Vu la procédure suivante :
Par une requête, enregistrée le 12 avril 2021 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, un mémoire en réplique et un nouveau mémoire, enregistrés le 17 mai 2021, M. B... A... demande au juge des référés du Conseil d'Etat :
1°) d'ordonner, sur le fondement de l'article L. 521-1 du code de justice administrative, la suspension de l'exécution de la décision du 20 janvier 2021 par laquelle le Conseil national de l'ordre des chirurgiens-dentistes a rejeté sa demande tendant à l'annulation de la décision du 29 septembre 2020 du conseil régional de l'ordre des chirurgiens-dentistes de Provence-Alpes-Côte d'Azur confirmant la décision du conseil départemental de l'ordre des chirurgiens-dentistes des Bouches-du-Rhône du 20 février 2020 rejetant sa demande d'inscription au tableau de l'ordre ;
2°) d'enjoindre au Conseil national de l'ordre des chirurgiens-dentistes de l'inscrire à titre provisoire au tableau de l'ordre dans un délai de 15 jours avec une astreinte de 500 euros par jour de retard ou, à titre subsidiaire, de réexaminer sa demande d'inscription dans un délai de 15 jours avec une astreinte de 500 euros par jour de retard ;
3°) de mettre à la charge du Conseil national de l'ordre des chirurgiens-dentistes la somme de 4 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Il soutient que :
- la condition d'urgence est satisfaite dès lors que la décision de refus d'inscription au tableau de l'ordre des chirurgiens-dentistes a pour effet de le priver de son droit d'exercer sa profession de chirurgien-dentiste et par suite de tout revenu alors même qu'il dispose d'une promesse d'embauche dans un cabinet dentaire, subordonnée à son inscription au tableau de l'ordre et de le placer dans une situation de grande précarité, puisqu'il doit rembourser le prêt contracté pour ses études alors qu'il ne dispose que du revenu de solidarité active, et que la situation d'incertitude dans laquelle il est plongé altère sa santé physique et psychique ;
- il existe un doute sérieux quant à la légalité de la décision contestée ;
- elle méconnaît la directive européenne 2005/36/CE et les dispositions de l'article L. 4141-3 du code de la santé publique dès lors que, d'une part, son diplôme délivré par l'Université Fernando Pessoa au Portugal devrait être automatiquement reconnu comme un titre de formation national remplissant les conditions de formation requises par la directive et permettant l'inscription de plein droit à l'ordre des chirurgiens-dentistes, nonobstant la validation des deux premières années de formation au centre libre d'enseignement supérieur international de Toulon, et d'autre part, le conseil départemental se trouvait en situation de compétence liée de sorte que, s'il pouvait s'assurer de l'authenticité du diplôme, il ne pouvait pas apprécier les modalités de calcul des crédits obtenus, alors que ses camarades de promotion ont pu s'inscrire sans difficulté auprès de leurs conseils départementaux respectifs, qui ont constaté la conformité du diplôme obtenu à l'Université Fernando Pessoa à la suite du même parcours de formation ;
- la décision méconnaît les dispositions des articles L. 4112-1 et L. 4112-4 du code précité dès lors que, si le conseil départemental avait un doute justifié quant à la conformité du diplôme, il devait consulter les autorités portugaises compétentes, l'Université Fernando Pessoa étant au nombre de ces autorités ;
- il n'existe aucune incohérence dans le calcul des crédits attribués ni dans les attestations délivrées par le président-recteur de l'Université de Fernando Pessoa en ce que, d'une part, l'Université lui a fait passer plusieurs examens pour valider les matières correspondantes aux 1ère et 2ème années d'études de la formation en art dentaire et lui a attribué au total 124 crédits pour ces deux années, et, d'autre part, la différence entre les deux attestations s'explique par la circonstance qu'il a été le premier de sa promotion à déposer un dossier de demande d'inscription en fournissant la première attestation et que, face aux difficultés rencontrées, l'Université lui a fourni une seconde attestation plus complète et précise.
