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10/02/2021 | FRANCE | N°448485

France | France, Conseil d'État, Juge des référés, 10 février 2021, 448485


Vu la procédure suivante :

Par une requête et un mémoire en réplique, enregistrés les 7 janvier et 28 janvier 2021 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, le Conseil national des barreaux, la Conférence des Bâtonniers et l'Ordre des avocats du barreau de Paris demandent au juge des référés du Conseil d'Etat, statuant sur le fondement de l'article L. 521-1 du code de justice administrative :

1°) à titre principal, d'ordonner la suspension de l'exécution des commentaires administratifs publiés le 25 novembre 2020 au bulletin officiel des finances publiques (

BOFiP) - Impôts sous la référence BOI-CF-CPF-30-40, et en particulier des ...

Vu la procédure suivante :

Par une requête et un mémoire en réplique, enregistrés les 7 janvier et 28 janvier 2021 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, le Conseil national des barreaux, la Conférence des Bâtonniers et l'Ordre des avocats du barreau de Paris demandent au juge des référés du Conseil d'Etat, statuant sur le fondement de l'article L. 521-1 du code de justice administrative :

1°) à titre principal, d'ordonner la suspension de l'exécution des commentaires administratifs publiés le 25 novembre 2020 au bulletin officiel des finances publiques (BOFiP) - Impôts sous la référence BOI-CF-CPF-30-40, et en particulier des paragraphes 10 à 210 de ces commentaires publiés sous la référence BOI-CF-CPF-30-40-10-20 ;

2°) à titre subsidiaire, de saisir la Cour de justice de l'Union européenne d'une question préjudicielle relative à la conformité de ces commentaires avec le droit de l'Union de la directive (UE) 2018/822 du 25 mai 2018 modifiant la directive 2011/16/UE en ce qui concerne l'échange automatique et obligatoire d'informations dans le domaine fiscal en rapport avec les dispositifs transfrontières devant faire l'objet d'une déclaration ;

3°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 4 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Ils soutiennent que :

- la requête est recevable et ils justifient d'un intérêt pour agir ;

- la condition d'urgence est remplie dès lors que la mise en oeuvre des énonciations contestées est de nature à porter une atteinte grave et immédiate, d'une part, à l'intérêt collectif de la profession d'avocat défendu par les requérants et, d'autre part, à l'intérêt général s'attachant au respect du droit de l'Union européenne ;

- il existe un doute sérieux quant à la légalité des commentaires administratifs attaqués ;

- les énonciations attaquées portent un préjudice grave et immédiat à l'intérêt collectif de la profession d'avocat dès lors qu'ils font obligation aux membres de cette profession prenant part à l'élaboration de dispositifs transfrontaliers de transmettre non seulement à l'administration fiscale, mais également à des tiers ayant la qualité d'intermédiaire au sens des dispositions de l'article 8 bis ter de la directive (UE) 2011/16 des informations couvertes par le secret professionnel ;

- les énonciations contestées méconnaissent le droit à un procès équitable et le droit au respect de la vie privée en ce que l'exigence de notification de l'obligation de la déclaration d'un dispositif transfrontière à tout autre intermédiaire portent une atteinte injustifiée et disproportionnée à la protection du secret professionnel des avocats.

Par un mémoire en défense, enregistré le 26 janvier 2021, le ministre de l'économie, des finances et de la relance conclut au rejet de la requête. Il soutient que la condition d'urgence n'est pas satisfaite et qu'aucun des moyens n'est de nature à faire naître un doute sérieux sur la légalité des commentaires administratifs contestés.

Par un mémoire en intervention, enregistré le 27 janvier 2021, l'Ordre des avocats du barreau des Hauts-de-Seine conclut à ce qu'il soit fait droit à la requête du Conseil national des barreaux, de la Conférence des Bâtonniers et de l'Ordre des avocats du barreau de Paris et à ce qu'une somme de 5 000 euros soit mise à la charge de l'Etat au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative. Il soutient que son intervention est recevable, que la directive (UE) 2018/822 du 25 mai 2018 et les énonciations contestées sont contraires au droit primaire de l'Union européenne en ce qu'elles portent une atteinte injustifiée et disproportionnée au secret professionnel des avocats et s'associe aux moyens de la requête.

