La jurisprudence francophone des Cours suprêmes


recherche avancée

15/05/2020 | FRANCE | N°440382

France | France, Conseil d'État, 15 mai 2020, 440382


Vu la procédure suivante :

Mme A... E... et M. D... C... ont demandé au juge des référés du tribunal administratif de Paris, statuant sur le fondement de l'article L. 521-2 du code de justice administrative, d'enjoindre au ministre des affaires étrangères et à l'ambassadeur de France en Ukraine de solliciter des autorités ukrainiennes une dérogation leur permettant d'entrer sur le territoire ukrainien pour récupérer leur fille B.... Par une ordonnance n° 2006728 du 30 avril 2020, le juge des référés du tribunal administratif de Paris a rejeté leur demande.

Par u

ne requête, un mémoire complémentaire et un mémoire en réplique, enregistrés...

Vu la procédure suivante :

Mme A... E... et M. D... C... ont demandé au juge des référés du tribunal administratif de Paris, statuant sur le fondement de l'article L. 521-2 du code de justice administrative, d'enjoindre au ministre des affaires étrangères et à l'ambassadeur de France en Ukraine de solliciter des autorités ukrainiennes une dérogation leur permettant d'entrer sur le territoire ukrainien pour récupérer leur fille B.... Par une ordonnance n° 2006728 du 30 avril 2020, le juge des référés du tribunal administratif de Paris a rejeté leur demande.

Par une requête, un mémoire complémentaire et un mémoire en réplique, enregistrés les 4, 6 et 12 mai 2020 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, Mme E... et M. C... demandent au juge des référés du Conseil d'Etat, statuant sur le fondement de l'article L. 521-2 du code de justice administrative :

1°) d'annuler cette ordonnance ;

2°) de faire droit à leurs conclusions de première instance ;

3°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 3 000 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Ils soutiennent que :

- le juge des référés du tribunal administratif de Paris a entaché son ordonnance d'irrégularité dès lors que la décision par laquelle l'ambassadeur de France à Kiev a refusé d'intervenir en leur faveur en sollicitant la possibilité de déroger aux règles de circulation déterminées provisoirement par les autorités ukrainiennes constitue un acte détachable de la conduite des relations diplomatiques de la France et susceptible par suite, d'être porté devant la juridiction administrative ;

- la condition d'urgence est remplie dès lors que, en premier lieu, en l'absence d'acte de naissance, qui ne peut résulter que d'une déclaration effectuée sur place par les parents d'intention en application du droit ukrainien, l'enfant B..., née le 21 avril 2020, n'a pas d'existence légale et ne peut être prise légalement en charge par personne, en deuxième lieu, la situation matérielle de l'enfant est précaire et, en dernier lieu, l'enfant est atteinte d'un hématome céphalique pouvant résulter de négligence de la part de la clinique et nécessitant des soins ;

- il est porté une atteinte grave et manifestement illégale au droit au respect de la vie privée, rappelé notamment à l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, à l'intérêt supérieur de l'enfant, au droit à un nom, d'acquérir une nationalité, de connaître ses parents et d'être élevé par eux, rappelés notamment à l'article 7 de la convention internationale des droits de l'enfant, ainsi qu'à la liberté d'aller et venir ;

- le refus qui leur a été opposé par le ministre français en charge des affaires étrangères porte une atteinte grave et manifestement illégale au droit au respect de la vie privée, dès lors qu'il les prive de la possibilité de retrouver leur fille dont ils sont reconnus seuls parents, en application de l'article 123 du code de la famille ukrainien ;

- ce refus ne peut être justifié en application de la législation française, en ce que celle-ci méconnaît le droit au respect de la vie privée et familiale et doit être écartée en vertu de l'article 55 de la Constitution ;

- il porte une atteinte grave et manifestement illégale à l'intérêt supérieur de l'enfant, en ce qu'ils sont les seuls à pouvoir être considérés légalement comme les parents de l'enfant B..., celle-ci se retrouvant dès lors éloignée de toute personne ayant sur elle une autorité légale et de toute possibilité de déclaration à l'état civil, les parents d'intention étant les seuls en mesure de procéder à ladite déclaration ;

- il porte une atteinte grave et manifestement illégale aux droits rappelés à l'article 7 de la convention internationale des droits de l'enfant dès lors qu'il prive l'enfant B... de la possibilité de connaître ses parents et d'être enregistrée ;

- il porte une atteinte grave et manifestement illégale à la liberté d'aller et venir, en ce qu'il leur interdit de quitter le territoire français pour se rendre en Ukraine ;

- la position française eu égard à la gestion pour autrui ne justifie pas le refus de prêter assistance à l'enfant B... qui ne saurait être regardée comme responsable des conditions de sa conception et, par suite, ne saurait justifier l'atteinte à ses droits ;

Par mémoire en défense, enregistré le 11 mai 2020, le ministre de l'Europe et des affaires étrangères conclut au rejet de la requête. Il soutient, d'une part, que les autorités françaises et la juridiction administrative ne sont pas compétentes, dès lors qu'une demande auprès des autorités ukrainiennes n'est pas dépourvue d'enjeux diplomatiques et n'est pas détachable de l'exercice des pouvoirs du gouvernement dans la conduite des relations diplomatiques et, d'autre part, qu'il n'est porté aucune atteinte grave et manifestement illégale à une liberté fondamentale et que les requérants ne justifient pas d'une situation d'urgence au titre de l'article L. 521-2 du code de justice administrative.

