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22/04/2020 | FRANCE | N°440056

France | France, Conseil d'État, 22 avril 2020, 440056


Vu la procédure suivante :

M. B... A... a demandé au juge des référés du tribunal administratif de Rouen, statuant sur le fondement de l'article L. 521-2 du code de justice administrative, d'enjoindre à l'administration pénitentiaire et aux autorités sanitaires compétentes, sans délai et sous astreinte de 1 000 euros par jour de retard à compter de la notification de l'ordonnance, de mettre en oeuvre toutes mesures qu'elles estimeront utiles afin de faire cesser les atteintes graves et manifestement illégales portées à ses libertés fondamentales pendant l'épidémie du vi

rus covid-19, et notamment de :

- lui distribuer des masques et gels...

Vu la procédure suivante :

M. B... A... a demandé au juge des référés du tribunal administratif de Rouen, statuant sur le fondement de l'article L. 521-2 du code de justice administrative, d'enjoindre à l'administration pénitentiaire et aux autorités sanitaires compétentes, sans délai et sous astreinte de 1 000 euros par jour de retard à compter de la notification de l'ordonnance, de mettre en oeuvre toutes mesures qu'elles estimeront utiles afin de faire cesser les atteintes graves et manifestement illégales portées à ses libertés fondamentales pendant l'épidémie du virus covid-19, et notamment de :

- lui distribuer des masques et gels hydroalcooliques en quantité suffisante, et dans l'attente lui fournir les moyens et matériaux nécessaires à la confection de masques " grand public " ou " alternatifs " ;

- garantir un nettoyage régulier et renforcé de l'ensemble de l'établissement en particulier concernant les points de contact propices à la transmission du virus entre détenus mais aussi avec le personnel pénitentiaire ;

- mettre en place des dépistages systématiques du covid-19 auprès des détenus, à tout le moins au sein de la maison d'arrêt de Rouen, de chaque nouveau détenu et des autres personnes entrant dans l'établissement ;

- communiquer le plan de mesures prévues en cas de diffusion rapide de l'épidémie au sein de la maison d'arrêt de Rouen ou, en l'absence d'un tel plan, prévoir une série de plans au niveau de l'établissement, en concertation avec les autorités et établissements sanitaires locaux ainsi qu'avec toute autre autorité publique compétente au niveau local ;

- assurer le lavage des draps avec la régularité indispensable aux conditions minimales d'hygiène ;

- assurer le nettoyage régulier du linge personnel des détenus ;

- fournir du savon en quantité suffisante aux détenus ;

- garantir la mise en place de modalités de service des repas adaptées à la situation sanitaire ;

- prévoir que le recours aux fouilles, durant la période de crise sanitaire, doit être particulièrement exceptionnel et accompli en conformité avec les gestes barrières et la distanciation sociale adéquate.

Par une ordonnance n° 2001313 du 9 avril 2020, le juge des référés du tribunal administratif de Rouen a rejeté sa demande.

Par une requête et des mémoires complémentaires, enregistrés les 10, 14, 16, 17 et 20 avril 2020 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, M. A... demande au juge des référés du Conseil d'Etat, statuant sur le fondement de l'article L. 521-2 du code de justice administrative :

1°) de l'admettre au bénéfice de l'aide juridictionnelle, à titre provisoire ;

2°) d'annuler cette ordonnance ;

3°) de faire droit à ses demandes de première instance ;

4°) d'enjoindre en outre aux autorités compétentes de :

- le soumettre à un test de dépistage du covid-19 ;

- décider son encellulement individuel, si sa situation psychiatrique le permet ou, à défaut, en premier lieu, tester son ou ses codétenus afin de vérifier s'ils ne sont pas asymptomatiques, lui donner ainsi qu'à ses codétenus des masques et du gel hydroalcoolique en quantité suffisante et organiser des tours de ronde la nuit pour vérifier son état de santé et, en second lieu, limiter strictement le nombre de personnes partageant sa cellule à une seule personne ;

- en tout état de cause, vérifier que le bouton d'alarme de sa cellule est en état normal de fonctionnement ;

- lui donner un thermomètre aux fins de surveiller sa température régulièrement ;

- procéder à une consultation médicale quotidienne par un médecin de la maison d'arrêt, à tout le moins à un suivi médical accentué aux fins de vérifier l'apparition de symptômes ;

