Vu la procédure suivante :
Par une requête, un mémoire en réplique et un nouveau mémoire, enregistrés les 16 août et 3 et 4 septembre 2019 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat,
M. A... B... demande au juge des référés du Conseil d'Etat, statuant sur le fondement de l'article L. 521-1 du code de justice administrative :
1°) de suspendre l'exécution de la décision n° 10 du 2 juillet 2019 de la commission des sanctions de l'Autorité des marchés financiers (AMF) en tant qu'elle lui inflige une sanction pécuniaire de 20 000 euros et ordonne la publication de sa décision sur le site de l'AMF en fixant à cinq ans la durée de son maintien en ligne de manière non anonyme ;
2°) de mettre à la charge de l'AMF la somme de 5 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
M. B... soutient que :
- la condition d'urgence est remplie dès lors que le montant de la sanction financière met en cause la poursuite de son activité professionnelle ;
- la décision contestée est entachée d'erreur de droit en ce qu'il n'avait, en vertu des textes alors applicables, pas d'obligation de s'assurer du caractère commercialisable des titres qu'il conseillait à ses clients ;
- une telle obligation était d'autant moins requise que les titres étaient commercialisés par un prestataire de services d'investissement ;
- l'existence d'une telle obligation méconnaîtrait le principe de légalité des délits et des peines ;
- à supposer qu'une telle obligation ait existé, il a effectué les diligences appropriées pour la respecter ;
- les circonstances aggravantes retenues par la décision contestée sont entachées d'erreur d'appréciation ;
- la sanction pécuniaire de 20 000 euros est disproportionnée.
Par un mémoire en défense et un nouveau mémoire, enregistrés les 30 août et
4 septembre 2019, l'AMF conclut au rejet de la requête. Elle soutient que la condition d'urgence n'est pas remplie et qu'aucun des moyens soulevés n'est propre à créer un doute sérieux quant à la légalité de la décision attaquée.
Vu les autres pièces des dossiers ;
Vu :
- le code monétaire et financier ;
- le code de justice administrative ;
Après avoir convoqué à une audience publique, d'une part, M. A... B... et, d'autre part, l'Autorité des marchés financiers ;
Vu le procès-verbal de l'audience publique du 4 septembre 2019 à 10 heures au cours de laquelle ont été entendus :
- Me Gury, avocat au Conseil d'Etat et à la Cour de cassation, avocat de M. A... B... ;
- M. A... B... ;
- Me Ohl, avocat au Conseil d'Etat et à la Cour de cassation, avocat de l'Autorité des marchés financiers ;
- les représentants de l'Autorité des marchés financiers ;
et à l'issue de laquelle l'instruction a été close le 5 septembre à 11 heures ;
Considérant ce qui suit :
1. Aux termes du premier alinéa de l'article L. 521-1 du code de justice administrative : " Quand une décision administrative, même de rejet, fait l'objet d'une requête en annulation ou en réformation, le juge des référés, saisi d'une demande en ce sens, peut ordonner la suspension de l'exécution de cette décision, ou de certains de ses effets, lorsque l'urgence le justifie et qu'il est fait état d'un moyen propre à créer, en l'état de l'instruction, un doute sérieux quant à la légalité de la décision ".
2. Il résulte de l'instruction que M. B..., conseiller en investissements financiers, a, entre les mois d'août 2015 et d'octobre 2016, présenté à sa clientèle de particuliers des actions d'un fonds d'investissement alternatif britannique dénommé VIAGEFI 6, qui était commercialisé en France par la société Invest Securities, prestataire de services d'investissement avec laquelle M. B... avait passé un contrat d'apporteur d'affaires. Sur les conseils de
M. B..., quatre particuliers y ont investi une partie de leur épargne, pour des montants allant de 50 000 à 100 000 euros.
3. La commercialisation du fonds Viagefi 6 étant, faute d'autorisation préalablement délivrée par l'autorité des marchés financiers (AMF), interdite en France en application des dispositions de l'article L. 214-24-1 du code monétaire et financier, M. B... a fait l'objet le 2 juillet 2019 par la commission des sanctions de l'AMF, à raison du concours qu'il avait apporté à ces transactions, d'une sanction pécuniaire de 20 000 euros assortie d'une publication non anonymisée de cette sanction pendant cinq ans sur le site internet de l'AMF.
4. M. B... demande au juge des référés du Conseil d'Etat la suspension, sur le fondement des dispositions citées au point 1, de l'exécution de cette sanction.
Sur l'urgence :
5. Il résulte de l'instruction que la sanction pécuniaire infligée à M. B... représente, au regard du bénéfice moyen qu'il a réalisé au cours des années 2017 et 2018, plus de la moitié des ressources qu'il tire annuellement de son activité de conseiller en investissements financiers, laquelle constitue sa principale source de revenus. Dans ces conditions, cette sanction est de nature à créer une situation d'urgence pour l'application des dispositions de l'article L.521-1 du code de justice administrative.
