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10/04/2020 | FRANCE | N°439901

France | France, Conseil d'État, 10 avril 2020, 439901


Vu la procédure suivante :

Par une requête, enregistrée le 1er avril 2020 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, l'Union des jeunes avocats de Paris demande au juge des référés du Conseil d'Etat, statuant sur le fondement de l'article L. 521-1 du code de justice administrative :

1°) à titre principal, de suspendre l'exécution de la circulaire du 26 mars 2020 de la garde des sceaux, ministre de la justice, en ce qu'elle présente les dispositions de l'article 16 de l'ordonnance n° 2020-303 du 25 mars 2020 portant adaptation de règles de procédure pénale sur

le fondement de la loi n° 2020-290 du 23 mars 2020 d'urgence pour faire f...

Vu la procédure suivante :

Par une requête, enregistrée le 1er avril 2020 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, l'Union des jeunes avocats de Paris demande au juge des référés du Conseil d'Etat, statuant sur le fondement de l'article L. 521-1 du code de justice administrative :

1°) à titre principal, de suspendre l'exécution de la circulaire du 26 mars 2020 de la garde des sceaux, ministre de la justice, en ce qu'elle présente les dispositions de l'article 16 de l'ordonnance n° 2020-303 du 25 mars 2020 portant adaptation de règles de procédure pénale sur le fondement de la loi n° 2020-290 du 23 mars 2020 d'urgence pour faire face à l'épidémie de covid-19 ;

2°) à titre subsidiaire, de suspendre l'exécution de l'article 16 de l'ordonnance n° 2020-303 du 25 mars 2020 ;

3°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 4 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- sa requête est recevable en tant qu'elle est dirigée contre l'ordonnance du 25 mars 2020, eu égard au respect du délai de recours contentieux et à la compétence du Conseil d'Etat pour en connaître en premier et dernier ressort ;

- sa requête est recevable en tant qu'elle est dirigée contre la circulaire du 26 mars 2020, dès lors que celle-ci contient des dispositions réglementaires et impératives précisant les dispositions de l'article 16 de l'ordonnance n° 2020-303 du 25 mars 2020 ;

- elle justifie d'un intérêt pour agir ;

- la condition d'urgence est remplie, dès lors, d'une part, qu'eu égard à leur objet et à leurs effets, les décisions contestées portent une atteinte grave et immédiate à la situation de la personne placée en détention provisoire et qui devait voir sa détention provisoire réexaminée par un juge et, d'autre part et en tout état de cause, que les décisions contestées préjudicient de manière grave et immédiate aux intérêts qu'elle défend ;

- il existe un doute sérieux quant à la légalité des dispositions litigieuses ;

- la circulaire du 26 mars 2020, en ce qu'elle fait état d'une prolongation de plein droit des détentions provisoires au cours de l'instruction, alors même que le plafond de la détention provisoire n'est pas atteint, méconnaissent l'article 16 de l'ordonnance du 25 mars 2020 qui ne permet de prolonger que les délais maximums de détention provisoire, méconnaissent la loi n° 2020-290 du 23 mars 2020 qui ne permet pas de déroger au principe des débats judiciaires sur la prolongation de la détention provisoire et méconnaissent le droit d'assister à son procès, le droit au respect de la présomption d'innocence, le droit à la sûreté et le droit à un procès équitable garantis par les articles 5 et 6 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- si la circulaire devait être interprétée comme ne faisant qu'expliciter l'ordonnance, laquelle aurait, par elle-même, pour effet de prolonger les détentions provisoires sans débat au cours de l'instruction, alors même que le plafond de la détention provisoire n'est pas atteint, c'est l'ordonnance qui méconnaîtrait le droit d'assister à son procès, le droit au respect de la présomption d'innocence, le droit à la sûreté et le droit à un procès équitable garantis par les articles 5 et 6 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :

- la Constitution ;

- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- le code de procédure pénale ;

- le code de la santé publique ;

- la loi n° 2020-290 du 23 mars 2020 ;

- le décret n° 2020-293 du 23 mars 2020 ;

- le code de justice administrative ;

Considérant ce qui suit :

