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20/09/2019 | FRANCE | N°420909

France | France, Conseil d'État, 7ème - 2ème chambres réunies, 20 septembre 2019, 420909


Vu la procédure suivante :

Procédure antérieure

Mme B... A..., veuve C..., a demandé au tribunal administratif de Limoges d'annuler, d'une part, la décision du 20 janvier 2016 par laquelle la Caisse nationale de retraites des agents des collectivités locales (CNRACL) lui a demandé le remboursement d'une somme de 109 279,40 euros en raison d'un trop perçu de pension de réversion et, d'autre part, de la décision du 26 avril 2016 par laquelle la CNRACL a rejeté son recours gracieux contre la décision du 20 janvier 2016. Par un jugement n° 1600889 du 28 septembre 2017, l

e tribunal administratif de Limoges a rejeté sa demande.

Par une ordonn...

Vu la procédure suivante :

Procédure antérieure

Mme B... A..., veuve C..., a demandé au tribunal administratif de Limoges d'annuler, d'une part, la décision du 20 janvier 2016 par laquelle la Caisse nationale de retraites des agents des collectivités locales (CNRACL) lui a demandé le remboursement d'une somme de 109 279,40 euros en raison d'un trop perçu de pension de réversion et, d'autre part, de la décision du 26 avril 2016 par laquelle la CNRACL a rejeté son recours gracieux contre la décision du 20 janvier 2016. Par un jugement n° 1600889 du 28 septembre 2017, le tribunal administratif de Limoges a rejeté sa demande.

Par une ordonnance n° 17BX03521 du 18 janvier 2018, enregistrée le 24 mai 2018 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, le président de la cour administrative d'appel de Bordeaux a transmis au Conseil d'Etat, en application de l'article R. 351-2 du code de justice administrative, le pourvoi enregistré le 10 novembre 2017 au greffe de cette cour, présenté par Mme A.... Par ce pourvoi, Mme A... demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler ce jugement ;

2°) réglant l'affaire au fond, de faire droit à sa demande ;

3°) de mettre à la charge de la Caisse des dépôts et consignations la somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Recours en révision

Sous le n° 422329, par une requête et un nouveau mémoire, enregistrés les 17 juillet et 12 septembre 2018 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, Mme A... demande au Conseil d'Etat :

1°) de réviser l'ordonnance du 17 mai 2018 ;

2°) statuant à nouveau sur le pourvoi enregistré sous le n° 417528, d'annuler le jugement du 28 septembre 2017 du tribunal administratif de Limoges ;

3°) d'annuler les décisions de la Caisse nationale de retraites des agents des collectivités locales des 20 janvier et 26 avril 2016 ;

4°) de mettre à la charge de la Caisse des dépôts et consignations la somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

....................................................................................

Vu les autres pièces des dossiers ;

Vu :

- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et le premier protocole additionnel à cette convention ;

- le code civil ;

- le code des pensions civiles et militaires de retraite ;

- la loi n° 84-53 du 26 janvier 1984 ;

- la loi n° 2008-561 du 17 juin 2008 ;

- le décret n° 65-773 du 9 septembre 1965 ;

- le décret n° 2003-1306 du 26 décembre 2003 ;

- le décret n° 2007-173 du 7 février 2007 ;

- le code de justice administrative ;

Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de M. Thomas Pez-Lavergne, maître des requêtes en service extraordinaire,

- les conclusions de M. Gilles Pellissier, rapporteur public ;

La parole ayant été donnée, avant et après les conclusions, à la SCP Hémery, Thomas-Raquin, Le Guerer, avocat de Mme A... et à la SCP L. Poulet, Odent, avocat de la Caisse des dépôts et consignations ;

Considérant ce qui suit :

1. Aux termes de l'article R. 834-1 du code de justice administrative : " Le recours en révision contre une décision contradictoire du Conseil d'Etat ne peut être présenté que dans trois cas : 1° Si elle a été rendue sur pièces fausses ; / 2° Si la partie a été condamnée faute d'avoir produit une pièce décisive qui était retenue par son adversaire ; / 3° Si la décision est intervenue sans qu'aient été observées les dispositions du présent code relatives à la composition de la formation de jugement, à la tenue des audiences ainsi qu'à la forme et au prononcé de la décision ". L'article R. 833-1 du même code dispose que : " Lorsqu'une décision d'une cour administrative d'appel ou du Conseil d'Etat est entachée d'une erreur matérielle susceptible d'avoir exercé une influence sur le jugement de l'affaire, la partie intéressée peut introduire devant la juridiction qui a rendu la décision un recours en rectification. / Ce recours doit être présenté dans les mêmes formes que celles dans lesquelles devait être introduite la requête initiale. Il doit être introduit dans un délai de deux mois qui court du jour de la notification ou de la signification de la décision dont la rectification est demandée. / (...) ". Le recours en rectification d'erreur matérielle ouvert par cet article présente un caractère subsidiaire par rapport au recours en révision et n'est recevable que si son objet ne peut pas être atteint par l'exercice de ce dernier.

