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27/01/2020 | FRANCE | N°437509

France | France, Conseil d'État, Juge des référés, 27 janvier 2020, 437509


Vu la procédure suivante :

Par une requête et un mémoire, enregistrés les 8 et 23 janvier 2020 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, M. C... B..., M. F... A... et M. D... E... demandent au juge des référés du Conseil d'Etat, statuant sur le fondement de l'article L. 521-1 du code de justice administrative :

1°) de suspendre l'exécution des décisions par lesquelles la présidente, le rapporteur général et le président de la formation restreinte du haut conseil du commissariat aux comptes (H3C) ont refusé de faire droit aux demandes présentées les 25 et

30 septembre 2019 ainsi que les 2, 11 et 25 octobre 2019 tendant à ce qu'il s...

Vu la procédure suivante :

Par une requête et un mémoire, enregistrés les 8 et 23 janvier 2020 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, M. C... B..., M. F... A... et M. D... E... demandent au juge des référés du Conseil d'Etat, statuant sur le fondement de l'article L. 521-1 du code de justice administrative :

1°) de suspendre l'exécution des décisions par lesquelles la présidente, le rapporteur général et le président de la formation restreinte du haut conseil du commissariat aux comptes (H3C) ont refusé de faire droit aux demandes présentées les 25 et 30 septembre 2019 ainsi que les 2, 11 et 25 octobre 2019 tendant à ce qu'il soit sursis à statuer sur leur instance disciplinaire, dans l'attente du jugement pénal relatif aux mêmes faits ;

2°) d'enjoindre au H3C de surseoir à statuer sur leur instance disciplinaire dans l'attente de l'issue définitive de la procédure pénale relative aux mêmes faits, sans délai et sous astreinte ;

3°) de mettre à la charge du H3C la somme de 5 000 euros au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Ils soutiennent que :

- leur requête est recevable ;

- la condition d'urgence est remplie dès lors que, d'une part, la poursuite de l'instance disciplinaire risque d'affecter gravement et irrémédiablement l'exercice des droits de la défense dans la cadre de l'instance pénale parallèle ainsi que de porter atteinte au principe de bonne administration de la justice et, d'autre part, l'audience devant la formation restreinte du H3C a vocation à se tenir le 13 février 2020 ;

- il existe un doute sérieux quant à la légalité des décisions contestées ;

- les décisions contestées sont privées de base légale dès lors que le Conseil constitutionnel ne manquera pas de déclarer inconstitutionnelles les dispositions des articles L. 824-4 à L. 824-11 du code de commerce si la question prioritaire de constitutionnalité soulevée lui est transmise ;

- ces mêmes décisions méconnaissent, d'une part, l'article 6 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales qui garantit les droits de la défense, notamment celui de ne pas s'auto-incriminer, et, d'autre part, son article 14 qui proscrit la discrimination.

Par un mémoire distinct, enregistré le 8 janvier 2020, présenté en application de l'article 23-5 de l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958, MM. B..., A... et E... demandent au juge des référés du Conseil d'Etat de renvoyer au Conseil constitutionnel la question de la conformité aux droits et libertés garantis par la Constitution des articles L. 824-4 à L. 824-11 du code de commerce. Ils soutiennent que ces articles applicables au litige n'ont jamais été déclarés conformes à la Constitution et que la question posée présente un caractère sérieux.

Par un mémoire en défense, enregistré le 20 janvier 2020, la présidente du haut conseil du commissariat aux comptes conclut au rejet de la requête et à ce qu'il soit mis à la charge de chacun des requérants la somme de 2 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative. Elle soutient que la requête est irrecevable, que la condition d'urgence n'est pas remplie et qu'aucun des moyens soulevés n'est propre à créer, en l'état de l'instruction, un doute sérieux quant à la légalité des décisions attaquées.

La garde des sceaux, ministre de la justice, a présenté des observations le 23 janvier 2020.

Après avoir convoqué à une audience publique, d'une part, MM. B..., A... et E... et, d'autre part, la présidente du haut conseil du commissariat aux comptes ;

Vu l'audience publique du jeudi 23 janvier 2020 à 11 heures au cours de laquelle ont été entendus :

- Me Gury, avocat au Conseil d'Etat et à la Cour de cassation, avocat de MM. B..., A... et E... ;

- les représentants de MM. B..., A... et E... ;

- Me Ohl, avocat au Conseil d'Etat et à la Cour de cassation, avocat du haut conseil du commissariat aux comptes ;

- la présidente du haut conseil du commissariat aux comptes ;

et à l'issue de laquelle le juge des référés a clos l'instruction.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :

- la Constitution, notamment son Préambule ;

- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- le code de commerce ;

- le code de justice administrative ;

Vu la note en délibéré, enregistrée le 23 janvier 2020, présentée par la présidente du haut conseil du commissariat aux comptes ;

Considérant ce qui suit :

1. Aux termes du premier alinéa de l'article L. 521-1 du code de justice administrative : " Quand une décision administrative, même de rejet, fait l'objet d'une requête en annulation ou en réformation, le juge des référés, saisi d'une demande en ce sens, peut ordonner la suspension de l'exécution de cette décision, ou de certains de ses effets, lorsque l'urgence le justifie et qu'il est fait état d'un moyen propre à créer, en l'état de l'instruction, un doute sérieux quant à la légalité de la décision ".

