Vu la procédure suivante :
Par une requête enregistrée le 16 juillet 2020 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, M. B... A... demande au Conseil d'Etat :
1°) d'annuler pour excès de pouvoir le paragraphe n° 70 des commentaires administratifs publiés le 1er avril 2014 au bulletin officiel des finances publiques (BOFiP) - impôts sous la référence BOI-RPPM-PVBMC-10 ;
2°) d'annuler pour excès de pouvoir le paragraphe n° 180 des commentaires administratifs publiés le 27 avril 2018 au même bulletin officiel des finances publiques (BOFiP) - impôts sous la référence BOI-RPPM-PVBMC-20-10 ;
3°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
- la Constitution, notamment son Préambule et son article 61-1 ;
- l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 ;
- le code général des impôts ;
- le code de justice administrative ;
Après avoir entendu en séance publique :
- le rapport de M. Guillaume de La Taille Lolainville, maître des requêtes,
- les conclusions de Mme Karin Ciavaldini, rapporteur public ;
Considérant ce qui suit :
1. M. A... demande l'annulation du paragraphe n° 70 des commentaires administratifs publiés le 1er avril 2014 au bulletin officiel des finances publiques (BOFiP) - impôts sous la référence BOI-RPPM-PVBMC-10 et du paragraphe n° 180 des commentaires administratifs publiés le 27 avril 2018 au même bulletin sous la référence BOI-RPPM-PVBMC-20-10, en tant qu'ils énoncent que les gains retirés de la cession d'objets précieux physiquement situés à la date de leur cession sur le territoire d'un Etat tiers à l'Union européenne sont imposées de plein droit à l'impôt sur le revenu par application du régime des plus-values sur biens meubles, sans qu'il soit possible pour le redevable de l'imposition d'opter pour l'application de la taxe forfaitaire prévue à l'article 150 VI pour les cessions d'objets précieux réalisées en France ou sur le territoire d'un autre Etat membre de l'Union européenne.
2. Aux termes du premier alinéa de l'article 23-5 de l'ordonnance du 7 novembre 1958 portant loi organique sur le Conseil constitutionnel : " Le moyen tiré de ce qu'une disposition législative porte atteinte aux droits et libertés garantis par la Constitution peut être soulevé (...) à l'occasion d'une instance devant le Conseil d'Etat (...) ". Il résulte des dispositions de ce même article que le Conseil constitutionnel est saisi de la question prioritaire de constitutionnalité à la triple condition que la disposition contestée soit applicable au litige ou à la procédure, qu'elle n'ait pas déjà été déclarée conforme à la Constitution dans les motifs et le dispositif d'une décision du Conseil constitutionnel, sauf changement des circonstances, et que la question soit nouvelle ou présente un caractère sérieux.
3. Aux termes du premier alinéa de l'article 4 A du code général des impôts : " Les personnes qui ont en France leur domicile fiscal sont passibles de l'impôt sur le revenu en raison de l'ensemble de leurs revenus. " Dans leur rédaction issue de l'article 68 de la loi n° 2005-1720 du 30 décembre 2005 de finances rectificative pour 2005, les dispositions du I de l'article 150 UA du même code prévoient que : " Sous réserve des dispositions de l'article 150 VI et de celles qui sont propres aux bénéfices industriels et commerciaux, aux bénéfices agricoles et aux bénéfices non commerciaux, les plus-values réalisées lors de la cession à titre onéreux de biens meubles ou de droits relatifs à ces biens, par des personnes physiques, domiciliées en France au sens de l'article 4 B, ou des sociétés ou groupements qui relèvent des articles 8 à 8 quinquies dont le siège est situé en France, sont passibles de l'impôt sur le revenu dans les conditions prévues aux articles 150 V à 150 VH (...) ".
