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17/12/2020 | FRANCE | N°446904

France | France, Conseil d'État, Juge des référés, 17 décembre 2020, 446904


Vu les procédures suivantes :

I. Sous le n° 446904, par une requête, enregistrée le 25 novembre 2020 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, le Syndicat des avocats de France, le Syndicat de la magistrature et l'Ordre des avocats du barreau de Bordeaux demandent au juge des référés du Conseil d'Etat, statuant sur le fondement de l'article L. 521-2 du code de justice administrative, d'ordonner la suspension de l'exécution des articles 4, 5 et 6 de l'ordonnance n° 2020-1400 du 18 novembre 2020 portant adaptation des règles applicables aux juridictions de l'ordre judici

aire statuant en matière non pénale et aux copropriétés.

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Vu les procédures suivantes :

I. Sous le n° 446904, par une requête, enregistrée le 25 novembre 2020 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, le Syndicat des avocats de France, le Syndicat de la magistrature et l'Ordre des avocats du barreau de Bordeaux demandent au juge des référés du Conseil d'Etat, statuant sur le fondement de l'article L. 521-2 du code de justice administrative, d'ordonner la suspension de l'exécution des articles 4, 5 et 6 de l'ordonnance n° 2020-1400 du 18 novembre 2020 portant adaptation des règles applicables aux juridictions de l'ordre judiciaire statuant en matière non pénale et aux copropriétés.

Ils soutiennent que :

- le litige relève de la compétence du Conseil d'Etat statuant en premier et dernier ressort ;

- ils justifient d'un intérêt pour agir ;

- la condition d'urgence est remplie dès lors que les mesures contestées, qui portent une atteinte grave à plusieurs libertés fondamentales, sont immédiatement applicables ;

- il est porté une atteinte grave et manifestement illégale aux droits de la défense, au droit à un procès équitable, au droit d'exercer un recours effectif, au principe de la collégialité et au principe d'égalité ;

- les mesures contestées ne répondent pas aux exigences de proportionnalité et de nécessité dès lors que les articles 4, 5 et 6 énoncent des facultés ouvertes soit au juge, soit au président de la juridiction sans que ceux-ci ne soient soumis ni à la nécessité de justifier ou d'invoquer un contexte contraignant, ni à une quelconque gradation ;

- l'ordonnance contestée est entachée d'incompétence négative dès lors qu'en déléguant discrétionnairement aux juridictions la faculté de déroger à des garanties fondamentales, le Gouvernement agissant par délégation du législateur n'a pas épuisé sa compétence ni assorti les exigences relatives aux droits de la défense et au droit à un procès équitable de garanties légales ;

- les dispositions de l'article 4 sont manifestement illégales en ce qu'elles permettent au président d'une juridiction de décider discrétionnairement que la juridiction statue à juge unique en première instance et en appel, sans limitation quant à la durée de la mesure et pour toutes les affaires relevant du contentieux civil, sans distinction ni selon la nature ou la complexité de l'affaire ni selon le contexte sanitaire de la juridiction saisie en termes d'effectifs ou de configuration de salles ;

- les dispositions de l'article 5 sont manifestement illégales en ce qu'elles prévoient la possibilité de recourir à tout moyen de communication électronique sans que les parties ne puissent s'y opposer ni même que son usage soit limité aux cas où il est impossible de recourir à une audience physique et où il est urgent de statuer ;

- les dispositions de l'article 6 sont manifestement illégales dès lors que, en premier lieu, elles prévoient la possibilité de recourir à la procédure sans audience, en deuxième lieu, le procédé d'information du recours à cette procédure " par tout moyen " ne permet nullement de s'assurer de sa bonne réception par les parties, en troisième lieu, la date faisant courir le délai de quinze jours permettant aux parties de s'opposer à la procédure sans audience n'étant pas identifiable, elle prive le recours de toute effectivité et, en dernier lieu, elles ne précisent pas la temporalité à laquelle l'avis de recours à la procédure sans audience est susceptible d'intervenir, ce qui laisse la possibilité qu'il soit adressé postérieurement à la clôture de l'affaire.

Par un mémoire en intervention, enregistré le 27 novembre 2020, le Conseil national des barreaux et l'Association des avocats conseils d'entreprises concluent à ce qu'il soit fait droit à la requête du Syndicat des avocats de France, du Syndicat de la magistrature et de l'Ordre des avocats du barreau de Bordeaux. Ils soutiennent que leur intervention est recevable et s'associent aux moyens de la requête.

