Vu la procédure suivante :
La Section française de l'observatoire international des prisons (SFOIP) a demandé au juge des référés du tribunal administratif de Limoges, statuant sur le fondement de l'article L. 521-2 du code de justice administrative, d'ordonner toutes mesures qu'il estimera utiles afin de faire cesser les atteintes graves et manifestement illégales portées aux libertés fondamentales des personnes détenues au centre pénitentiaire de Châteauroux et d'enjoindre à l'Etat de mettre notamment en oeuvre les mesures suivantes :
- procéder au retrait des dispositifs de séparation présents dans les parloirs familles ou, à défaut, procéder aux aménagements nécessaires pour garantir des conditions compatibles avec le respect des droits fondamentaux des personnes détenues et de leurs visiteurs ;
- prendre toutes mesures de nature à garantir aux personnes détenues la possibilité de recevoir la visite de leur avocat dans des conditions acoustiques et matérielles adéquates et notamment permettre que, dans le respect des règles sanitaires ces visites puissent avoir lieu dans des locaux non équipés d'un dispositif de séparation intégrale assurant la confidentialité des échanges, qui disposent d'un mobilier suffisamment confortable et qui permettent l'échange de documents entre la personne détenue et son avocat.
Par une ordonnance n° 2100671 du 29 avril 2021, la juge des référés du tribunal administratif de Limoges a rejeté sa demande.
Par une requête, enregistrée le 13 mai 2021 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, la Section française de l'observatoire international des prisons demande au juge des référés du Conseil d'Etat, statuant sur le fondement de l'article L. 521-2 du code de justice administrative :
1°) d'annuler cette ordonnance ;
2°) d'enjoindre à l'administration, d'une part, de procéder au retrait des dispositifs de séparation présents dans les parloirs familles du centre pénitentiaire de Châteauroux ou, à défaut, de procéder aux aménagements nécessaires pour garantir des conditions de visites compatibles avec le respect des droits fondamentaux des personnes détenues et de leurs visiteurs et, d'autre part, de prendre toutes mesures de nature à garantir aux personnes détenues la possibilité de recevoir la visite de leur conseil dans des conditions acoustiques et matérielles adéquates et, notamment permettre que, dans le respect des règles sanitaires, ces visites puissent avoir lieu, dans des locaux non équipés d'un dispositif de séparation intégral assurant la confidentialité des échanges, qui disposent d'un mobilier suffisant et qui permettent l'échange de documents entre la personne détenue et son avocat.
Elle soutient que :
- la condition d'urgence est satisfaite eu égard à la gravité des atteintes constatées aux libertés fondamentales protégées par les stipulations des articles 3, 6 et 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- il est porté une atteinte grave et manifestement illégale à plusieurs libertés fondamentales ;
- les conditions dans lesquelles se déroulent les visites familiales au centre pénitentiaire de Châteauroux portent une atteinte grave et manifestement illégale au droit des personnes détenues et de leurs proches à ne pas subir de traitements inhumains et dégradants dès lors que, d'une part, l'indignité des conditions d'accueil dans les parloirs des familles de l'établissement ressort des témoignages et des autres pièces du dossier et, d'autre part, le procès-verbal dressé le 7 avril 2021 par un huissier de justice effectué dans deux cabines servant de parloirs ne serait être opposé dès lors que le constat n'a pas été réalisé dans des conditions représentatives des situations vécues par les détenus et de leur famille, en troisième lieu et en tout état de cause, même en situation de faible occupation des parloirs, les mesures relevées par l'huissier pendant les échanges témoignent à la fois de la résonnance des locaux du fait de la présence des parois en plexiglas qui réfléchissent le son et de la nécessité de parler relativement fort pour se faire entendre et, en dernier lieu, il ressort des comptes rendus émanant des personnels en charge des parloirs que les personnes détenues et les familles se sont plaintes régulièrement des conditions dans lesquelles se déroulent les visites ;
- le dispositif de séparation mis en place dans les parloirs du centre pénitentiaire de Châteauroux porte une atteinte grave et manifestement illégale au droit des personnes détenues et de leurs proches au droit au respect de leur vie privée et familiale eu égard, d'une part, à l'inconfort acoustique, à l'absence d'intimité et de tout contact physique qui en résulte et, d'autre part, à l'absence de motif d'ordre public - même sanitaire - pour justifier une telle atteinte ;
- les conditions dans lesquelles se déroulent les visites des avocats au centre pénitentiaire de Châteauroux portent une atteinte grave et manifestement illégale au droit des personnes incarcérées de communiquer librement et de façon confidentielle avec leur conseil ainsi qu'au droit de se faire assister par un avocat dans des conditions conformes aux exigences du respect des droits de la défense et du droit à un procès équitable dès lors que, en premier lieu, les visites effectuées par les avocats à leurs clients se déroulent dans des conditions matérielles et acoustiques déplorables et irrespectueuses de la confidentialité des échanges et ce, malgré le constat d'huissier, qui ne peut être considéré comme ayant été réalisé dans des conditions réelles, en deuxième lieu, les personnes détenues et leur défenseur se heurtent à des difficultés pour l'étude des dossiers et la préparation de la défense eu égard, d'une part, à la présence de dispositifs de séparation intégrale dans les parloirs qui empêchent d'échanger de façon fluide des documents avec le client détenu et, d'autre part, à l'absence de mesures alternatives satisfaisantes et, en dernier lieu, ce dispositif n'est pas justifié par un motif impérieux de sécurité sanitaire compte-tenu, d'une part, de la baisse constante du taux d'incidence du virus dans le département de l'Indre et, d'autre part, de l'absence de dispositifs de séparation dans les parloirs des avocats d'établissements se trouvant pourtant en zone de circulation active du virus.
