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17/09/2020 | FRANCE | N°438417

France | France, Conseil d'État, 17 septembre 2020, 438417


Vu la procédure suivante :

M. D... B... a demandé au juge des référés du tribunal administratif de Melun, statuant sur le fondement de l'article L. 521-4 du code de justice administrative, de constater l'absence d'exécution de l'ordonnance n° 1909478 du juge des référés du tribunal administratif de Melun du 25 octobre 2019 et d'enjoindre à l'Office français de l'immigration et de l'intégration de lui accorder le bénéfice des conditions matérielles d'accueil, dans un délai de quarante-huit heures à compter de l'ordonnance à intervenir, sous astreinte de 500 euros par j

our de retard. Par une ordonnance n° 2000162 du 24 janvier 2020, le juge...

Vu la procédure suivante :

M. D... B... a demandé au juge des référés du tribunal administratif de Melun, statuant sur le fondement de l'article L. 521-4 du code de justice administrative, de constater l'absence d'exécution de l'ordonnance n° 1909478 du juge des référés du tribunal administratif de Melun du 25 octobre 2019 et d'enjoindre à l'Office français de l'immigration et de l'intégration de lui accorder le bénéfice des conditions matérielles d'accueil, dans un délai de quarante-huit heures à compter de l'ordonnance à intervenir, sous astreinte de 500 euros par jour de retard. Par une ordonnance n° 2000162 du 24 janvier 2020, le juge des référés du tribunal administratif de Melun a décidé qu'il n'y avait pas lieu de statuer sur cette requête.

Par une requête et un mémoire réplique, enregistrés les 11 et 16 février 2020 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, M. B... demande au juge des référés du Conseil d'Etat, statuant sur le fondement de l'article L. 521-4 du code de justice administrative :

1°) d'annuler cette ordonnance ;

2°) d'enjoindre à l'Office français de l'immigration et de l'intégration de lui accorder ainsi qu'à sa famille le bénéfice des conditions matérielles d'accueil, dans un délai de quarante-huit heures à compter de l'ordonnance à intervenir, sous astreinte de 1 000 euros par jour de retard ;

3°) de mettre à la charge de l'Office français de l'immigration et de l'intégration la somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Il soutient que :

- l'ordonnance attaquée est entachée d'une erreur de fait substantielle et, en tout état de cause, d'une méconnaissance du principe de la contradiction en ce qu'elle vise un mémoire en défense de l'Office français de l'immigration et de l'intégration qui n'a pas été produit ou, à tout le moins, ne lui a pas été communiqué ;

- la condition d'urgence est remplie dès lors qu'il a deux enfants en bas âge et ne perçoit plus l'allocation pour demandeur d'asile depuis le mois de janvier 2019 ;

- la non-exécution de l'ordonnance du juge des référés du tribunal administratif de Melun du 25 octobre 2019, devenue définitive, porte une atteinte grave et manifestement illégale à son droit d'asile ;

- l'Office français de l'immigration et de l'intégration ne saurait se prévaloir d'une erreur de saisie informatique pour justifier l'absence de versement de l'allocation pour demandeur d'asile dès lors que cette situation dure depuis plus d'un an.

Par un mémoire en défense, enregistré le 14 février 2020, l'Office français de l'immigration et de l'intégration conclut au rejet de la requête. Il soutient, d'une part, que la requête d'appel de M. B... ne peut qu'être rejetée dès lors que, par son ordonnance du 24 janvier 2020, le juge des référés a prononcé un non-lieu à statuer et, d'autre part, que le versement de l'allocation pour demandeur d'asile aura lieu le 5 mars prochain.

Vu les autres pièces des dossiers ;

Vu :

- la Constitution, notamment son Préambule ;

- la directive n° 2013/33/UE du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 établissant les normes pour l'accueil des personnes demandant la protection internationale ;

- le code de l'action sociale et des familles ;

- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- le code de justice administrative ;

Après avoir convoqué à une audience publique, d'une part, M. B..., d'autre part, l'Office français de l'immigration et de l'intégration ;

Vu l'audience publique du 17 février 2020 à 11 heures au cours de laquelle ont été entendus :

- Me Gury, avocat au Conseil d'Etat et à la Cour de cassation, avocat de M. B... ;

- la représentante de M. B... ;

- la représentante de l'Office français de l'immigration et de l'intégration ;

et à l'issue de laquelle le juge des référés a clos l'instruction ;

Considérant ce qui suit :

1. Aux termes de l'article L. 521-2 du code de justice administrative : " Saisi d'une demande en ce sens justifiée par l'urgence, le juge des référés peut ordonner toutes mesures nécessaires à la sauvegarde d'une liberté fondamentale à laquelle une personne morale de droit public ou un organisme de droit privé chargé de la gestion d'un service public aurait porté, dans l'exercice d'un de ses pouvoirs, une atteinte grave et manifestement illégale. Le juge des référés se prononce dans un délai de quarante-huit heures ". Aux termes de l'article L. 521-4 du même code : " Saisi par toute personne intéressée, le juge des référés peut, à tout moment, au vu d'un élément nouveau, modifier les mesures qu'il avait ordonnées ou y mettre fin ". Si l'exécution d'une ordonnance prise par le juge des référés, sur le fondement de l'article L. 521-2 du code de justice administrative, peut être recherchée dans les conditions définies par le livre IX du même code, et en particulier les articles L. 911-4 et L. 911-5, la personne intéressée peut également demander au juge des référés, sur le fondement de l'article L. 521-4 du même code, d'assurer l'exécution des mesures ordonnées demeurées sans effet par de nouvelles injonctions et une astreinte.