- veiller à ce que le groupe de détenus créé par l'administration pénitentiaire aux fins de limiter les risques de contamination, mais amené à entrer en contact avec lui, soit muni de masques en nombre suffisant, de gel hydroalcoolique en quantité suffisante, et soit testé ;

- interdire les fouilles avec contact pour l'ensemble de ce groupe et ne plus le soumettre à des fouilles intégrales ou par palpation ;

- lui fournir, ainsi qu'à son codétenu, des produits supplémentaires pour assurer un nettoyage intensif et fréquent des toilettes qu'ils partagent, et plus largement de l'ensemble de leur cellule ;

- procéder au nettoyage plus fréquent du linge personnel de ses draps et de ceux de son codétenu ;

- le doter de gants et d'une solution nettoyante lors de chaque déplacement hors de sa cellule, et notamment lors des sorties en cours de promenade ;

- lui fournir, ainsi qu'aux personnes détenues avec lesquelles il vit en cellule et avec lesquelles il est regroupé pour les douches et sorties en cours de promenade, des masques de protection ou, à défaut, les moyens leur permettant de se confectionner des " masques alternatifs " ;

- soumettre à un test de dépistage les personnes détenues du groupe de personnes avec lesquelles il va notamment aux douches et en cours de promenade, ainsi que les personnels de surveillance affectés à sa prise en charge ;

5°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 2 000 euros à verser à son conseil au titre des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 et 75-1 du décret du 11 juillet 1991.

Il soutient que :

- la condition d'urgence est remplie eu égard, en premier lieu, à la situation sanitaire actuelle de pandémie, en deuxième lieu, à la situation de vulnérabilité et d'entière dépendance des détenus vis-à-vis de l'administration et, en troisième lieu, à son état de santé qui l'expose au développement de formes aggravées du covid-19 et à un risque de mort caractérisé en cas de contamination ;

- sont caractérisées des atteintes graves et manifestement illégales à son droit à la vie, à son droit d'être préservé de tout traitement inhumain et dégradant et à son droit de bénéficier des traitements et des soins appropriés à son état de santé, rappelés notamment aux articles 2 et 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- compte tenu de sa situation particulière de vulnérabilité liée à son état de santé, que le premier juge n'a pas prise en compte, la carence de l'administration à prendre les mesures nécessaires pour garantir que les conditions matérielles de sa détention le protègent effectivement de tout risque de contamination est caractérisée.

Par une intervention, enregistrée le 16 avril 2020, la Section française de l'Observatoire international des prisons (OIP-SF) déclare intervenir au soutien de la requête.

Par un mémoire en défense et des mémoires complémentaires, enregistrés les 16 et 20 avril 2020, la garde des sceaux, ministre de la justice, conclut au rejet de la requête. Elle soutient que la situation du requérant ne caractérise pas une situation d'urgence, au sens de l'article L. 521-2 du code de justice administrative, et qu'il n'est porté aucune atteinte grave et manifestement illégale aux libertés fondamentales invoquées.

La requête a été communiquée au Premier ministre et au ministre des solidarités et de la santé qui n'ont pas produit d'observations.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :

- la Constitution, et notamment son préambule ;

- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- le code de la santé publique ;

- le code de procédure pénale ;

- la loi n° 2020-290 du 23 mars 2020 ;

- la loi n° 91- du 10 juillet 1991 ;

- l'ordonnance n° 2020-303 du 25 mars 2020 ;

- le décret n° 2020-293 du 23 mars 2020 ;

- le code de justice administrative et l'ordonnance n° 2020-305 du 25 mars 2020 ;

Les parties ont été informées, sur le fondement de l'article 9 de l'ordonnance du 25 mars 2020 portant adaptation des règles applicables devant les juridictions de l'ordre administratif, de ce qu'aucune audience ne se tiendrait et de ce que la clôture de l'instruction serait fixée le 20 avril 2020 à 22 heures.

Considérant ce qui suit :

1. L'article L. 511-1 du code de justice administrative dispose que : " Le juge des référés statue par des mesures qui présentent un caractère provisoire. Il n'est pas saisi du principal et se prononce dans les meilleurs délais. " Aux termes de l'article L. 521-2 du même code : " Saisi d'une demande en ce sens justifiée par l'urgence, le juge des référés peut ordonner toutes mesures nécessaires à la sauvegarde d'une liberté fondamentale à laquelle une personne morale de droit public ou un organisme de droit privé chargé de la gestion d'un service public aurait porté, dans l'exercice d'un de ses pouvoirs, une atteinte grave et manifestement illégale. Le juge des référés se prononce dans un délai de quarante-huit heures. ".

