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29/11/2021 | FRANCE | N°458355

France | France, Conseil d'État, 29 novembre 2021, 458355


Vu la procédure suivante :

La Section française de l'Observatoire international des prisons et l'Ordre des avocats du barreau de Nantes ont demandé au juge des référés du tribunal administratif de Rennes, statuant sur le fondement de l'article L. 521-2 du code de justice administrative, d'ordonner toutes les mesures qu'il estimera utiles afin de faire cesser les atteintes graves et manifestement illégales portées aux libertés fondamentales des personnes détenues au centre pénitentiaire de Ploemeur et, plus précisément, d'enjoindre au garde des sceaux, ministre de la justice

, et à tout autre ministre ou toute autre autorité qu'il estimera ...

Vu la procédure suivante :

La Section française de l'Observatoire international des prisons et l'Ordre des avocats du barreau de Nantes ont demandé au juge des référés du tribunal administratif de Rennes, statuant sur le fondement de l'article L. 521-2 du code de justice administrative, d'ordonner toutes les mesures qu'il estimera utiles afin de faire cesser les atteintes graves et manifestement illégales portées aux libertés fondamentales des personnes détenues au centre pénitentiaire de Ploemeur et, plus précisément, d'enjoindre au garde des sceaux, ministre de la justice, et à tout autre ministre ou toute autre autorité qu'il estimera utile, de mettre en œuvre un certain nombre de mesures portant sur les conditions matérielles d'accueil des personnes détenues et la surpopulation, l'état matériel et sanitaire des cellules du quartier maison d'arrêt, du quartier disciplinaire, du quartier centre de détention et des cours de promenade, la nourriture distribuée aux personnes détenues, l'accès aux soins, le maintien des liens familiaux, le confinement en cellule et le manque d'activités, le respect de la confidentialité des échanges et les règles de fonctionnement au sein de l'établissement. Par une ordonnance n° 2101070 du 17 mars 2021, le juge des référés du tribunal administratif de Rennes a, d'une part, enjoint à l'administration pénitentiaire, dans les meilleurs délais, en premier lieu, de réaliser un diagnostic amiante de l'ensemble des bâtiments (murs, canalisations, réseaux, etc.) du centre pénitentiaire de Ploemeur, en deuxième lieu, d'installer un système d'interphonie dans toutes les cellules de la maison d'arrêt, sauf impossibilité matérielle dûment justifiée, en troisième lieu, de procéder à la réalisation de travaux de mise aux normes des installations électriques, incluant notamment l'installation, dans chaque cellule, d'un nombre de prises électriques suffisant au regard du nombre de personnes hébergées en leur sein, en quatrième lieu, de prendre toutes les dispositions pour s'assurer qu'aucune personne détenue au sein du quartier maison d'arrêt ne dorme sur un matelas à même le sol, en cinquième lieu, d'assurer dans l'ensemble des cellules du quartier maison d'arrêt, la séparation de l'espace sanitaire du reste de l'espace de vie, en sixième lieu, de prendre toute mesure de nature à améliorer l'aération naturelle des cellules, le cas échéant par la suppression des caillebotis scellés en 2013 sur les fenêtres, en septième lieu, d'effectivement réaliser les travaux de rénovation et réhabilitation du système de ventilation de l'établissement, en huitième lieu, de prendre toute mesure de nature à assurer et améliorer l'accès aux produits d'entretien des cellules, ainsi qu'aux sacs-poubelle, devant être ramassés quotidiennement, et au papier hygiénique, en neuvième lieu, de prendre toute mesure de nature à garantir aux personnes détenues au sein du quartier disciplinaire un accès aux douches, dans la mesure du possible quotidien et, en tout état de cause, dans des conditions respectueuses de l'hygiène et de l'intimité et, en dernier lieu, de procéder au nettoyage des abris des cours de promenade et, d'autre part, a rejeté le surplus des conclusions de la requête.