Par un mémoire en défense, enregistré le 7 décembre 2020, le garde des sceaux, ministre de la justice conclut au rejet de la requête. Il soutient qu'aucune atteinte grave et manifestement illégale n'est portée aux libertés fondamentales invoquées.

La requête a été communiquée au Premier ministre, qui n'a pas produit d'observations.

II. Sous le n° 446981, par une requête et un nouveau mémoire, enregistrés les 27 novembre et 8 décembre 2020, le Conseil national des barreaux et l'Association des avocats conseils d'entreprises demandent au juge des référés du Conseil d'Etat, statuant sur le fondement de l'article L. 521-2 du code de justice administrative :

1°) d'ordonner la suspension de l'exécution des articles 4, 5 et 6 de l'ordonnance n° 2020-1400 du 18 novembre 2020 portant adaptation des règles applicables aux juridictions de l'ordre judiciaire statuant en matière non pénale et aux copropriétés ;

2°) d'enjoindre au Gouvernement d'abroger ces dispositions ;

3°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 4 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Ils soutiennent que :

- ils justifient d'un intérêt pour agir ;

- la condition d'urgence est remplie dès lors que l'ordonnance contestée porte une atteinte immédiate et injustifiée à plusieurs libertés fondamentales ;

- les dispositions des articles 4 et 5 et du 4ème alinéa de l'article 6 de l'ordonnance, par leur généralité et leur caractère systématique, l'absence de conditions de mise en oeuvre, l'exclusion de tout recours et le refus de distinction entre les contentieux, portent une atteinte grave et manifestement illégale au respect des droits de la défense, au droit d'exercer un recours effectif, au respect de la collégialité, au droit à un procès équitable ;

- l'article 4 permet en effet de juger toutes les affaires civiles, commerciales et sociales, en premier ressort et en appel, à juge unique, sans aucune considération pour la technicité de la matière ou pour les conséquences de la décision à intervenir sur la vie des parties ;

- l'article 5 permet un recours généralisé à la visioconférence, voire à des audiences par téléphone, ce qui emporte une dégradation considérable de la qualité des débats et est inacceptable ;

- l'ordonnance permet en outre une application cumulative des dispositions permettant qu'une affaire soit examinée par un juge unique et en visioconférence ;

- le 4ème alinéa de l'article 6 permet de recourir au téléphone pour entendre une personne hospitalisée sans son consentement.

Par un mémoire en intervention, enregistré le 1er décembre 2020, l'association Conférence des bâtonniers de France et d'outre-mer demande au juge des référés du Conseil d'Etat de faire droit aux conclusions du Syndicat des avocats de France et autres. Elle soutient que son intervention est recevable et s'associe aux moyens de la requête.

Par un mémoire en défense, enregistré le 7 décembre 2020, le garde des sceaux, ministre de la justice conclut au rejet de la requête. Il soutient qu'aucune atteinte grave et manifestement illégale n'est portée aux libertés fondamentales invoquées.

La requête a été communiquée au Premier ministre, qui n'a pas produit d'observations.

Après avoir convoqué à une audience publique, d'une part, le Syndicat des avocats de France, le Syndicat de la magistrature, l'Ordre des avocats du barreau de Bordeaux, le Conseil national des barreaux, l'Association des avocats conseils d'entreprises et l'association Conférence des bâtonniers de France et d'outre-mer, d'autre part, le Premier ministre et le garde des sceaux, ministre de la justice ;

Ont été entendus lors de l'audience publique du 9 décembre 2020, à 10 heures :

- Me A..., avocate au Conseil d'Etat et à la Cour de cassation, avocate du Syndicat des avocats de France, du Syndicat de la magistrature et de l'Ordre des avocats du barreau de Bordeaux ;

- le représentant du Syndicat des avocats de France ;

- Me Boré, avocat au Conseil d'Etat et à la Cour de cassation, avocat du Conseil national des barreaux, de l'Association des avocats conseils d'entreprises et de l'association Conférence des bâtonniers de France et d'outre-mer ;

- les représentants du garde des sceaux, ministre de la justice ;

à l'issue de laquelle le juge des référés a prolongé l'instruction jusqu'au 11 décembre à 18 heures.