2. A la suite de diverses malversations apparues en 2016 dans les comptes de la société Agripole et de ses principales filiales, MM. C... B..., F... A... et D... E..., commissaires aux comptes de ces sociétés, ont fait l'objet de l'ouverture d'une enquête disciplinaire du haut conseil du commissariat aux comptes. Arguant de la conduite à leur encontre d'une procédure pénale, les intéressés ont demandé par lettres des 25 et 30 septembre 2019, 2, 11 et 25 octobre 2019 à la présidente de ce haut conseil, à son rapporteur général et au président de sa formation restreinte, de suspendre la procédure disciplinaire dans l'attente du jugement pénal à intervenir. MM. B..., A... et E... demandent au juge des référés du Conseil d'Etat, statuant sur le fondement de l'article L. 521-1 du code de justice administrative, de suspendre l'exécution des décisions implicites de rejet nées du silence gardé sur ces demandes.

3. L'article L. 824-4 du code de commerce dispose que : " Le rapporteur général est saisi de tout fait susceptible de justifier l'engagement d'une procédure de sanction .... Le rapporteur général peut également se saisir des signalements dont il est destinataire (....) ". Aux termes de l'article L. 824-8 : " A l'issue de l'enquête et après avoir entendu la personne intéressée, le rapporteur général établit un rapport d'enquête qu'il adresse au haut conseil. Lorsque les faits justifient l'engagement d'une procédure de sanction, le haut conseil délibérant hors la présence des membres de la formation restreinte arrête les griefs qui sont notifiés par le rapporteur général à la personne intéressée. (....) Le rapporteur général établit un rapport final qu'il adresse à la formation restreinte avec les observations de la personne intéressée (...) ". L'article L. 824-11 précise que : " La formation compétente pour statuer convoque la personne poursuivie à une audience qui se tient deux mois au moins après la notification des griefs (...) ".

4. Il résulte de l'instruction et notamment des échanges des parties poursuivis à l'audience, qu'à la suite du rapport d'enquête adressé par le rapporteur général au haut conseil du commissariat aux comptes, ce dernier, conformément aux dispositions de l'article L. 824-8 précitées, a arrêté les griefs susceptibles d'être reprochés aux requérants, griefs qui leur ont été notifiés le 3 février 2019, et qu'après avoir recueilli les observations de ces derniers, le rapporteur général a adressé à la formation restreinte du haut conseil du commissariat aux comptes le rapport final dont les requérants ont reçu copie le 12 novembre 2019. Le haut conseil et le rapporteur général ayant ainsi épuisé leur compétence respective, il appartient à la seule formation restreinte de décider de la suite à donner à sa saisine. Par suite, la requête de MM. B..., A... et E... doit être entendue comme dirigée contre la décision implicite qui résulterait du silence gardé par le président de la formation restreinte, pour le compte de cette formation, sur leur demande de suspension de la procédure disciplinaire suivie à leur encontre.

5. A la supposer existante, alors qu'il est constant qu'à la date de la présente ordonnance la formation restreinte ne s'est pas prononcée sur la suite à donner au rapport final que lui a adressé le rapporteur général, la décision contestée présente, en tout état de cause, le caractère d'un acte préparatoire qui n'est pas détachable de la procédure disciplinaire menée à l'encontre des requérants, au demeurant indépendante de la procédure pénale engagée contre eux sur d'autres fondements. Elle ne constitue pas dès lors, par elle-même, une décision susceptible de faire l'objet d'un recours pour excès de pouvoir ni, par suite, d'une requête aux fins de sa suspension.

6. Il résulte de ce qui précède, sans qu'il soit besoin d'examiner la condition d'urgence et de statuer sur l'existence d'un doute sérieux quant à la légalité de l'acte contesté, que la requête de MM. B..., A... et E... doit être rejetée comme irrecevable, y compris les conclusions présentées au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

7. La présente ordonnance rejetant les conclusions à fin de suspension pour irrecevabilité, il n'y a pas lieu de statuer sur la demande de renvoi au Conseil constitutionnel de la question prioritaire de constitutionnalité soulevée.

8. Dans les circonstances de l'espèce, il n'y a pas lieu de faire droit aux conclusions présentées au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative par la présidente du haut conseil du commissariat aux comptes.

O R D O N N E :

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Article 1er : Il n'y a pas lieu de renvoyer au Conseil constitutionnel la question de la conformité à la Constitution des dispositions des articles L. 824-4 à L. 824-11 du code de commerce.

Article 2 : La requête de MM. B..., A... et E... est rejetée.

Article 3 : Les conclusions présentées par la présidente du haut conseil du commissariat aux comptes au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.

Article 4 : La présente ordonnance sera notifiée à M. C... B..., M. F... A... et M. D... E... ainsi qu'à la présidente du haut conseil du commissariat aux comptes.

Copie en sera adressée à la garde des sceaux, ministre de la justice.


Synthèse
Formation : Juge des référés
Numéro d'arrêt : 437509
Date de la décision : 27/01/2020
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Publications
Proposition de citation : CE, 27 jan. 2020, n° 437509
Inédit au recueil Lebon

Composition du Tribunal
Avocat(s) : SCP OHL, VEXLIARD ; SCP SPINOSI, SUREAU

Origine de la décision
Date de l'import : 04/02/2020
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CE:2020:437509.20200127
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