique du 8 juin 2022, à 10 heures 30 :

- Me Lyon-Caen, avocat au Conseil d'Etat et à la Cour de cassation, avocat de M. B... ;

- Me Poupot, avocat au Conseil d'Etat et à la Cour de cassation, avocat du Conseil national de l'ordre des médecins ;

- la représentante du Conseil national de l'ordre des médecins ;

à l'issue de laquelle le juge des référés a clos l'instruction.

Considérant ce qui suit :

1. Aux termes de l'article L. 521-1 du code de justice administrative : " Quand une décision administrative, même de rejet, fait l'objet d'une requête en annulation ou en réformation, le juge des référés, saisi d'une demande en ce sens, peut ordonner la suspension de l'exécution de cette décision, ou de certains de ses effets, lorsque l'urgence le justifie et qu'il est fait état d'un moyen propre à créer, en l'état de l'instruction, un doute sérieux quant à la légalité de la décision ".

2. L'article R. 4124-3 du code de la santé publique dispose que " I.-Dans le cas d'infirmité ou d'état pathologique rendant dangereux l'exercice de la profession, la suspension temporaire du droit d'exercer est prononcée par le conseil régional ou interrégional pour une période déterminée, qui peut, s'il y a lieu, être renouvelée (...). II.-La suspension ne peut être ordonnée que sur un rapport motivé établi à la demande du conseil régional ou interrégional par trois médecins désignés comme experts, le premier par l'intéressé, le deuxième par le conseil régional ou interrégional et le troisième par les deux premiers experts. (...). VI.-Si le conseil régional ou interrégional n'a pas statué dans le délai de deux mois à compter de la réception de la demande dont il est saisi, l'affaire est portée devant le Conseil national de l'ordre. VII.-La notification de la décision de suspension mentionne que la reprise de l'exercice professionnel par le praticien ne pourra avoir lieu sans qu'au préalable ait été diligentée une nouvelle expertise médicale, dont il lui incombe de demander l'organisation au conseil régional ou interrégional au plus tard deux mois avant l'expiration de la période de suspension ".

3. Il ressort des pièces du dossier qu'à la suite de la fin de la détention provisoire dont M. A... B..., médecin généraliste, a fait l'objet, du 2 février 2020 au 5 novembre 2021, et son renvoi devant la cour d'assises pour des faits de viols et de violences habituelles en 2015 et 2016 sur sa compagne ainsi que son renvoi devant le tribunal correctionnel pour des faits de violences en 2017 et 2018 sur son autre compagne, le conseil départemental de l'ordre des médecins du Finistère a saisi, le 9 décembre 2021, la formation restreinte du conseil régional de Bretagne d'une demande tendant à ce qu'il soit fait application au docteur B... d'une mesure de suspension du droit d'exercer la médecine, en application de l'article R. 4124-3 du code de la santé publique. Faute pour cette formation d'avoir statué dans un délai de deux mois, l'affaire a été portée devant la formation restreinte du Conseil national de l'ordre des médecins. Par une décision du 12 avril 2022, cette formation a suspendu le droit d'exercer la médecine de M. B... pour une durée de six mois et a subordonné sa reprise d'activité au résultats d'une nouvelle expertise. M. B... demande la suspension de l'exécution de cette décision.

4. Lorsqu'un praticien suspendu en application de l'article R. 4124-3 du code de la santé publique saisit le juge administratif d'une demande de suspension de l'exécution de cette décision par la voie du référé, il appartient à celui-ci, afin d'apprécier si la condition d'urgence est remplie, de prendre en considération non seulement la situation et les intérêts du praticien, mais aussi l'intérêt général qui s'attache au respect des exigences de la santé publique et de la sécurité des patients.

5. Pour justifier de la condition d'urgence, M. B... se prévaut des conséquences de la mesure de suspension dont il fait l'objet à la fois sur sa situation financière et sa réputation ainsi que sur l'accès aux soins de ses patients. Toutefois, il résulte de l'instruction qu'il a bénéficié d'une aide financière exceptionnelle de la caisse autonome des médecins de France et que le président du Conseil national de l'ordre des médecins a fait, le 11 mai 2022, la démarche nécessaire pour qu'il puisse percevoir des indemnités journalières. Si la mesure de suspension conduit néanmoins nécessairement à réduire le montant de ses revenus, elle n'entraîne pas pour autant un bouleversement de ses conditions d'existence eu égard tant à sa durée de six mois qu'à l'importance de la dette de l'intéressé qui dépasse les 800 000 euros. Elle est aussi de peu d'incidence à la fois sur sa réputation eu égard aux poursuites pénales engagées à son encontre et l'accès aux soins de ses patients qui ont déjà dû faire face à l'interruption de son activité pendant la période de sa détention provisoire. Par ailleurs, si le rapport d'expertise a conclu à l'absence d'état pathologique rendant dangereux l'exercice de sa profession, il a souligné l'existence d'une consommation pathologique d'alcool qui fait l'objet d'un déni partiel de la part de M. B.... Or, l'arrêt du 5 novembre 2021 de la chambre de l'instruction de la cour d'appel de Rennes, qui a renvoyé l'intéressé devant le tribunal correctionnel, lui a imposé une obligation de soins à raison de sa dépendance alcoolique " pour éviter tout risque de passage à l'acte violent ". Par suite, et nonobstant les considérations mises en avant par M. B..., tenant notamment aux difficultés financières résultant pour lui de la mesure de suspension, les exigences de sauvegarde de la sécurité des patients conduisent, en l'état de l'instruction, à regarder la condition d'urgence, appréciée globalement, comme n'étant pas satisfaite.

6. Il résulte de ce qui précède, sans qu'il soit besoin de se prononcer sur le sérieux des moyens invoqués au soutien de la requête en annulation de M. B..., que ses conclusions tendant à la suspension de l'exécution de la décision litigieuse doivent être rejetées.

7. Il n'y a pas lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de M. B... une somme au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative. Ces mêmes dispositions font obstacle à ce qu'une somme soit mise à la charge du Conseil national de l'ordre des médecins qui n'est pas, dans la présente instance, la partie perdante.

O R D O N N E :

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Article 1er : La requête de M. B... est rejetée.

Article 2 : Les conclusions du Conseil national de l'ordre des médecins présentées au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.

Article 3 : La présente ordonnance sera notifiée à M. A... B... et au Conseil national de l'ordre des médecins.

Fait à Paris, le 13 juin 2022

Signé : Nathalie Escaut


Synthèse
Formation : Juge des référés
Numéro d'arrêt : 464177
Date de la décision : 13/06/2022
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Publications
Proposition de citation : CE, 13 jui. 2022, n° 464177
Inédit au recueil Lebon

Composition du Tribunal
Avocat(s) : SCP LYON-CAEN, THIRIEZ ; SARL MATUCHANSKY, POUPOT, VALDELIEVRE

Origine de la décision
Date de l'import : 21/06/2022
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CE:2022:464177.20220613
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