Sur l'intervention :

2. La section française de l'Observatoire international des prisons justifie d'un intérêt suffisant pour intervenir au soutien de la requête de M. A.... Son intervention est, par suite, recevable.

Sur les circonstances :

3. L'émergence d'un nouveau coronavirus (covid-19), de caractère pathogène et particulièrement contagieux et sa propagation sur le territoire français ont conduit le ministre des solidarités et de la santé à prendre, par plusieurs arrêtés à compter du 4 mars 2020, des mesures sur le fondement des dispositions de l'article L. 3131-1 du code de la santé publique. En particulier, par un arrêté du 14 mars 2020, un grand nombre d'établissements recevant du public ont été fermés au public, les rassemblements de plus de 100 personnes ont été interdits et l'accueil des enfants, élèves et étudiants dans les établissements les recevant et les établissements scolaires et universitaires a été suspendu. Puis, par un décret du 16 mars 2020 motivé par les circonstances exceptionnelles découlant de l'épidémie de covid-19, modifié par décret du 19 mars, le Premier ministre a interdit le déplacement de toute personne hors de son domicile, sous réserve d'exceptions limitativement énumérées et devant être dûment justifiées, à compter du 17 mars à 12h, sans préjudice de mesures plus strictes susceptibles d'être ordonnées par le représentant de l'Etat dans le département. Le ministre des solidarités et de la santé a pris des mesures complémentaires par des plusieurs arrêtés successifs.

4. Par l'article 4 de la loi du 23 mars 2020 d'urgence pour faire face à l'épidémie de covid-19, a été déclaré l'état d'urgence sanitaire pour une durée de deux mois sur l'ensemble du territoire national. Par un nouveau décret du 23 mars 2020 pris sur le fondement de l'article L. 3131-15 du code de la santé publique issu de la loi du 23 mars 2020, plusieurs fois modifié et complété depuis lors, le Premier ministre a réitéré les mesures précédemment ordonnées tout en leur apportant des précisions ou restrictions complémentaires. Leurs effets ont été prolongés en dernier lieu par décret du 14 avril 2020.

Sur le cadre juridique du litige, l'office du juge des référés et les libertés fondamentales en jeu :

5. Dans l'actuelle période d'état d'urgence sanitaire, il appartient aux différentes autorités compétentes, en particulier au Premier ministre, de prendre, en vue de sauvegarder la santé de la population, toutes dispositions de nature à prévenir ou à limiter les effets de l'épidémie. Ces mesures, qui peuvent limiter l'exercice des droits et libertés fondamentaux doivent, dans cette mesure, être nécessaires, adaptées et proportionnées à l'objectif de sauvegarde de la santé publique qu'elles poursuivent.

6. Il résulte de la combinaison des dispositions des articles L. 511-1 et L. 521-2 du code de justice administrative qu'il appartient au juge des référés, lorsqu'il est saisi sur le fondement de l'article L. 521-2 et qu'il constate une atteinte grave et manifestement illégale portée par une personne morale de droit public à une liberté fondamentale, résultant de l'action ou de la carence de cette personne publique, de prescrire les mesures qui sont de nature à faire disparaître les effets de cette atteinte, dès lors qu'existe une situation d'urgence caractérisée justifiant le prononcé de mesures de sauvegarde à très bref délai. Ces mesures doivent, en principe, présenter un caractère provisoire, sauf lorsque aucune mesure de cette nature n'est susceptible de sauvegarder l'exercice effectif de la liberté fondamentale à laquelle il est porté atteinte. Sur le fondement de l'article L. 521-2, le juge des référés peut ordonner à l'autorité compétente de prendre, à titre provisoire, des mesures d'organisation des services placés sous son autorité, dès lors qu'il s'agit de mesures d'urgence qui lui apparaissent nécessaires pour sauvegarder, à très bref délai, la liberté fondamentale à laquelle il est gravement, et de façon manifestement illégale, porté atteinte. Le caractère manifestement illégal de l'atteinte doit s'apprécier notamment en tenant compte des moyens dont dispose l'autorité administrative compétente et des mesures qu'elle a déjà prises.

