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06/04/2020 | FRANCE | N°439921

France | France, Conseil d'État, 06 avril 2020, 439921


Vu la procédure suivante :

Par une requête, enregistrée le 2 avril 2020 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, M. A... B... demande au juge des référés du Conseil d'Etat, statuant sur le fondement de l'article L. 521-2 du code de justice administrative :

1°) de suspendre l'exécution de l'article 18 de l'ordonnance n° 2020-303 du 25 mars 2020 ;

2°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 3 000 euros à verser à la SCP Ricard, Bendel-Vasseur, Ghnassia, son avocat, au titre des articles 37 de la loi du 10 juillet 1991 et L. 761-1 du code de justice

administrative.

Il soutient que :

- la condition d'urgence est remplie eu éga...

Vu la procédure suivante :

Par une requête, enregistrée le 2 avril 2020 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, M. A... B... demande au juge des référés du Conseil d'Etat, statuant sur le fondement de l'article L. 521-2 du code de justice administrative :

1°) de suspendre l'exécution de l'article 18 de l'ordonnance n° 2020-303 du 25 mars 2020 ;

2°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 3 000 euros à verser à la SCP Ricard, Bendel-Vasseur, Ghnassia, son avocat, au titre des articles 37 de la loi du 10 juillet 1991 et L. 761-1 du code de justice administrative.

Il soutient que :

- la condition d'urgence est remplie eu égard à la situation sanitaire actuelle, liée à l'épidémie de covid-19, aux risques auxquels l'expose l'incarcération dans ces circonstances et, en tout état de cause, à la nécessité pour lui de voir la chambre de l'instruction statuer sur sa mise en liberté dans des brefs délais ;

- l'allongement d'un mois du délai imparti à la chambre de l'instruction pour statuer sur sa demande de mise en liberté porte atteinte au droit à la sûreté qui découle des articles 2, 7 et 16 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen, de l'article 66 de la Constitution, de l'article 5 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et du principe garantissant l'existence d'une procédure juste et équitable, sans que cette atteinte puisse se justifier par le fonctionnement de la juridiction ;

- dans le contexte actuel de l'épidémie, l'allongement du délai d'un mois porte atteinte au droit à la vie, au droit à la santé et au droit de ne pas subir des traitements inhumains ou dégradants ;

- la circonstance que le délai imparti à la chambre de l'instruction pour statuer sur sa demande de mise en liberté soit porté de deux mois à trois mois porte atteinte au principe constitutionnel d'égalité dans la mesure où il ne bénéficie pas des nouvelles dispositions de l'article 380-3-1 du code de procédure pénale et que la Cour de cassation a justifié son refus de renvoyer au Conseil constitutionnel une question prioritaire de constitutionnalité portant sur la conformité à la Constitution de l'article 367 du code de procédure pénale en se fondant sur la circonstance que la chambre de l'instruction doit statuer dans un délai de deux mois sur la demande de mise en liberté.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :

- la Constitution ;

- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- le code de procédure pénale ;

- le code de la santé publique ;

- la loi n° 2020-290 du 23 mars 2020 ;

- le décret n° 2020-293 du 23 mars 2020 ;

- le code de justice administrative ;

Considérant ce qui suit :

1. Aux termes de l'article L. 521-2 du code de justice administrative : " Saisi d'une demande en ce sens justifiée par l'urgence, le juge des référés peut ordonner toutes mesures nécessaires à la sauvegarde d'une liberté fondamentale à laquelle une personne morale de droit public ou un organisme de droit privé chargé de la gestion d'un service public aurait porté, dans l'exercice d'un de ses pouvoirs, une atteinte grave et manifestement illégale. Le juge des référés se prononce dans un délai de quarante-huit heures ". En vertu de l'article L. 522-3 du même code, le juge des référés peut rejeter une requête par une ordonnance motivée, sans instruction contradictoire ni audience publique, lorsque la condition d'urgence n'est pas remplie ou lorsqu'il apparaît manifeste, au vu de la demande, que celle-ci ne relève pas de la compétence de la juridiction administrative, qu'elle est irrecevable ou qu'elle est mal fondée.

