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26/10/2020 | FRANCE | N°445302

France | France, Conseil d'État, Juge des référés, formation collégiale, 26 octobre 2020, 445302


Vu la procédure suivante :

Mme G... F... et M. B... F... ont demandé au juge des référés du tribunal administratif de Cergy-Pontoise, statuant sur le fondement de l'article L. 521-2 du code de justice administrative, d'une part, de suspendre l'exécution de la décision du 1er septembre 2020 de limitation des traitements et soins prodigués à Mme C... F... par l'hôpital Beaujon AP-HP ainsi que celle du 22 septembre 2020 de limitation des traitements et soins et, d'autre part, de prescrire une expertise médicale. Par une ordonnance n° 2009541 du 30 septembre 2020, le juge des rÃ

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Vu la procédure suivante :

Mme G... F... et M. B... F... ont demandé au juge des référés du tribunal administratif de Cergy-Pontoise, statuant sur le fondement de l'article L. 521-2 du code de justice administrative, d'une part, de suspendre l'exécution de la décision du 1er septembre 2020 de limitation des traitements et soins prodigués à Mme C... F... par l'hôpital Beaujon AP-HP ainsi que celle du 22 septembre 2020 de limitation des traitements et soins et, d'autre part, de prescrire une expertise médicale. Par une ordonnance n° 2009541 du 30 septembre 2020, le juge des référés du tribunal administratif de Cergy-Pontoise a dit n'y avoir pas lieu de statuer sur les conclusions dirigées contre la décision du 1er septembre 2020 et rejeté le surplus des conclusions de la demande.

Par une requête et un mémoire en réplique, enregistrés les 13 et 20 octobre 2020 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, Mme et M. F... demandent au juge des référés du Conseil d'Etat, statuant sur le fondement de l'article L. 521-2 du code de justice administrative :

1°) d'annuler cette ordonnance ;

2°) d'ordonner la suspension de l'exécution des décisions des 1er et 22 septembre 2020 ordonnant la limitation des traitements prodigués à Mme C... F... ;

3°) d'ordonner une expertise visant à déterminer si les décisions de limitation des traitements de Mme C... F... sont médicalement justifiées afin d'éviter une " obstination déraisonnable " au sens de l'article L. 1110-5-1 du code de la santé publique ;

4°) de désigner un expert médical oncologue, lequel pourra s'adjoindre les services d'un sapiteur infectiologue, aux fins de se prononcer, de façon indépendante, sur la reprise d'une thérapeutique active, après avoir, en présence des membres proches de sa famille, examiné le patient, effectué tout examen nécessaire, rencontré l'équipe médicale et le personnel soignant en charge de cette dernière et pris connaissance de l'ensemble de son dossier médical afin de donner au juge des référés toutes indications utiles, en l'état de la science, sur les perspectives d'évolution selon les thérapeutiques actives mises ou à mettre en oeuvre ;

5°) de mettre à la charge de l'hôpital Beaujon AP-HP le versement de la somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ainsi que les dépens de l'instance.

Ils soutiennent que :

- la condition d'urgence est remplie, dès lors que les décisions contestées de limitation des traitements sont susceptibles de porter une atteinte irrémédiable à la vie ;

- les décisions contestées portent une atteinte grave et manifestement illégale au droit à la vie, garanti par l'article 2 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et au droit à la santé, rappelé notamment par l'article L. 1110-1 du code de la santé publique ;

- le juge des référés du tribunal administratif ne pouvait considérer qu'il n'y avait pas lieu de statuer sur la décision du 1er septembre 2020 dès lors que celle-ci a été exécutée, notamment en tant que l'oxygène donné à Mme F... a été limité, malgré une importante désaturation, et que cette décision n'a pas fait l'objet d'un retrait, comme l'illustre notamment la décision du 22 septembre 2020, qui confirme et complète celle du 1er septembre 2020 ;