Sur le recours en révision :

2. Aux termes de l'article R. 742-2 du code de justice administrative : " Les ordonnances mentionnent le nom des parties, l'analyse des conclusions ainsi que les visas des dispositions législatives ou réglementaires dont elles font application. / Elles font apparaître la date à laquelle elles ont été signées. (...) ".

3. Pour demander la révision de l'ordonnance de la présidente de la 7ème chambre de la section du contentieux du Conseil d'Etat du 17 mai 2018, Mme A... soutient qu'elle ne mentionne pas la date à laquelle elle a été signée. Toutefois, il résulte de l'instruction que la minute de l'ordonnance a été signée le 17 mai 2018. Le moyen ne peut donc, en tout état de cause, qu'être écarté.

4. Il résulte de ce qui précède que le recours en révision présenté par Mme A... doit être rejeté.

Sur le recours en rectification d'erreur matérielle :

5. Aux termes de l'article L. 822-1 du code de justice administrative : " Le pourvoi en cassation devant le Conseil d'Etat fait l'objet d'une procédure préalable d'admission. L'admission est refusée par décision juridictionnelle si le pourvoi est irrecevable ou n'est fondé sur aucun moyen sérieux ". Selon l'article R. 822-5 du même code : " Lorsque le pourvoi est irrecevable pour défaut de ministère d'avocat (...) le président de la chambre peut décider par ordonnance de ne pas l'admettre ". Aux termes de l'article R. 821-3 du même code : " Le ministère d'un avocat au Conseil d'Etat et à la Cour de cassation est obligatoire pour l'introduction, devant le Conseil d'Etat, des recours en cassation, à l'exception de ceux dirigés contre les décisions de la commission centrale d'aide sociale et des juridictions de pension ".

6. Par l'ordonnance attaquée du 17 mai 2018, notifiée le 18 mai 2018, la présidente de la 7ème chambre de la section du contentieux du Conseil d'Etat a refusé l'admission du pourvoi en cassation de Mme A... tendant à l'annulation du jugement du tribunal administratif de Limoges du 28 septembre 2017, au motif que ce pourvoi était irrecevable dès lors que, contrairement aux prescriptions de l'article R. 821-3 du code de justice administrative, il n'avait pas été régularisé par la constitution d'un avocat au Conseil d'Etat et à la Cour de cassation malgré l'invitation adressée en ce sens par lettre du 25 janvier 2018, notifiée le 29 janvier 2018. Il ressort toutefois des pièces du dossier que ce pourvoi avait été régularisé par un avocat au Conseil d'Etat et à la Cour de cassation le 24 janvier 2018. Ainsi, à la date à laquelle le juge a statué, le pourvoi remplissait la condition de recevabilité tenant à l'obligation de ministère d'avocat prévue par les dispositions de l'article R. 821-3 du code de justice administrative. Dès lors, l'ordonnance attaquée, qui est entachée d'une erreur matérielle, laquelle n'est pas imputable à Mme A..., doit être déclarée nulle et non avenue.

7. Il y a lieu, en conséquence, de statuer sur le pourvoi de Mme A... enregistré sous le n° 417528.

Sur le pourvoi enregistré sous le n° 417528 :

8. Il ressort des pièces du dossier soumis au juge du fond que Mme A... a bénéficié d'une pension de réversion du chef de son époux, agent territorial employé par la commune de Châteauroux, décédé le 8 août 1988. Par courrier du 27 mai 2015, la Caisse nationale de retraites des agents des collectivités locales (CNRACL) lui a adressé une déclaration à remplir attestant de sa situation familiale. Mme A... y a répondu, le 7 juin 2015, en déclarant vivre en concubinage notoire depuis le 30 avril 1991. La CNRACL l'a alors informée, par courrier du 11 août 2015, que le paiement de sa pension de réversion serait suspendu à compter du mois d'août 2015 et, par un courrier du 20 janvier 2016, qu'elle était redevable, au titre de la pension de réversion indument perçue depuis le 1er août 1995, d'une somme globale de 109 279,40 euros. Le recours gracieux de Mme A... contre la décision du 20 janvier 2016 a été rejeté par la CNRACL le 26 avril 2016. Mme A... a demandé au tribunal administratif de Limoges d'annuler les décisions des 20 janvier et 26 avril 2016. Par un jugement du 28 septembre 2017, contre lequel Mme A... se pourvoit en cassation, ce tribunal a rejeté sa demande.