Sur les circonstances :

2. L'émergence d'un nouveau coronavirus (covid-19), de caractère pathogène et particulièrement contagieux, et sa propagation sur le territoire français ont conduit le ministre des solidarités et de la santé à prendre, par plusieurs arrêtés à compter du 4 mars 2020, des mesures sur le fondement des dispositions de l'article L. 3131-1 du code de la santé publique. En particulier, par un arrêté du 14 mars 2020, un grand nombre d'établissements recevant du public ont été fermés au public, les rassemblements de plus de 100 personnes ont été interdits et l'accueil des enfants dans les établissements les recevant et des élèves et étudiants dans les établissements scolaires et universitaires a été suspendu. Puis, par un décret du 16 mars 2020 motivé par les circonstances exceptionnelles découlant de l'épidémie de covid-19, modifié par décret du 19 mars, le Premier ministre a interdit le déplacement de toute personne hors de son domicile, sous réserve d'exceptions limitativement énumérées et devant être dûment justifiées, à compter du 17 mars à 12h, sans préjudice de mesures plus strictes susceptibles d'être ordonnées par le représentant de l'Etat dans le département. Le ministre des solidarités et de la santé a pris des mesures complémentaires par des arrêtés des 17, 19, 20, 21 mars 2020.

3. Par l'article 4 de la loi du 23 mars 2020 d'urgence pour faire face à l'épidémie de covid-19, a été déclaré l'état d'urgence sanitaire pour une durée de deux mois sur l'ensemble du territoire national. Par un nouveau décret du 23 mars 2020 pris sur le fondement de l'article L. 3131-15 du code de la santé publique issu de la loi du 23 mars 2020, le Premier ministre a réitéré les mesures qu'il avait précédemment ordonnées tout en leur apportant des précisions ou restrictions complémentaires. Leurs effets ont été prolongés par décret du 27 mars 2020.

4. L'article 11 de la même loi du 23 mars 2020 a habilité le Gouvernement, pendant trois mois, à prendre par ordonnances, dans les conditions prévues à l'article 38 de la Constitution, toute mesure relevant du domaine de la loi afin de faire face aux conséquences de la propagation de l'épidémie de covid-19, que ce soit en matière économique, financière et sociale, en matière administrative ou juridictionnelle, pour ce qui concerne le financement des établissements de santé, pour la garde des jeunes enfants des parents dont l'activité professionnelle est maintenue sur leur lieu de travail, pour assurer la continuité de l'accompagnement et la protection des personnes en situation de handicap et des personnes âgées, pour assurer la continuité des droits des assurés sociaux et leur accès aux soins et aux droits, pour assurer la continuité de l'indemnisation des victimes et pour assurer la continuité du fonctionnement des institutions locales et de l'exercice de leurs compétences.

Sur la demande en référé :

5. En particulier, le Gouvernement a été autorisé, en vertu du d) du 2° du I de l'article 11 de la loi du 23 mars 2020, " afin de faire face aux conséquences, notamment de nature administrative ou juridictionnelle, de la propagation de l'épidémie de covid-19 et des mesures prises pour limiter cette propagation " à prendre " toute mesure, pouvant entrer en vigueur, si nécessaire, à compter du 12 mars 2020, relevant du domaine de la loi (...) d) adaptant, aux seules fins de limiter la propagation de l'épidémie de covid-19 parmi les personnes participant à ces procédures, (...) les règles relatives au déroulement et à la durée des détentions provisoires et des assignations à résidence sous surveillance électronique, pour permettre l'allongement des délais au cours de l'instruction et en matière d'audiencement, pour une durée proportionnée à celle de droit commun et ne pouvant excéder trois mois en matière délictuelle et six mois en appel ou en matière criminelle, et la prolongation de ces mesures au vu des seules réquisitions écrites du parquet et des observations écrites de la personne et de son avocat ".

6. Sur le fondement de cette habilitation, l'ordonnance n° 2020-303 du 25 mars 2020 portant adaptation de règles de procédure pénale sur le fondement de la loi n° 2020-290 du 23 mars 2020 d'urgence pour faire face à l'épidémie de covid-19 a adapté les règles de la procédure pénale afin, comme l'indique son article 1er, " de permettre la continuité de l'activité des juridictions pénales essentielle au maintien de l'ordre public ", en édictant des règles dérogatoires applicables, ainsi que le détermine son article 2, " sur l'ensemble du territoire de la République jusqu'à l'expiration d'un délai d'un mois à compter de la date de cessation de l'état d'urgence sanitaire déclaré dans les conditions de l'article 4 de la loi du 23 mars 2020 ".

7. L'article 18 de cette ordonnance a augmenté d'un mois les délais impartis à la chambre de l'instruction ou à une juridiction de jugement par les dispositions du code de procédure pénale pour statuer sur une demande de mise en liberté sur l'appel d'une ordonnance de refus de mise en liberté, ou sur tout autre recours en matière de détention provisoire et d'assignation à résidence avec surveillance électronique ou de contrôle judiciaire.