7. Pour l'application de l'article L. 521-2 du code de justice administrative, le droit au respect de la vie, le droit de ne pas être soumis à des traitements inhumains ou dégradants ainsi que le droit de recevoir les traitements et les soins appropriés à son état de santé constituent des libertés fondamentales au sens des dispositions de cet article.

8. Eu égard à la vulnérabilité des détenus et à leur situation d'entière dépendance vis à vis de l'administration, il appartient à celle-ci, et notamment au garde des sceaux, ministre de la justice et aux directeurs des établissements pénitentiaires, en leur qualité de chefs de service, de prendre les mesures propres à protéger leur vie, leur éviter tout traitement inhumain ou dégradant ainsi qu'à leur permettre de recevoir les traitements et les soins appropriés à leur état de santé afin de garantir le respect effectif des libertés fondamentales énoncées au point précédent. Lorsque la carence de l'autorité publique crée un danger caractérisé et imminent pour la vie des personnes, les expose à être soumises, de manière caractérisée, à un traitement inhumain ou dégradant ou conduit à ce qu'elles soient privées, de manière caractérisée, des traitements et des soins appropriés à leur état de santé portant ainsi une atteinte grave et manifestement illégale à ces libertés fondamentales, et que la situation permet de prendre utilement des mesures de sauvegarde dans un délai de quarante-huit heures, le juge des référés peut, au titre de la procédure particulière prévue par l'article L. 521-2, prescrire, dans les conditions et les limites définies au point 6, les mesures de nature à faire cesser la situation résultant de cette carence.

Sur la demande en référé :

9. M. B... A..., détenu à la maison d'arrêt de Rouen depuis le 5 décembre 2019, a saisi, le 6 avril 2020, le juge des référés du tribunal administratif de Rouen, sur le fondement de l'article L. 521-2 du code de justice administrative, d'une demande tendant à ce qu'il soit enjoint au chef de cet établissement pénitentiaire de prendre toutes les mesures nécessaires pour assurer sa protection, durant l'épidémie de covid-19, et réduire le risque de contamination. Il relève appel de l'ordonnance du 9 avril 2020 par laquelle le juge des référés a rejeté cette demande au motif qu'aucune atteinte grave et manifestement illégale n'était portée au droit au respect de la vie, au droit de ne pas être soumis à des traitements inhumains ou dégradants ainsi qu'au droit de recevoir les traitements et les soins appropriés à son état de santé. Au soutien de son appel, il invoque la carence de l'administration pénitentiaire en ce qui concerne la fourniture de produits d'hygiène et d'entretien, de savon et de gel hydro-alcoolique, de masques de protection, de gants ainsi que de tests de dépistage, le nettoyage des locaux, le recours aux fouilles et le suivi médical dont il fait l'objet. Faisant valoir que son état de santé le place dans une situation de particulière vulnérabilité au virus du covid-19, le requérant soutient qu'il devrait faire l'objet de mesures de protection renforcée telles, à titre principal, son placement en cellule individuelle dotée d'un bouton d'alarme, l'organisation d'une visite médicale quotidienne et, à titre subsidiaire, que son co-détenu et lui-même fassent l'objet d'un test de dépistage.

10. Il résulte de l'instruction que, depuis que l'épidémie de covid-19 a atteint la France et au fur et à mesure de l'évolution des stades 1, 2 et 3 de l'épidémie, la ministre de la justice a édicté, au moyen de plusieurs instructions adressées aux services compétents, un certain nombre de mesures visant à prévenir le risque de propagation du virus au sein des établissements pénitentiaires. Ces instructions définissent des orientations générales et arrêtent des mesures d'organisation du service public pénitentiaire qu'il revient aux chefs des 187 établissements pénitentiaires de mettre en oeuvre et d'appliquer sous l'autorité des directions interrégionales des services pénitentiaires. Il appartient aux chefs d'établissements pénitentiaires responsables de l'ordre et de la sécurité au sein de ceux-ci, de s'assurer du respect des consignes données pour lutter contre la propagation du virus et de prendre, dans le champ de leurs compétences, toute mesure propre à garantir le respect effectif des libertés fondamentales des personnes détenues et des personnes y travaillant ou y intervenant.