- la décision du 1er septembre 2020 est entachée d'irrégularité dès lors, en premier lieu, que les médecins de Mme F... n'ont recherché l'existence de directives anticipées de sa part qu'à compter du 21 septembre 2020, en deuxième lieu, que les personnes de confiance désignées n'ont pas été sollicitées avant que soit prise la première décision de limitation des traitements, mise en oeuvre dès le 1er septembre 2020, et n'avaient pas été informées avant cette date de la mise en oeuvre d'une procédure collégiale, en troisième lieu, qu'une formation collégiale ne pouvait prendre la décision contestée, seul le médecin du patient étant en mesure de le faire après la mise en oeuvre d'une procédure collégiale et, en dernier lieu, que l'exécution immédiate de cette décision, eu égard aux informations en leur possession, ne leur permettait pas d'exercer leur droit à un recours juridictionnel effectif ;

- la décision du 1er septembre 2020 de limitation des traitements de Mme C... F..., motivée par une septicémie trop grave et incontrôlée et un cancer évoluant de manière trop rapide, n'est pas justifiée dès lors que l'intéressée est toujours en vie et que l'on constate, en dépit de la limitation temporaire de ses traitements, une évolution favorable de la septicémie, la lenteur de l'évolution du cancer, l'absence de caractérisation d'une nouvelle infection, l'existence d'une stratégie curative possible, un contrôle des souffrances morales et physiques et l'absence de limitation de la qualité de vie relationnelle future ;

- les décisions prises lors des réunions éthiques des 4, 8 et 18 septembre 2020, retirées depuis lors, étaient manifestement illégales ;

- la décision du 22 septembre 2020 est illégale en ce qu'elle est confirmative d'une décision manifestement illégale et qu'elle a été prise par un autre médecin que celui de l'intéressée, le docteur Weiss n'étant intervenu auprès de celle-ci qu'à compter du 21 septembre 2020 ;

- la circonstance selon laquelle l'état de santé de Mme F... pourrait la rendre tributaire d'un mode de suppléance des fonctions vitales ne saurait caractériser, par elle-même, une situation dans laquelle la poursuite du traitement apparaîtrait injustifiée ;

- la poursuite des thérapeutiques actives ne saurait qualifier une obstination déraisonnable dès lors que, d'une part, les décisions contestées n'ont pas été prises pour ce motif et, d'autre part, la circonstance selon laquelle le pronostic vital est défavorable, d'ailleurs non avérée en l'espèce, ne suffit pas à motiver une limitation des traitements, eu égard notamment à l'absence de souffrance physique ou morale de l'intéressée ;

- la décision de limitation des traitements en date du 22 septembre 2020, confirmant celle du 1er septembre 2020 et l'aggravant par le non-renouvellement de l'antibiothérapie, est injustifiée en ce qu'elle a été prise en l'absence de réévaluation de l'évolution de son état de santé et malgré l'amélioration de celui-ci, alors que Mme F... ne présente pas d'infection nouvelle caractérisée, n'est plus sédatée depuis le 7 octobre 2020, que sa température et sa tension sont normales, que sa respiration est proche de la normale, qu'elle ne souffre pas, qu'elle prend un nombre limité de médicaments (antibiotique et sérum physiologique), que la lésion au poumon a une dimension constante, que le scanner réalisé le 6 octobre 2020 ne fait pas état de tumeurs, que les lésions cancéreuses sont stables et qu'une quatrième ligne de chimiothérapie est envisageable pour Mme F..., grâce au drainage réalisé le 9 octobre 2020.

Par un mémoire en défense, enregistré le 17 octobre 2020, l'Assistance publique - Hôpitaux de Paris conclut au rejet de la requête. Elle soutient qu'il n'y a pas lieu de statuer sur les conclusions tendant à la suspension de la décision du 1er septembre 2020, celle-ci n'ayant pas été mise en oeuvre et ayant été implicitement retirée et que la décision du 22 septembre 2020 ne porte aucune atteinte grave et manifestement illégale à une liberté fondamentale.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :

- la Constitution, notamment son Préambule ;

- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- le code civil ;

- le code de la santé publique ;