Par une ordonnance n° 451276, du 23 avril 2021, le juge des référés du Conseil d'Etat a, sur appel du garde des sceaux, ministre de la justice, d'une part, annulé l'article 1er de l'ordonnance du 17 mars 2021 en ce qu'il enjoignait au garde des sceaux, ministre de la justice, en premier lieu, de réaliser un diagnostic amiante de l'ensemble des bâtiments du centre pénitentiaire de Ploemeur, en deuxième lieu, d'installer un système d'interphonie dans toutes les cellules du quartier maison d'arrêt, sauf impossibilité matérielle dûment justifiée, en troisième lieu, de procéder à la réalisation de travaux de mise aux normes des installations électriques, incluant notamment l'installation, dans chaque cellule, d'un nombre de prises électriques suffisant au regard du nombre de personnes hébergées en leur sein, en quatrième lieu, de prendre toutes les dispositions pour s'assurer qu'aucune personne détenue au sein du quartier maison d'arrêt ne dorme sur un matelas à même le sol, en cinquième lieu, de prendre toute mesure de nature à améliorer l'aération naturelle des cellules, le cas échéant par la suppression des caillebotis scellés en 2013 sur les fenêtres, en sixième lieu, de réaliser les travaux de rénovation et réhabilitation du système de ventilation de l'établissement et, en dernier lieu, de prendre toute mesure de nature à assurer et à améliorer l'accès aux produits d'entretien des cellules, ainsi qu'aux sacs-poubelle, devant être ramassés quotidiennement, et au papier hygiénique et, d'autre part, a rejeté l'appel incident de l'Ordre des avocats au barreau de Nantes et de la Section française de l'Observatoire international des prisons.

Par une requête, enregistrée le 10 novembre 2021 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, la Section française de l'Observatoire international des prisons et l'Ordre des avocats au barreau de Nantes demandent au juge des référés du Conseil d'Etat, statuant sur le fondement de l'article L. 521-4 du code de justice administrative :

1°) d'enjoindre à l'administration de prendre toutes les mesures qu'il jugera nécessaires pour assurer l'exécution immédiate de celles des injonctions formulées par le juge des référés du tribunal administratif de Rennes dans son ordonnance du 17 mars 2021 qui n'ont pas été frappées d'appel et sont demeurées sans effet à ce jour, à savoir celles d'assurer la séparation de l'espace sanitaire du reste de l'espace vie dans l'ensemble des cellules du quartier maison d'arrêt, de prendre toute mesure de nature à garantir aux personnes détenues au sein du quartier disciplinaire un accès aux douches, dans la mesure du possible quotidien et, en tout état de cause, dans des conditions respectueuses de l'hygiène et de l'intimité et enfin, de procéder au nettoyage des abris des cours de promenade ;

2°) d'assortir les injonctions prononcées par l'ordonnance du 17 mars 2021 comme celles que le juge des référés du Conseil d'Etat prononcera d'une astreinte dont le montant sera défini au regard de l'ampleur des atteintes graves et manifestement illégales déjà constatées ainsi que de l'inexécution des injonctions prononcées par le juge des référés il y a plusieurs mois ;

3°) d'organiser le suivi des injonctions prononcées sur le fondement de l'article L. 521-4 du code de justice administrative, en prévoyant notamment que l'administration informe périodiquement les exposantes de l'avancée de l'exécution de ces injonctions jusqu'à leur entière réalisation ;

4°) à titre subsidiaire, d'enjoindre à l'administration de tenir les exposantes informées trimestriellement de la nature et de l'avancée des mesures engagées en exécution de la décision à rendre ou, a minima, de répondre expressément et avec célérité à toute demande d'information qui lui serait adressée dans ce but par les exposantes ;

5°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 4 000 euros sur le fondement de l'article L.761-1 du code de justice administrative

Ils soutiennent que :

- le Conseil d'Etat est compétent pour statuer, sur le fondement de l'article L. 521-4 du code de justice administrative, sur l'exécution d'une ordonnance de référé-liberté ayant fait l'objet d'un appel, y compris pour celles des injonctions prononcées par le tribunal administratif et non frappées d'appel ;

- ils justifient d'un intérêt à agir ;