9. En premier lieu, aux termes de l'article R. 741-7 du code de justice administrative : " Dans les tribunaux administratifs et les cours administratives d'appel, la minute de la décision est signée par le président de la formation de jugement, le rapporteur et le greffier d'audience ". Selon l'article R. 741-8 du même code : " Si le président de la formation est rapporteur, la minute est signée, en outre, par l'assesseur le plus ancien dans l'ordre du tableau. / Lorsque l'affaire est jugée par un magistrat statuant seul, la minute du jugement est signée par ce magistrat et par le greffier d'audience ".

10. Il ressort de la minute du jugement attaqué que celle-ci porte la signature du magistrat statuant seul qui l'a rendu et du greffier d'audience. Ainsi, le moyen soulevé par Mme A... tiré de ce que les dispositions précitées de l'article R. 741-8 du code de justice administrative auraient été méconnues manque en fait et doit être écarté.

11. En deuxième lieu, si, en principe, le droit à pension de réversion est régi par les dispositions en vigueur à la date du décès de l'ayant cause, la restitution des sommes payées indûment au titre d'une pension est soumise, en l'absence de disposition contraire, aux dispositions en vigueur à la date à laquelle l'autorité compétente décide de procéder à la répétition des sommes indûment versées.

12. Aux termes de l'article 1er du décret du 26 décembre 2003 relatif au régime de retraite des fonctionnaires affiliés à la Caisse nationale de retraites des agents des collectivités locales : " Les dispositions du présent décret s'appliquent aux fonctionnaires mentionnés à l'article 2 du décret n° 2007-173 du 7 février 2007 relatif à la Caisse nationale de retraites des agents des collectivités locales et à leurs ayants cause ". L'article 2 du décret du 7 février 2007 relatif à la Caisse nationale de retraites des agents des collectivités locales dispose que : " Sont obligatoirement affiliés à la Caisse nationale de retraites des agents des collectivités locales les fonctionnaires soumis aux dispositions de la loi n° 84-53 du 26 janvier 1984 (...) ". Aux termes de l'article 47 du décret du 26 décembre 2003 précité, qui reprend les dispositions de l'article 43 du décret du 9 septembre 1965 portant règlement d'administration publique relatif au régime de retraite des tributaires de la Caisse nationale de retraites des agents des collectivités locales : " Le conjoint survivant ou divorcé qui contracte un nouveau mariage ou vit en état de concubinage notoire perd son droit à pension (...) ".

13. L'article 59 du décret du 26 décembre 2003 précité dispose que : " (...) La restitution des sommes payées indûment au titre des pensions, de leurs accessoires, d'avances provisoires sur pensions, attribués en application des dispositions du présent décret est réglée conformément aux dispositions de l'article L. 93 du code des pensions civiles et militaires de retraite (...) ". Aux termes de l'article L. 93 du code des pensions civiles et militaires de retraite : " Sauf le cas de fraude, omission, déclaration inexacte ou de mauvaise foi de la part du bénéficiaire, la restitution des sommes payées indûment au titre des pensions, de leurs accessoires ou d'avances provisoires sur pensions, attribués en application des dispositions du présent code, ne peut être exigée que pour celles de ces sommes correspondant aux arrérages afférents à l'année au cours de laquelle le trop-perçu a été constaté et aux trois années antérieures ".

14. L'époux de Mme A... était fonctionnaire territorial, soumis aux dispositions de la loi du 26 janvier 1984 portant dispositions statutaires relatives à la fonction publique territoriale. Par suite, compte tenu, ainsi qu'il a été dit au point 11, de la date à laquelle la CNRACL a décidé de procéder à la répétition des sommes indûment versées, les dispositions relatives aux règles de prescription applicables à la pension de réversion perçue par Mme A... sont celles du décret du 26 décembre 2003, qui renvoient au code des pensions civiles et militaires de retraite.

