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07/08/2019 | FRANCE | N°432874

France | France, Conseil d'État, Juge des référés, 07 août 2019, 432874


Vu la procédure suivante :

Par une requête et un mémoire en réplique, enregistrés les 23 juillet et 6 août 2019 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, la Banque X... demande au juge des référés du Conseil d'Etat, statuant sur le fondement de l'article L. 521-1 du code de justice administrative :
1°) de suspendre l'exécution de la décision n° 2018-06 du 11 juillet 2019 en tant qu'elle ordonne sa publication au registre de l'Autorité de contrôle prudentiel et de résolution de ladite décision pendant 5 ans sous forme nominative ;

2°) d'enjoindre à l'

Autorité de contrôle prudentiel et de résolution de ne pas publier, sur son regist...

Vu la procédure suivante :

Par une requête et un mémoire en réplique, enregistrés les 23 juillet et 6 août 2019 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, la Banque X... demande au juge des référés du Conseil d'Etat, statuant sur le fondement de l'article L. 521-1 du code de justice administrative :
1°) de suspendre l'exécution de la décision n° 2018-06 du 11 juillet 2019 en tant qu'elle ordonne sa publication au registre de l'Autorité de contrôle prudentiel et de résolution de ladite décision pendant 5 ans sous forme nominative ;

2°) d'enjoindre à l'Autorité de contrôle prudentiel et de résolution de ne pas publier, sur son registre, la décision n° 2018-06 du 11 juillet 2019 dans l'attente de l'intervention de la décision du Conseil d'Etat statuant sur le fond du litige ;

3°) à titre subsidiaire, de suspendre l'exécution de la sanction de publication jusqu'à ce qu'un accord transactionnel ait pu, le cas échéant, être conclu dans le cadre d'une médiation organisée sur le fondement des articles L. 114-1 et L. 213-1 et suivants du code de justice administrative ;

4°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 4 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :
- la condition d'urgence est remplie dès lors que la publication de la décision porterait gravement atteinte à la réputation de la Banque et à sa situation financière, en rendant plus difficile encore le recours à des prestataires de services extérieurs ;
- sont de nature à susciter un doute sérieux sur la légalité de la décision contestée les moyens respectivement tirés de :
- l'irrégularité de la procédure suivie, faute qu'elle ait été en mesure de présenter utilement sa défense ;
- l'insuffisance de sa motivation ;
- l'absence de base légale de la sanction de publication ;
- du caractère infondé de trois des manquements retenus à son encontre ;
- de son caractère disproportionné.

Par un mémoire en défense, enregistré le 31 juillet 2019, l'Autorité de contrôle prudentiel et de résolution conclut au rejet de la requête et à ce qu'une somme de 5 000 euros soit mise à la charge de la Banque X... au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative. Elle soutient que la condition d'urgence n'est pas remplie et qu'aucun des moyens soulevés n'est propre à créer un doute sérieux quant à la légalité de la décision attaquée.

Vu les autres pièces des dossiers ;
Vu :
- le code monétaire et financier ;
- le code de justice administrative.

Après avoir convoqué à une audience publique, d'une part, la Banque X... et, d'autre part, l'Autorité de contrôle prudentiel et de résolution ;

Vu le procès-verbal de l'audience publique du 7 août 2019 à 10 heures au cours de laquelle ont été entendus :

- Me Frédéric Thiriez, avocat au Conseil d'Etat et à la Cour de cassation, avocat de la Banque X... ;

- les représentants de la Banque X... ;

- Me Loïc Poupot, avocat au Conseil d'Etat et à la Cour de cassation, avocat de l'Autorité de contrôle prudentiel et de résolution ;

- la représentante de l'Autorité de contrôle prudentiel et de résolution ;
et à l'issue de laquelle le juge des référés a clos l'instruction.