4. En vertu du 2° du I et du II de l'article 150 VI du code général des impôts, dans sa rédaction issue de l'article 19 de la loi n° 2013-1278 du 29 décembre 2013 de finances pour 2014, applicable selon le III de cet article aux cessions et exportations réalisées à compter du 1er janvier 2014, sous réserve des dispositions propres aux bénéfices professionnels, les cessions à titre onéreux de bijoux, d'objets d'art, de collection ou d'antiquité, réalisées en France ou dans un autre Etat membre de l'Union européenne, ainsi que les exportations, autres que temporaires, hors du territoire des Etats membres de l'Union européenne, sont soumises à une taxe forfaitaire dans les conditions prévues aux articles 150 VJ à 150 VM.
5. Dans sa rédaction issue de ce même article 19 de la loi du 29 décembre 2013, l'article 150 VK du code général des impôts dispose que : " I. - La taxe est supportée par le vendeur ou l'exportateur. Elle est due, sous leur responsabilité, par l'intermédiaire établi fiscalement en France participant à la transaction ou, en l'absence d'intermédiaire, par l'acquéreur lorsque celui-ci est un assujetti à la taxe sur la valeur ajoutée établi en France ; dans les autres cas, elle est due par le vendeur ou l'exportateur. / II. - La taxe est égale : / (...) 2° A 6 % du prix de cession ou de la valeur en douane des biens mentionnés au 2° du I de l'article 150 VI. / III. - La taxe est exigible au moment de la cession ou de l'exportation. " L'article 150 VL du même code, dans sa même version, précise que : " Le vendeur ou l'exportateur peut opter pour le régime défini à l'article 150 UA à la condition de justifier de la date et du prix d'acquisition du bien ou de justifier que le bien est détenu depuis plus de vingt-deux ans. Dans ce cas, la taxe forfaitaire prévue à l'article 150 VI n'est pas due. "
6. Il résulte de ces dispositions que, lorsqu'un particulier domicilié en France cède, dans le cadre de la gestion de son patrimoine privé, des bijoux, des objets d'art, de collection ou d'antiquité physiquement situés, au jour de leur cession, en France ou sur le territoire d'un autre Etat membre de l'Union européenne, il est assujetti de plein droit à la taxe forfaitaire sur les objets précieux prévue à l'article 150 VI du code général des impôts, hormis le cas où il a opté pour une imposition à l'impôt sur le revenu selon le régime des plus-values sur biens meubles prévu à l'article 150 UA du même code. En revanche, lorsqu'au jour de leur cession, les objets précieux se situent physiquement sur le territoire d'un Etat tiers à l'Union européenne, ce même contribuable est imposé de plein droit à l'impôt sur le revenu selon le régime des plus-values sur biens meubles, sans possibilité d'option pour une imposition à la taxe forfaitaire sur les objets précieux.
7. Les dispositions combinées des articles 150 UA et 150 VI du code général des impôts sont applicables au litige. Elles n'ont pas déjà été déclarées conformes à la Constitution par le Conseil constitutionnel. Le moyen tiré par M. A... de ce que, en tant qu'elles conduisent pour des contribuables domiciliés en France à une différence de traitement selon la localisation physique de l'objet précieux à la date de sa cession, elles porteraient atteinte au principe d'égalité devant la loi qui résulte de l'article 6 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789, soulève une question présentant un caractère sérieux. Il y a lieu, dès lors, de renvoyer cette question au Conseil constitutionnel.
D E C I D E :
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Article 1er : La question de la conformité à la Constitution des dispositions combinées des articles 150 UA et 150 VI du code général des impôts en tant qu'elles prévoient que, cédant dans le cadre de la gestion de son patrimoine privé un objet précieux physiquement situé, au jour de la cession, sur le territoire d'un Etat tiers à l'Union européenne, un particulier domicilié en France est imposé de plein droit à l'impôt sur le revenu par application du régime des plus-values sur biens meubles, sans qu'il puisse demander à supporter, en lieu et place, la taxe forfaitaire sur les objets précieux, est renvoyée au Conseil constitutionnel.
Article 2 : Il est sursis à statuer sur la requête de M. A... jusqu'à ce que le Conseil constitutionnel ait tranché la question de constitutionnalité ainsi soulevée.
Article 3 : La présente décision sera notifiée à M. B... A..., au ministre de l'économie, des finances et de la relance et au Premier ministre.