15. La perception par Mme A..., à compter du 30 avril 1991, de sa pension de réversion malgré son concubinage notoire est consécutive à une absence de déclaration auprès de l'administration de son changement de situation. Cette omission, alors même qu'elle ne révèle aucune intention frauduleuse ou mauvaise foi, fait obstacle à l'application de la prescription prévue par l'article L. 93 du code des pensions civiles et militaires de retraite. Dès lors, Mme A... n'est pas fondée à soutenir que le tribunal administratif de Limoges a commis une erreur de droit ou de qualification juridique des faits en estimant qu'elle ne pouvait bénéficier de cette prescription.

16. En troisième lieu, en vertu de l'article 2224 du code civil, dans sa rédaction issue de la loi du 17 juin 2008, les actions personnelles ou mobilières se prescrivent par cinq ans à compter du jour où le titulaire d'un droit a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant de l'exercer. La prescription quinquennale ainsi prévue ne porte que sur le délai pour exercer l'action, non sur la détermination de la créance elle-même. Ainsi, dès lors que l'action est introduite dans le délai de cinq ans à compter du jour où le titulaire du droit a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant de l'exercer, la seule limite à l'exercice de ce droit résulte de l'article 2232 du code civil, dans sa rédaction issue de la loi du 17 juin 2008, aux termes duquel " le report du point de départ, la suspension ou l'interruption de la prescription ne peut avoir pour effet de porter le délai de la prescription extinctive au-delà de vingt ans à compter du jour de la naissance du droit ". Cependant, en application des dispositions du II de son article 26, les dispositions de la loi du 17 juin 2008 qui réduisent la durée d'une prescription s'appliquent à compter du jour de l'entrée en vigueur de la loi, sans que la durée totale puisse excéder la durée prévue par la loi antérieure. Il en résulte que lorsque l'exercice d'une action n'était enserré, avant l'intervention de la loi du 17 juin 2008, que par la prescription trentenaire, cette prescription continue à s'appliquer.

17. Il résulte des pièces produites devant le juge du fond que Mme A... a déclaré, le 7 juin 2015, vivre en concubinage notoire depuis le 30 avril 1991. Dès lors, le tribunal administratif de Limoges a pu estimer, sans entacher son jugement d'erreur de droit ou d'erreur de qualification juridique des faits, que l'action de la CNRACL en répétition des sommes indûment versées à Mme A... depuis le 1er août 1995, engagée dans le délai de cinq ans à compter de la date à laquelle elle a été informée du changement de situation familiale de l'intéressée, n'était pas prescrite à la date des décisions attaquées des 20 janvier et 26 avril 2016.

18. En dernier lieu, le moyen tiré de la méconnaissance de l'article 1er du premier protocole additionnel à la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales n'a pas été invoqué devant le tribunal administratif de Limoges. Ce moyen n'est pas né du jugement attaqué et n'est pas d'ordre public. Par suite, Mme A... ne peut utilement le soulever pour contester le bien-fondé du jugement qu'elle attaque.

19. Il résulte de ce qui précède que le pourvoi de Mme A... doit être rejeté.

20. Il n'y a pas lieu, dans les circonstances de l'espèce, de faire droit aux conclusions présentées par Mme A... au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

D E C I D E :

--------------

Article 1er : Le recours en révision de Mme A... est rejeté.

Article 2 : Le recours en rectification d'erreur matérielle présenté par Mme A... est admis.

Article 3 : L'ordonnance du 17 mai 2018 de la présidente de la 7ème chambre de la section du contentieux du Conseil d'Etat est déclarée nulle et non avenue.

Article 4 : Le pourvoi de Mme A... enregistré sous le n° 417528 est rejeté.

Article 5 : Les conclusions de Mme A... tendant à l'application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.

Article 6 : La présente décision sera notifiée à Mme B... A..., à la Caisse des dépôts et consignations et au ministre de l'action et des comptes publics.


Synthèse
Formation : 7ème - 2ème chambres réunies
Numéro d'arrêt : 420909
Date de la décision : 20/09/2019
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Rectif. d'erreur matérielle

Publications
Proposition de citation : CE, 20 sep. 2019, n° 420909
Inédit au recueil Lebon

Composition du Tribunal
Rapporteur ?: M. Thomas Pez-Lavergne
Rapporteur public ?: M. Gilles Pellissier
Avocat(s) : SCP HEMERY, THOMAS-RAQUIN, LE GUERER ; SCP L. POULET, ODENT

Origine de la décision
Date de l'import : 08/10/2019
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CE:2019:420909.20190920
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