La jurisprudence francophone des Cours suprêmes


recherche avancée

15/02/2021 | FRANCE | N°449168

France | France, Conseil d'État, 15 février 2021, 449168


Vu la procédure suivante :

Par une requête et un mémoire en réplique, enregistrés les 28 janvier et 9 février 2021 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, la société anonyme BD Multimédia demande au juge des référés du Conseil d'Etat, statuant sur le fondement de l'article L. 521-1 du code de justice administrative :

1°) d'ordonner la suspension de l'exécution de l'article 2 de la décision du 23 décembre 2020 de la commission des sanctions de l'Autorité de contrôle prudentiel et de résolution (ACPR) relatif à la publication de cette décision, pronon

çant à son encontre un blâme et une sanction pécuniaire de 20 000 euros, au regis...

Vu la procédure suivante :

Par une requête et un mémoire en réplique, enregistrés les 28 janvier et 9 février 2021 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, la société anonyme BD Multimédia demande au juge des référés du Conseil d'Etat, statuant sur le fondement de l'article L. 521-1 du code de justice administrative :

1°) d'ordonner la suspension de l'exécution de l'article 2 de la décision du 23 décembre 2020 de la commission des sanctions de l'Autorité de contrôle prudentiel et de résolution (ACPR) relatif à la publication de cette décision, prononçant à son encontre un blâme et une sanction pécuniaire de 20 000 euros, au registre de l'autorité administrative pendant trois ans sous une forme nominative puis sous une forme anonyme ;

2°) de mettre à la charge de l'ACPR la somme de 5 000 euros au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- la condition d'urgence est satisfaite eu égard, en premier lieu, à sa situation financière fragile et susceptible de se dégrader davantage en raison de l'épidémie de covid-19, en deuxième lieu, à l'atteinte que cette mesure est susceptible de porter à son image et à sa réputation et, en dernier lieu, aux conséquences de cette publication dès lors qu'elle est susceptible, d'une part, de renforcer les obstacles qu'elle rencontre pour ouvrir un compte de cantonnement et, d'autre part, de faire peser sur la société le risque de ne pas être en mesure de conclure de nouveau contrat de garantie afin de se conformer à ses obligations de protection des fonds de clientèle, conformément à l'article L. 522-17 du code monétaire et financier ;

- il existe un doute sérieux quant à la légalité de la décision contestée ;

- la décision contestée est disproportionnée au regard des manquements constatés dès lors que, en premier lieu, l'intérêt public attaché à une publication sous forme nominative apparaît réduit, eu égard, d'une part, à sa faible envergure sur le marché en cause et, d'autre part, au fait qu'une publication sous forme anonyme répondrait suffisamment à l'objectif d'information du public, en deuxième lieu, les modalités de cette publication, accessible en ligne sur le site de l'ACPR pendant trois ans, participent de ce caractère disproportionné, en troisième lieu, les manquements retenus à son encontre ne présentent qu'une gravité relative, en quatrième lieu, la mesure de publication est susceptible de lui causer un préjudice particulièrement lourd et, en dernier lieu, le format de la publication ordonnée méconnaît l'article L. 612-39 du code monétaire et financier dès lors qu'il n'apparaît pas proportionné à la sanction principale, le blâme en l'espèce ;

Par un mémoire en défense, enregistré le 4 février 2021, l'Autorité de contrôle prudentiel et de résolution conclut au rejet de la requête. Elle soutient que la condition d'urgence n'est pas satisfaite et qu'aucun moyen de la requête n'est de nature à créer un doute sérieux quant à la légalité de la décision contestée.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :

- la directive 2015/849 du Parlement européen et du Conseil du 20 mai 2015, notamment son article 60 ;

- le code monétaire et financier ;

- le code de justice administrative ;

Les parties ont été informées, sur le fondement de l'article 3 de l'ordonnance n° 2020-1402 du 18 novembre 2020 portant adaptation des règles applicables aux juridictions administratives, de ce qu'aucune audience ne se tiendrait et de ce que la clôture de l'instruction a été fixée le mardi 9 février 2021 à 14 heures.

Considérant ce qui suit :

1. Aux termes de l'article L. 521-1 du code de justice administrative : " Quand une décision administrative, même de rejet, fait l'objet d'une requête en annulation ou en réformation, le juge des référés, saisi d'une demande en ce sens, peut ordonner la suspension de l'exécution de cette décision, ou de certains de ses effets, lorsque l'urgence le justifie et qu'il est fait état d'un moyen propre à créer, en l'état de l'instruction, un doute sérieux quant à la légalité de la décision ".

2. Il résulte de l'instruction que la société BD Multimédia qui exerce une activité accessoire de services de micro-paiement pour laquelle elle a obtenu l'agrément mentionné à l'article L 522-3 du code monétaire et financier a fait l'objet, du 8 octobre au 21 décembre 2018, d'un contrôle sur place diligenté par l'Autorité de contrôle prudentiel et de résolution (ACPR). Les divers manquements constatés lors de ce contrôle ont conduit le collège de supervision de cette autorité à ouvrir une procédure disciplinaire à l'encontre de la société BD Multimédia. A la suite de l'audience tenue le 10 décembre 2020, la commission des sanctions de l'ACPR a décidé le 23 décembre 2020, d'une part, d'infliger à cette société un blâme et une sanction pécuniaire de 20 000 euros et, d'autre part, de publier cette décision au registre de l'ACPR pendant une durée de trois ans sous une forme nominative, puis sous une forme anonymisée. La société BD Multimédia demande au juge des référés du Conseil d'Etat, statuant sur le fondement de l'article L. 521-1 du code de justice administrative, de suspendre l'exécution de cette décision, en tant seulement qu'elle a ordonné sa publication. Il résulte de l'instruction que la commission des sanctions a différé l'exécution de la décision de publication jusqu'à l'intervention de la décision du juge des référés du Conseil d'Etat.