- leur requête est fondée dès lors que, d'une part, l'inexécution de l'ordonnance du juge des référés du tribunal administratif de Rennes ne peut être confirmée qu'à l'occasion de l'ouverture d'un débat contradictoire lors duquel l'administration serait mise en demeure d'apporter la preuve de l'exécution de cette ordonnance, alors que sont restées sans réponses les demandes d'information adressées à l'administration les 4 mai, 11 mai, 19 mai, 1er juillet et 28 septembre 2020 par la section française de l'Observatoire internationale des prisons et, d'autre part, il résulte des stipulations combinées des articles 3, 6 et 13 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales que la charge de la preuve de l'inexécution des injonctions du juge des référés ne peut reposer uniquement sur les demandeurs lorsqu'existent des risques pour l'intégrité ou des atteintes à la dignité de la personne humaine, alors que les procédures d'exécution prévues par le livre IX du code de justice administrative n'offrent pas des conditions de célérité compatibles avec la nécessité de remédier sans délai aux atteintes graves et manifestement illégales en cause.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :

- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- la décision de la Cour européenne des droits de l'homme du 30 janvier 2020 J.M.B. et autres c. France, n° 9671/15 et 31 autres ;

- la loi n° 2021-403 du 8 avril 2021 ;

- le code de justice administrative ;

Considérant ce qui suit :

1. Aux termes de l'article L. 511-1 du code de justice administrative : " Le juge des référés statue par des mesures qui présentent un caractère provisoire. Il n'est pas saisi du principal et se prononce dans les meilleurs délais ". Aux termes de l'article L. 521-2 du même code : " Saisi d'une demande en ce sens justifiée par l'urgence, le juge des référés peut ordonner toutes mesures nécessaires à la sauvegarde d'une liberté fondamentale à laquelle une personne morale de droit public ou un organisme de droit privé chargé de la gestion d'un service public aurait porté, dans l'exercice d'un de ses pouvoirs, une atteinte grave et manifestement illégale. Le juge des référés se prononce dans un délai de quarante-huit heures ". L'article L. 521-4 de ce code prévoit pour sa part que : " Saisi par toute personne intéressée, le juge des référés peut, à tout moment, au vu d'un élément nouveau, modifier les mesures qu'il avait ordonnées ou y mettre fin ". Enfin, aux termes de l'article L. 523-1 du code de justice administrative : " Les décisions rendues en application des articles L. 521-1, L. 521-3, L. 521-4 et L. 522-3 sont rendues en dernier ressort. Les décisions rendues en application de l'article L. 521-2 sont susceptibles d'appel devant le Conseil d'Etat dans les quinze jours de leur notification. En ce cas, le président de la section du contentieux du Conseil d'Etat ou un conseiller délégué à cet effet statue dans un délai de quarante-huit heures et exerce le cas échéant les pouvoirs prévus à l'article L. 521-4 ".

Sur l'office du juge des référés saisi, sur le fondement de l'article L. 521-4 du code de justice administrative, d'une demande d'exécution de ses décisions :

2. S'il n'appartient pas au juge des référés de prononcer, de son propre mouvement, des mesures destinées à assurer l'exécution de celles qu'il a déjà ordonnées, il peut, d'office, en vertu de l'article L. 911-3 du code de justice administrative, assortir les injonctions qu'il prescrit d'une astreinte. Il incombe dans tous les cas aux différentes autorités administratives de prendre, dans les domaines de leurs compétences respectives, les mesures qu'implique le respect des décisions juridictionnelles. Si l'exécution d'une ordonnance prise par le juge des référés, sur le fondement de l'article L. 521-2 du code de justice administrative, peut être recherchée dans les conditions définies par le livre IX du même code, et en particulier les articles L. 911-4 et L. 911-5, la personne intéressée peut également demander au juge des référés, sur le fondement de l'article L. 521-4 du même code, d'assurer l'exécution des mesures ordonnées demeurées sans effet par de nouvelles injonctions et une astreinte.