La requête a été communiquée au garde des sceaux, ministre de la justice, qui n'a pas produit d'observations.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :

- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne ;

- la directive (UE) 2018/822 du Conseil du 25 mai 2018 modifiant la directive (UE) 2011/16/UE du Conseil ;

- le code pénal ;

- le code général des impôts et le livre des procédures fiscales ;

- la loi n° 71-1130 du 31 décembre 1971 ;

- l'ordonnance n° 2019-1068 du 21 octobre 2019 ;

- le code de justice administrative ;

Après avoir convoqué à une audience publique, d'une part, le Conseil national des barreaux, la Conférence des Bâtonniers, les Ordres des avocats du barreau de Paris et du barreau des Hauts-de-Seine, et d'autre part, le ministre de l'économie, des finances et de la relance et le garde des sceaux, ministre de la justice ;

Ont été entendus lors de l'audience publique du 29 janvier 2021 à dix heures :

- Me Spinosi, avocat au Conseil d'Etat et à la Cour de Cassation, avocat du Conseil national des barreaux, de la Conférence des Bâtonniers et de l'Ordre des avocats du barreau de Paris ;

- Me Briard, avocat au Conseil d'Etat et à la Cour de Cassation, avocat de l'Ordre des avocats du barreau des Hauts-de-Seine ;

- les représentants du ministre de l'économie, des finances et de la relance ;

à l'issue de laquelle le juge des référés a prononcé la clôture de l'instruction.

Considérant ce qui suit :

Sur l'intervention de l'Ordre des avocats du barreau des Hauts-de-Seine :

1. L'Ordre des avocats du barreau des Hauts-de-Seine justifie d'un intérêt suffisant à l'annulation des commentaires administratifs attaqués. Ainsi, son intervention au soutien de la requête du Conseil national des barreaux, de la Conférence des Bâtonniers et de l'Ordre des avocats du barreau de Paris est recevable.

Sur le cadre juridique du litige :

2. La directive (UE) 2018/822 du 25 mai 2018 modifiant la directive (UE) 2011/16/UE du Conseil en ce qui concerne l'échange automatique et obligatoire d'informations dans le domaine fiscal en rapport avec les dispositifs transfrontières devant faire l'objet d'une déclaration a institué en amont de la mise en oeuvre d'un montage juridique susceptible d'entraîner une perte de matière fiscale pour un ou plusieurs Etats membres de l'Union européenne une obligation de déclaration des éléments caractérisant de tels montages, les informations correspondantes ayant vocation à être spontanément échangées entre les administrations fiscales des Etats membres par l'intermédiaire du réseau commun de communication (RCC) mis en place au sein de l'Union européenne.

3. L'article 8 bis ter de la directive (UE) 2011/16 tel que modifié par le § 2 de l'article 1er de la directive (UE) 2018/822 a mis cette obligation déclarative à la charge des intermédiaires intervenant dans la conception des dispositifs de planification fiscale, dès lors que ces derniers comportent l'un des marqueurs identifiés comme de nature à révéler un risque d'évasion fiscale. En application de ces mêmes dispositions, les intermédiaires sont tenus de communiquer à l'administration fiscale les informations relatives à l'identité des autres intermédiaires ayant contribué à l'élaboration du dispositif de planification fiscale et des contribuables concernés ainsi que l'ensemble des éléments relatifs aux caractéristiques propres du dispositif transfrontière et à sa valeur. Aux termes du § 21 de l'article 3 de la directive (UE) 2011/16, doit être regardé comme " intermédiaire " " toute personne qui, compte tenu des faits et circonstances pertinents et sur la base des informations disponibles ainsi que de l'expertise en la matière et de la compréhension qui sont nécessaires pour fournir de tels services, sait ou pourrait raisonnablement être censée savoir qu'elle s'est engagée à fournir, directement ou par l'intermédiaire d'autres personnes, une aide, une assistance ou des conseils concernant la conception, la commercialisation ou l'organisation d'un dispositif transfrontière devant faire l'objet d'une déclaration, ou concernant sa mise à disposition aux fins de mise en oeuvre ou la gestion de sa mise en oeuvre ".