8. M. B... a relevé appel de l'arrêt de la cour d'assises de la Nièvre l'ayant condamné à une peine de vingt ans de réclusion criminelle le 5 février 2019. Il est détenu à .... Il a formé une demande de mise en liberté sur laquelle la chambre de l'instruction devait, en vertu des délais normalement impartis par le code de procédure pénale, se prononcer avant le 24 mai 2020. Ce délai ayant été allongé d'un mois par l'effet de l'article 18 de l'ordonnance du 25 mars 2020, M. B... demande au juge des référés du Conseil d'Etat, sur le fondement de l'article L. 521-2 du code de justice administrative, de suspendre l'exécution des dispositions de cet article 18.

9. Toutefois, il résulte des dispositions du d) du 2° du I de l'article 11 de la loi du 23 mars 2020 que le législateur a, sur le fondement de l'article 38 de la Constitution, spécialement habilité le Gouvernement agissant par voie d'ordonnance, à adapter les règles relatives au déroulement et à la durée des détentions provisoires, pour permettre l'allongement des délais, notamment en matière d'audiencement.

10. Ainsi, il résulte des dispositions non contestées de l'ordonnance du 25 mars 2020, en particulier de son article 16, que les délais maximums des détentions provisoires en cours ou débutant entre la date de publication de l'ordonnance et la date de cessation de l'état d'urgence sanitaire déclaré et, le cas échéant, prorogé, ont été prolongés de plein droit. En matière criminelle, la prolongation décidée par l'ordonnance est de six mois. Ces prolongations ne s'appliquent qu'une seule fois au cours de chaque procédure et s'entendent sans préjudice de la possibilité pour la juridiction compétente d'ordonner à tout moment, d'office, sur demande du ministère public ou sur demande de l'intéressé, la mainlevée de la mesure, le cas échéant avec assignation à résidence sous surveillance électronique ou sous contrôle judiciaire lorsqu'il est mis fin à une détention provisoire. C'est dans ce cadre que l'article 18 de l'ordonnance a allongé les délais dans lesquels la chambre de l'instruction doit statuer sur les recours en matière de détention provisoire.

11. En allongeant d'un mois les délais impartis à la chambre de l'instruction pour statuer sur une demande de mise en liberté sur l'appel d'une ordonnance de refus de mise en liberté, ou sur tout autre recours en matière de détention provisoire, les dispositions contestées de l'article 18 de l'ordonnance ont mis en oeuvre l'habilitation donnée par la loi du 23 mars 2020, dans le respect des conditions qu'elle y a mises. En décidant un tel allongement dans les circonstances présentes, ces dispositions ne peuvent être regardées, eu égard à l'évolution de l'épidémie, à la situation sanitaire et aux conséquences des mesures prises pour lutter contre la propagation du covid-19 sur le fonctionnement des juridictions, comme d'ailleurs sur l'ensemble de la société française, comme portant une atteinte manifestement illégale au droit à la sûreté invoqué par M. B....

12. D'autre part, il ne résulte, en tout état de cause, pas de l'instruction que l'allongement d'un mois, du fait de l'article 18 de l'ordonnance contestée, du délai imparti à la chambre de l'instruction pour statuer sur la demande de mise en liberté de M. B..., qui ne fait état d'aucune circonstance particulière propre à sa détention, serait en soi de nature à porter une atteinte grave et manifestement illégale au droit au respect de la vie, au droit de ne pas être soumis à des traitements inhumains ou dégradants ou au droit de recevoir les traitements et les soins appropriés à son état de santé.

13. Enfin, si certaines discriminations peuvent, eu égard aux motifs qui les inspirent ou aux effets qu'elles produisent sur l'exercice d'une telle liberté, constituer des atteintes à une liberté fondamentale au sens de l'article L. 521-2 du code de justice administrative, la méconnaissance du principe d'égalité ne révèle pas, par elle-même, une atteinte de cette nature.

14. Il résulte de tout ce qui précède, sans qu'il soit besoin de se prononcer sur la condition d'urgence, qu'il est manifeste que la demande en référé n'est pas fondée. Il y a lieu, dès lors, de rejeter les conclusions de la requête, y compris celles présentées au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative, par application de l'article L. 522-3 de ce code.

O R D O N N E :

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Article 1er : La requête de M. B... est rejetée.

Article 2 : La présente ordonnance sera notifiée à M. A... B....

Copie en sera adressée à la garde des sceaux, ministre de la justice.


Synthèse
Numéro d'arrêt : 439921
Date de la décision : 06/04/2020
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Publications
Proposition de citation : CE, 06 avr. 2020, n° 439921
Inédit au recueil Lebon

Composition du Tribunal
Avocat(s) : SCP RICARD, BENDEL-VASSEUR, GHNASSIA

Origine de la décision
Date de l'import : 21/04/2020
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CE:2020:439921.20200406
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