La jurisprudence francophone des Cours suprêmes


recherche avancée

12/06/2021 | FRANCE | N°453513

France | France, Conseil d'État, 12 juin 2021, 453513


Vu la procédure suivante :

L'association de catholiques de Conflans et de sa région (ADECOR) a demandé au juge des référés du tribunal administratif de Versailles, statuant sur le fondement de l'article L. 521-2 du code de justice administrative, à titre principal, d'ordonner toutes mesures nécessaires à la sauvegarde de la liberté fondamentale d'exercer le culte à laquelle le préfet des Yvelines a porté, dans l'exercice d'un de ses pouvoirs, une atteinte grave et manifestement illégale ou, à titre subsidiaire, de suspendre l'interdiction du préfet des Yvelines d'organis

er une manifestation à caractère religieux le dimanche 13 juin 2021 à...

Vu la procédure suivante :

L'association de catholiques de Conflans et de sa région (ADECOR) a demandé au juge des référés du tribunal administratif de Versailles, statuant sur le fondement de l'article L. 521-2 du code de justice administrative, à titre principal, d'ordonner toutes mesures nécessaires à la sauvegarde de la liberté fondamentale d'exercer le culte à laquelle le préfet des Yvelines a porté, dans l'exercice d'un de ses pouvoirs, une atteinte grave et manifestement illégale ou, à titre subsidiaire, de suspendre l'interdiction du préfet des Yvelines d'organiser une manifestation à caractère religieux le dimanche 13 juin 2021 à Conflans-Sainte-Honorine. Par une ordonnance n° 2104790 du 10 juin 2021, le juge des référés du tribunal administratif de Versailles a rejeté cette demande.

Par une requête et un mémoire en réplique, enregistrés les 11 et 12 juin 2021 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, l'association de catholiques de Conflans et de sa région demande au juge des référés du Conseil d'Etat, statuant sur le fondement de l'article L. 521-2 du code de justice administrative :

1°) d'annuler cette ordonnance ;

2°) de suspendre l'interdiction du préfet des Yvelines d'organiser une manifestation à caractère religieux ;

3°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 5 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- la condition d'urgence est satisfaite dès lors que la manifestation religieuse qui a été interdite par le préfet des Yvelines est prévue le 13 juin 2021 ;

- il est porté une atteinte grave et manifestement illégale à la liberté de manifester et à la liberté d'exercer collectivement le culte ;

- le préfet des Yvelines ne pouvait légalement lui opposer l'interdiction des rassemblements de plus de dix personnes prévue par le III de l'article 3 du décret n° 2021-699 du 1er juin 2021 car cette procession religieuse est une manifestation au sens de l'article L. 211-1 du code de sécurité intérieure, de sorte que cette interdiction ne lui est pas applicable et que ses modalités d'organisation sont régies par le II de l'article 3 de ce décret.

Par un mémoire en défense, enregistré le 11 juin 2021, le ministre de l'intérieur conclut à ce qu'il n'y ait lieu de statuer sur la requête. Il soutient que le préfet a informé l'association que la manifestation pourrait en définitive se tenir dans le respect des mesures sanitaires qu'elle a déclarées.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :

- la Constitution, notamment son Préambule ;

- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- le code général des collectivités territoriales ;

- le code de la sécurité intérieure ;

- la loi du 9 décembre 1905 concernant la séparation des Eglises et de l'Etat ;

- la loi n° 2021-689 du 31 mai 2021 ;

- le décret n° 2021-699 du 1er juin 2021 ;

- le code de justice administrative ;

Les parties ont été informées de la radiation de l'affaire du rôle de l'audience publique du 12 juin 2021.

Considérant ce qui suit :

1. Aux termes de l'article L. 521-2 du même code : " Saisi d'une demande en ce sens justifiée par l'urgence, le juge des référés peut ordonner toutes mesures nécessaires à la sauvegarde d'une liberté fondamentale à laquelle une personne morale de droit public ou un organisme de droit privé chargé de la gestion d'un service public aurait porté, dans l'exercice d'un de ses pouvoirs, une atteinte grave et manifestement illégale. Le juge des référés se prononce dans un délai de quarante-huit heures. ".

2. Il résulte de l'instruction que, le 6 juin 2021, l'association catholique de Conflans et de sa région (ADECOR) a présenté au préfet des Yvelines une déclaration de manifestation sur la voie publique pour la tenue, le dimanche 13 juin 2021, d'une procession pour la solennité de la "Fête Dieu". Le 8 juin 2021, le préfet des Yvelines lui a indiqué qu'il ne "pouvait autoriser" la tenue de cette procession au motif que le III de l'article 3 du décret du 1er juin 2021 interdit les rassemblements de plus de dix personnes sur la voie publique. L'ADECOR relève appel de l'ordonnance du 10 juin 2021 par laquelle juge des référés du tribunal administratif de Versailles a rejeté ses conclusions tendant, sur le fondement de l'article L. 521-2 du code de justice administrative, à la suspension de la décision du préfet.