4. Le § 5 de l'article 8 bis ter de la directive (UE) 2011/16 prévoit la possibilité pour les Etats membres de prendre les mesures nécessaires afin d'accorder aux intermédiaires le droit d'être dispensés de fournir des informations concernant un dispositif transfrontière devant faire l'objet d'une déclaration lorsque l'obligation de déclaration serait contraire au secret professionnel. Dans cette hypothèse, les Etats membres doivent mettre en place des règles faisant obligation aux intermédiaires soumis au secret professionnel de notifier les obligations déclaratives " (...) à tout autre intermédiaire ou, en l'absence d'un tel intermédiaire, au contribuable concerné ".

5. L'article 1er de l'ordonnance du 21 octobre 2019 relative à l'échange automatique et obligatoire d'informations dans le domaine fiscal en rapport avec les dispositifs transfrontières devant faire l'objet d'une déclaration, prise sur habilitation de l'article 22 de la loi du 23 octobre 2018 relative à la lutte contre la fraude, a inséré dans le code général des impôts les articles 1649 AD à 1649 AH transposant la directive (UE) 2018/822 du 25 mai 2018 modifiant la directive (UE) 2011/16/UE du Conseil en ce qui concerne l'échange automatique et obligatoire d'informations dans le domaine fiscal en rapport avec les dispositifs transfrontières devant faire l'objet d'une déclaration. L'article 1649 AD de ce code institue une obligation de déclaration auprès de l'administration fiscale, par l'intermédiaire ayant participé à la mise en oeuvre de ce dispositif ou par le contribuable concerné, de tout dispositif prenant la forme d'un accord, d'un montage ou d'un plan ayant ou non force exécutoire et concernant la France et un autre Etat, membre ou non de l'Union européenne, dès lors qu'il remplit l'une au moins des conditions mentionnées aux a) à e) de cet article et comporte l'un des marqueurs mentionnés au II de l'article 1649 AH du même code.

6. Aux termes de l'article 1649 AE du code général des impôts, l'intermédiaire mentionné à l'article 1649 AD s'entend de toute personne qui conçoit, commercialise ou organise un dispositif transfrontière devant faire l'objet d'une déclaration, le met à disposition aux fins de sa mise en oeuvre ou en gère la mise en oeuvre. Selon ces mêmes dispositions, est également considérée comme intermédiaire toute personne qui, compte tenu des faits et circonstances pertinents et sur la base des informations disponibles ainsi que de l'expertise en la matière et de la compréhension qui sont nécessaires pour fournir de tels services, sait ou pourrait raisonnablement être censée savoir qu'elle s'est engagée à fournir, directement ou par l'intermédiaire d'autres personnes, une aide, une assistance ou des conseils concernant la conception, la commercialisation ou l'organisation d'un dispositif transfrontière devant faire l'objet d'une déclaration, ou concernant sa mise à disposition aux fins de mise en oeuvre ou la gestion de sa mise en oeuvre. Enfin, selon le 4° de ce même article, lorsque l'intermédiaire est soumis à une obligation de secret professionnel dont la violation est prévue et réprimée par l'article 226-13 du code pénal, il lui appartient de recueillir l'accord de son client avant de souscrire la déclaration mentionnée à l'article 1649 AD. A défaut de cet accord, ces dispositions prévoient, en reprenant les termes du § 5 de l'article 8 bis ter de la directive (UE) 2011/16 que l'intermédiaire notifie à tout autre intermédiaire l'obligation déclarative qui lui incombe ou, en l'absence d'autre intermédiaire, au contribuable concerné par le dispositif transfrontière.