- la décision du Conseil constitutionnel n° 2017-632 QPC du 2 juin 2017 ;

- le code de justice administrative ;

Après avoir convoqué à une audience publique, d'une part, Mme et M. F... et, d'autre part, l'Assistance publique - Hôpitaux de Paris ;

Ont été entendus lors de l'audience publique du 21 octobre 2020, à 9 heures 30 :

- Me Descorps-Declère, avocat au Conseil d'Etat, avocat de Mme G... F... et de M. B... F... ;

- la représentante de Mme G... F... et de M. B... F... ;

- Mme G... F... ;

- M. B... F... ;

- les représentants de l'Assistance publique - Hôpitaux de Paris ;

à l'issue de laquelle le juge des référés a clos l'instruction ;

Vu la note en délibéré présentée le même jour par l'Assistance publique - Hôpitaux de Paris ;

Considérant ce qui suit :

1. Aux termes de l'article L. 521-2 du code de justice administrative : " Saisi d'une demande en ce sens justifiée par l'urgence, le juge des référés peut ordonner toutes mesures nécessaires à la sauvegarde d'une liberté fondamentale à laquelle une personne morale de droit public ou un organisme de droit privé chargé de la gestion d'un service public aurait porté, dans l'exercice d'un de ses pouvoirs, une atteinte grave et manifestement illégale (...) ". Le juge administratif des référés, saisi d'une demande en ce sens justifiée par une urgence particulière, peut ordonner toutes mesures nécessaires à la sauvegarde d'une liberté fondamentale à laquelle une autorité administrative aurait porté une atteinte grave et manifestement illégale. Ces dispositions législatives confèrent au juge des référés, qui statue, en vertu de l'article L. 511-1 du code de justice administrative, par des mesures qui présentent un caractère provisoire et le cas échéant en formation collégiale conformément à ce que prévoit le troisième alinéa de l'article L. 511-2 du code de justice administrative, le pouvoir de prendre, dans les délais les plus brefs et au regard de critères d'évidence, les mesures de sauvegarde nécessaires à la protection des libertés fondamentales.

2. Toutefois, il appartient au juge des référés d'exercer ses pouvoirs de manière particulière, lorsqu'il est saisi, comme en l'espèce, sur le fondement de l'article L. 521-2 du code de justice administrative, d'une décision, prise par un médecin, dans le cadre défini par le code de la santé publique, et conduisant à arrêter ou ne pas mettre en oeuvre, au titre du refus de l'obstination déraisonnable, un traitement qui apparaît inutile ou disproportionné ou sans autre effet que le seul maintien artificiel de la vie, dans la mesure où l'exécution de cette décision porterait de manière irréversible une atteinte à la vie. Il doit alors prendre les mesures de sauvegarde nécessaires pour faire obstacle à son exécution lorsque cette décision pourrait ne pas relever des hypothèses prévues par la loi, en procédant à la conciliation des libertés fondamentales en cause, que sont le droit au respect de la vie et le droit du patient de consentir à un traitement médical et de ne pas subir un traitement qui serait le résultat d'une obstination déraisonnable.

Sur le cadre juridique applicable au litige :

3. Aux termes de l'article L. 1110-1 du code la santé publique : " Le droit fondamental à la protection de la santé doit être mis en oeuvre par tous moyens disponibles au bénéfice de toute personne. (...) ". L'article L. 1110-2 de ce code dispose que : " La personne malade a droit au respect de sa dignité ".