11. En premier lieu, la ministre de la justice a décidé, dès le 27 février 2020, de limiter les mouvements à l'intérieur des établissements pénitentiaires et de réduire les flux de circulation entre l'intérieur et l'extérieur. A ce titre, ont été décidées, le 17 mars 2020, la suspension des activités socio-culturelles et d'enseignement, du sport en espace confiné, des cultes, de la formation professionnelle, du travail ainsi que la suspension des visites aux parloirs, parloirs familiaux et unités de vie familiale et des entretiens avec les visiteurs de prison. Seuls ont été maintenus, dans des conditions permettant de respecter les règles de sécurité sanitaire, les déplacements qu'impliquent les rendez-vous aux " parloirs avocats ", les promenades et activités de sport en plein air ainsi que l'accès aux douches collectives et, le cas échéant, les missions des unités sanitaires en milieu pénitentiaire (USMP). Il résulte de l'instruction que le chef d'établissement de la maison d'arrêt de Rouen applique effectivement ces mesures au sein de son établissement. Il a veillé, conformément aux consignes générales, à ce que les groupes de personnes participant à des activités communes restent les mêmes d'un jour sur l'autre afin que les contacts qui demeurent ne se fassent qu'entre les membres d'un groupe préconstitué de personnes asymptomatiques. Il résulte de l'instruction que tel est le cas des personnes que le requérant est appelé à rencontrer à l'occasion de ses mouvements en détention. S'agissant plus particulièrement des promenades, il résulte de l'instruction que le chef d'établissement a décidé, afin de concilier la nécessité de respecter les règles de sécurité sanitaire, en particulier en ce qui concerne la distance minimale entre les personnes, et le maintien du droit, posé par le code de procédure pénale, au bénéfice d'une promenade quotidienne d'au moins une heure, de limiter le nombre de personnes se trouvant simultanément dans une même cour. Enfin, les nouveaux arrivants à la maison d'arrêt de Rouen sont placés en confinement sanitaire au titre de la quatorzaine dont ils font l'objet à titre préventif.

12. En deuxième lieu, la ministre de la justice a également demandé, dès le 27 février 2020, qu'il soit strictement veillé au respect des règles de sécurité sanitaire à l'intérieur des établissements pénitentiaires. Des consignes ont été données de veiller à ce que soient strictement respectés, tant par les personnes détenues que par les personnels pénitentiaires, les " gestes barrières " : lavage régulier des mains, limitation stricte des contacts physiques, distance minimale entre les personnes. A compter du 31 mars, le port d'un masque de protection a été imposé aux personnels en contact direct et prolongé avec les personnes détenues afin d'organiser, au sein de chaque établissement, un " anneau sanitaire ". Si le requérant conteste la correcte application de cette consigne générale au sein de la maison d'arrêt de Rouen, il ne résulte pas de l'instruction que les personnels pénitentiaires en fonction dans cet établissement ne respecteraient pas les règles d'utilisation des masques de protection dont ils sont dotés. Il résulte en outre de l'instruction que le chef d'établissement de la maison d'arrêt de Rouen applique effectivement, au sein de son établissement, la consigne générale que soient privilégiées, pendant la durée de l'état d'urgence sanitaire, les mesures alternatives aux fouilles telle la détection par portique et que les fouilles de personnes détenues ne soient pratiquées que de manière exceptionnelle, par des personnels dotés de masque de protection et de gants à usage unique. Il a ainsi veillé à ce que les fouilles par palpation y soient effectuées de dos, par un agent de surveillance muni d'un masque de protection et d'une paire de gants à usage unique. Au demeurant, il résulte des éléments produits par la ministre de la justice que M. A... n'a fait, depuis le 17 janvier dernier, l'objet d'aucune fouille par palpation.

13. En troisième lieu, il résulte de l'instruction, et en particulier des éléments et des pièces produites en appel par le ministère de la justice, en réponse à plusieurs suppléments d'instruction, que le chef d'établissement de la maison de Rouen applique effectivement, au sein de son établissement, la consigne générale d'effectuer un nettoyage renforcé et une aération régulière des locaux. Il apparaît que les locaux communs font l'objet d'un nettoyage renforcé et qu'un certain nombre d'équipements (grilles, poignées, cabines téléphoniques) sont nettoyés plusieurs fois par jour. Il résulte également de l'instruction qu'outre les kits d'hygiène fournis aux personnes détenues dépourvues de ressources suffisantes, une quantité de produits d'hygiène et d'entretien (détergent, liquide vaisselle, lessive, sacs poubelle) est distribuée gratuitement aux personnes détenues à la maison d'arrêt de Rouen afin de les mettre à même d'appliquer correctement les règles d'hygiène et d'entretenir leur cellule. La cellule où le requérant se trouve détenu fait l'objet de deux distributions de " kit entretien " par mois. Il résulte enfin de l'instruction que l'ensemble des personnes détenues a eu accès à la buanderie de l'établissement afin d'y faire laver deux vêtements.