Vu le nouveau mémoire, enregistré le 10 décembre 2020, présenté par le garde des sceaux, ministre de la justice ;

Vu le nouveau mémoire, enregistré le 11 décembre 2020, présenté par le Conseil national des barreaux et autre ;

Vu la note en délibéré, enregistrée le 13 décembre 2020, présentée par le Syndicat des avocats de France et autres ;

Vu les autres pièces des dossiers ;

Vu :

- la Constitution, et notamment son préambule ;

- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- le code de l'organisation judiciaire ;

- le code de la santé publique ;

- la loi n° 2020-290 du 23 mars 2020 ;

- la loi n° 2020-856 du 9 juillet 2020 ;

- la loi n° 2020-1379 du 14 novembre 2020 ;

- l'ordonnance n° 2020-1400 du 18 novembre 2020 ;

- le décret n° 2020-1257 du 14 octobre 2020 ;

- le code de justice administrative ;

Considérant ce qui suit :

1. Les requêtes visées ci-dessus, présentées sur le fondement de l'article L. 521-2 du code de justice administrative, sont dirigées contre les mêmes dispositions. Il y a lieu de les joindre pour statuer par une seule ordonnance.

2. Aux termes de l'article L. 521-2 du même code : " Saisi d'une demande en ce sens justifiée par l'urgence, le juge des référés peut ordonner toutes mesures nécessaires à la sauvegarde d'une liberté fondamentale à laquelle une personne morale de droit public ou un organisme de droit privé chargé de la gestion d'un service public aurait porté, dans l'exercice d'un de ses pouvoirs, une atteinte grave et manifestement illégale. Le juge des référés se prononce dans un délai de quarante-huit heures ".

Sur les interventions :

3. Le Conseil national des barreaux et l'Association des avocats conseils d'entreprises, justifient, par leur objet statutaire, d'un intérêt suffisant à la suspension de l'exécution de l'ordonnance contestée. Ainsi, leur intervention au soutien de la requête n° 446904 est recevable.

4. L'association Conférence des bâtonniers de France et d'outre-mer justifie, par son objet statutaire, d'un intérêt suffisant à la suspension de l'exécution de l'ordonnance contestée. Ainsi, son intervention au soutien de la requête n° 446981 est recevable.

Sur les circonstances et le cadre juridique du litige :

5. Aux termes de l'article L. 3131-12 du code de la santé publique, issu de la loi du 23 mars 2020 d'urgence pour faire face à l'épidémie de covid-19: " L'état d'urgence sanitaire peut être déclaré sur tout ou partie du territoire métropolitain ainsi que du territoire des collectivités régies par les articles 73 et 74 de la Constitution et de la Nouvelle-Calédonie en cas de catastrophe sanitaire mettant en péril, par sa nature et sa gravité, la santé de la population ". L'article L. 3131-13 du même code précise que " L'état d'urgence sanitaire est déclaré par décret en conseil des ministres pris sur le rapport du ministre chargé de la santé. (...) / La prorogation de l'état d'urgence sanitaire au-delà d'un mois ne peut être autorisée que par la loi, après avis du comité de scientifiques prévu à l'article L. 3131-19 ". En vertu de l'article L. 3131-15 du même code, " dans les circonscriptions territoriales où l'état d'urgence sanitaire est déclaré, le Premier ministre peut, par décret réglementaire pris sur le rapport du ministre chargé de la santé, aux seules fins de garantir la santé publique " prendre un certain nombre de mesures de restriction ou d'interdiction des déplacements, rassemblements sur la voie publique et réunions " strictement proportionnées aux risques sanitaires encourus et appropriées aux circonstances de temps et de lieu ".

6. L'émergence d'un nouveau coronavirus, responsable de la maladie à coronavirus 2019 ou covid-19 et particulièrement contagieux, a été qualifiée d'urgence de santé publique de portée internationale par l'Organisation mondiale de la santé le 30 janvier 2020, puis de pandémie le 11 mars 2020. La propagation du virus sur le territoire français a conduit le ministre des solidarités et de la santé puis le Premier ministre à prendre, à compter du 4 mars 2020, des mesures de plus en plus strictes destinées à réduire les risques de contagion. Pour faire face à l'aggravation de l'épidémie, la loi du 23 mars 2020 mentionnée ci-dessus a créé un régime d'état d'urgence sanitaire aux articles L. 3131-12 à L. 3131-20 du code de la santé publique et déclaré l'état d'urgence sanitaire pour une durée de deux mois à compter du 24 mars 2020. La loi du 11 mai 2020 prorogeant l'état d'urgence sanitaire et complétant ces dispositions, a prorogé cet état d'urgence sanitaire jusqu'au 10 juillet 2020 inclus. L'évolution de la situation sanitaire a conduit à un assouplissement des mesures prises et la loi du 9 juillet 2020 a organisé un régime de sortie de cet état d'urgence.