3. La liberté d'expression et de communication, garantie par la Constitution et par les articles 10 et 11 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et dont découle le droit d'expression collective des idées et des opinions, constitue une liberté fondamentale au sens de l'article L. 521-2 du code de justice administrative. Son exercice, notamment par la liberté de manifester ou de se réunir, est une condition de la démocratie et l'une des garanties du respect d'autres droits et libertés constituant également des libertés fondamentales au sens de cet article, tels que la liberté syndicale.

4. La liberté du culte présente également le caractère d'une liberté fondamentale. Telle qu'elle est régie par la loi, cette liberté ne se limite pas au droit de tout individu d'exprimer les convictions religieuses de son choix. Elle comporte également, parmi ses composantes essentielles, le droit de participer collectivement à des cérémonies.

5. L'une comme l'autre de ces libertés fondamentales doivent être conciliées avec le respect de l'objectif de valeur constitutionnelle de protection de la santé et avec le maintien de l'ordre public.

Sur le cadre juridique applicable :

6. Aux termes du premier alinéa de l'article 27 de la loi du 9 décembre 1905 concernant la séparation des Eglises et de l'Etat : " Les cérémonies, processions et autres manifestations extérieures d'un culte, sont réglées en conformité de l'article L. 2212-2 du code général des collectivités territoriales. ". Aux termes de l'article L. 2212-2 du code général des collectivités territoriales : " La police municipale a pour objet d'assurer le bon ordre, la sûreté, la sécurité et la salubrité publiques. Elle comprend notamment :/ (...) / 3° Le maintien du bon ordre dans les endroits où il se fait de grands rassemblements d'hommes, tels que les foires, marchés, réjouissances et cérémonies publiques, spectacles, jeux, cafés, églises et autres lieux publics ; ". Aux termes de l'article L. 2215-1 du même code : " La police municipale est assurée par le maire, toutefois : / 1° Le représentant de l'Etat dans le département peut prendre, pour toutes les communes du département ou plusieurs d'entre elles, et dans tous les cas où il n'y aurait pas été pourvu par les autorités municipales, toutes mesures relatives au maintien de la salubrité, de la sûreté et de la tranquillité publiques. / Ce droit ne peut être exercé par le représentant de l'Etat dans le département à l'égard d'une seule commune qu'après une mise en demeure au maire restée sans résultat ; ".

7. Aux termes des deux premiers alinéas de l'article L. 211-1 du code de la sécurité intérieure : " Sont soumis à l'obligation d'une déclaration préalable tous cortèges, défilés et rassemblements de personnes, et, d'une façon générale, toutes manifestations sur la voie publique. / Toutefois, sont dispensées de cette déclaration les sorties sur la voie publique conformes aux usages locaux. ". Aux termes de l'article L. 211-2 du même code : " La déclaration est faite à la mairie de la commune ou aux mairies des différentes communes sur le territoire desquelles la manifestation doit avoir lieu, trois jours francs au moins et quinze jours francs au plus avant la date de la manifestation. A Paris, la déclaration est faite à la préfecture de police. Elle est faite au représentant de l'Etat dans le département en ce qui concerne les communes où est instituée la police d'Etat. / La déclaration fait connaître les noms, prénoms et domiciles des organisateurs et est signée par au moins l'un d'entre eux ; elle indique le but de la manifestation, le lieu, la date et l'heure du rassemblement des groupements invités à y prendre part et, s'il y a lieu, l'itinéraire projeté. ". Aux termes de l'article L. 211-4 du même code : " Si l'autorité investie des pouvoirs de police estime que la manifestation projetée est de nature à troubler l'ordre public, elle l'interdit par un arrêté qu'elle notifie immédiatement aux signataires de la déclaration au domicile élu. / Le maire transmet, dans les vingt-quatre heures, la déclaration au représentant de l'État dans le département. Il y joint, le cas échéant, une copie de son arrêté d'interdiction. / Si le maire, compétent pour prendre un arrêté d'interdiction, s'est abstenu de le faire, le représentant de l'État dans le département peut y pourvoir dans les conditions prévues à l'article L. 2215-1 du code général des collectivités territoriales. "

8. Le I de l'article 1er de la loi du 31 mai 2021 relative à la gestion de la sortie de crise sanitaire dispose que : " A compter du 2 juin 2021 et jusqu'au 30 septembre 2021 inclus, le Premier ministre peut, par décret pris sur le rapport du ministre chargé de la santé, dans l'intérêt de la santé publique et aux seules fins de lutter contre la propagation de l'épidémie de covid-19 : / (...) 3° Sans préjudice des articles L. 211-2 et L. 211-4 du code de la sécurité intérieure, réglementer les rassemblements de personnes, les réunions et les activités sur la voie publique et dans les lieux ouverts au public. "