Considérant ce qui suit :

1. Aux termes du premier alinéa de l'article L. 521-1 du code de justice administrative : " Quand une décision administrative, même de rejet, fait l'objet d'une requête en annulation ou en réformation, le juge des référés, saisi d'une demande en ce sens, peut ordonner la suspension de l'exécution de cette décision, ou de certains de ses effets, lorsque l'urgence le justifie et qu'il est fait état d'un moyen propre à créer, en l'état de l'instruction, un doute sérieux quant à la légalité de la décision ".
2. Il ressort des pièces du dossier que la Banque X... , établissement de crédit spécialisé dans la gestion privée, a fait l'objet, du 4 mai au 7 septembre 2017, d'un contrôle sur place diligenté par l'Autorité de contrôle prudentiel et de résolution (ACPR) qui a donné lieu à l'établissement d'un rapport de contrôle signé le 9 avril 2018. A la suite des conclusions de ce rapport, le collège de supervision de l'Autorité de contrôle prudentiel et de résolution a décidé d'ouvrir une procédure disciplinaire à l'encontre de la Banque X... . A la suite de la séance qui s'est tenue le 26 juin 2019, la commission des sanctions de l'Autorité de contrôle prudentiel et de résolution, a décidé, par une décision du 11 juillet 2019, d'infliger à la Banque X... un blâme et une sanction pécuniaire de 200 000 euros et a décidé la publication de cette décision au registre de l'ACPR pendant cinq ans sous une forme nominative, puis sous une forme anonyme. La Banque X... demande au juge des référés du Conseil d'Etat, statuant sur le fondement de l'article L. 521-1 du code de justice administrative, d'une part, de suspendre l'exécution de la décision du 11 juillet 2019 en tant qu'elle ordonne sa publication au registre de l'ACPR de ladite décision pendant 5 ans sous forme nominative. La commission des sanctions a fait droit à la demande de la Banque X... , de différer l'exécution de la décision de publication jusqu'à l'intervention de la décision du juge des référés du Conseil d'Etat.

Sur la condition d'urgence :

3. Aux termes de l'article L. 521-1 du code de justice administrative : " Quand une décision administrative, même de rejet, fait l'objet d'une requête en annulation ou en réformation, le juge des référés, saisi d'une demande en ce sens, peut ordonner la suspension de l'exécution de cette décision, ou de certains de ses effets, lorsque l'urgence le justifie et qu'il est fait état d'un moyen propre à créer, en l'état de l'instruction, un doute sérieux quant à la légalité de la décision ". Il résulte de ces dispositions que la condition d'urgence à laquelle est subordonné le prononcé d'une mesure de suspension doit être regardée comme remplie lorsque la décision contestée préjudicie de manière suffisamment grave et immédiate à un intérêt public, à la situation du requérant ou aux intérêts qu'il entend défendre. Il appartient au juge des référés, saisi d'une demande tendant à la suspension d'une telle décision, d'apprécier concrètement, compte-tenu des justifications fournies par le requérant, si les effets de celle-ci sur la situation de ce dernier ou le cas échéant, des personnes concernées, sont de nature à caractériser une urgence justifiant que, sans attendre le jugement de la requête au fond, l'exécution de la décision soit suspendue.

4. L'article L. 612-39 du code monétaire et financier dispose que : " La décision de la commission des sanctions est rendue publique dans les publications, journaux ou supports qu'elle désigne, dans un format proportionné à la faute commise et à la sanction infligée. Les frais sont supportés par les personnes sanctionnées. Toutefois, lorsque la publication risque de perturber gravement les marchés financiers ou de causer un préjudice disproportionné aux parties en cause, la décision de la commission peut prévoir qu'elle ne sera pas publiée. ".

5. Par ces dispositions, le législateur a entendu que soit en principe porté à la connaissance de toutes les personnes intéressées tant les manquements constatés que les sanctions prononcées, afin de satisfaire aux exigences d'intérêt général relatives à la transparence et au bon fonctionnement des marchés financiers.

