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28/01/2021 | FRANCE | N°448629

France | France, Conseil d'État, Juge des référés, 28 janvier 2021, 448629


Vu la procédure suivante :

M. C... B... a demandé au juge des référés du tribunal administratif de La Réunion, statuant sur le fondement de l'article L. 521-2 du code de justice administrative, d'une part, d'ordonner la suspension de l'exécution de l'arrêté d'expulsion n° 2020/01 pris à son encontre par le préfet de La Réunion le 18 décembre 2020 et, d'autre part, d'organiser son retour immédiat à La Réunion aux frais de l'Etat sous astreinte de 100 euros par jour de retard.

Par une ordonnance n° 2001352 du 28 décembre 2020, le juge des référés du tribunal

administratif de La Réunion a suspendu l'exécution de l'arrêté contesté et a enjo...

Vu la procédure suivante :

M. C... B... a demandé au juge des référés du tribunal administratif de La Réunion, statuant sur le fondement de l'article L. 521-2 du code de justice administrative, d'une part, d'ordonner la suspension de l'exécution de l'arrêté d'expulsion n° 2020/01 pris à son encontre par le préfet de La Réunion le 18 décembre 2020 et, d'autre part, d'organiser son retour immédiat à La Réunion aux frais de l'Etat sous astreinte de 100 euros par jour de retard.

Par une ordonnance n° 2001352 du 28 décembre 2020, le juge des référés du tribunal administratif de La Réunion a suspendu l'exécution de l'arrêté contesté et a enjoint au préfet de La Réunion d'organiser, aux frais de l'Etat, le retour de M. B... à La Réunion dans un délai de deux mois, puis a rejeté le surplus des conclusions.

Par une requête, enregistrée le 12 janvier 2021 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, le ministre de l'intérieur demande au juge des référés du Conseil d'Etat, statuant sur le fondement de l'article L. 521-2 du code de justice administrative :

1°) d'annuler cette ordonnance ;

2°) de rejeter la demande de première instance de M. B....

Il soutient que le juge des référés du tribunal administratif de La Réunion a entaché son ordonnance d'une erreur d'appréciation en considérant que l'arrêté d'expulsion pris à l'encontre de M. B... portait une atteinte grave et manifestement illégale à l'intérêt supérieur de l'enfant, eu égard, d'une part, à la menace grave que représente M. B... pour l'ordre public, au regard des faits pour lesquels il a été condamné et, d'autre part, au fait que M. B... n'apporte aucun élément propre aux circonstances de l'espèce permettant d'établir qu'il doit rester auprès de ses enfants malgré cette menace.

Par un mémoire en défense, enregistré le 20 janvier 2021, M. B... conclut à son admission au bénéfice de l'aide juridictionnelle, au rejet de la requête et à ce que la somme de 2 500 euros soit mise à la charge de l'Etat à verser à son avocat au titre des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991. Il soutient qu'aucun des moyens de la requête n'est fondé.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :

- la convention internationale relatif aux droits de l'enfant ;

- la charte des droits fondamentaux de l'Union européenne ;

- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- le code de justice administrative ;

Après avoir convoqué à une audience publique, d'une part, le ministre de l'intérieur, et d'autre part, M. B... ;

Ont été entendus lors de l'audience publique du 22 janvier 2021, à 14 heures 30 :

- les représentants du ministre de l'intérieur ;

- Me A..., avocate au Conseil et à la Cour de cassation, avocate de M. B... ;

à l'issue de laquelle le juge des référés a clos l'instruction.

Considérant ce qui suit :

1. Aux termes de l'article L. 521-2 du code de justice administrative : " Saisi d'une demande en ce sens justifiée par l'urgence, le juge des référés peut ordonner toutes mesures nécessaires à la sauvegarde d'une liberté fondamentale à laquelle une personne morale de droit public ou un organisme de droit privé chargé de la gestion d'un service public aurait porté, dans l'exercice d'un de ses pouvoirs, une atteinte grave et manifestement illégale. Le juge des référés se prononce dans un délai de quarante-huit heures. ".

2. Par un arrêté du 18 décembre 2020, notifié le 24 décembre suivant à l'intéressé, le préfet de La Réunion a prononcé l'expulsion du territoire français de M. B..., ressortissant comorien, au motif que sa présence constitue une menace grave pour l'ordre public, l'intéressé ayant commis des viols sur la fille de son épouse, âgée de treize ans au début des faits. Son expulsion vers les Comores a été exécutée le 26 décembre. Par une ordonnance du 28 décembre 2020, le juge des référés du tribunal administratif de La Réunion, saisi par M. B... sur le fondement de l'article L. 521-2 du code de justice administrative, a suspendu l'exécution de l'arrêté contesté et a enjoint au préfet de La Réunion d'organiser, aux frais de l'Etat, le retour de l'intéressé à La Réunion dans un délai de deux mois. Le ministre de l'intérieur relève appel de cette ordonnance.

