Vu la procédure suivante :
Par une requête et un mémoire en réplique, enregistrés les 29 mars et 25 avril 2022 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, l'association " Comité Action Palestine " demande au juge des référés du Conseil d'Etat, statuant sur le fondement de l'article L. 521-2 du code de justice administrative :
1°) de suspendre l'exécution du décret du 9 mars 2022 ayant prononcé sa dissolution ;
2°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- le Conseil d'Etat est compétent en premier ressort pour connaître d'un recours dirigé contre un décret ;
- le recours est recevable, l'association, bien que dissoute par l'effet du décret contesté, ayant qualité pour agir contre ce décret ;
- la condition d'urgence est satisfaite, eu égard aux effets du décret contesté et à ses conséquences pour l'association, ses membres et ses sympathisants ;
- le décret contesté porte une atteinte grave et manifestement illégale à la liberté d'association et à la liberté d'expression, en ce qu'il impute à l'association des agissements provoquant à la discrimination, à la haine ou à la violence et des agissements en vue de provoquer des actes de terrorisme, alors que les allégations motivant le décret sont infondées, biaisées, inexactes ou mensongères ;
- l'antisionisme qui est reproché à l'association au travers les différentes publications mises en cause par le décret traduit une position politique contestant l'action d'Israël, qui relève de la liberté d'expression, et ne consiste pas en une incitation à la haine, à la discrimination et à la violence envers des personnes en raison de leur origine juive ;
- les agissements reprochés à des personnes non dénommées, qui ne sont pas membres de l'association, ne peuvent être imputés à cette dernière ;
- aucun agissement en vue de provoquer des actes de terrorisme ne peut être imputé à l'association ; que ne peuvent recevoir une telle qualification les opinions exprimées sur la détention ou l'action de personnes condamnées pour des faits de terrorisme, les publications relatives à des organisations au Proche-Orient ou la charte de l'association qui fait état de son soutien à la cause palestinienne sans prôner la violence ou la lutte armée ;
- le décret contesté a été pris en violation des droits de la défense, sans respecter le caractère contradictoire de la procédure et l'égalité des armes ;
- l'exécution immédiate du décret contesté porte atteinte au droit à un recours effectif ;
- le décret porte atteinte au droit au respect de la vie, garanti par l'article 2 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, qui vaut pour toute personne, y compris une personne morale.
Par un mémoire en défense, enregistré le 21 avril 2022, le ministre de l'intérieur conclut au rejet de la requête. Il fait valoir que la condition d'urgence exigée par l'article L. 521-2 du code de justice administrative n'est pas remplie et que le décret contesté ne porte pas d'atteinte grave et manifestement illégale à une liberté fondamentale.
La requête a été communiquée au Premier ministre, qui n'a pas produit de mémoire.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
- la Constitution, notamment son Préambule ;
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- le code de la sécurité intérieure ;
- le code de justice administrative ;
Après avoir convoqué à une audience publique, d'une part, l'association " Comité Action Palestine " et, d'autre part, le ministre de l'intérieur ;
Vu le procès-verbal de l'audience publique du 26 avril 2022 à 9 heures 30, au cours de laquelle ont été entendus :
- les représentants de l'association " Comité Action Palestine " ;
- les représentantes du ministre de l'intérieur ;
à l'issue de laquelle le juge des référés a clos l'instruction ;
Considérant ce qui suit :
1. Aux termes de l'article L. 521-2 du code de justice administrative : " Saisi d'une demande en ce sens justifiée par l'urgence, le juge des référés peut ordonner toutes mesures nécessaires à la sauvegarde d'une liberté fondamentale à laquelle une personne morale de droit public ou un organisme de droit privé chargé de la gestion d'un service public aurait porté, dans l'exercice d'un de ses pouvoirs, une atteinte grave et manifestement illégale. Le juge des référés se prononce dans un délai de quarante-huit heures ".
2. L'association " Comité Action Palestine ", déclarée le 23 juillet 2004 à la préfecture de la Gironde, compte une trentaine de membres et s'est donnée pour objet d'apporter un soutien à la cause palestinienne, notamment par l'organisation de conférences et manifestations, par la diffusion et la publication de prises de position et d'informations par voie de tracts ou sur son site internet. Elle a été dissoute par un décret du 9 mars 2022 pris sur le fondement de l'article L. 212-1 du code de la sécurité intérieure. Par la présente requête, l'association a saisi le juge des référés du Conseil d'Etat d'une demande, fondée sur l'article L. 521-2 du code de justice administrative, tendant à la suspension de l'exécution de ce décret.
