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24/02/2020 | FRANCE | N°434021

France | France, Conseil d'État, 8ème - 3ème chambres réunies, 24 février 2020, 434021


Vu la procédure suivante :

M. B... D... a demandé au juge des référés du tribunal administratif de Strasbourg d'ordonner, sur le fondement de l'article L. 521-3 du code de justice administrative, la suspension des travaux engagés par M. C... A... sur le terrain appartenant à la commune de Luppy (57) séparant leurs fonds respectifs, et le rétablissement de ce terrain dans son état initial. Par une ordonnance n° 1905585 du 12 août 2019, ce juge des référés a rejeté sa demande.

Par un pourvoi sommaire, un mémoire complémentaire et un mémoire en réplique, enregist

rés les 28 août, 12 septembre 2019 et 30 janvier 2020 au secrétariat du content...

Vu la procédure suivante :

M. B... D... a demandé au juge des référés du tribunal administratif de Strasbourg d'ordonner, sur le fondement de l'article L. 521-3 du code de justice administrative, la suspension des travaux engagés par M. C... A... sur le terrain appartenant à la commune de Luppy (57) séparant leurs fonds respectifs, et le rétablissement de ce terrain dans son état initial. Par une ordonnance n° 1905585 du 12 août 2019, ce juge des référés a rejeté sa demande.

Par un pourvoi sommaire, un mémoire complémentaire et un mémoire en réplique, enregistrés les 28 août, 12 septembre 2019 et 30 janvier 2020 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, M. D... demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler cette ordonnance ;

2°) réglant l'affaire au fond, de faire droit à sa demande ;

3°) de mettre à la charge de de la commune de Luppy et de Monsieur A... la somme de 4 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :

- le code général de la propriété des personnes publiques ;

- le code rural, notamment son article 506 ;

- le code rural et de la pêche maritime ;

- la codification des usages locaux à caractère agricole du département de la Moselle approuvée par délibération du conseil général de la Moselle du 9 janvier 1961 ;

- le code de justice administrative ;

Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de M. Guillaume de La Taille Lolainville, maître des requêtes,

- les conclusions de Mme Karin Ciavaldini, rapporteur public ;

La parole ayant été donnée, avant et après les conclusions, à la SCP Spinosi, Sureau, avocat de M. D..., à la SCP Meier-Bourdeau, Lecuyer, avocat de la commune de Luppy et à la SCP Marlange, de la Burgade, avocat de M. A... ;

Considérant ce qui suit :

1. Il ressort des pièces du dossier soumis au juge des référés que M. D... est propriétaire, dans la commune de Luppy, d'une maison située rue de Tragny après l'intersection avec la rue du Château. Le 4 mars 2019, M. A... a acquis la maison immédiatement voisine à l'angle des deux rues. Il a également acquis des terrains nus à usage agricole longeant l'arrière des deux maisons. A la date d'un constat dressé le 12 avril 2019, un passage engazonné propriété de la commune, perpendiculaire à la rue de Tragny et parallèle à la rue du Château, rejoignait, en passant entre les deux maisons, le mur de clôture, dépourvu d'ouverture, de ces terrains nus. Estimant insuffisant l'accès dont il disposait à ces derniers, M. A... a procédé à la destruction du mur de clôture et obtenu du maire de Luppy, le 10 juillet 2019, l'autorisation d'aménager à ses frais le passage engazonné afin de le rendre carrossable. Sur le fondement de l'article L. 521-3 du code de justice administrative, M. D... a saisi le juge des référés du tribunal administratif de Strasbourg de demandes tendant à ce que soient ordonnées la suspension des travaux entrepris par M. A... et la remise en état du passage. Il se pourvoit en cassation contre l'ordonnance du 12 août 2019 par laquelle ce juge a rejeté ces demandes.

2. Saisi sur le fondement de l'article L. 521-3 du code de justice administrative d'une demande qui n'est pas manifestement insusceptible de se rattacher à un litige relevant de la compétence du juge administratif, le juge des référés peut prescrire, à des fins conservatoires ou à titre provisoire, toutes mesures que l'urgence justifie, notamment sous forme d'injonctions adressées à l'administration, à la condition que ces mesures soient utiles et ne se heurtent à aucune contestation sérieuse. En raison du caractère subsidiaire du référé régi par les dispositions de l'article L. 521-3, le juge saisi sur ce fondement ne peut prescrire les mesures qui lui sont demandées lorsque leurs effets pourraient être obtenus par les procédures de référé régies par les articles L. 521-1 et L 521-2. Enfin, il ne saurait faire obstacle à l'exécution d'une décision administrative, même celle refusant la mesure demandée, à moins qu'il ne s'agisse de prévenir un péril grave.