Sur la sanction :
6. Aux termes de l'article L. 541-8-1 du code monétaire et financier, dans sa rédaction en vigueur à la date des faits reprochés : " Les conseillers en investissements financiers doivent : (...) / 2° Exercer leur activité, dans les limites autorisées par leur statut, avec la compétence, le soin et la diligence qui s'imposent au mieux des intérêts de leurs clients, afin de leur proposer une offre de services adaptée et proportionnée à leurs besoins et à leurs objectifs (...) ". Pour infliger à M. B... la sanction contestée, la commission des sanctions de l'AMF s'est fondée, d'une part, sur ce que le fait, pour l'intéressé, d'avoir recommandé à quatre de ses clients d'investir dans les actions d'un fonds dont la commercialisation n'était pas autorisée en France, méconnaissait les dispositions citées ci-dessus et, d'autre part, sur ce que ce manquement dans son activité de conseil avait pour circonstance aggravante l'inadéquation avérée du produit conseillé au profil de ses clients.
7. En premier lieu, le principe de légalité des délits et des peines ne fait pas obstacle à ce que la commission des sanctions de l'AMF sanctionne une infraction définie par référence aux obligations auxquelles est soumise une personne en raison de l'activité qu'elle exerce, dès lors qu'à la date des faits litigieux, la règle en cause est suffisamment claire, de sorte qu'il apparaisse de façon raisonnablement prévisible par les professionnels concernés, eu égard aux textes définissant leurs obligations professionnelles et à l'interprétation en ayant été donnée jusqu'alors par l'AMF ou la commission des sanctions, que le comportement litigieux constitue un manquement à ces obligations, susceptible comme tel d'être sanctionné.
8. Par suite, alors même que la commercialisation du fonds VIAGEFI 6 était assurée par un prestataire de services d'investissement auquel il incombait de s'assurer du caractère licite de cette commercialisation en France, le moyen tiré de ce que, compte tenu des termes de l'article L.541-8-1 du code monétaire et financier cité ci-dessus, l'absence de vérification par M. B... de la régularité de cette commercialisation ne pouvait revêtir un caractère fautif sans que soit méconnu le principe de légalité des délits et des peines, n'est pas, en l'état de l'instruction, de nature à faire naître un doute sérieux quant à la légalité de la sanction contestée. Il y a notamment lieu de relever, à cet égard, que la commission des sanctions de l'AMF a, dès 2015, prononcé à l'encontre de conseillers en investissements financiers des sanctions à raison de faits comparables, en les qualifiant de la même façon.
9. En deuxième lieu, le moyen tiré de ce que, compte tenu notamment des assurances qui lui avaient été données par le directeur du fonds VIAGEFI 6 et de la confiance qu'il pouvait avoir dans les vérifications qu'il incombait à la société Invest Securities d'effectuer, M. B... n'aurait, en tout état de cause, pas méconnu l'obligation de s'assurer personnellement du caractère licite de la commercialisation des titres qu'il proposait à sa clientèle, n'est pas non plus, en l'état de l'instruction, de nature à faire naître un doute sérieux quant à la légalité de la sanction contestée.
10. En troisième lieu toutefois, est, en l'état de l'instruction, de nature à faire naître un doute sérieux sur la légalité de la sanction pécuniaire contestée, en tant que son montant excède 10 000 euros, le moyen tiré de l'erreur d'appréciation commise par la commission des sanction en ce qu'elle a estimé, alors que les particuliers conseillés par M. B... avaient été clairement informés des caractéristiques du produit financier auquel ils souscrivaient et avaient expressément consenti aux risques en capital et en liquidité qu'il comportait, que la faute commise par M. B... en ne vérifiant pas la légalité de la commercialisation de VIAGEFI 6 était aggravée par le fait que ce placement présentait une " inadéquation avérée " au profil de ses clients.
11. Par suite, il y a lieu de suspendre l'exécution de la décision de la commission des sanctions de l'AMF du 2 juillet 2019 en tant que la sanction pécuniaire qu'elle inflige à M. B... excède 10 000 euros.
12. Compte tenu de la suspension partielle ainsi prononcée, le moyen tiré de ce que la sanction pécuniaire serait, en, raison de son montant, excessive par rapport aux fautes reprochées, n'est pas de nature à créer, en l'état de l'instruction, un doute sérieux quant à la légalité de la décision contestée.
13. Il résulte de tout ce qui précède qu'il n'y a lieu de suspendre l'exécution de la décision contestée que dans la mesure indiquée au point 11. Dans les circonstances de l'espèce, il n'y a pas lieu de mettre à la charge de M. B... la somme que demande l'AMF au titre de l'article L.761-1 du code de justice administrative. Il y a lieu, en revanche, de mettre à la charge de l'AMF une somme de 3 000 euros à verser, au même titre, à M. B....
O R D O N N E :
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Article 1er : L'exécution de la décision de la commission des sanctions de l'Autorité des marchés financiers du 2 juillet 2019 est suspendue en tant que la sanction pécuniaire qu'elle inflige à
M. B... excède 10 000 euros.
Article 2 : L'Autorité des marchés financiers versera à M. B... une somme de 3 000 euros au titre de l'article L.761-1 du code de justice administrative.
Article 3 : Le surplus des conclusions de la requête et les conclusions de l'Autorité des marchés financiers présentées au titre de l'article L.761-1 du code de justice administrative sont rejetés.
Article 4 : La présente décision sera notifiée à M. A... B... et à l'Autorité des marchés financiers.