Par deux mémoires en défense, enregistrés les 10 et 17 mai 2021, le Conseil national de l'ordre des chirurgiens-dentistes conclut au rejet de la requête et demande à ce qu'une somme de 4 000 euros soit mise à la charge de M. A... au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative. Il soutient qu'aucun moyen de la requête n'est de nature à créer un doute sérieux quant à la légalité de la décision contestée et déclare s'en remettre à la sagesse du Conseil d'Etat quant à la condition d'urgence.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
- la directive 2005/36/CE du Parlement européen et du Conseil du 7 septembre 2005 ;
- le code de la santé publique ;
- l'arrêté du 13 juillet 2009 fixant la liste et les conditions de reconnaissance des titres de formation de praticien de l'art dentaire délivrés par les Etats membres de l'Union européenne ou parties à l'accord sur l'Espace économique européen visées au 2° de l'article L. 4141-3 du code de la santé publique ;
- le code de justice administrative ;
Les parties ont été informées, sur le fondement de l'article 3 de l'ordonnance n° 2020-1402 du 18 novembre 2020 portant adaptation des règles applicables aux juridictions administratives, de ce qu'aucune audience ne se tiendrait et de ce que la clôture de l'instruction serait fixée le 17 mai 2021 à 18 heures.
Considérant ce qui suit :
1. Aux termes de l'article L. 521-1 du code de justice administrative : " Quand une décision administrative, même de rejet, fait l'objet d'une requête en annulation ou en réformation, le juge des référés, saisi d'une demande en ce sens, peut ordonner la suspension de l'exécution de cette décision, ou de certains de ses effets, lorsque l'urgence le justifie et qu'il est fait état d'un moyen propre à créer, en l'état de l'instruction, un doute sérieux quant à la légalité de la décision ".
2. Il résulte de l'instruction que M. A..., titulaire d'un diplôme de " mestrado integrado em medicina dentaria " délivré par l'université Fernando Pessoa de Porto (Portugal), a sollicité son inscription au tableau de l'ordre des chirurgiens-dentistes des Bouches-du-Rhône le 12 juillet 2019. Le 21 février 2020, le conseil départemental de l'ordre des chirurgiens-dentistes lui a opposé un refus, que l'intéressé a contesté devant le conseil régional de Provence-Alpes-Côte d'Azur de l'ordre des chirurgiens-dentistes, qui l'a confirmé le 29 septembre 2020, puis devant le Conseil national de l'ordre des chirurgiens-dentistes, qui a rejeté son recours le 20 janvier 2021. Il a déféré cette décision au Conseil d'Etat statuant au contentieux par la voie du recours pour excès de pouvoir, et demande au juge des référés du Conseil d'Etat d'en ordonner la suspension jusqu'à ce qu'il soit statué au fond.
Sur le cadre juridique du litige :
3. Aux termes, en premier lieu, de l'article L. 4112-1 du code de la santé publique : " Les médecins, les chirurgiens-dentistes et les sages-femmes qui exercent dans un département sont inscrits sur un tableau établi et tenu à jour par le conseil départemental de l'ordre dont ils relèvent. / (...) Nul ne peut être inscrit sur ce tableau s'il ne remplit pas les conditions requises par le présent titre et notamment les conditions nécessaires de moralité, d'indépendance et de compétence ". Aux termes de l'article L. 4112-4 du même code : " Les décisions du conseil départemental rendues sur les demandes d'inscription au tableau peuvent être frappées d'appel devant le conseil régional, par le médecin, le chirurgien-dentiste ou la sage-femme demandeur, s'il s'agit d'un refus d'inscription, par le conseil national s'il s'agit d'une décision d'inscription ".
4. Aux termes, en deuxième lieu, de l'article L. 4111-1 du code de la santé publique : " Nul ne peut exercer la profession de médecin, de chirurgien-dentiste ou de sage-femme s'il n'est : / 1° Titulaire d'un diplôme, certificat ou autre titre mentionné aux articles L. 4131-1, L. 4141-3 ou L. 4151-5 ; (...) / 3° Inscrit à un tableau de l'ordre des médecins, à un tableau de l'ordre des chirurgiens-dentistes ou à un tableau de l'ordre des sages-femmes, sous réserve des dispositions des articles L. 4112-6 et L. 4112-7. (...) ". Aux termes de l'article L. 4141-3 du même code: " Les titres de formation exigés en application du 1° de l'article L. 4111-1 sont pour l'exercice de la profession de chirurgien-dentiste : / 1° Soit le diplôme français d'Etat de docteur en chirurgie dentaire ; / 2° Soit le diplôme français d'Etat de chirurgien-dentiste ; / 3° Soit si l'intéressé est ressortissant d'un Etat membre de l'Union européenne ou partie à l'accord sur l'Espace économique européen : / a) Les titres de formation de praticien de l'art dentaire délivrés par l'un de ces Etats conformément aux obligations communautaires et figurant sur une liste établie par arrêté des ministres chargés de l'enseignement supérieur et de la santé / (...) ". L'arrêté du 13 juillet 2009 pris pour l'application de ces dispositions mentionne à ce titre notamment, en tant que titre de formation délivré par le Portugal, le " mestrado integrado em medicina dentaria ".