4. Aux termes de l'article L. 1110-5 du même code : " Toute personne a, compte tenu de son état de santé et de l'urgence des interventions que celui-ci requiert, le droit de recevoir, sur l'ensemble du territoire, les traitements et les soins les plus appropriés et de bénéficier des thérapeutiques dont l'efficacité est reconnue et qui garantissent la meilleure sécurité sanitaire et le meilleur apaisement possible de la souffrance au regard des connaissances médicales avérées. Les actes de prévention, d'investigation ou de traitements et de soins ne doivent pas, en l'état des connaissances médicales, lui faire courir de risques disproportionnés par rapport au bénéfice escompté (...) ". Aux termes de l'article L. 1110-5-1 du même code : " Les actes mentionnés à l'article L. 1110-5 ne doivent pas être mis en oeuvre ou poursuivis lorsqu'ils résultent d'une obstination déraisonnable. Lorsqu'ils apparaissent inutiles, disproportionnés ou lorsqu'ils n'ont d'autre effet que le seul maintien artificiel de la vie, ils peuvent être suspendus ou ne pas être entrepris, conformément à la volonté du patient et, si ce dernier est hors d'état d'exprimer sa volonté, à l'issue d'une procédure collégiale définie par voie réglementaire (...) ". Aux termes de l'article L. 1111-4 du même code : " (...) Lorsque la personne est hors d'état d'exprimer sa volonté, la limitation ou l'arrêt de traitement susceptible d'entraîner son décès ne peut être réalisé sans avoir respecté la procédure collégiale mentionnée à l'article L. 1110-5-1 et les directives anticipées ou, à défaut, sans que la personne de confiance prévue à l'article L. 1111-6 ou, à défaut la famille ou les proches, aient été consultés. La décision motivée de limitation ou d'arrêt de traitement est inscrite dans le dossier médical (...) ". L'article R. 4127-37-2 du même code précise que : " (...) II. - Le médecin en charge du patient peut engager la procédure collégiale de sa propre initiative. (...) La personne de confiance ou, à défaut, la famille ou l'un des proches est informé, dès qu'elle a été prise, de la décision de mettre en oeuvre la procédure collégiale. / III. - La décision de limitation ou d'arrêt de traitement est prise par le médecin en charge du patient à l'issue de la procédure collégiale. Cette procédure collégiale prend la forme d'une concertation avec les membres présents de l'équipe de soins, si elle existe, et de l'avis motivé d'au moins un médecin, appelé en qualité de consultant. Il ne doit exister aucun lien de nature hiérarchique entre le médecin en charge du patient et le consultant. L'avis motivé d'un deuxième consultant est recueilli par ces médecins si l'un d'eux l'estime utile. / (...) / IV. - La décision de limitation ou d'arrêt de traitement est motivée. La personne de confiance, ou, à défaut, la famille, ou l'un des proches du patient est informé de la nature et des motifs de la décision de limitation ou d'arrêt de traitement. La volonté de limitation ou d'arrêt de traitement exprimée dans les directives anticipées ou, à défaut, le témoignage de la personne de confiance, ou de la famille ou de l'un des proches de la volonté exprimée par le patient, les avis recueillis et les motifs de la décision sont inscrits dans le dossier du patient ".

5. Il résulte de ces dispositions législatives, ainsi que de l'interprétation que le Conseil constitutionnel en a donnée dans sa décision n° 2017-632 QPC du 2 juin 2017, qu'il appartient au médecin en charge d'un patient hors d'état d'exprimer sa volonté d'arrêter ou de ne pas mettre en oeuvre, au titre du refus de l'obstination déraisonnable, les traitements qui apparaissent inutiles, disproportionnés ou sans autre effet que le seul maintien artificiel de la vie. En pareille hypothèse, le médecin ne peut prendre une telle décision qu'à l'issue d'une procédure collégiale, destinée à l'éclairer sur le respect des conditions légales et médicales d'un arrêt du traitement et, sauf dans les cas mentionnés au troisième alinéa de l'article L. 1111-11 du code de la santé publique, dans le respect des directives anticipées du patient ou, à défaut de telles directives, après consultation de la personne de confiance désignée par le patient ou, à défaut, de sa famille ou de ses proches, ainsi que, le cas échéant, de son ou ses tuteurs.