14. En quatrième lieu, un protocole relatif au signalement et à la détection des cas symptomatiques a été défini, par une note du 6 avril 2020 et l'actualisation, à la même date, de la fiche intitulée " Etablissements pénitentiaires : organisation de la réponse sanitaire par les unités sanitaires en milieu pénitentiaire en collaboration avec les services pénitentiaires " afin que puissent être détectées, dans les meilleurs délais, les personnes détenues présentant les symptômes du covid-19. Ce protocole repose sur une responsabilité partagée entre les personnes détenues, le personnel pénitentiaire et les équipes des unités sanitaires en milieu pénitentiaire. Il résulte de l'instruction que le chef d'établissement de la maison d'arrêt de Rouen applique effectivement ce protocole. Une information, régulièrement actualisée, sur les symptômes du virus est diffusée, notamment par voie d'affichage, afin de mettre les personnes détenues à même de repérer l'apparition de symptômes et de prendre rendez-vous avec l'unité sanitaire. Afin de permettre une plus grande réactivité, il est en outre demandé aux personnels de surveillance de prévenir, par téléphone, soit l'unité sanitaire soit, en dehors de ses horaires d'ouverture, l'association rouennaise pour les urgences médicales, de tout cas préoccupant porté à leur connaissance, à la suite d'un signalement par la personne concernée ou par un co-détenu ou sur la base de leur propre évaluation de la situation. Enfin, à titre préventif, il est recommandé aux équipes des unités sanitaires de faire montre d'une vigilance renforcée, en particulier auprès des personnes vulnérables, en organisant, le cas échéant, des consultations supplémentaires et en profitant du temps de distribution des médicaments en quartier de détention pour procéder au repérage d'éventuels symptômes afin de les signaler aux médecins.

15. En cinquième lieu, il est vrai que l'état de santé de M. A... appelle, à titre préventif, une vigilance renforcée. Le requérant a produit un certificat médical, en date du 8 avril 2020, émanant d'un médecin du CHU de Rouen et attaché à l'unité de consultations et soins ambulatoires de la maison d'arrêt de Rouen qui atteste du syndrome dont il est atteint. Selon les termes de ce certificat, " cette maladie représente une co-morbidité, en cas d'infection pulmonaire qu'elle soit virale ou bactérienne. Le risque pour ce patient serait de faire une forme grave du covid-19 en cas de contamination avec toux inefficace, fatigabilité plus importante, risque de pneumothorax ". Il résulte toutefois de l'instruction que cette vigilance renforcée doit être conciliée avec les conditions de détention particulières qu'appelle impérativement le profil psychologique du requérant. Celui-ci fait en effet l'objet, à ce titre, d'un suivi particulier et a été placé, à la demande du service médico-psychologique régional, dans une cellule double afin d'éviter qu'il reste seul. En l'état de l'instruction, il apparaît que son placement en cellule individuelle présenterait davantage de risques pour sa sécurité qu'il n'apporterait d'avantages en termes de protection sanitaire. S'il n'est pas contesté que la cellule dans laquelle il est placé et qu'il partage avec un seul et même détenu n'est pas dotée d'un bouton d'alarme, il résulte de l'instruction que le tour de rondes de nuit a été porté, en ce qui le concerne, à quatre et qu'elles s'effectuent toutes à l'oeilleton. Il résulte également de l'instruction et, en particulier, des éléments produits en appel par le ministère de la justice, en réponse à plusieurs suppléments d'instruction, que M. A..., qui n'a demandé aucune consultation médicale supplémentaire, fait l'objet d'un suivi régulier par le service médico-psychologique. Entre le 20 mars et le 17 avril, il a ainsi été vu à neuf reprises par un médecin. A ces rendez-vous médicaux s'ajoutent les contacts avec un membre de l'unité sanitaire qu'occasionne la distribution de ses médicaments en cellule. Ces différents rendez-vous permettent au personnel soignant d'assurer un suivi régulier de l'état de santé du requérant et, le cas échéant, de détecter, à bref délai, l'apparition de symptômes suspects.

