Vu la procédure suivante :
Par une requête et un mémoire en réplique, enregistrés le 30 mars 2020 et le 1er mars 2021 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, Mme C... B... demande au Conseil d'Etat :
1°) d'annuler la décision du 3 février 2020 par laquelle le ministre de l'intérieur lui a refusé l'accès aux données susceptibles de la concerner figurant dans le traitement automatisé de données à caractère personnel dénommé fichier des personnes recherchées (FPR) ;
2°) d'enjoindre au ministre de l'intérieur de lui communiquer ces données ;
3°) de saisir la Cour européenne des droits de l'homme en application du protocole n° 16 annexé à la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
4°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 1 500 euros au titre de l'article article L. 761-1 du code de justice administrative.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et ses protocoles n°s 4 et 16 ;
- le code de la sécurité intérieure ;
- la loi n° 78-17 du 6 janvier 1978, modifiée notamment par la loi n° 2018-693 du 20 juin 2018 et l'ordonnance n° 2018-1125 du 12 décembre 2018 ;
- le décret n° 2010-569 du 28 mai 2010 ;
- le décret n° 2018-687 du 1er août 2018 ;
- le décret n° 2019-536 du 29 mai 2019 ;
- le code de justice administrative ;
Après avoir convoqué à une séance à huis-clos, d'une part, Mme B..., et, d'autre part, le ministre de l'intérieur et la Commission nationale de l'informatique et des libertés, qui ont été mis à même de prendre la parole avant les conclusions ;
Et après avoir entendu en séance :
- le rapport de Mme A... D..., conseillère d'Etat,
- et, hors la présence des parties, les conclusions de M. Guillaume Odinet, rapporteur public ;
Considérant ce qui suit :
1. En vertu des dispositions des articles 70-18 et suivants de la loi du 6 janvier 1978 relative à l'informatique, aux fichiers et aux libertés, issus de la loi n° 2018-693 du 20 juin 2018, applicables à la procédure en cause et désormais reprises aux articles 104 et suivants de la même loi, dans sa rédaction issue de l'ordonnance n° 2018-1125 du 12 décembre 2018, lorsqu'un traitement de données à caractère personnel est mis en oeuvre aux fins de prévention et de détection des infractions pénales, d'enquêtes et de poursuites en la matière ou d'exécution de sanctions pénales, y compris la protection contre les menaces pour la sécurité publique ou la prévention de telles menaces, la personne concernée a le droit d'obtenir du responsable du traitement la confirmation que des données à caractère personnel la concernant sont ou ne sont pas traitées et, lorsqu'elles le sont, le droit d'accéder à ces données ainsi qu'à certaines informations, de demander la rectification, le complément, l'effacement de ces données ou d'en limiter le traitement. Le responsable du traitement peut toutefois retarder ou limiter la communication de ces données, ou en refuser l'accès, dans les conditions prévues à l'article 70-21 de la loi, applicable à la procédure en cause et désormais repris à l'article 107 de la même loi.
2. En vertu de l'article 31 de la loi du 6 janvier 1978, les traitements de données à caractère personnel mis en oeuvre pour le compte de l'Etat et intéressant la sûreté de l'Etat, la défense ou la sécurité publique sont autorisés par arrêté du ou des ministres compétents, pris après avis motivé de la Commission nationale de l'informatique et des libertés (CNIL), publié avec l'arrêté autorisant le traitement. Ceux de ces traitements qui portent sur des données mentionnées au I de l'article 6 de la même loi doivent être autorisés par décret en Conseil d'Etat pris après avis motivé de la Commission, publié avec ce décret. Un décret en Conseil d'Etat peut dispenser de publication l'acte réglementaire autorisant la mise en oeuvre de ces traitements ; le sens de l'avis émis par la CNIL est alors publié avec ce décret.
3. L'article L. 841-2 du code de la sécurité intérieure prévoit que le Conseil d'Etat est compétent pour connaître, dans les conditions prévues au chapitre III bis du titre VII du livre VII du code de justice administrative, des requêtes concernant la mise en oeuvre du droit d'accès aux données à caractère personnel et intéressant la sûreté de l'Etat ou la défense qui sont contenues dans traitements mis en oeuvre pour le compte de l'Etat, dont la liste est fixée par décret en Conseil d'Etat. En vertu de l'article R. 841-2 du même code, figure notamment au nombre de ces traitements le fichier des personnes recherchées (FPR) pour les seules données intéressant la sûreté de l'Etat mentionnées au 8° du III de l'article 2 du décret du 28 mai 2010 susvisé.
4. L'article L. 773-8 du code de justice administrative dispose que, lorsqu'elle traite des requêtes mentionnées au point 3 : " la formation de jugement se fonde sur les éléments contenus, le cas échéant, dans le traitement sans les révéler ni révéler si le requérant figure ou non dans le traitement. Toutefois, lorsqu'elle constate que le traitement ou la partie de traitement faisant l'objet du litige comporte des données à caractère personnel le concernant qui sont inexactes, incomplètes, équivoques ou périmées, ou dont la collecte, l'utilisation, la communication ou la conservation est interdite, elle en informe le requérant, sans faire état d'aucun élément protégé par le secret de la défense nationale. Elle peut ordonner que ces données soient, selon les cas, rectifiées, mises à jour ou effacées. Saisie de conclusions en ce sens, elle peut indemniser le requérant ". L'article R. 773-20 du même code précise que : " Le défendeur indique au Conseil d'Etat, au moment du dépôt de ses mémoires et pièces, les passages de ses productions et, le cas échéant, de celles de la Commission nationale de contrôle des techniques de renseignement, qui sont protégés par le secret de la défense nationale. /Les mémoires et les pièces jointes produits par le défendeur et, le cas échéant, par la Commission nationale de contrôle des techniques de renseignement sont communiqués au requérant, à l'exception des passages des mémoires et des pièces qui, soit comportent des informations protégées par le secret de la défense nationale, soit confirment ou infirment la mise en oeuvre d'une technique de renseignement à l'égard du requérant, soit divulguent des éléments contenus dans le traitement de données, soit révèlent que le requérant figure ou ne figure pas dans le traitement. /Lorsqu'une intervention est formée, le président de la formation spécialisée ordonne, s'il y a lieu, que le mémoire soit communiqué aux parties, et à la Commission nationale de contrôle des techniques de renseignement, dans les mêmes conditions et sous les mêmes réserves que celles mentionnées à l'alinéa précédent ".