Sur les circonstances du litige :

6. Il résulte de l'instruction que Mme C... F..., âgée de 76 ans, est atteinte d'un cancer colique en stade terminal avec métastases au foie, pour laquelle elle est suivie à l'hôpital Beaujon depuis décembre 2017. Elle a fait l'objet dans cet hôpital, le 24 juin 2020, d'un traitement par électroporation pour deux lésions récidivantes métastasiques au foie. Le 11 juillet 2020, elle a été transférée au sein de l'unité de réanimation de l'hôpital Beaujon à la suite d'un saignement secondaire à un anévrisme de l'artère du foie, traité par embolisation dans un contexte de nécrose infectée. Deux jours plus tard, elle a présenté une insuffisance respiratoire aiguë qui a rendu nécessaire sa mise sous ventilation mécanique. Une insuffisance rénale aiguë sévère a, en outre, imposé le recours à une dialyse. Ces défaillances associées à une infection grave liée à des abcès hépatiques ont conduit à l'administration de catécholamines pour soutenir la tension et d'une antibiothérapie pendant quatre semaines. Le 3 août 2020, une trachéotomie a été réalisée à la suite de plusieurs échecs de sevrage ventilatoire. L'état général de Mme F..., notamment l'insuffisance rénale dont elle souffre, laquelle rend nécessaire la mise en place d'une dialyse chronique, a fait obstacle à ce que lui soit administrée la chimiothérapie qui aurait dû être faite au mois d'août pour compléter le traitement par électroporation effectué le 24 juin 2020. Le 27 août 2020, un cathéter de dialyse spécifique a été mis en place. Un nouvel épisode infectieux s'est déclenché à partir du 29 août et l'état de santé de l'intéressée a connu une très forte et rapide dégradation au plan respiratoire et septique. Un scanner a mis en évidence une récidive du cancer et un aspect de métastase pulmonaire du lobe supérieur gauche, ainsi qu'une pneumonie acquise sous ventilation mécanique. Mme F... a reçu un nouveau traitement antibiotique. Mais, dans la nuit du 31 août 2020, son état respiratoire s'est brutalement dégradé et a rendu nécessaire une sédation et une ventilation artificielle apportant 90 % d'oxygène.

7. Le 1er septembre 2020, une décision de limitation des traitements a été prise au vu de l'état de santé de la patiente, se fondant sur l'impasse thérapeutique quant au traitement de l'affection cancéreuse et sur la totale dépendance à la dialyse et au respirateur et retenant que la poursuite des traitements traduirait une obstination déraisonnable. Le 8 septembre 2020, pour répondre à la demande des enfants de Mme F... de pouvoir communiquer avec leur mère, la sédation a été interrompue et la dialyse reprise, mais la sédation a dû rapidement être reprise en raison de l'inconfort respiratoire de l'intéressée.

8. Le 21 septembre 2020, les enfants de Mme F... ont été informés de la mise en oeuvre de la procédure collégiale prévue par les dispositions du code de la santé publique et ont été entendus dans ce cadre. Le 22 septembre 2020, l'équipe de réanimation s'est réunie en présence d'un médecin extérieur, la professeure Dor de Lastours. Au cours de cette réunion collégiale, au vu de l'état de santé de la patiente, en phase terminale de cancer et sous complète dépendance mécanique s'agissant du fonctionnement des reins et des poumons, il a été estimé que la poursuite des traitements relèverait de l'obstination déraisonnable. Une limitation des traitements susceptibles d'être administrés à Mme F... a en conséquence été décidée.

9. Le 24 septembre 2020, Mme G... F... et M. B... F... ont saisi le juge des référés du tribunal administratif de Cergy-Pontoise d'une demande tenant à ce que les décisions de limitation des traitements des 1er et 22 septembre 2020 soient suspendues et à ce qu'une expertise médicale soit ordonnée. Par la présente requête, ils relèvent appel de l'ordonnance du 30 septembre 2020 par laquelle le juge des référés du tribunal administratif de Cergy-Pontoise a jugé qu'il n'y avait pas lieu de statuer sur la demande de suspension dirigée contre la décision du 1er septembre 2020 et a rejeté la demande de suspension formée contre celle du 22 septembre 2020.