7. Une nouvelle progression de l'épidémie a conduit le Président de la République à prendre, sur le fondement des articles L. 3131-12 et L. 3131-13 du code de la santé publique, le décret du 14 octobre 2020 déclarant l'état d'urgence à compter du 17 octobre à 00 heure sur l'ensemble du territoire national. Le 29 octobre 2020, le Premier ministre a pris, sur le fondement de l'article L. 3131-15 du code de la santé publique, un décret prescrivant les mesures générales nécessaires pour faire face à l'épidémie de covid-19 dans le cadre de l'état d'urgence sanitaire. Le législateur, par l'article 1er de la loi du 14 novembre 2020 autorisant la prorogation de l'état d'urgence sanitaire et portant diverses mesures de gestion de la crise sanitaire, a prorogé cet état d'urgence sanitaire jusqu'au 16 février 2021 inclus.

8. Dans ce cadre, l'ordonnance en litige, en date du 18 novembre 2020, prise sur le fondement de l'habilitation prévue par les dispositions combinées de l'article 11 de la loi du 23 mars 2020 et de l'article 10 de la loi du 14 novembre 2020, a prévu diverses adaptations des règles applicables aux juridictions de l'ordre judiciaire statuant en matière non pénale.

Sur la demande en référé :

9. Les requérants, sur le fondement de l'article L. 521-2 du code de justice administrative, demandent au juge des référés du Conseil d'Etat de suspendre l'exécution des dispositions des articles 4, 5 et 6 de l'ordonnance attaquée. Ils soutiennent que ces dispositions portent une atteinte grave et manifestement illégale aux libertés fondamentales que constituent le droit à un recours effectif, les droits de la défense, le droit à un procès équitable, le principe de la collégialité de la procédure et le principe d'égalité devant la loi.

En ce qui concerne l'article 4 de l'ordonnance :

10. L'article 4 de l'ordonnance contestée prévoit que la juridiction peut, sur décision de son président, statuer à juge unique en première instance et en appel dans toutes les affaires qui lui sont soumises.

11. Cette disposition, applicable pour un temps limité, vise, dans le contexte particulier de la crise sanitaire liée à l'épidémie de covid-19, à concilier l'objectif de valeur constitutionnelle de protection de la santé, le principe constitutionnel de continuité du fonctionnement de la justice et le respect du droit des justiciables à ce que leur cause soit entendue dans un délai raisonnable, en permettant notamment d'éviter le report du jugement de certaines affaires. En outre, elle ne fait qu'ouvrir une faculté au président de la juridiction, auquel il appartient de n'y recourir que si la situation sanitaire constatée dans le ressort de la juridiction et les effectifs disponibles dans cette juridiction le justifient. Enfin cette disposition n'a pas pour effet de faire obstacle à l'application des dispositions de l'article L. 212-2 du code de l'organisation judiciaire qui prévoient que " Lorsqu'une affaire, compte tenu de l'objet du litige ou de la nature des questions à juger, est portée devant le tribunal judiciaire statuant à juge unique, le renvoi à la formation collégiale peut être décidé, d'office ou à la demande des parties ". En application de ces dispositions, il est loisible au juge de renvoyer, par simple mesure d'administration judiciaire, l'affaire à une formation collégiale, s'il l'estime justifié par l'enjeu ou la difficulté de l'affaire.

12. Il résulte de ce qui précède que cette disposition ne porte pas une atteinte grave et manifestement illégale au droit à un recours effectif et au droit à un procès équitable.

En ce qui concerne l'article 5 de l'ordonnance :

13. L'article 5 de l'ordonnance contestée prévoit que le juge, le président de la formation de jugement ou le juge des libertés et de la détention peut, par une décision non susceptible de recours, décider que l'audience ou l'audition se tiendra en utilisant un moyen de télécommunication audiovisuelle permettant de s'assurer de l'identité des personnes y participant et garantissant la qualité de la transmission et la confidentialité des échanges entre les parties et leurs avocats. Le deuxième alinéa ajoute qu'en cas d'impossibilité technique ou matérielle de recourir à un tel moyen, le juge peut, par décision insusceptible de recours, décider d'entendre les parties et leurs avocats, ou la personne à auditionner, par tout moyen de communication électronique, y compris téléphonique, permettant de s'assurer de leur identité et de garantir la qualité de la transmission et la confidentialité des échanges.