5. Il ressort des pièces du dossier que Mme B... a saisi le ministre de l'intérieur, en application des articles 105 et 106 de la loi du 6 janvier 1978, d'une demande d'accès aux données susceptibles de la concerner figurant dans le fichier des personnes recherchées (FPR) et intéressant la sûreté de l'Etat. Par décision du 3 février 2020, le ministre de l'intérieur a refusé de lui communiquer les données demandées. Mme B... demande l'annulation de ce refus, l'accès aux données susceptibles de la concerner et la saisine de la Cour européenne des droits de l'homme en application du protocole n° 16 annexé à la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.
6. Le ministre de l'intérieur a communiqué au Conseil d'Etat, dans les conditions prévues à l'article R. 773-20 du code de justice administrative, les éléments susceptibles d'être relatifs à la situation de l'intéressée.
7. Il appartient à la formation spécialisée, créée par l'article L. 773-2 du code de justice administrative précité, saisie de conclusions dirigées contre le refus de communiquer les données relatives à une personne qui allègue être mentionnée dans un fichier figurant à l'article R. 841-2 du code de la sécurité intérieure, de vérifier, au vu des éléments qui lui ont été communiqués hors la procédure contradictoire, si le requérant figure ou non dans le fichier litigieux. Dans l'affirmative, il lui appartient d'apprécier si les données y figurant sont pertinentes au regard des finalités poursuivies par ce fichier, adéquates et proportionnées. Pour ce faire, elle peut relever d'office tout moyen ainsi que le prévoit l'article L. 773-5 du code de justice administrative. Lorsqu'il apparaît soit que le requérant n'est pas mentionné dans le fichier litigieux soit que les données à caractère personnel le concernant qui y figurent ne sont entachées d'aucune illégalité, la formation de jugement rejette les conclusions du requérant sans autre précision. Dans le cas où des informations relatives au requérant figurent dans le fichier litigieux et apparaissent entachées d'illégalité soit que les données à caractère personnel le concernant sont inexactes, incomplètes, équivoques ou périmées soit que leur collecte, leur utilisation, leur communication ou leur consultation est interdite, elle en informe le requérant sans faire état d'aucun élément protégé par le secret de la défense nationale. Cette circonstance, le cas échéant relevée d'office par le juge dans les conditions prévues à l'article R. 773-21 du code de justice administrative, implique nécessairement que l'autorité gestionnaire du fichier rétablisse la légalité en effaçant ou en rectifiant, dans la mesure du nécessaire, les données illégales. Dans pareil cas, doit être annulée la décision implicite refusant de procéder à un tel effacement ou à une telle rectification.
8. Les conditions, décrites au point 7, dans lesquelles la formation spécialisée remplit son office juridictionnel ne portent pas d'atteinte excessive au caractère contradictoire de la procédure garanti notamment par l'article 6 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales. La dérogation apportée, par les dispositions citées au point 4, au caractère contradictoire de la procédure juridictionnelle, qui a pour seul objet de porter à la connaissance des juges des éléments couverts par le secret de la défense nationale et qui ne peuvent, dès lors, être communiqués au requérant, permet en effet à la formation spécialisée de statuer en toute connaissance de cause. Les pouvoirs dont elle est investie, pour instruire les requêtes, relever d'office toutes les illégalités qu'elle constate et enjoindre à l'administration de prendre toutes mesures utiles afin de remédier aux illégalités constatées garantissent l'effectivité du contrôle juridictionnel de l'exercice du droit d'accès direct aux données personnelles figurant dans des traitements intéressant la sûreté de l'État. Il n'en résulte, par suite, aucune méconnaissance du droit au recours effectif garanti par les stipulations l'article 13 de la même convention, contrairement à ce qui est soutenu.
9. La formation spécialisée a procédé à l'examen des éléments fournis par le ministre. Il résulte de cet examen, lequel s'est déroulé selon les modalités décrites au point précédent, qu'à la date où elle a statué, aucune illégalité n'a été relevée, notamment aucune atteinte disproportionnée à la vie privée de la requérante, à sa liberté de circuler et à son droit de ne pas être discriminée. Il s'ensuit que les conclusions, y compris celles tendant à la saisine de la Cour européenne des droits de l'homme et celles tendant à l'application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative, présentées par Mme B..., qui ne peut utilement invoquer le défaut de motivation de la décision de refus du 3 février 2020, doivent être rejetées.
D E C I D E :
--------------
Article 1er : La requête de Mme B... est rejetée.
Article 2 : La présente décision sera notifiée à Mme C... B... et au ministre de l'intérieur.