3. Aux termes de l'article L. 212-1 du code de la sécurité intérieure : " Sont dissous, par décret en conseil des ministres, toutes les associations ou groupements de fait : / (...) 6° (...) qui, soit provoquent ou contribuent par leurs agissements à la discrimination, à la haine ou à la violence envers une personne ou un groupe de personnes à raison de leur origine, de leur sexe, de leur orientation sexuelle, de leur identité de genre ou de leur appartenance ou de leur non-appartenance, vraie ou supposée, à une ethnie, une nation, une prétendue race ou une religion déterminée, soit propagent des idées ou théories tendant à justifier ou encourager cette discrimination, cette haine ou cette violence ; / 7° Ou qui se livrent, sur le territoire français ou à partir de ce territoire, à des agissements en vue de provoquer des actes de terrorisme en France ou à l'étranger ". Selon l'article L. 212-1-1 du même code : " Pour l'application de l'article L. 212-1, sont imputables à une association ou à un groupement de fait les agissements mentionnés au même article L. 212-1 commis par un ou plusieurs de leurs membres agissant en cette qualité ou directement liés aux activités de l'association ou du groupement, dès lors que leurs dirigeants, bien qu'informés de ces agissements, se sont abstenus de prendre les mesures nécessaires pour les faire cesser, compte tenu des moyens dont ils disposaient ".
4. En premier lieu, le décret contesté fait grief à l'association requérante d'avoir, sous couvert d'un antisionisme radical, diffusé de nombreuses publications présentées comme provoquant à la discrimination, à la haine ou à la violence envers un groupe de personnes à raison de leur origine ou de leur appartenance à une nation ou une religion déterminée et retient que de tels faits sont de nature à justifier la dissolution de l'association sur le fondement du 6° de l'article L. 212-1 du code de la sécurité intérieure. Toutefois, il résulte des pièces versées au dossier dans le cadre de l'instruction contradictoire de la procédure de référé et des éléments exposés au cours de l'audience que les prises de position énoncées par les publications de l'association requérante ainsi mises en cause, dont une bonne part est déjà ancienne, si elles expriment des opinions tranchées et parfois virulentes sur la situation au Proche-Orient, sur le conflit israélo-palestinien, sur la politique menée et les actions conduites par les autorités israéliennes et sur le soutien que l'association entend apporter à la cause palestinienne, ne peuvent, en l'état de l'instruction, être regardées comme provoquant à la discrimination, à la haine ou à la violence envers un groupe de personnes, au sens du 6° de l'article L. 212-1 du code de la sécurité intérieure. Il n'est, par ailleurs, pas établi que, contrairement à ce que soutient le ministre, l'association aurait diffusé sur son site internet des publications présentant un caractère antisémite.
5. En deuxième lieu, si le décret retient aussi, pour justifier la mesure de dissolution, que des membres actifs de l'association requérante ont été impliqués dans des actes à caractère antisémite, il ne résulte d'aucun élément versé au dossier dans le cadre de l'instruction de la procédure de référé que les personnes mises en cause à raison de tels actes seraient ou auraient été membres de l'association.
6. En troisième lieu, les informations diffusées ou les prises de position exprimées par l'association quant à l'action d'organisations implantées au Proche-Orient ou à la situation de personnes condamnées pour des faits de terrorisme ne peuvent, eu égard à la teneur de ces publications, être qualifiées d'agissements en vue de provoquer des actes de terrorisme en France ou à l'étranger, au sens du 7° de l'article L. 212-1 du code de la sécurité intérieure.
7. Il résulte de ce qui précède que, en l'état de l'instruction menée en référé, l'association requérante est fondée à soutenir que la mesure de dissolution prononcée par le décret contesté, à raison des faits qu'il relève à son encontre, porte une atteinte grave et manifestement illégale à la liberté d'association et à la liberté d'expression, qui présentent le caractère de libertés fondamentales.
8. Par ailleurs, eu égard aux conséquences qui découlent d'une mesure de dissolution prise sur le fondement de l'article L. 212-1 du code de la sécurité intérieure et à l'atteinte qui en résulte pour la liberté d'association, la condition d'urgence requise par l'article L. 521-2 du code de justice administrative doit être regardée comme remplie dans les circonstances de l'espèce.
9. Il résulte de tout ce qui précède que, sans qu'il soit besoin de se prononcer sur les autres moyens qu'elle soulève, l'association requérante est fondée à demander la suspension de l'exécution du décret qu'elle conteste.
10. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat le versement à l'association requérante d'une somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
O R D O N N E :
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Article 1er : L'exécution du décret du 9 mars 2022 portant dissolution de l'association " Comité Action Palestine " est suspendue.
Article 2 : L'Etat versera à l'association " Comité Action Palestine " une somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 3 : La présente ordonnance sera notifiée à l'association " Comité Action Palestine ", au ministre de l'intérieur et au Premier ministre.
Délibéré à l'issue de la séance du 26 avril 2022 où siégeaient : M. Jacques-Henri Stahl, président adjoint de la section du contentieux, présidant ; Mme A... B... et M. Nicolas Boulouis, conseillers d'Etat, juges des référés.
Fait à Paris, le 29 avril 2022
Signé : Jacques-Henri Stahl