5. Aux termes, en troisième lieu, de l'article 21 de la directive 2005/36/CE du Parlement européen et du Conseil du 7 septembre 2005 relative à la reconnaissance des qualifications professionnelles, dont les dispositions citées au point précédent assurent notamment la transposition : " Chaque État membre reconnaît les titres de formation (...) de praticien de l'art dentaire (...) visés respectivement à l'annexe V, points (...) 5.3.2 (...) qui sont conformes aux conditions minimales de formation visées respectivement aux articles (...) 34 (...) en leur donnant, en ce qui concerne l'accès aux activités professionnelles et leur exercice, le même effet sur son territoire qu'aux titres de formation qu'il délivre ". Aux termes du 1 de l'article 50 : " Lorsqu'elles statuent sur une demande visant à obtenir l'autorisation d'exercer la profession réglementée concernée en application du présent titre, les autorités compétentes de l'État membre d'accueil peuvent exiger les documents et les certificats énumérés à l'annexe VII ". Aux termes du 2 de ce même article : " En cas de doute justifié, l'État membre d'accueil peut exiger des autorités compétentes d'un État membre une confirmation de l'authenticité des attestations et des titres de formation délivrés dans cet autre État membre, ainsi que, le cas échéant, la confirmation du fait que le bénéficiaire remplit, pour les professions visées au chapitre III du présent titre, les conditions minimales de formation visées respectivement aux articles (...) 34 (...) ". Aux termes du 2 de l'article 34 ainsi mentionné : " La formation de base de praticien de l'art dentaire comprend au total au moins cinq années d'études théoriques et pratiques à temps plein portant au moins sur le programme figurant à l'annexe V, point 5.3.1, et effectuées dans une université, dans un établissement d'enseignement supérieur d'un niveau reconnu comme équivalent ou sous la surveillance d'une université ". Enfin, le d) de l'article 3 de la même directive définit l'autorité compétente au sens de cette directive comme " toute autorité ou instance habilitée spécifiquement par un État membre à délivrer ou à recevoir des titres de formation et autres documents ou informations, ainsi qu'à recevoir des demandes et à prendre des décisions, visées dans la présente directive ". L'annexe 5.3.2. de la directive mentionne en tant que titres de formation délivrés par le Portugal, la " carta de curso de licenciatura en medicina dentária " et le " mestrado integrado em medicina dentária ".
6. Il résulte de ces dispositions éclairées par la jurisprudence de la Cour de justice de l'Union européenne, qu'elles instituent, pour les praticiens de l'art dentaire, une reconnaissance automatique et inconditionnelle des diplômes qui s'impose aux autorités de l'Etat membre d'accueil, la responsabilité de veiller à ce que les exigences de formation, tant qualitatives que quantitatives, établies par la directive 2005/36/CE, soient pleinement respectées pesant sur l'autorité compétente de l'Etat membre qui délivre le titre de formation. Si les autorités de l'Etat membre d'accueil, auxquelles a été présenté un titre de formation ouvrant droit à une telle reconnaissance, ont un doute justifié quant à la conformité du diplôme avec la réglementation applicable, il leur appartient de saisir les autorités de l'Etat membre émetteur du diplôme en cause.
Sur l'urgence :
7. L'urgence justifie la suspension de l'exécution d'un acte administratif lorsque celui-ci porte atteinte de manière suffisamment grave et immédiate à un intérêt public, à la situation du requérant ou aux intérêts qu'il entend défendre. Il appartient au juge des référés d'apprécier concrètement, compte tenu des justifications fournies par le requérant, si les effets de l'acte contesté sont de nature à caractériser une urgence justifiant que, sans attendre le jugement de la requête au fond, l'exécution de la décision soit suspendue. L'urgence doit être appréciée objectivement et compte tenu de l'ensemble des circonstances de l'affaire.
8. En l'espèce, si M. A... n'a jamais exercé dans le passé la profession de chirurgien-dentiste, il soutient, sans être contredit, qu'il doit rembourser les emprunts bancaires qu'il a contractés pour financer ses études supérieures, désormais terminées, alors que la décision dont il demande la suspension fait obstacle à ce qu'il exerce la profession pour laquelle il s'est formé, et l'empêche notamment d'honorer la promesse d'embauche au sein d'un cabinet dentaire dont il indique être titulaire, si bien qu'il a pour seule ressource le revenu de solidarité active. Il soutient que la très longue procédure devant les instances ordinales et le refus persistant de ces instances d'agréer sa demande d'inscription au tableau ont pour effet de le placer dans une situation de précarité financière et de détresse psychologique qui n'est pas davantage contestée en défense. Dans les circonstances de l'espèce, la condition d'urgence posée par les dispositions citées au point 1. doit être regardée comme remplie.