14. Ces dispositions élargissent le recours à la visioconférence, déjà possible, en droit commun, devant les juridictions civiles et commerciales, sur décision du président, d'office ou à la demande d'une partie, et avec le consentement de l'ensemble des parties, ainsi que, en application de dispositions spécifiques, devant le juge des libertés et de la détention en matière de contentieux des étrangers. L'article 5 permet de recourir à des moyens de télécommunication audiovisuelle devant les juridictions de l'ordre judiciaire statuant en matière non pénale sans qu'il soit nécessaire de recueillir l'accord des parties et sans que la communication intervienne exclusivement entre des salles d'audience situées au sein d'un palais de justice ou attribuées au ministère de la justice, les membres de la formation de jugement, le greffier, les parties, les personnes qui les assistent ou les représentants en vertu d'une habilitation légale ou d'un mandat, les techniciens et auxiliaires de justice ainsi que les personnes convoquées à l'audience ou à l'audition pouvant se trouver dans des lieux distincts. Il permet également, dans le cas où il serait techniquement ou matériellement impossible d'avoir recours à ces moyens, de recourir à des moyens de communication téléphonique.

15. Ces dispositions, applicables pour un temps limité, visent, dans le contexte sanitaire particulier résultant de l'épidémie de covid-19, à permettre une continuité de l'activité des juridictions judiciaires en s'adaptant aux contraintes qu'exige la lutte contre l'épidémie de covid-19, qui impose de limiter les occasions de contacts entre les personnes. En l'absence, lors de cette nouvelle période de confinement, de prorogation des délais et de l'effet de certaines mesures de protection, telles les mesures de tutelle, l'urgence impose en outre de statuer sans attendre l'issue de l'état d'urgence sanitaire, alors que certains justiciables particulièrement vulnérables à cette maladie se trouvent dans des lieux rendus inaccessibles, ou très difficilement accessibles, en raison des mesures de police sanitaire ou doivent, pour les mêmes motifs, être protégés de tout contact avec l'extérieur.

16. Les dispositions contestées se bornent à offrir une faculté au juge, au président de la formation de jugement ou au juge des libertés et de la détention, auquel il appartient de ne recourir que pour autant que certaines parties ou leurs conseils ou encore certains membres de la formation de jugement sont dans l'incapacité, pour des motifs liés à la crise sanitaire, d'être physiquement présents dans la salle de l'audience et que la nature et les enjeux de l'affaire n'y font pas obstacle. Le recours à des moyens téléphoniques n'est quant à lui possible qu'en cas d'impossibilité technique ou matérielle de recourir à des moyens de télécommunication audiovisuelle. Lorsqu'il décide de recourir à ces mesures, il incombe au juge, qui organise et conduit la procédure, de s'assurer que le moyen de communication utilisé permet de certifier l'identité des personnes et garantit la qualité de la transmission et la confidentialité des échanges. Il doit également s'assurer du bon déroulement des échanges entre les parties, du respect des droits de la défense et du caractère contradictoire des débats, un procès-verbal des opérations effectuées devant être dressé par le greffe. Le respect des droits de la défense implique, en particulier, que le dispositif retenu permette d'assurer la confidentialité des échanges entre l'avocat et son client. Alors même que ces dispositions n'imposent pas la présence physique de l'avocat aux côtés de son client, il n'en résulte pas une atteinte grave et manifestement illégale au droit à un procès équitable ou aux droits de la défense, la présence personnelle de l'avocat auprès du justiciable étant simplement aménagée par l'ordonnance de manière à être compatible avec les impératifs de distanciation sociale et de limitation des risques de contamination.

En ce qui concerne l'article 6 de l'ordonnance :

17. L'article 6 de l'ordonnance contestée permet au juge ou au président de la formation de jugement, lorsque la représentation par avocat est obligatoire ou que les parties sont représentées ou assistées par un avocat, de décider, à tout moment de la procédure, que la procédure se déroule selon la procédure sans audience. Les parties en sont informées par tout moyen et disposent, sauf en cas d'urgence, d'un délai de quinze jours pour s'opposer à la procédure sans audience. A défaut d'opposition, la procédure est exclusivement écrite. La communication entre les parties est faite par notification entre avocats.