1. Aux termes du premier alinéa de l'article L. 521-1 du code de justice administrative : " Quand une décision administrative, même de rejet, fait l'objet d'une requête en annulation ou en réformation, le juge des référés, saisi d'une demande en ce sens, peut ordonner la suspension de l'exécution de cette décision, ou de certains de ses effets, lorsque l'urgence le justifie et qu'il est fait état d'un moyen propre à créer, en l'état de l'instruction, un doute sérieux quant à la légalité de la décision ". En vertu de l'article L. 522-3 du même code, le juge des référés peut rejeter une requête par une ordonnance motivée, sans instruction contradictoire ni audience publique, lorsque la condition d'urgence n'est pas remplie ou lorsqu'il apparaît manifeste, au vu de la demande, que celle-ci ne relève pas de la compétence de la juridiction administrative, qu'elle est irrecevable ou qu'elle est mal fondée.

Sur les circonstances :

2. L'émergence d'un nouveau coronavirus (covid-19), de caractère pathogène et particulièrement contagieux, et sa propagation sur le territoire français ont conduit le ministre des solidarités et de la santé à prendre, par plusieurs arrêtés à compter du 4 mars 2020, des mesures sur le fondement des dispositions de l'article L. 3131-1 du code de la santé publique. En particulier, par un arrêté du 14 mars 2020, un grand nombre d'établissements recevant du public ont été fermés au public, les rassemblements de plus de 100 personnes ont été interdits et l'accueil des enfants dans les établissements les recevant et des élèves et étudiants dans les établissements scolaires et universitaires a été suspendu. Puis, par un décret du 16 mars 2020 motivé par les circonstances exceptionnelles découlant de l'épidémie de covid-19, modifié par décret du 19 mars, le Premier ministre a interdit le déplacement de toute personne hors de son domicile, sous réserve d'exceptions limitativement énumérées et devant être dûment justifiées, à compter du 17 mars à 12h, sans préjudice de mesures plus strictes susceptibles d'être ordonnées par le représentant de l'Etat dans le département. Le ministre des solidarités et de la santé a pris des mesures complémentaires par des arrêtés des 17, 19, 20, 21 mars 2020.

3. Par l'article 4 de la loi du 23 mars 2020 d'urgence pour faire face à l'épidémie de covid-19, a été déclaré l'état d'urgence sanitaire pour une durée de deux mois sur l'ensemble du territoire national. Par un nouveau décret du 23 mars 2020 pris sur le fondement de l'article L. 3131-15 du code de la santé publique issu de la loi du 23 mars 2020, le Premier ministre a réitéré les mesures qu'il avait précédemment ordonnées tout en leur apportant des précisions ou restrictions complémentaires. Leurs effets ont été prolongés par décret du 27 mars 2020.

4. L'article 11 de la même loi du 23 mars 2020 a habilité le Gouvernement, pendant trois mois, à prendre par ordonnances, dans les conditions prévues à l'article 38 de la Constitution, toute mesure relevant du domaine de la loi afin de faire face aux conséquences de la propagation de l'épidémie de covid-19, que ce soit en matière économique, financière et sociale, en matière administrative ou juridictionnelle, pour ce qui concerne le financement des établissements de santé, pour la garde des jeunes enfants des parents dont l'activité professionnelle est maintenue sur leur lieu de travail, pour assurer la continuité de l'accompagnement et la protection des personnes en situation de handicap et des personnes âgées, pour assurer la continuité des droits des assurés sociaux et leur accès aux soins et aux droits, pour assurer la continuité de l'indemnisation des victimes et pour assurer la continuité du fonctionnement des institutions locales et de l'exercice de leurs compétences.