Sur la demande en référé :

7. Les requérants demandent la suspension de l'exécution des paragraphes 10 à 210 des commentaires administratifs publiés le 25 novembre 2020 au bulletin officiel des finances publiques (BOFiP) - Impôts sous la référence BOI-CF-CPF-30-40-10-20, par lesquels le ministre de l'économie, des finances et de la relance a commenté la portée des dispositions de l'ordonnance du 21 octobre 2019, en tant qu'il réitèrent l'obligation instituée par les dispositions de l'article 1649 AE du code général des impôts à la charge de l'intermédiaire, lorsque ce dernier n'obtient pas l'accord de son client pour procéder à la notification à l'administration d'un dispositif transfrontière, de notifier l'obligation déclarative à tout autre intermédiaire ayant pris part à l'élaboration ce de dispositif portent une atteinte injustifiée et disproportionnée au secret professionnel des avocats.

8. Pour justifier de l'urgence à ordonner cette suspension, les requérants font valoir que les commentaires administratifs contestés portent un préjudice grave et immédiat à l'intérêt collectif de la profession d'avocat dès lors qu'ils font obligation aux membres de cette profession prenant part à l'élaboration de dispositifs transfrontaliers de transmettre non seulement à l'administration fiscale, mais également à des tiers ayant la qualité d'intermédiaire au sens des dispositions de l'article 8 bis ter de la directive (UE) 2011/16 des informations couvertes par le secret professionnel, en méconnaissance du droit à un procès équitable et du droit à la protection de la vie privée respectivement garantis par les stipulations des articles 6 et 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et des articles 47 et 7 de la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne.

9. L'obligation déclarative dont les modalités d'application sont contestées trouve son fondement, comme il a été dit aux points 4 et 5, dans les dispositions des articles 1649 AD à 1649 AH du code général des impôts issus de l'article 1er de l'ordonnance du 21 octobre 2019 relative à l'échange automatique et obligatoire d'informations dans le domaine fiscal en rapport avec les dispositifs transfrontières, que les requérants n'ont pas attaquée dans le délai de recours contentieux, et non dans le commentaire qu'en a fait l'administration. Par suite, les énonciations contestées du bulletin officiel des finances publiques - Impôts ne créent, par elles-mêmes, aucune situation d'urgence en tant qu'elles se bornent à rappeler, sans y ajouter, les dispositions de la loi fiscale.

10. Il résulte de ce qui précède que les conditions auxquelles est subordonné l'exercice par le juge des référés des pouvoirs qu'il tient de l'article L. 521-1 du code de justice administrative ne sont pas remplies. Par suite, sans qu'il soit besoin, d'une part, de se prononcer sur la condition tenant à l'existence d'un doute sérieux sur la légalité des commentaires administratifs attaqués et, d'autre part, de poser une question préjudicielle à la Cour de justice de l'Union européenne, les requérants ne sont pas fondés à demander la suspension de l'exécution des énonciations du bulletin officiel des finances publiques - Impôts en litige.

11. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce qu'une somme soit mise à ce titre à la charge de l'Etat, qui n'est pas, dans la présente instance, la partie perdante.

O R D O N N E :

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Article 1er : L'intervention de l'Ordre des avocats du barreau des Hauts-de-Seine est admise.

Article 2 : La requête du Conseil national des barreaux, de la Conférence des Bâtonniers et de l'Ordre des avocats du barreau de Paris est rejetée.

Article 3 : Les conclusions présentées par l'Ordre des avocats du barreau des Hauts-de-Seine au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.

Article 4 : La présente ordonnance sera notifiée au Conseil national des barreaux, à la Conférence des bâtonniers, à l'Ordre des avocats du barreau de Paris, à l'Ordre des avocats du barreau des Hauts-de-Seine et au ministre de l'économie, des finances et de la relance.

Copie en sera adressée au garde des sceaux, ministre de la justice.


Synthèse
Formation : Juge des référés
Numéro d'arrêt : 448485
Date de la décision : 10/02/2021
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Publications
Proposition de citation : CE, 10 fév. 2021, n° 448485
Inédit au recueil Lebon

Composition du Tribunal
Avocat(s) : SCP SPINOSI, SUREAU ; CABINET BRIARD

Origine de la décision
Date de l'import : 16/03/2021
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CE:2021:448485.20210210
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