Sur l'ordonnance attaquée en ce qu'elle porte sur les conclusions dirigées contre la décision de limitation des traitements du 1er septembre 2020 :

10. S'il résulte de l'instruction que la décision de limitation des traitements prise le 1er septembre 2020 a pu produire certains effets, en particulier pour ce qui concerne la proportion d'apport d'oxygène délivré à la patiente à la mi-septembre, cette décision du 1er septembre 2020 ne produisait plus d'effets à la date à laquelle le juge des référés du tribunal administratif a statué, dès lors qu'elle avait été remplacée par celle du 22 septembre 2020 prise à l'issue de la procédure collégiale conduite en application des dispositions du code de la santé publique. Dans ces conditions, les requérants ne sont pas fondés à se plaindre de ce que, par l'ordonnance attaquée du 30 septembre 2020, le juge des référés du tribunal administratif, saisi d'une demande tendant à ce que soient ordonnées des mesures de sauvegarde sur le fondement de l'article L. 521-2 du code de justice administrative, a retenu qu'il n'y avait plus lieu de statuer sur les conclusions de la demande tendant à la suspension de l'exécution de la décision du 1er septembre 2020.

Sur les conclusions relatives à la décision de limitation des traitements du 22 septembre 2020 :

En ce qui concerne la régularité de la procédure collégiale :

11. Il résulte de l'instruction que Mme C... F... n'a laissé aucune directive anticipée et que l'avis de ses enfants, personnes de confiance, a été recueilli avant que ne se tienne le 22 septembre 2020 une réunion collégiale en vue de la limitation des traitements. La réunion collégiale s'est tenue avec l'équipe de réanimation hépato-digestive, en présence du Dr Colle, référente oncologique de Mme F... ainsi que de la professeure Dor de Lastours, médecin du service de médecine interne, intervenant à titre de médecin extérieur. Il résulte également de l'instruction que le Dr Weiss, qui a pris à l'issue de cette réunion la décision de limitation des traitements contestée, est adjoint au chef du service de réanimation accueillant Mme F... et avait qualité, étant au nombre des médecins en charge de cette dernière, pour prendre la décision de limitation de traitements. Dans ces conditions, le moyen tiré de ce que la décision de limitation de traitements du 22 septembre 2020 aurait été adoptée en méconnaissance des dispositions du code de la santé publique régissant la procédure collégiale, notamment son article R. 4127-37-2, ne peut être retenu.

En ce qui concerne la caractérisation de l'obstination déraisonnable :

12. La décision du 22 septembre 2020 de limitation des traitements prévoit de ne pas procéder à une réanimation en cas d'arrêt cardio-respiratoire et qu'en cas de nouvelles défaillances il ne sera pas administré à la patiente des catécholamines ou une nouvelle antibiothérapie, qu'il ne sera pas procédé à des transfusions ou à des actes de chirurgie, non plus qu'à de nouveaux examens complémentaires ou bilans biologiques. Au titre des thérapeutiques en cours, cette décision fait en outre obstacle à la majoration de la ventilation mécanique et à ce que l'oxygène (FiO2) soit porté au-delà de 40%. La mise en oeuvre de cette décision a été suspendue dans l'attente de la décision du juge des référés du Conseil d'Etat.