Par un mémoire en intervention, enregistré le 17 mai 2021, l'association des avocats pénalistes (ADAP) et l'association Avocats pour la défense des droits des détenus (A3D) demandent que le juge des référés du Conseil d'Etat fasse droit aux conclusions de la Section française de l'observatoire international des prisons. Ils soutiennent que leur intervention est recevable et s'associent aux moyens de la requête.
Par un mémoire en intervention, enregistré le 19 mai 2021, le Conseil national des barreaux (CNB) demande que le juge des référés du Conseil d'Etat fasse droit aux conclusions de la Section française de l'observatoire international des prisons. Il soutient que son intervention est recevable et s'associe aux moyens de la requête.
Par un mémoire en défense, enregistré le 20 mai 2021, le garde des sceaux, ministre de la justice, conclut au rejet de la requête. Il soutient que la condition d'urgence n'est pas satisfaite et que les moyens soulevés ne sont pas fondés.
La requête a été communiquée au Premier ministre qui n'a pas produit d'observations.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- le code de procédure pénale ;
- la loi n° 2009-1436 du 24 novembre 2009 ;
- la loi n° 2021-160 du 15 février 2021 ;
- l'ordonnance n° 2020-1402 du 18 novembre 2020 ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été informées, sur le fondement de l'article 3 de l'ordonnance n° 2020-1402 du 18 novembre 2020 portant adaptation des règles applicables aux juridictions administratives, de ce qu'aucune audience ne se tiendrait et de ce que la clôture de l'instruction serait fixée le 26 mai 2021 à 18 heures.
Considérant ce qui suit :
1. Aux termes de l'article L. 521-2 du même code : " Saisi d'une demande en ce sens justifiée par l'urgence, le juge des référés peut ordonner toutes mesures nécessaires à la sauvegarde d'une liberté fondamentale à laquelle une personne morale de droit public ou un organisme de droit privé chargé de la gestion d'un service public aurait porté, dans l'exercice d'un de ses pouvoirs, une atteinte grave et manifestement illégale. (...) ".
2. La Section française de l'observatoire international des prisons a saisi le juge des référés du tribunal administratif de Limoges, sur le fondement de l'article L. 521-2 du code de justice administrative, d'une demande tendant à ce qu'il ordonne diverses mesures pour faire cesser des atteintes graves et manifestement illégales portées aux libertés fondamentales des personnes détenues dans ce centre et afin de garantir le respect du droit de communiquer librement et confidentiellement avec leur avocat. Par une ordonnance n° 2100671 du 29 avril 2021 la juge des référés du tribunal administratif de Limoges a rejeté cette demande. La Section française de l'observatoire international des prisons relève appel de cette ordonnance.
Sur les interventions :
3. Le Conseil national des barreaux, l'association des avocats pénalistes et l'association Avocats pour la défense des droits des détenus justifient d'un intérêt suffisant à la suspension de l'exécution de l'ordonnance contestée. Leur intervention au soutien de la requête de la Section française de l'observatoire international des prisons est, par suite, recevable.
Sur le cadre juridique du litige :
4. Aux termes de l'article 22 de la loi du 24 novembre 2009 pénitentiaire : " L'administration pénitentiaire garantit à toute personne détenue le respect de sa dignité et de ses droits. L'exercice de ceux-ci ne peut faire l'objet d'autres restrictions que celles résultant des contraintes inhérentes à la détention, du maintien de la sécurité et du bon ordre des établissements, de la prévention de la récidive et de la protection de l'intérêt des victimes. Ces restrictions tiennent compte de l'âge, de l'état de santé, du handicap et de la personnalité de la personne détenue ". L'article 25 de la même loi précise que : " Les personnes détenues communiquent librement avec leurs avocats ".
5. Eu égard à la vulnérabilité des détenus et à leur situation d'entière dépendance vis-à-vis de l'administration, il appartient à celle-ci, et notamment aux directeurs des établissements pénitentiaires, en leur qualité de chefs de service, de prendre les mesures propres à protéger leur vie ainsi qu'à leur éviter tout traitement inhumain ou dégradant afin de garantir le respect effectif des exigences découlant des principes rappelés notamment par les articles 2 et 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales. Le droit au respect de la vie privée et familiale ainsi que le droit de ne pas être soumis à des traitements inhumains ou dégradants constituent des libertés fondamentales au sens des dispositions de l'article L. 521-2 du code de justice administrative.