2. M. D... B..., ressortissant éthiopien né le 2 mai 1992, est entré en France début 2017 avec son épouse, Mme C... A..., également ressortissante éthiopienne née le 10 janvier 1993. Ils ont deux enfants, nés en 2017 et 2018. Ils ont a déposé une demande d'asile le 17 mars 2017 et accepté le même jour l'offre de prise en charge de l'Office français de l'immigration et de l'intégration (l'OFII). Ils ont perçu l'allocation pour demandeur d'asile de mars 2017 à décembre 2018. A compter de janvier 2019, l'OFII a cessé de verser cette allocation. M B... a saisi le juge des référés du tribunal administratif de Melun afin d'obtenir la suspension de la décision d'arrêt de ce versement et le rétablissement du bénéfice de l'allocation. Par une ordonnance n° 1909478 du 25 octobre 2019, devenue définitive, le juge des référés du tribunal administratif de Melun a suspendu l'exécution de la décision interrompant le versement de l'allocation pour demandeur d'asile au profit de M. B..., de Mme A... et de leurs enfants et enjoint à l'OFII de rétablir M. B..., Mme A... et leurs deux enfants au bénéfice de l'allocation pour demandeur d'asile dans un délai de 15 jours à compter de la notification de l'ordonnance. Faute que l'allocation lui ait été versée, par une requête enregistrée sous le n° 1910782 du 3 décembre 2019, M. B... a demandé au juge des référés du tribunal administratif de Melun, statuant sur le fondement de l'article L. 521-4 du code de justice administrative, de constater l'absence d'exécution de l'ordonnance du 25 octobre 2019 et d'enjoindre à l'OFII de lui accorder le bénéfice des conditions matérielles d'accueil, dans un délai de trois jours à compter de l'ordonnance à intervenir, sous astreinte de 150 euros par jour de retard. Par une ordonnance du 20 décembre 2019, le juge des référés a décidé qu'il n'y avait plus lieu de statuer sur cette requête. Par une requête enregistrée sous le n° 2000162 du 7 janvier 2020, M. B... a demandé au juge des référés du tribunal administratif de Melun, statuant sur le fondement de l'article L. 521-4 du code de justice administrative, de constater l'absence d'exécution de l'ordonnance du 25 octobre 2019 et d'enjoindre à l'OFII de lui accorder le bénéfice des conditions matérielles d'accueil, dans un délai de quarante-huit heures à compter de l'ordonnance à intervenir, sous astreinte de 500 euros par jour de retard. Par une ordonnance du 24 janvier 2020, dont M. B... relève appel, le juge des référés a décidé qu'il n'y avait pas lieu de statuer sur cette requête.

Sur l'exception d'irrecevabilité soulevée en défense par l'OFII :

3. L'OFII soutient que lorsqu'une ordonnance du juge des référés statuant sur le fondement de l'article L. 521-4 du code de justice administrative n'a, en première instance, ordonné aucune mesure, l'appel à son encontre est irrecevable. Mais si une action sur le fondement de l'article L. 521-4, destinée par nature à modifier le dispositif d'une ordonnance de référé, est en effet irrecevable lorsque le juge n'a ordonné aucune mesure, son refus n'étant alors critiquable que par voie d'appel ou de cassation, il n'en va à l'évidence pas ainsi lorsqu'une ordonnance refusant sur le fondement de l'article L. 521-4 de faire droit à une demande fait l'objet d'un appel contestant ce refus, dont la recevabilité ne dépend alors pas du sens du dispositif de la décision du premier juge. L'exception d'irrecevabilité soulevée en défense par l'OFII ne peut donc qu'être écartée.

Sur la régularité de l'ordonnance attaquée :

4. Pour estimer qu'il n'y avait pas lieu de statuer sur la requête de M. B..., le juge des référés du tribunal administratif de Melun s'est fondé sur ce que l'instruction lui avait permis d'établir que, contrairement aux allégations du requérant, l'allocation allait lui être versée en janvier 2020. Les visas de son ordonnance mentionnent, pour justifier de cette référence au résultat de l'instruction, un mémoire produit par l'OFII le 19 décembre 2019. Or, il n'est pas contesté par l'OFII, qui l'a expressément confirmé durant l'audience d'appel, que ce mémoire n'a jamais été communiqué à M. B.... L'OFII a également expressément confirmé durant l'audience d'appel n'avoir, en réalité, produit aucun mémoire en première instance. L'OFII a enfin expressément confirmé lors de l'audience d'appel que les versements d'allocation en janvier avaient été opérés le 5 janvier au plus tard, rendant impossible que, comme l'énonçait l'ordonnance attaquée, un versement intervienne en janvier 2020. Rendue en méconnaissance des droits de la défense et du caractère contradictoire de la procédure, sur le fondement d'un mémoire qui n'a pas été produit et reposant au surplus sur une erreur de fait, l'ordonnance attaquée est entachée de vices de procédure. M B... est donc fondé à en demander l'annulation.