13. Il résulte de l'instruction écrite et des débats lors de l'audience de référé que Mme C... F..., âgée de 76 ans, est atteinte d'un cancer colique en stade terminal avec métastases au foie, traité à l'hôpital Beaujon depuis décembre 2017 par des chimiothérapies accompagnées d'une chirurgie de résection colique réalisée lors d'un épisode occlusif. Dans le cadre du traitement de cette affection cancéreuse, elle a été admise le 24 juin 2020 à l'hôpital pour un traitement par électroporation de deux lésions récidivantes métastasiques au foie. Elle est en réanimation depuis le 11 juillet 2020 à la suite d'une forte dégradation de son état de santé du fait du déclenchement d'une infection. L'état de santé de Mme F..., en particulier l'insuffisance rénale définitive dont elle souffre, fait aujourd'hui obstacle au recours à la chimiothérapie, alors que l'opération du 24 juin aurait dû être suivie par une reprise de ce traitement. Son état de santé fait également obstacle à l'usage des techniques permettant de mesurer avec précision la rapidité de la progression de son cancer, qui est désormais incurable et dont la progression n'était contenue, avant la dernière hospitalisation, que par la chimiothérapie, chaque suspension de ce traitement entraînant des récidives locales. Un scanner thoraco-abdomino-pelvien réalisé le 6 octobre 2020 a, par ailleurs, révélé l'apparition d'une lésion pulmonaire suspecte ainsi que d'une dilatation des voies biliaires, explicable par la compression que causerait la tumeur et une nécrose. En outre, Mme F... a été victime de plusieurs infections graves depuis son hospitalisation le 24 juin 2020. Son état général est très dégradé après une longue période en réanimation. Il résulte de l'évolution de son état de santé, tel qu'il peut être apprécié à la date de la présente ordonnance, la défaillance de plusieurs organes vitaux, se traduisant par une insuffisance rénale imposant un recours définitif à la dialyse pour le reste de sa vie, par un dysfonctionnement hépatique ayant rendu nécessaire la pose d'un drainage biliaire externe qui ne pourra plus être retiré et par une insuffisance respiratoire sévère ayant conduit à la placer sous ventilation mécanique avec trachéotomie et sous sédation, les tentatives de retrait de la ventilation mécanique ayant échoué. Mme F... présente enfin des escarres, un symptôme de perte musculaire, une hypotension artérielle et des épisodes de fièvre, alors qu'elle est traitée par antibiothérapie à large spectre. Il résulte par ailleurs de l'instruction que trois autres hôpitaux d'Ile-de-France, sollicités par les enfants de Mme F..., ont refusé de la prendre en charge, estimant ne pas être mesure de lui apporter une meilleure prise en charge de ses pathologies.

14. Dans ces conditions, en l'état de la science médicale, et quand bien même la vitesse de progression du cancer de Mme F... ne pourrait être établie avec certitude, il résulte de ce qui précède, sans qu'il y ait lieu en l'espèce d'ordonner une expertise médicale, que les conditions mises par la loi pour que puisse être prise, par le médecin en charge de la patiente, une décision limitant des traitements n'ayant d'autre effet que le maintien artificiel de la vie et dont la poursuite traduirait ainsi une obstination déraisonnable au sens des dispositions de l'article L. 1110-5-1 du code de la santé publique peuvent être regardées comme réunies. Il s'ensuit que la décision du 22 septembre 2020 de limitation des traitements ne peut être tenue pour illégale. Mme G... F... et M. B... F... ne sont, dès lors, pas fondés à soutenir que c'est à tort que, par l'ordonnance attaquée, le juge des référés du tribunal administratif de Cergy-Pontoise a rejeté leur demande. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font alors obstacle à ce qu'une somme soit mise à la charge de l'Assistance publique - Hôpitaux de Paris au titre des frais exposés et non compris dans les dépens.

O R D O N N E :

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Article 1er : La requête présentée par Mme G... F... et M. B... F... est rejetée.

Article 2 : La présente ordonnance sera notifiée à Mme G... F..., à M. B... F... et à l'Assistance publique - Hôpitaux de Paris.

Délibéré à l'issue de la séance du 21 octobre 2020 où siégeaient : M. Jacques-Henri Stahl, président adjoint de la section du contentieux, présidant ; Mme A... H... et M. D... E..., conseillers d'Etat, juges des référés.


Synthèse
Formation : Juge des référés, formation collégiale
Numéro d'arrêt : 445302
Date de la décision : 26/10/2020
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Plein contentieux

Publications
Proposition de citation : CE, 26 oct. 2020, n° 445302
Inédit au recueil Lebon

Composition du Tribunal
Rapporteur ?: M. Jacques-Henri Stahl
Avocat(s) : DESCORPS-DECLÈRE

Origine de la décision
Date de l'import : 14/11/2020
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CE:2020:445302.20201026
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