6. Eu égard, par ailleurs, à la persistance sur le territoire de la France de l'épidémie de covid 19 et aux délais nécessaires au déploiement de la vaccination et compte tenu des risques particuliers encourus dans les lieux clos et densément peuplés, il appartient également aux autorités compétentes de prendre, en vue de sauvegarder la santé des détenus, ainsi que celle des visiteurs et du personnel des établissements pénitentiaires, toutes dispositions de nature à prévenir ou à limiter les effets de l'épidémie dans ces établissements. Ces mesures qui peuvent restreindre l'exercice des droits et libertés fondamentaux doivent, dans cette mesure, être nécessaires, adaptées et proportionnées à l'objectif de sauvegarde de la santé publique qu'elles poursuivent.
7. Lorsque l'action ou la carence de l'autorité publique crée un danger caractérisé et imminent pour la vie des personnes ou les expose à être soumises, de manière caractérisée, à un traitement inhumain ou dégradant, portant ainsi une atteinte grave et manifestement illégale à ces libertés fondamentales, et que la situation permet de prendre utilement des mesures de sauvegarde dans un délai de quarante-huit heures, le juge des référés peut, au titre de la procédure particulière prévue par l'article L. 521-2, prescrire toutes les mesures de nature à faire cesser la situation résultant de cette carence.
Sur la demande en référé :
En ce qui concerne les parloirs destinés aux familles :
8. Il résulte de l'instruction que les onze parloirs destinés aux familles au centre pénitentiaire de Châteauroux sont équipés d'un dispositif contre les projections, sur toute la hauteur et la largeur de la cabine, dans lequel des trous ont été percés pour permettre les communications entre les deux zones ainsi délimitées. La Section française de l'observatoire international des prisons soutient que l'insuffisante acoustique résultant de cet aménagement dégrade sensiblement les conditions d'accès au parloir, du fait de la nécessité de hausser considérablement la voix, au détriment de la sérénité et de la confidentialité des échanges. Elle produit en ce sens diverses attestations.
9. Il résulte cependant de l'instruction et notamment des aménagements supplémentaires portés au dispositif postérieurement à l'ordonnance contestée, ainsi que du plus récent constat délivré le 18 mai 2021 par un huissier que le dispositif installé à ce jour, s'il peut ne pas présenter la même qualité acoustique que celui d'autres établissements pénitentiaires, permet la tenue d'une conversation intelligible, sans qu'elle le soit pour un tiers.
10. Le dispositif critiqué dont il n'est pas contesté qu'il est provisoire et que son unique objet est de prévenir la propagation de l'épidémie de covid 19, ne peut, par suite, être considéré comme soumettant les détenus à un traitement inhumain ou dégradant ou portant une atteinte grave et manifestement illégale à leur droit au respect de la vie privée et familiale.
En ce qui concerne les parloirs destinés aux avocats :
11. La Section française de l'observatoire international des prisons soutient que l'utilisation pour les avocats de deux des cabines destinées aux familles ne permet, du fait d'un dispositif de séparation établi sur toute la hauteur et la largeur de la cabine, de respecter ni l'effectivité, ni la confidentialité des échanges et empêche toute communication de documents couverts par le secret professionnel, portant ainsi atteinte aux droits de la défense.
12. Il résulte toutefois de l'instruction que postérieurement à l'ordonnance attaquée, et ainsi qu'en témoigne un constat d'huissier établi le 18 mai 2021, deux cabines particulières, différentes des parloirs attribués aux familles, ont été réservées aux avocats dont la configuration et l'équipement permettent l'échange effectif de documents entre l'avocat et son client, sans intervention de tiers. Si la requérante fait valoir que le constat d'huissier a été établi avant la finalisation de l'équipement et ne peut donc être considéré comme entièrement probant en ce qui concerne la qualité de l'acoustique estimée satisfaisante, il ressort cependant des photographies produites par la défense que la paroi de séparation en plexiglas est suffisamment éloignée du mur latéral de la cabine pour permettre la circulation d'une personne et, par suite, celle des sons dans des conditions de confidentialité suffisantes.
13. L'aménagement critiqué des parloirs réservés aux avocats dont il n'est pas contesté qu'il est provisoire et que son unique objet est de prévenir la propagation de l'épidémie de covid 19, ne peut, par suite, être considéré comme portant une atteinte grave et manifestement illégale au droit de communiquer librement et confidentiellement avec son conseil, au secret professionnel et aux droits de la défense.
14. Il résulte de l'ensemble de ce qui précède et sans qu'il soit besoin de se prononcer sur la condition d'urgence, que la requête de la Section française de l'observatoire international des prisons doit être rejetée.
O R D O N N E :
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Article 1er : Les interventions de l'association des avocats pénalistes, de l'association Avocats pour la défense des droits des détenus et du Conseil national des barreaux sont admises.
Article 2 : La requête de la Section française de l'observatoire international des prisons est rejetée.
Article 3 : La présente ordonnance sera notifiée à la Section française de l'observatoire international des prisons et au garde des sceaux, ministre de la justice.
Copie en sera adressée au Premier ministre.