16. Compte tenu des mesures effectivement prises par le chef d'établissement de la maison d'arrêt de Rouen pénitentiaire pour limiter, conformément aux instructions de la ministre de la justice, les contacts avec l'extérieur et réduire les mouvements à l'intérieur, des consignes et des mesures effectivement prises pour assurer, au sein de cet établissement, le respect des règles de sécurité sanitaire ainsi que l'entretien et le nettoyage des locaux, en particulier s'agissant de la distribution des produits d'hygiène et d'entretien, de l'application du protocole relatif au signalement et à la détection des cas symptomatiques ainsi que des conditions de détention de M. A... liées à son état de santé psychologique et du suivi particulier dont il fait l'objet à ce titre, il n'apparaît pas, en l'état de l'instruction et à la date de la présente ordonnance, que l'absence des mesures sollicitées par le requérant, en particulier son placement en cellule individuelle, la distribution d'une quantité supplémentaire de produits d'hygiène et d'entretien, de gel hydro-alcoolique, de gants, l'organisation d'une visite médicale quotidienne et l'interdiction des fouilles par palpation, en ce qui le concerne, révèlerait une carence portant, de manière caractérisée, une atteinte grave et manifestement illégale aux libertés fondamentales invoquées.

17. Compte tenu des éléments rappelés au point précédent et, eu égard à la stratégie de gestion et d'utilisation maîtrisée des masques mise en place à l'échelle nationale, en l'état du nombre de masques de protection actuellement disponibles, il n'apparaît pas, en l'état de l'instruction et à la date de la présente ordonnance, que l'absence de distribution de masques de protection à toutes les personnes détenues à la maison d'arrêt de Rouen, ou à tout le moins à M. A... et son co-détenu, révèlerait une carence portant, de manière caractérisée, une atteinte grave et manifestement illégale aux libertés fondamentales invoquées. Il n'apparaît pas davantage, en l'état de l'instruction et à la date de la présente ordonnance, que devraient être ordonnées, au motif d'une atteinte grave et manifestement illégale aux libertés fondamentales invoquées, la communication au requérant d'un mode d'emploi permettant la fabrication de masques de protection dits " alternatifs " et la distribution des matériels nécessaires à leur confection.

18. Compte tenu des éléments rappelés au point 16 et eu égard aux critères de priorité, constamment ajustés, en dernier lieu par une note du ministre des solidarités et de la santé en date du 9 avril 2020, retenus, en l'état des disponibilités, pour effectuer les tests de dépistage, les conclusions tendant à ce qu'il soit procédé à un dépistage systématique de toutes les personnes détenues à la maison d'arrêt de Rouen, ou à tout le moins de M. A... et de son co-détenu, ne peuvent, en tout état de cause, en l'état de l'instruction et eu égard aux pouvoirs que le juge des référés tient des dispositions de l'article L. 521-2 du code de justice administrative, qu'être rejetées.

19. Il résulte de ce qui précède que M. A..., qu'il n'y a pas lieu, dans les circonstances de l'espèce, d'admettre au bénéfice de l'aide juridictionnelle à titre provisoire, n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que, par l'ordonnance du 9 avril 2020, le juge des référés du tribunal administratif de Rouen a rejeté sa demande. Sa requête doit donc être rejetée, y compris les conclusions présentées au titre des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991.

O R D O N N E :

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Article 1er : L'intervention de la Section française de l'Observatoire international des prisons est admise.

Article 2 : La demande de M. A... tendant au bénéfice de l'aide juridictionnelle à titre provisoire est rejetée.

Article 3 : La requête de M. A... est rejetée.

Article 4 : La présente ordonnance sera notifiée à M. B... A... à la garde des sceaux, ministre de la justice et à la Section française de l'Observatoire international des prisons.

Copie en sera adressée au Premier ministre et au ministre des solidarités et de la santé.


Synthèse
Numéro d'arrêt : 440056
Date de la décision : 22/04/2020
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Plein contentieux

Publications
Proposition de citation : CE, 22 avr. 2020, n° 440056
Inédit au recueil Lebon

Composition du Tribunal
Avocat(s) : SCP SPINOSI, SUREAU

Origine de la décision
Date de l'import : 28/04/2020
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CE:2020:440056.20200422
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