9. Aux termes, enfin, de l'article 1er du décret du 1er juin 2021 prescrivant les mesures générales nécessaires à la gestion de la sortie de crise sanitaire : " I. - Afin de ralentir la propagation du virus, les mesures d'hygiène définies en annexe 1 au présent décret et de distanciation sociale, incluant la distanciation physique d'au moins un mètre entre deux personnes, dites barrières, définies au niveau national, doivent être observées en tout lieu et en toute circonstance. / II. - Les rassemblements, réunions, activités, accueils et déplacements ainsi que l'usage des moyens de transports qui ne sont pas interdits en vertu du présent décret sont organisés en veillant au strict respect de ces mesures. (...) ". Aux termes de l'article 3 du même décret: " I. - Tout rassemblement, réunion ou activité sur la voie publique ou dans un lieu ouvert au public, qui n'est pas interdit par le présent décret, est organisé dans des conditions de nature à permettre le respect des dispositions de l'article 1er. / II. - Les organisateurs des manifestations sur la voie publique mentionnées à l'article L. 211-1 du code de la sécurité intérieure adressent au préfet de département sur le territoire duquel la manifestation doit avoir lieu, sans préjudice des autres formalités applicables, une déclaration contenant les mentions prévues à l'article L. 211-2 du même code, en y précisant, en outre, les mesures qu'ils mettent en oeuvre afin de garantir le respect des dispositions de l'article 1er du présent décret. / Sans préjudice des dispositions de l'article L. 211-4 du code de la sécurité intérieure, le préfet peut en prononcer l'interdiction si ces mesures ne sont pas de nature à permettre le respect des dispositions de l'article 1er. / III. - Les rassemblements, réunions ou activités sur la voie publique ou dans un lieu ouvert au public autres que ceux mentionnés au II mettant en présence de manière simultanée plus de dix personnes sont interdits. /(...) ".

10. Il résulte des dispositions citées aux points 6 et 7 qu'une procession religieuse est au nombre des manifestations sur la voie publique relevant, non de l'interdiction énoncée au III de l'article 3 du décret du 1er juin 2021, mais d'une déclaration dans les conditions prévues aux deux premiers alinéas de l'article L. 211-1 du code de la sécurité intérieure, accompagnée des mentions prévues au II de l'article 3 du décret du 1er juin 2021. Le dernier alinéa de ce II ne permet au préfet de l'interdire que lorsque les mesures mises en oeuvre ne sont pas de nature à permettre le respect des mesures dites " barrières ". Elle peut en outre, en application de l'article L. 211-4 de ce code, être interdite par l'autorité investie des pouvoirs de police ou, à défaut, par le représentant de l'Etat dans le département, s'il estime qu'elle est de nature à troubler l'ordre public, dont la sécurité et la salubrité publique sont des composantes.

Sur le litige :

11. Il résulte de ce qui a été dit au point précédent que l'association requérante est fondée à soutenir que c'est à tort que le juge des référés du tribunal administratif de Versailles a jugé, pour écarter l'existence d'une atteinte grave et manifestement illégale à la liberté de culte ou à la liberté de manifester, que la procession religieuse déclarée au préfet des Yvelines constituait un rassemblement interdit par les dispositions du III de l'article 3 du décret du 1er juin 2021.

12. Toutefois, il résulte de l'instruction que, postérieurement à l'introduction de la requête de l'association ADECOR, le préfet des Yvelines a informé cette association que la procession en cause pourrait se tenir dans le respect des mesures sanitaires déclarées. Par suite, le ministre de l'intérieur est fondé à soutenir que les conclusions de la requête tendant à ce que l'interdiction du préfet des Yvelines soit suspendue ont perdu leur objet et qu'il n'y a plus lieu d'y statuer.

13. Dans les circonstances de l'espèce, il y a lieu de mettre à la charge de l'Etat la somme de 3 000 euros au titre des frais exposés et non compris dans les dépens.

O R D O N N E :

------------------

Article 1er : Il n'y a pas lieu de statuer sur la requête de l'association de catholiques de Conflans et de sa région.

Article 2 : L'Etat versera à l'association de catholiques de Conflans et de sa région la somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 3 : La présente ordonnance sera notifiée à l'association de catholiques de Conflans et de sa région et au ministre de l'intérieur.

Copie en sera adressée au préfet des Yvelines.


Synthèse
Numéro d'arrêt : 453513
Date de la décision : 12/06/2021
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Plein contentieux

Publications
Proposition de citation : CE, 12 jui. 2021, n° 453513
Inédit au recueil Lebon

Composition du Tribunal
Avocat(s) : SCP LESOURD

Origine de la décision
Date de l'import : 03/08/2021
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CE:2021:453513.20210612
Association des cours judiciaires suprmes francophones
Organisation internationale de la francophonie
Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie. Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie.
Logo iall 2012 website award