Sur la demande en référé :

5. En particulier, le Gouvernement a été autorisé, en vertu du d) du 2° du I de l'article 11 de la loi du 23 mars 2020, " afin de faire face aux conséquences, notamment de nature administrative ou juridictionnelle, de la propagation de l'épidémie de covid-19 et des mesures prises pour limiter cette propagation " à prendre " toute mesure, pouvant entrer en vigueur, si nécessaire, à compter du 12 mars 2020, relevant du domaine de la loi (...) d) adaptant, aux seules fins de limiter la propagation de l'épidémie de covid-19 parmi les personnes participant à ces procédures, (...) les règles relatives au déroulement et à la durée des détentions provisoires et des assignations à résidence sous surveillance électronique, pour permettre l'allongement des délais au cours de l'instruction et en matière d'audiencement, pour une durée proportionnée à celle de droit commun et ne pouvant excéder trois mois en matière délictuelle et six mois en appel ou en matière criminelle, et la prolongation de ces mesures au vu des seules réquisitions écrites du parquet et des observations écrites de la personne et de son avocat ".

6. Sur le fondement de cette habilitation, l'ordonnance n° 2020-303 du 25 mars 2020 portant adaptation de règles de procédure pénale sur le fondement de la loi n° 2020-290 du 23 mars 2020 d'urgence pour faire face à l'épidémie de covid-19 a adapté les règles de la procédure pénale afin, comme l'indique son article 1er, " de permettre la continuité de l'activité des juridictions pénales essentielle au maintien de l'ordre public ", en édictant des règles dérogatoires applicables, ainsi que le détermine son article 2, " sur l'ensemble du territoire de la République jusqu'à l'expiration d'un délai d'un mois à compter de la date de cessation de l'état d'urgence sanitaire déclaré dans les conditions de l'article 4 de la loi du 23 mars 2020 ".

7. S'agissant, ainsi que l'indique l'article 15 de l'ordonnance, des détentions provisoires en cours ou débutant entre la date de publication de l'ordonnance et la date de cessation de l'état d'urgence sanitaire déclaré et, le cas échéant, prorogé sur le fondement des articles L. 3131-12 à L. 3131-14 du code de la santé publique, l'article 16 de l'ordonnance a décidé la prolongation de plein droit des délais maximums de détention provisoire ou d'assignation à résidence sous surveillance électronique, prévus par les dispositions du code de procédure pénale, qu'il s'agisse des détentions au cours de l'instruction ou des détentions pour l'audiencement devant les juridictions de jugement des affaires concernant des personnes renvoyées à l'issue de l'instruction. En matière correctionnelle, ces délais sont prolongés de plein droit de deux mois lorsque la peine d'emprisonnement encourue est inférieure ou égale à cinq ans et de trois mois dans les autres cas ; en matière criminelle et en matière correctionnelle pour l'audiencement des affaires devant la cour d'appel, la prolongation est de six mois. Ainsi que le précise l'article 16 de l'ordonnance, ces prolongations ne s'appliquent qu'une seule fois au cours de chaque procédure et s'entendent sans préjudice de la possibilité pour la juridiction compétente d'ordonner à tout moment, d'office, sur demande du ministère public ou sur demande de l'intéressé, la mainlevée de la mesure, le cas échéant avec assignation à résidence sous surveillance électronique ou sous contrôle judiciaire lorsqu'il est mis fin à une détention provisoire. Conformément au second alinéa de l'article 15 de l'ordonnance, les prolongations de détention provisoire qui découlent de ces dispositions continuent de s'appliquer après la date de cessation de l'état d'urgence sanitaire déclaré et, le cas échéant, prorogé sur le fondement des articles L. 3131-12 à L. 3131-14 du code de la santé publique.

8. L'Union des jeunes avocats de Paris, sur le fondement de l'article L. 521-1 du code de justice administrative, demande au juge des référés du Conseil d'Etat, à titre principal, de suspendre l'exécution de la circulaire de la garde des sceaux, ministre de la justice, en date du 26 mars 2020 en ce qu'elle présente les dispositions de l'article 16 de l'ordonnance du 25 mars 2020 et, à titre subsidiaire, de suspendre l'exécution des dispositions de cet article 16.

9. Toutefois, il résulte des dispositions du d) du 2° du I de l'article 11 de la loi du 23 mars 2020 que le législateur a, sur le fondement de l'article 38 de la Constitution, spécialement habilité le Gouvernement agissant par voie d'ordonnance, d'une part, à allonger les délais des détentions provisoires, quels qu'ils soient, pour une durée proportionnée à celle de droit commun dans la limite de trois mois en matière délictuelle et de six mois en appel ou en matière criminelle, et, d'autre part, à permettre la prolongation de ces mesures au vu des seules réquisitions écrites du parquet et des observations écrites de la personne et de son avocat.