18. Le 4ème alinéa de l'article 6 prévoit qu'en matière de soins psychiatriques sans consentement, la personne hospitalisée peut à tout moment demander à être entendue par le juge des libertés et de la détention. Cette audition peut être réalisée par tout moyen permettant de s'assurer de son identité et garantissant la qualité de la transmission et la confidentialité des échanges.

19. Ces dispositions visent à favoriser le maintien de l'activité des juridictions civiles, sociales et commerciales malgré les mesures d'urgence sanitaire prises pour lutter contre la propagation de l'épidémie de covid-19. La procédure sans audience ne s'applique qu'aux affaires pour lesquelles la mise en délibéré a été annoncée durant l'état d'urgence sanitaire déclaré par le décret du 14 octobre 2020 et prorogé dans les conditions prévues par l'article L. 3131-13 du code de la santé publique ou pendant le mois suivant sa cessation.

20. Par ailleurs ces dispositions ne sont applicables que lorsque les parties doivent être représentées par un avocat ou lorsqu'elles ont choisi d'être représentées ou assistées par un avocat. Elles se bornent à offrir une faculté au juge, auquel il appartient de n'y recourir que si la situation sanitaire constatée dans le ressort de la juridiction et les effectifs disponibles dans cette juridiction le justifient, et après s'être assuré, en fonction des circonstances propres à chaque espèce, qu'une audience n'est pas nécessaire pour garantir le caractère équitable de la procédure et les droits de la défense. Les parties peuvent s'y opposer dans tous les cas, dans un délai de quinze jours qui, en cas d'urgence, peut être réduit par le juge ou le président de la formation de jugement. Le délai d'opposition ouvert aux parties ne peut courir qu'à compter de la date de réception effective par elles de cette information, le juge ou le président de la formation de jugement devant les informer par tout moyen. En outre ces dispositions, qui prévoient que la communication entre les parties est faite par notification entre avocats, ne dérogent pas au principe du caractère contradictoire de la procédure.

21. Enfin, la faculté ouverte par le 4ème alinéa de l'article 6, pour les personnes faisant l'objet de soins psychiatriques hospitalisées sans leur consentement, de demander à être entendues à tout moment par le juge des libertés et de la détention leur est donnée alors même que la décision aurait été prise d'une procédure écrite sans audience, Afin de garantir l'effectivité de cette audition, quelles que soient les conditions sanitaires, cette audition ne peut être réalisée que par un moyen permettant de s'assurer de l'identité de la personne entendue et garantissant la qualité de la transmission et la confidentialité des échanges.

22. Il résulte de ce qui précède que ces dispositions ne portent pas une atteinte grave manifestement illégale au droit à un procès équitable et aux droits de la défense.

23. Il résulte de tout ce qui précède que les dispositions dont la suspension de l'exécution est demandée ne portent pas une atteinte grave et manifestement illégale aux libertés fondamentales invoquées par les requérants. Il y a lieu, dès lors, de rejeter les requêtes.

O R D O N N E :

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Article 1er: Les interventions du Conseil national des barreaux, de l'Association des avocats conseils d'entreprises et de l'association Conférence des bâtonniers de France et d'outre-mer sont admises.

Article 2 : Les requêtes du Syndicat des avocats de France et autres et du Conseil national des barreaux et autre sont rejetées.

Article 3 : La présente ordonnance sera notifiée au Syndicat des avocats de France, premier dénommé pour l'ensemble des requérants sous le n° 446904, au Conseil national des barreaux, premier dénommé pour les requérants sous le n°446981, à l'Association des avocats conseils d'entreprises, à l'association Conférence des bâtonniers d'outre-mer et au garde des sceaux, ministre de la justice.

Copie en sera adressée au Premier ministre


Synthèse
Formation : Juge des référés
Numéro d'arrêt : 446904
Date de la décision : 17/12/2020
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Autorisation

Publications
Proposition de citation : CE, 17 déc. 2020, n° 446904
Inédit au recueil Lebon

Composition du Tribunal
Avocat(s) : SCP BORE, SALVE DE BRUNETON, MEGRET ; SARL MEIER-BOURDEAU, LECUYER ET ASSOCIES

Origine de la décision
Date de l'import : 26/12/2020
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CE:2020:446904.20201217
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