5. L'affaire étant en l'état, il y a lieu d'évoquer et de statuer immédiatement sur la requête de M. B....

Sur la requête de M. B... :

6. Il n'est pas contesté qu'à la date de la présente ordonnance, le versement de l'allocation n'a toujours pas été rétabli, en méconnaissance de l'ordonnance du juge des référés du tribunal administratif de Melun. Cette circonstance constitue un fait nouveau au sens et pour l'application de l'article L. 521-4 du code de justice administrative.

7. Pour justifier de la persistance de cet état de fait, l'OFII indique que des erreurs de saisie informatique ont empêché la mise en paiement de l'allocation. Interrogé sur ce point lors de l'audience, l'OFII a indiqué ne voir aucune objection au rétablissement des droits de M. B..., c'est-à-dire au versement de l'allocation dans les conditions initialement prévues par l'ordonnance du 25 octobre 2019. Toutefois, interrogé sur le montant qui serait effectivement versé à l'issue du prochain " calcul national ", devant être opéré le 18 février, pour une mise en paiement le 5 mars, l'OFII a indiqué d'une part qu'il ne verserait pas le montant des arriérés dus, mais seulement celui d'un mois d'allocation, et, d'autre part, qu'il entendait, pour des motifs qui n'ont pas été explicités, procéder par ailleurs au recouvrement d'une somme de 3600 euros, présentés comme correspondant à un trop perçu d'allocation par M. B.... Cette somme n'a fait l'objet d'aucune procédure de recouvrement, ni de l'émission d'aucun titre. Il en est fait état pour la première fois, après trois procédures devant le tribunal administratif de Melun, et sous la forme de simples déclarations orales se rapportant à un tableau émanant d'une direction informatique de l'OFII. Il apparait donc que l'OFII ne s'est nullement mis en mesure de procéder au paiement ordonné, dont il ne conteste pourtant pas le bien fondé, et n'entend pas procéder à la bonne exécution de l'ordonnance du 25 octobre 2019 qui exigeait le rétablissement du paiement dans les meilleurs délais, qu'elle fixait à quinze jours après son prononcé, de sorte que sa parfaite exécution demanderait aujourd'hui le paiement des sommes dues depuis cette date lors de l'échéance du 5 mars.

8. Dès lors qu'il résulte de ce qui précède qu'il ne peut être ajouté foi aux affirmations de l'OFII dans son mémoire en défense quant à sa volonté d'exécuter l'ordonnance du 25 octobre 2019, il y a lieu de faire droit à la demande de M. B... d'assortir le dispositif de l'ordonnance du 25 octobre 2019 d'une astreinte, dont le montant sera fixé à 50 euros par jour de retard à compter du 5 mars 2020, date à laquelle l'ensemble des sommes dues depuis l'ordonnance du 25 octobre 2019 devront avoir été versées, et à partir de laquelle le versement régulier de l'allocation devra être repris, sous réserve des évolutions ultérieures de la situation de M. B... et de ses droits.

Sur les conclusions tendant à l'application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :

9. En application des dispositions de cet article, il y a lieu de mettre à la charge de l'OFII la somme de 3 000 euros réclamée par M. B..., au titre des frais exposés par lui et non compris dans les dépens.

O R D O N N E :

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Article 1er : L'ordonnance du juge des référés du tribunal administratif de Melun du 24 janvier 2020 est annulée.

Article 2 : Une astreinte est prononcée à l'encontre de l'Office français de l'immigration et de l'intégration, s'il ne justifie pas avoir exécuté l'ordonnance du juge des référés du tribunal administratif de Melun n° 1909478 du 25 octobre 2019. Le taux de cette astreinte est fixé à 50 euros par jour, à compter du 5 mars 2020.

Article 3 : L'Office français de l'immigration et de l'intégration versera la somme de 3 000 euros à M. B... au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 4 : La présente ordonnance sera notifiée à M. B... et à l'Office français de l'immigration et de l'intégration.


Synthèse
Numéro d'arrêt : 438417
Date de la décision : 17/09/2020
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Plein contentieux

Publications
Proposition de citation : CE, 17 sep. 2020, n° 438417
Inédit au recueil Lebon

Composition du Tribunal
Avocat(s) : SCP SPINOSI, SUREAU

Origine de la décision
Date de l'import : 26/09/2020
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CE:2020:438417.20200917
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