La requête a été communiquée au Premier ministre, qui n'a pas produit d'observations.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :

- la Constitution, et notamment son Préambule ;

- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- la convention internationale des droits de l'enfant signée à New-York le 26 janvier 1990 ;

- la loi n° 2020-290 du 23 mars 2020 ;

- l'ordonnance n° 2020-305 du 25 mars 2020 ;

- le code de justice administrative ;

Les parties ont été informées, sur le fondement de l'article 9 de l'ordonnance du 25 mars 2020 portant adaptation des règles applicables devant les juridictions de l'ordre administratif, de ce qu'aucune audience ne se tiendrait et de ce que la clôture de l'instruction serait fixée le 13 mai 2020 à 12 heures.

Considérant ce qui suit :

1. Aux termes de l'article L. 521-2 du même code : " Saisi d'une demande en ce sens justifiée par l'urgence, le juge des référés peut ordonner toutes mesures nécessaires à la sauvegarde d'une liberté fondamentale à laquelle une personne morale de droit public ou un organisme de droit privé chargé de la gestion d'un service public aurait porté, dans l'exercice d'un de ses pouvoirs, une atteinte grave et manifestement illégale. Le juge des référés se prononce dans un délai de quarante-huit heures ".

2. Mme A... E... et M. D... C... ont signé le 23 mai 2019 un contrat de prestation de services juridiques et médicaux pour la réalisation d'un programme de gestation pour autrui en Ukraine. Suite à l'implantation d'un embryon obtenu à partir des gamètes de M. C... et d'un don d'ovocyte, la femme porteuse a donné naissance le 21 avril 2020 à l'enfant B.... Les 8, 21 et 24 avril 2020, Mme E... et M. C... ont sollicité l'ambassade de France en Ukraine afin d'obtenir une autorisation de se rendre en Ukraine pour assister à la naissance de l'enfant et la ramener en France. Les services de l'ambassade de France leur ont répondu en leur rappelant les règles de restriction de l'entrée des étrangers prises par les autorités ukrainiennes en raison de l'épidémie de covid-19 et en leur indiquant qu'il n'était pas possible d'envisager une dérogation aux règles prises par l'Ukraine, les mesures de santé publique instituées et destinées à limiter la mobilité de ressortissants nationaux et étrangers relevant des missions d'un Etat souverain et du champ de l'ordre public. Par une ordonnance du 30 avril 2020, le juge des référés du tribunal administratif de Paris, statuant sur le fondement de l'article L. 521-2 du code de justice administrative, a rejeté leur demande tendant à ce qu'il soit enjoint au ministre des affaires étrangères et à l'ambassadeur de France en Ukraine de solliciter des autorités ukrainiennes une dérogation leur permettant d'entrer sur le territoire ukrainien pour chercher la petite B... au motif que la juridiction administrative n'était pas compétente pour statuer sur un acte de gouvernement. Mme E... et M. C... relèvent appel de cette ordonnance.

3. Les autorités ukrainiennes sont seules compétentes pour fixer les règles d'entrée sur leur territoire. Il ressort des consignes du ministre ukrainien des affaires étrangères, publiées sur le site de l'ambassade de France à Kiev, qu'à compter du 14 mars 2020, l'Ukraine a limité temporairement le franchissement des frontières nationales afin d'empêcher la propagation du virus covid-19 et que les étrangers n'ayant pas le droit à une résidence permanente ou temporaire en Ukraine ne sont pas autorisés à entrer dans le pays à l'exception de certaines catégories de personnes précisément définies. Il est également indiqué que des exceptions sont prévues pour certains groupes d'étrangers et que la décision concernant leur admission sera prise par le ministère ukrainien des affaires étrangères en liaison avec le service national des gardes-frontières de l'Ukraine. Si les requérants soutiennent que des dérogations ne peuvent être accordées par les autorités ukrainiennes que si les autorités diplomatiques de l'Etat dont le demandeur est ressortissant en formulent la demande au moyen d'une note verbale et s'ils demandent précisément à l'ambassadeur de France à Kiev et au ministre français des affaires étrangères d'intervenir en leur faveur aux fins de solliciter la possibilité de déroger aux règles de circulation déterminées provisoirement par les autorités ukrainiennes, l'intervention demandée ne saurait, contrairement à ce qui est allégué, être regardée comme une simple démarche administrative et n'est pas détachable de l'exercice des pouvoirs du Gouvernement dans la conduite des relations diplomatiques. Par suite la requête soulève des questions qui ne sont pas susceptibles, par leur nature, d'être portées devant la juridiction administrative.

4. Il résulte de ce qui précède que la requête de Mme E... et de M. C... ne peut en tout état de cause qu'être rejetée.

O R D O N N E :

------------------

Article 1er : La requête de Mme E... et de M. C... est rejetée.

Article 2 : La présente ordonnance sera notifiée à Mme A... E..., à M. D... C... et au ministre de l'Europe et des affaires étrangères.

Copie en sera adressée au Premier ministre.


Synthèse
Numéro d'arrêt : 440382
Date de la décision : 15/05/2020
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Plein contentieux

Publications
Proposition de citation : CE, 15 mai. 2020, n° 440382
Inédit au recueil Lebon

Composition du Tribunal
Avocat(s) : SCP COLIN-STOCLET

Origine de la décision
Date de l'import : 02/06/2020
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CE:2020:440382.20200515
Association des cours judiciaires suprmes francophones
Organisation internationale de la francophonie
Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie. Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie.
Logo iall 2012 website award