3. Lorsqu'une personne demande au juge des référés, sur le fondement de l'article L. 521-4 du code de justice administrative, d'assurer par de nouvelles injonctions et une astreinte l'exécution de mesures ordonnées par le juge des référés et demeurées sans effet, il appartient à cette personne, conformément aux règles applicables habituellement devant le juge administratif en matière de preuve, de soumettre au juge des référés tout élément de nature à démontrer l'absence d'exécution totale ou partielle de la décision du premier juge. Il appartient alors à l'administration, si elle entend contester le défaut d'exécution, de produire tout élément en sens contraire. Le juge se prononce alors au vu de l'instruction. En revanche, il n'appartient pas au juge des référés, saisi sur le fondement de l'article L. 521-4 précité et en l'absence de tout commencement de preuve du défaut d'exécution allégué, de mettre en œuvre ses pouvoirs généraux d'instruction des requêtes et d'enjoindre à l'administration de produire les éléments relatifs à l'exécution de la première décision du juge des référés, au seul motif que l'administration n'aurait pas répondu aux demandes d'information adressées par le requérant quant à l'exécution de cette décision. Il ne lui appartient pas plus, lorsqu'il a prononcé des injonctions à l'égard de l'administration, de mettre également à sa charge une obligation d'information de la partie requérante. Alors que l'exécution des décisions du juge administratif peut être obtenue dans les conditions définies par le livre IX du code de justice administrative, et en particulier par ses articles L. 911-4 et L. 911-5, l'office du juge statuant sur le fondement de l'article L. 521-4 précité n'est en rien contraire aux exigences découlant des articles 3, 6 et 13 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.

Sur la demande en référé :

4. La Section française de l'Observatoire international des prisons et l'Ordre des avocats du barreau de Nantes demandent au juge des référés du Conseil d'Etat, statuant sur le fondement de l'article L. 521-4 du code de justice administrative, en premier lieu, d'enjoindre à l'administration de prendre toutes les mesures nécessaires pour assurer l'exécution immédiate de celles des injonctions formulées par le juge des référés du tribunal administratif de Rennes dans son ordonnance du 17 mars 2021 qui n'ont pas été frappées d'appel et sont demeurées sans effet à ce jour, à savoir celles d'assurer la séparation de l'espace sanitaire du reste de l'espace vie dans l'ensemble des cellules du quartier maison d'arrêt, de prendre toute mesure de nature à garantir aux personnes détenues au sein du quartier disciplinaire un accès aux douches, dans la mesure du possible quotidien et, en tout état de cause, dans des conditions respectueuses de l'hygiène et de l'intimité et enfin, de procéder au nettoyage des abris des cours de promenade, en deuxième lieu, d'assortir ces injonctions d'une astreinte, et en dernier lieu, de prévoir que l'administration informe périodiquement les exposantes de l'avancée de l'exécution de ces injonctions jusqu'à leur entière réalisation et, à titre subsidiaire, de répondre à toute demande d'information qui lui serait adressée dans ce but par les requérantes.

5. Au soutien de leurs demandes, les requérants se bornent à évoquer la circonstance que l'administration n'a pas répondu aux cinq courriers qui lui ont été adressés les 4 mai, 11 mai, 19 mai, 1er juillet et 28 septembre 2020 par la Section française de l'Observatoire international des prisons lui demandant de prendre plusieurs mesures énoncées par cette ordonnance. Les requérants n'apportent en revanche à l'appui de leur demande d'exécution aucun commencement de preuve, comme, par exemple, des attestations détaillées signées par des détenus, de la non-exécution par l'administration des injonctions prononcées par le tribunal administratif. Il résulte de ce qui a été dit aux points 3 et 4 ci-dessus qu'il n'appartient pas au juge des référés, saisi sur le fondement de l'article L. 521-4 du code de justice administrative, de se substituer ainsi au demandeur dans l'établissement des faits qu'il allègue.

6. Il résulte de tout ce qui précède qu'il est manifeste que la requête de la Section française de l'Observatoire international des prisons et de l'Ordre des avocats du barreau de Nantes ne peut être accueillie. Il y a lieu par suite de rejeter leur requête, y compris les conclusions présentées au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative, selon la procédure prévue par l'article L. 522-3 du code de justice administrative.

O R D O N N E :

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Article 1er : La requête de la Section française de l'Observatoire international des prisons et de l'Ordre des avocats du barreau de Nantes est rejetée.

Article 2 : La présente ordonnance sera notifiée à la Section française de l'Observatoire international des prisons et à l'Ordre des avocats du barreau de Nantes.

Copie en sera adressée au garde des sceaux, ministre de la justice.

Fait à Paris, le 29 novembre 2021

Signé : Thomas Andrieu


Synthèse
Numéro d'arrêt : 458355
Date de la décision : 29/11/2021
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Publications
Proposition de citation : CE, 29 nov. 2021, n° 458355
Inédit au recueil Lebon

Composition du Tribunal
Avocat(s) : SCP SPINOSI

Origine de la décision
Date de l'import : 14/12/2021
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CE:2021:458355.20211129
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