10. En allongeant, de plein droit et de façon générale, les délais maximums de détention provisoire fixés par la loi de deux, trois ou six mois, pour les détentions provisoires en cours comme celles débutant entre la date de publication de l'ordonnance et la date de cessation de l'état d'urgence sanitaire, l'ordonnance contestée a entendu régir toutes les détentions provisoires et notamment allonger les délais résultant des titres de détention en cours. Ce faisant, l'ordonnance a mis en oeuvre l'habilitation donnée par la loi du 23 mars 2020, dans le respect des conditions qu'elle y a mises, afin de limiter la propagation de l'épidémie parmi les personnes participant aux procédures en cause en réduisant les occasions de contacts entre les personnes. Elle s'est bornée à allonger ces délais, sans apporter d'autre modification aux règles du code de procédure pénale qui régissent le placement et le maintien en détention provisoire. Elle a précisé que ces prolongations ne s'appliquent qu'une seule fois au cours de chaque procédure et a rappelé qu'elles s'entendent sans préjudice de la possibilité pour la juridiction compétente d'ordonner à tout moment, d'office, sur demande du ministère public ou sur demande de l'intéressé, la mainlevée de la mesure.

11. Dans ces conditions, eu égard à l'évolution de l'épidémie, à la situation sanitaire et aux conséquences des mesures prises pour lutter contre la propagation du covid-19 sur le fonctionnement des juridictions, sur l'action des auxiliaires de justice et sur l'activité des administrations, en particulier des services de police et de l'administration pénitentiaire, comme d'ailleurs sur l'ensemble de la société française, les moyens tirés de ce que l'article 16 de l'ordonnance méconnaîtrait le droit d'assister à son procès, le droit au respect de la présomption d'innocence, le droit à la sûreté et le droit à un procès équitable garantis par les articles 5 et 6 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ne sont pas, en l'état de l'instruction, de nature à faire naître un doute sérieux quant à la légalité des dispositions contestées.

12. Pour sa part, la circulaire contestée du 26 mars 2020 présente les dispositions adoptées par l'ordonnance du 25 mars 2020, en explicite la portée et expose les conséquences qui découlent nécessairement de la prolongation exceptionnelle des délais de détention provisoire telle que voulue par l'ordonnance dans le contexte très particulier des circonstances liées à l'épidémie de covid-19 et des mesures prises pour lutter contre la propagation de cette maladie. Il s'ensuit que les moyens tirés de ce que cette circulaire méconnaîtrait l'article 16 de l'ordonnance du 25 mars 2020, la loi du 23 mars 2020, le droit au respect de la présomption d'innocence, le droit à la sûreté et le droit à un procès équitable garantis par les articles 5 et 6 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ne sont pas davantage, en l'état de l'instruction, de nature à faire naître un doute sérieux quant à la légalité des termes critiqués de la circulaire contestée.

13. Il résulte de ce qui précède, sans qu'il soit besoin de se prononcer sur la condition d'urgence, qu'il est manifeste que la demande en référé n'est pas fondée. Il y a donc lieu de rejeter les conclusions de la requête, y compris les conclusions présentées au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative, par application de l'article L. 522-3 du code de justice administrative.

O R D O N N E :

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Article 1er : La requête de l'Union des jeunes avocats de Paris est rejetée.

Article 2 : La présente ordonnance sera notifiée à l'Union des jeunes avocats de Paris.

Copie en sera adressée à la garde des sceaux, ministre de la justice.


Synthèse
Numéro d'arrêt : 439901
Date de la décision : 10/04/2020
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Publications
Proposition de citation : CE, 10 avr. 2020, n° 439901
Inédit au recueil Lebon

Composition du Tribunal
Avocat(s) : SCP CELICE, TEXIDOR, PERIER

Origine de la décision
Date de l'import : 21/04/2020
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CE:2020:439901.20200410
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