3. Aux termes de l'article L. 521-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " (...) l'expulsion peut être prononcée si la présence en France d'un étranger constitue une menace grave pour l'ordre public ". L'autorité compétente pour prononcer une telle mesure de police administrative, qui a pour objet de prévenir les atteintes à l'ordre public qui pourraient résulter du maintien d'un étranger sur le territoire français, doit caractériser l'existence d'une menace grave au vu du comportement de l'intéressé et des risques objectifs que celui-ci fait peser sur l'ordre public.

4. Aux termes de l'article 3-1 de la convention internationale des droits de l'enfant : " Dans toutes les décisions qui concernent les enfants, qu'elles soient le fait des institutions publiques ou privées de protection sociale, des tribunaux, des autorités administratives ou des organes législatifs, l'intérêt supérieur de l'enfant doit être une considération primordiale ".

5. Pour apprécier si l'arrêté d'expulsion contesté porte, comme le soutient M. B..., une atteinte grave et manifestement illégale à son droit à mener une vie familiale normale et à l'intérêt supérieur de ses deux enfants, il appartient au juge des référés de concilier ces libertés fondamentales avec les exigences de la protection de l'ordre public.

6. D'une part, il résulte de l'instruction que les faits pour lesquels M. B... a été condamné à 10 ans de réclusion criminelle, qui ont motivé l'arrêté litigieux du préfet de La Réunion, ont été commis entre 2007 et 2012 et apparaissent ainsi assez anciens. M. B... a été libéré, de manière anticipée, le 24 décembre 2020, après évaluation du risque de récidive, plus de trois ans avant le terme normal de sa peine. Au cours de sa détention, il a bénéficié, à sa demande, d'un suivi par le service médico-psychologique du centre de détention, lequel a pris fin le 19 novembre 2019, sa psychologue estimant que leurs objectifs avaient été atteints. Enfin, le juge des enfants a accordé à l'intéressé, après avoir évalué sa dangerosité potentielle, un droit de visite de ses enfants placés auprès des services de l'aide sociale à l'enfance, d'abord sous le contrôle de ces derniers, puis un droit simple sans contrainte.

7. D'autre part, il résulte de l'instruction que M. B... est père de trois enfants français, dont les deux plus jeunes ont été confiés à l'aide sociale à l'enfance, compte tenu de son incarcération et du comportement défaillant de leur mère. Il résulte de plusieurs décisions de l'autorité judiciaire et des attestations des services sociaux que l'ancienne épouse de M. B... est très peu investie dans l'éducation de ses deux fils, refusant de collaborer avec les services sociaux et n'adoptant pas un comportement adapté lors des quelques visites auxquelles elle a participé, alors qu'à l'inverse, M. B... témoigne d'un réel investissement affectif envers ses enfants, entretenant avec eux une relation épistolaire régulière et faisant usage de son droit de visite plusieurs fois par mois, de telle sorte qu'il constitue le seul repère parental pour eux. Enfin, les représentants du ministre de l'intérieur ont admis à l'audience que, dans la situation actuelle, tant que la mère de ces deux enfants, française également, conserverait l'autorité parentale, ceux-ci ne seraient pas autorisés à aller vivre aux Comores avec leur père. Il en résulte que l'expulsion de M. B... empêcherait ses enfants de voir leur père et, a fortiori, de reconstituer la cellule familiale sur le territoire français, alors même que cette reconstitution serait également impossible aux Comores.

8. Eu égard à l'ensemble de ces circonstances, c'est à bon droit que le juge des référés du tribunal administratif de La Réunion a considéré que la mesure d'expulsion en litige porte à l'intérêt supérieur des deux enfants de l'intéressé une atteinte grave et manifestement illégale. Par suite, le ministre de l'intérieur n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que, par l'ordonnance attaquée, le juge des référés du tribunal administratif de La Réunion a ordonné la suspension de l'exécution de l'arrêté d'expulsion pris à l'encontre de M. B... et a enjoint au préfet de La Réunion d'organiser son retour aux frais de l'Etat.

9. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce et sans qu'il soit besoin d'admettre provisoirement M. B... au bénéfice de l'aide juridictionnelle, de mettre à la charge de l'Etat la somme de 1 000 euros à lui verser au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

O R D O N N E :

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Article 1er : La requête du ministre de l'intérieur est rejetée.

Article 2 : L'Etat versera la somme de 1 000 euros à M. B... au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 3 : La présente ordonnance sera notifiée au ministre de l'intérieur et à M. C... B....


Synthèse
Formation : Juge des référés
Numéro d'arrêt : 448629
Date de la décision : 28/01/2021
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Plein contentieux

Publications
Proposition de citation : CE, 28 jan. 2021, n° 448629
Inédit au recueil Lebon

Composition du Tribunal
Avocat(s) : SCP DE NERVO, POUPET

Origine de la décision
Date de l'import : 06/02/2021
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CE:2021:448629.20210128
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