3. L'article L. 612-39 du code monétaire et financier dispose que : " La décision de la commission des sanctions est rendue publique dans les publications, journaux ou supports qu'elle désigne, dans un format proportionné à la faute commise et à la sanction infligée. Les frais sont supportés par les personnes sanctionnées. Toutefois, lorsque la publication risque de perturber gravement les marchés financiers ou de causer un préjudice disproportionné aux parties en cause, la décision de la commission peut prévoir qu'elle ne sera pas publiée. ".

4. Outre sa portée punitive, l'objet de la décision par laquelle la commission des sanctions décide de rendre publique, aux frais de l'intéressé, la sanction qu'elle prononce est de porter à la connaissance de toutes les personnes intéressées tant les manquements constatés que les sanctions infligées, afin de satisfaire aux exigences d'intérêt général relatives à la protection des clients des établissements concernés, au bon fonctionnement des marchés financiers et, au cas d'espèce, à l'efficacité de la lutte contre le blanchiment des capitaux et le financement du terrorisme. Le principe de la publication nominative participe à l'atteinte de ces objectifs.

5. La société requérante fait valoir, en premier lieu, qu'eu égard à sa place très modeste sur le marché concurrentiel des services de paiement et à sa fragilité financière, une publication sous forme anonyme préserverait suffisamment l'intérêt général. Il ne résulte pas cependant de l'instruction qu'en raison de sa petite taille et de l'importance du préjudice qu'elle subirait du fait de la forme nominative de cette publication, cette modalité de publicité lui porterait un préjudice disproportionné au regard de l'intérêt public qui s'y attache, alors que, d'une part, la société BD Multimédia est une société cotée depuis 1997 dont l'activité est en fort développement et que, d'autre part, nombre des manquements constatés sont relatifs au dispositif de lutte contre le blanchiment des capitaux et le financement du terrorisme.

6. La société requérante conteste, en deuxième lieu, l'utilisation du site internet de l'ACPR comme support de publication, ainsi que la durée de trois années prévue pour la publication sous forme nominative. Le support de publication adopté par l'ACPR est cependant conforme tant au texte des dispositions mentionnées au point 4, qu'à l'article 60 de la directive 2015/849 du Parlement européen et du Conseil du 20 mai 2015 relative à la prévention de l'utilisation du système financier aux fins du blanchiment de capitaux ou du financement du terrorisme, lequel prévoit qu'une sanction prise en raison d'une infraction aux dispositions nationales transposant cette directive est publiée par les autorités compétentes sur leur site internet officiel. La fixation à trois années de la publication nominative est, par ailleurs, conforme aux finalités poursuivies par cette législation particulière.

7. La société requérante soutient, en troisième lieu, que les manquements retenus à son encontre sont d'une gravité relative, dès lors que sur les vingt et un griefs qui lui ont été initialement notifiés, seuls sept ont été retenus par la commission des sanctions, que partie de ces griefs correspondent aux mêmes faits, enfin que la commission lui a reconnu des circonstances atténuantes. Il résulte cependant de l'instruction que parmi les manquements retenus comme établis par la commission des sanctions figure, pour la totalité ou en partie, la plupart des griefs initialement notifiés à la société BD Multimédia et notamment tous ceux relatifs à la lutte contre le blanchiment des capitaux et le financement du terrorisme. La société requérante ne conteste pas par ailleurs ni que la sanction prononcée à son égard a tenu compte que plusieurs des griefs retenus correspondent à des faits identiques retenus sous des qualifications différentes, ni que la décision qui sera publiée dans son intégralité mentionne expressément que la société a engagé " depuis le contrôle, des actions de remédiation énergiques " dont il est constant qu'il a été tenu compte dans le quantum de la sanction.

8. Il résulte de ce qui est dit aux points 4 ,5, 6 et 7 qu'aucun des moyens soulevés et tendant à établir le caractère disproportionné de la publication sous forme nominative au regard de la sanction prononcée et de la situation financière de la société n'apparaît de nature, en l'état de l'instruction, à faire naître un doute sérieux sur la légalité de la décision attaquée. Les conclusions aux fins de suspension de son exécution doivent, par suite, être rejetées, sans qu'il soit nécessaire de statuer sur l'urgence de la requête présentée par la société BD Multimédia, ainsi que, par voie de conséquence, ses conclusions présentées sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative. Il n'y a pas lieu, dans les circonstances de l'espèce, de faire droit aux conclusions de l'ACPR présentées sur le même fondement.

O R D O N N E :

------------------

Article 1er : La requête de la société BD Multimédia est rejetée.

Article 2 : Les conclusions de l'Autorité de contrôle prudentiel et de résolution présentées au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.

Article 3 : La présente ordonnance sera notifiée à la société BD Multimédia et à l'Autorité de contrôle prudentiel et de résolution.


Synthèse
Numéro d'arrêt : 449168
Date de la décision : 15/02/2021
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Publications
Proposition de citation : CE, 15 fév. 2021, n° 449168
Inédit au recueil Lebon

Composition du Tribunal
Avocat(s) : SCP MATUCHANSKY, POUPOT, VALDELIEVRE ; SCP BOUZIDI, BOUHANNA

Origine de la décision
Date de l'import : 16/03/2021
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CE:2021:449168.20210215
Association des cours judiciaires suprmes francophones
Organisation internationale de la francophonie
Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie. Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie.
Logo iall 2012 website award