3. Il ressort des pièces du dossier soumis au juge des référés, que la demande de M D... ne tendait pas à ce qu'il ordonne des mesures conservatoires pour prévenir ou faire cesser un dommage imputable à des travaux publics, afin de faire échec ou de mettre un terme à un danger grave et immédiat, mais tendait à ce que ce juge ordonne la suspension de l'autorisation donnée par le maire de Luppy à M A... de procéder à des travaux. Il résulte de ce qui a été dit au point 2 qu'une telle demande échappait à l'office du juge saisi sur le fondement de l'article L. 521-3 du code de justice administrative. Ce motif, qui n'emporte l'appréciation d'aucune circonstance de fait, doit être substitué à ceux retenus par l'ordonnance attaquée, dont il justifie légalement le dispositif. Il en résulte que les moyens d'erreur de droit et d'insuffisance de motivation soulevés par M. D... sont inopérants.

4. Au demeurant, en vertu des dispositions de l'article 506 du code rural (ancien) dont la teneur a depuis lors été reprise à l'article L. 511-3 du code rural et de la pêche maritime, la chambre départementale d'agriculture peut être appelée par l'autorité administrative à grouper, coordonner et codifier, pour les soumettre ensuite à l'approbation du département, les coutumes et usages locaux à caractère agricole qui servent ordinairement de base aux décisions judiciaires. Par délibération du 9 janvier 1961, le conseil général de la Moselle a approuvé la codification par la chambre départementale d'agriculture des usages locaux à caractère agricole de ce département, lesquels reconnaissent notamment des droits aux riverains sur certains terrains dénommés " usoirs ". Il résulte des dispositions combinées des articles 59 à 62 de cette codification que les droits coutumiers reconnus au riverain sur " l'usoir ", opposables à l'autorité chargée de la gestion du domaine lorsque " l'usoir " en fait partie, consistent principalement en la faculté d'y déposer ce qui est nécessaire à son exploitation sans que cette utilisation interdise de façon permanente la circulation des autres usagers.

5. Toutefois, aux termes de l'article 57 de la codification : " On comprend sous la dénomination d'usoir l'affectation spéciale d'une bande de terrain, mais aussi cette bande de terrain elle-même le long des routes à la traversée des localités jusqu'aux immeubles construits. / L'immeuble peut être attenant à cette bande de terrain par la façade principale ou par les côtés ou même par l'arrière. / Habituellement, mais pas nécessairement, l'usoir est séparé de la route proprement dite par un caniveau. / L'emplacement ou l'usage d'un emplacement quelconque séparé par un chemin ou autrement de l'immeuble, pour les besoins duquel sera utilisé l'emplacement, ne constitue pas un "usoir". " Il résulte de la lettre même de ces dispositions que seul peut avoir le caractère d'un " usoir " l'espace non bâti compris entre une voie traversant une localité et l'une quelconque des façades des bâtiments implantés le long de cette voie, à l'exclusion en particulier des espaces qui, quand bien même bordés latéralement par des bâtiments, sont situés entre la voie et un terrain non bâti ou l'enceinte de ce dernier.

6. Il résulte des pièces soumises au juge des référés que le passage objet de la demande de M. D..., certes ouvert entre la maison dont il est propriétaire et celle de son voisin, mais qui est compris entre la rue de Tragny et un terrain nu, ne pouvait être qualifié d' " usoir " dès lors qu'il ne longeait pas des façades de bâtiments implantés le long d'une voie. Dès lors, c'est sans entacher son ordonnance d'insuffisance de motivation ni commettre d'erreur de droit que le juge des référés a rejeté cette demande sans rechercher au préalable si les travaux entrepris par M. A... portaient atteinte aux droits que M. D... estimait tenir du second alinéa de l'article 59 de la codification, relatif à l'ordre de priorité des riverains dans leurs droits d'usage sur les usoirs.

7. Il résulte de ce qui précède que M. D... n'est pas fondé à demander l'annulation de l'ordonnance qu'il attaque. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce qu'une somme soit mise, à ce titre, à la charge de M. A... et de la commune de Luppy, qui n'ont pas, dans la présente instance, la qualité de partie perdante. Il y a lieu en revanche, au titre des mêmes dispositions et dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de M. D... le versement d'une somme de 1 500 euros à M. A..., d'une part, et à la commune de Luppy, d'autre part.

D E C I D E :

--------------

Article 1er : Le pourvoi de M. D... est rejeté.

Article 2 : M. D... versera la somme de 1 500 euros à M. A... au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 3 : M. D... versera la somme de 1 500 euros à la commune de Luppy au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 4 : La présente décision sera notifiée à M. B... D..., à M. C... A... et à la commune de Luppy.


Synthèse
Formation : 8ème - 3ème chambres réunies
Numéro d'arrêt : 434021
Date de la décision : 24/02/2020
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Publications
Proposition de citation : CE, 24 fév. 2020, n° 434021
Inédit au recueil Lebon

Composition du Tribunal
Rapporteur ?: M. Guillaume de LA TAILLE LOLAINVILLE
Rapporteur public ?: Mme Karin Ciavaldini
Avocat(s) : SCP SPINOSI, SUREAU ; SARL MEIER-BOURDEAU, LECUYER ET ASSOCIES ; SCP MARLANGE, DE LA BURGADE

Origine de la décision
Date de l'import : 26/02/2020
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CE:2020:434021.20200224
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