Vu la procédure suivante :
Par une requête, enregistrée le 3 mars 2020 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, l'association Rassemblement National demande au juge des référés du Conseil d'Etat, statuant sur le fondement de l'article L. 521-1 du code de justice administrative :
1°) d'ordonner la suspension de l'exécution de la circulaire INTA1931378J du 3 février 2020 du ministre de l'intérieur relative à l'attribution des nuances politiques aux candidats aux élections municipales et communautaires des 15 et 22 mars 2020 en tant, d'une part, qu'elle restreint l'attribution des nuances politiques aux candidatures présentées dans les seules communes de 3 500 habitants ou plus et chefs-lieux d'arrondissement et, d'autre part, qu'elle prescrit le rattachement de la nuance politique " Rassemblement National " au bloc de clivages " extrême droite " ;
2°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- la circulaire litigieuse fait grief ;
- elle justifie d'un intérêt lui donnant qualité pour agir ;
- la condition d'urgence est remplie dès lors que le dépôt des candidatures auprès des préfectures et sous-préfectures a été clos le 27 février 2020 ;
- il existe un doute sérieux quant à la légalité de la circulaire litigieuse ;
- cette circulaire est entachée d'incompétence ;
- elle est entachée d'un défaut de base légale en ce qu'elle ajoute au décret n° 2014-1479 du 9 décembre 2014 des critères qu'il ne prévoit pas ;
- la limitation de l'attribution des nuances aux candidatures présentées dans les seules communes de 3 500 habitants ou plus et chefs-lieux d'arrondissement méconnaît le principe d'égalité ;
- le rattachement de la nuance politique " Rassemblement National " au bloc de clivages " extrême droite " méconnaît les principes de liberté des partis politiques, d'égalité devant la loi et entre les candidats, de sincérité du scrutin et est entachée d'une erreur manifeste d'appréciation.
Par un mémoire en défense, enregistré le 9 mars 2020, le ministre de l'intérieur conclut au rejet de la requête. Il soutient que la condition d'urgence n'est pas remplie et que les moyens invoqués ne sont pas propres à créer, en l'état de l'instruction, un doute sérieux quant à la légalité de la circulaire attaquée.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
- la Constitution, notamment ses articles 3 et 4 ;
- le code des relations entre le public et l'administration ;
- la loi n° 78-17 du 6 janvier 1978 ;
- le décret n° 2014-1479 du 9 décembre 2014 ;
- le code de justice administrative ;
Après avoir convoqué à une audience publique, d'une part, l'association Rassemblement National et, d'autre part, le ministre de l'intérieur ;
Ont été entendus au cours de l'audience publique du 10 mars 2020 à 10 heures :
- le représentant de l'association Rassemblement National ;
- les représentants du ministre de l'intérieur ;
et à l'issue de laquelle l'instruction a été close ;
Considérant ce qui suit :
1. Aux termes du premier alinéa de l'article L. 521-1 du code de justice administrative : " Quand une décision administrative, même de rejet, fait l'objet d'une requête en annulation ou en réformation, le juge des référés, saisi d'une demande en ce sens, peut ordonner la suspension de l'exécution de cette décision, ou de certains de ses effets, lorsque l'urgence le justifie et qu'il est fait état d'un moyen propre à créer, en l'état de l'instruction, un doute sérieux quant à la légalité de la décision ".
2. Aux termes de l'article 1er du décret du 9 décembre 2014 relatif à la mise en oeuvre de deux traitements automatisés de données à caractère personnel dénommés " Application élection " et " Répertoire national des élus " : " Dans les services du ministère de l'intérieur (secrétariat général) et ceux des représentants de l'Etat dans les départements de métropole et d'outre-mer, dans les collectivités d'outre-mer et en Nouvelle-Calédonie, sont mis en oeuvre deux traitements automatisés de données à caractère personnel concernant les candidats aux élections au suffrage universel et les mandats électoraux et fonctions électives que ces élections ont vocation à pourvoir. / Le premier traitement, appelé " Application élection ", comprend les données relatives aux candidatures enregistrées ainsi que les résultats obtenus par les candidats. / Le second traitement, appelé " Répertoire national des élus ", comprend les données relatives aux candidats proclamés élus ". En vertu de l'article 2 de ce décret, l'Application élection et le Répertoire national des élus enregistrent les données relatives, respectivement, aux candidats aux scrutins organisés pour l'élection, notamment, des conseillers municipaux et aux titulaires d'un mandat de maire ou d'adjoint au maire, de maire ou d'adjoint au maire d'arrondissement. Aux termes de l'article 3 de ce décret : " Conformément aux dispositions du IV de l'article 8 de la loi du 6 janvier 1978 susvisée, pour mettre en oeuvre les traitements automatisés mentionnés à l'article 1er, le ministre de l'intérieur et les représentants de l'Etat mentionnés au même article 1er peuvent collecter, conserver et traiter sur supports informatiques ou électroniques des données faisant apparaître les appartenances politiques : / 1° Des candidats à l'un des scrutins mentionnés au I de l'article 2 et des listes ou binômes de candidats sur lesquels ils ont figuré ; / 2° Des personnes détentrices de l'un des mandats ou de l'une des fonctions énumérés au II de l'article 2 ". Aux termes de l'article 4 de ce décret : " Les traitements automatisés mentionnés à l'article 1er ont pour finalités : / 1° Le suivi des candidatures enregistrées et des mandats et fonctions exercés par les élus en vue de l'information du Parlement, du Gouvernement, des représentants de l'Etat mentionnés à l'article 1er et des citoyens ; / 2° La centralisation des résultats de chaque tour de scrutin, leur conservation et leur diffusion sous forme électronique ; / (...)10° Le suivi des titulaires successifs des mandats électoraux et des fonctions exécutives locales en vue de l'information des pouvoirs publics et des citoyens ". Aux termes de l'article 5 de ce décret : " I. - Les données à caractère personnel et informations enregistrées portant sur les personnes mentionnées à l'article 2 sont les suivantes : / (...) /6° Nuance politique attribuée au candidat par l'administration ; / 7° Nuance politique attribuée à la liste ou au binôme de candidats par l'administration ; / (...) / II. - Les données et informations mentionnées aux 3°, 4°, 5° et 6° du I portant sur les candidats aux élections municipales dans les communes de moins de 1 000 habitants et sur les conseillers municipaux des mêmes communes, à l'exception des maires et des conseillers communautaires, ne peuvent être enregistrées. ". Aux termes de l'article 8 de ce décret : " Il peut être donné communication à toute personne, sur simple demande, des données et informations mentionnées à l'article 5, à l'exception de celles qui sont prévues au 2° du I du même article. / La communication de ces données et informations s'exerce dans les conditions prévues à l'article 4 de la loi du 17 juillet 1978 susvisée ". Et aux termes de l'article 9 du décret : " Les droits d'accès et de rectification prévus par les articles 39 et 40 de la loi du 6 janvier 1978 susvisée s'exercent auprès de l'autorité administrative qui a enregistré la candidature./ Au moment du dépôt de candidature, chaque candidat, ou candidat tête de liste, est informé : / 1° De la grille des nuances politiques retenue pour l'enregistrement des résultats de l'élection ; / 2° Du fait qu'il peut avoir accès au classement qui lui est affecté et en demander la rectification, conformément à l'article 39 de la loi du 6 janvier 1978 susvisée. / Aucune demande de rectification ne peut être prise en considération pour la diffusion des résultats lorsqu'elle est présentée dans les trois jours précédant le tour de scrutin concerné ".
3. Il résulte des dispositions précitées qu'elles habilitent, pour assurer la mise en oeuvre de deux traitements automatisés de données à caractère personnel dénommés " Application élection " et " Répertoire national des élus ", le ministre de l'intérieur à établir une " grille des nuances politiques " destinée à permettre l'agrégation des résultats des élections en vue de l'information des pouvoirs publics et des citoyens. Ainsi que l'a relevé la Commission nationale de l'informatique et des libertés, dans la délibération n° 2013-406 du 19 décembre 2013 rendue à propos des traitements automatisés précités, la nuance politique, qui est attribuée par l'administration, vise à placer tout candidat ou élu ainsi que toute liste sur une grille politique représentant les courants politiques et se distingue ainsi des étiquettes et des groupements politiques. Elle permet aux pouvoirs publics et aux citoyens de disposer de résultats électoraux faisant apparaître les tendances politiques locales et nationales et de suivre ces tendances dans le temps.
4. A ce titre, la circulaire contestée du 3 février 2020 du ministre de l'intérieur relative à l'attribution des nuances politiques aux candidats aux élections municipales et communautaires des 15 et 22 mars 2020 prévoit que, dans les communes de 3 500 habitants et plus, ainsi que dans les communes chefs-lieux d'arrondissement quelle que soit leur population, les préfets et hauts-commissaires attribuent une nuance, lors de l'enregistrement des candidatures, à chaque liste ainsi qu'à chaque candidat, sur la base de deux grilles de nuances politiques qui figurent en annexes 1 et 2, une grille de 24 nuances politiques pour les candidats et une grille de 23 nuances pour les listes. Leur champ d'application, leur composition ainsi que les éléments à prendre en compte pour les appliquer sont précisés. Elles sont complétées par une grille de recoupement des nuances politiques par six blocs de clivages, lesquels sont destinés à agréger les résultats des différentes nuances (extrême gauche, gauche, courants politiques divers, centre, droite, extrême droite). L'association Rassemblement National demande au juge des référés du Conseil d'Etat d'ordonner la suspension de l'exécution de cette circulaire en tant, d'une part, qu'elle restreint l'attribution des nuances politiques aux candidatures présentées dans les seules communes de 3 500 habitants ou plus et chefs-lieux d'arrondissement et, d'autre part, qu'elle prescrit le rattachement de la nuance politique " Rassemblement National " au bloc de clivages " extrême droite ".
5. A l'appui de sa demande, l'association requérante soutient que la circulaire contestée est entachée d'incompétence et d'un défaut de base légale, que la limitation de l'attribution des nuances aux candidatures présentées dans les seules communes de 3 500 habitants et plus et chefs-lieux d'arrondissement méconnaît le principe d'égalité et que le rattachement de la nuance politique " Rassemblement National " au bloc de clivages " extrême droite " méconnaît les principes de liberté des partis politiques, d'égalité devant la loi et entre candidats, de sincérité du scrutin et est entachée d'une erreur manifeste d'appréciation.
6. En l'état de l'instruction, aucun de ces moyens n'est de nature à créer un doute sérieux quant à la légalité de la circulaire contestée.
7. Par suite, sans qu'il soit besoin de se prononcer sur la condition d'urgence, la requête présentée par l'association Rassemblement National sur le fondement de l'article L. 521-1 du code de justice administrative doit être rejetée, y compris ses conclusions au titre de l'article L. 761-1 du même code.
O R D O N N E :
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Article 1er : La requête de l'association Rassemblement National est rejetée.
Article 2: La présente ordonnance sera notifiée à l'association Rassemblement National et au ministre de l'intérieur.