Sur l'existence d'un moyen de nature à créer un doute sérieux quant à la légalité de la décision attaquée :
9. Il est constant que M. A... a présenté, au soutien de sa demande d'inscription au tableau de l'ordre des chirurgiens-dentistes des Bouches-du-Rhônes, un diplôme de " mestrado em medicina dentaria " délivré le 3 juin 2019 par l'université Fernando Pessoa de Porto, correspondant à la catégorie de titre mentionnée par l'arrêté cité au point 4. et par la directive citée au point 5. et ouvrant droit à une telle inscription. Les instances ordinales ont toutefois demandé à M. A..., à plusieurs reprises, de compléter son dossier, afin de vérifier les conditions dans lesquelles avaient été validées les études qu'il avait effectuées en France avant son admission directe en troisième année de l'université. Pour répondre à ces demandes, le requérant a notamment fourni une attestation très circonstanciée du président-recteur de l'université Fernando Pessoa datée du 30 juillet 2019 qui atteste de la conformité du diplôme obtenu avec les exigences de la directive 2005/36/CE.
10. Il résulte de ce qui a été dit précédemment que, lorsqu'une autorité compétente pour statuer sur une demande d'autorisation d'exercice éprouve un doute justifié, il lui appartient de saisir les autorités de l'Etat membre émetteur du diplôme en cause, à qui il appartient de vérifier qu'un cursus de formation satisfait aux exigences de formation établies par la directive 2005/36/CE. Si le Conseil national de l'ordre des chirurgiens-dentistes soutient que l'université qui a délivré le diplôme ne saurait être l'autorité compétente pour certifier la conformité de ce diplôme à la directive, cette analyse se heurte à la lettre même du d) de l'article 3 de la directive cité au point 5. ci-dessus. La circonstance que l'autorité portugaise saisie par les instances ordinales n'a pas donné suite à cette saisine n'était pas de nature à justifier le refus opposé à M. A... qui avait versé à la procédure devant les instances ordinales, sur la demande de celles-ci, l'attestation mentionnée au point précédent, émanant d'une autorité compétente et apportant, en tout état de cause, les réponses appropriées aux doutes émis. Dès lors, le moyen tiré de ce que le Conseil national de l'ordre des chirurgiens-dentistes, en rejetant la demande de M. A... tendant à l'annulation de la décision du conseil régional de l'ordre des chirurgiens-dentistes de Provence-Alpes-Côte d'Azur du 29 septembre 2020 rejetant sa demande d'inscription au tableau de l'ordre, a fait une inexacte application des articles L. 4112- 1 et L. 4112-4 du code de la santé publique, apparaît, en l'état de l'instruction, de nature à créer un doute sérieux quant à la légalité de la décision contestée.
11. Il résulte de tout ce qui précède que M. A... est fondé à demander la suspension de l'exécution de la décision contestée. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, d'enjoindre au Conseil national de l'ordre des chirurgiens-dentistes de statuer à nouveau sur la demande de M. A... dans un délai de quinze jours à compter de la notification de la présente ordonnance, sans qu'il y ait lieu d'assortir cette injonction d'une astreinte. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge du Conseil national de l'ordre des chirurgiens-dentistes la somme de 3 000 euros à verser à M. A... au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font, en revanche, obstacle à ce qu'il soit fait droit à la demande présentée sur ce fondement par le Conseil national de l'ordre des chirurgiens-dentistes.
O R D O N N E :
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Article 1er : L'exécution de la décision du 20 janvier 2021 du Conseil national de l'ordre des chirurgiens-dentistes est suspendue.
Article 2 : Il est enjoint au Conseil national de l'ordre des chirurgiens-dentistes de statuer à nouveau sur la demande de M. A... dans un délai de quinze jours à compter de la notification de la présente ordonnance.
Article 3 : Le Conseil national de l'ordre des chirurgiens-dentistes versera à M. A... une somme de 3 000 euros au titre des frais exposés par lui et non compris dans les dépens.
Article 4 : Le surplus des conclusions de la requête de M. A... et les conclusions du Conseil national de l'ordre des chirurgiens-dentistes tendant au remboursement des frais exposés par lui et non compris dans les dépens sont rejetés.
Article 5 : La présente ordonnance sera notifiée à M. B... A... et au Conseil national de l'ordre des chirurgiens-dentistes.