6. Il ne peut être exclu que, dans certaines circonstances particulières, la publication sous forme nominative d'une décision de sanction cause à la personne sanctionnée un préjudice d'une telle gravité qu'il pourrait y avoir urgence à suspendre cette publication jusqu'à ce que le juge se soit prononcé au fond.
7. Il résulte de l'instruction et des éléments échangés au cours de l'audience publique que la Banque X... est un établissement de crédit familial, fondé en 1936, qui compte une soixantaine d'employés et un peu plus de 2000 clients. Les caractéristiques de cet établissement le conduisent pour pouvoir fonctionner correctement, à devoir recourir à des prestataires de services extérieurs. Il apparaît, eu égard à la nature des manquements relevés dans la décision du 11 juillet 2019, que sa publication dans le registre de l'ACPR qui est accessible sur le site internet de cette autorité, est susceptible d'emporter de graves conséquences sur le fonctionnement de cet établissement, d'une part, en altérant le lien de confiance qui unit la banque à sa clientèle traditionnelle et, d'autre part, en aggravant les difficultés qu'elle rencontre pour nouer avec des prestataires de services extérieurs externalisés les partenariats indispensables à la poursuite de son activité. Dans ces conditions, ces circonstances particulières, propres à la taille, à la structure et au mode de fonctionnement de la Banque X... , font que la publication sous forme nominative de la décision de sanction, à compter de la notification de la présente ordonnance, causerait à celle-ci un préjudice d'une gravité telle que la condition d'urgence, prévue à l'article L. 521-1 du code de justice administrative, doit être regardée comme remplie.
Sur la condition tenant à l'existence d'un moyen propre à faire naître un doute sérieux sur la légalité de la décision contestée :

8. En premier lieu, la banque requérante ne saurait utilement invoquer, à l'appui des conclusions tendant à la suspension de la publication de la décision du 11 juillet 2019, l'irrégularité de la procédure, au motif que l'article L. 612-38 du code monétaire et financier, dont elle soutient qu'il méconnaît les exigences attachées à l'article 6 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, ne prévoit pas que le rapporteur du collège fasse connaître préalablement à la séance de la commission des sanctions , les sanctions qu'il préconise dès lors qu'il résulte du procès-verbal de cette séance, qui est versé au dossier contradictoire, que le rapporteur de l'affaire s'en est remis, sur la question de la publication, à la sagesse de la commission des sanctions.

9. En deuxième lieu, le moyen tiré de l'insuffisance de la sanction complémentaire de publication, qui n'a pas à faire l'objet d'une motivation spécifique, distincte de la motivation d'ensemble de la sanction principale, n'est pas, en l'état de l'instruction, de nature à susciter un doute sérieux sur la légalité de la décision litigieuse.

10. En troisième lieu, il résulte de l'instruction que la décision litigieuse a été prise sur le fondement de l'article L. 612-39 du code monétaire et financier, cité au point 4, qui n'institue, contrairement à ce qui est soutenu, aucune sanction automatique. Il s'ensuit que le moyen tiré de l'absence de base légale de la sanction de publication n'est pas, en l'état de l'instruction, de nature à susciter un doute sérieux sur la légalité de la décision litigieuse.

11. En quatrième lieu, les moyens par lesquels la banque requérante conteste le bien-fondé des griefs n° 1, 5 et 6 retenus à son encontre ne sont pas, en l'état de l'instruction, de nature à susciter un doute sérieux sur la légalité de la décision litigieuse.

12. Il résulte des dispositions de l'article L. 612-39 du code monétaire et financier, citées au point 4 de la présente ordonnance, que si les sanctions prononcées par la commission des sanctions de l'ACPR doivent en principe faire l'objet d'une publication, il en va autrement lorsque cette publication serait de nature à perturber gravement les marchés financiers ou à causer un préjudice disproportionné aux parties en cause. La légalité de cette sanction complémentaire s'apprécie notamment en mettant en balance, d'une part, l'intérêt public qui s'attache, eu égard à la nature et à la gravité des manquements relevés, à la publication sous forme nominative de la sanction principale et, d'autre part, l'ampleur du préjudice que cette dernière est susceptible de causer à la personne sanctionnée. Il résulte de l'instruction que la publication sous forme anonyme de la sanction du 11 juillet 2019 est appropriée à la recherche de l'exemplarité qui s'attache à la publicité des sanctions de l'ACPR que le législateur a entendu assurer. En revanche, il résulte de l'instruction et des éléments recueillis au cours de l'audience publique qu'eu égard, d'une part, à la nature des griefs relevés à l'encontre de la Banque X... qui portent, pour l'essentiel, sur des défaillances d'ordre méthodologique, et d'autre part, à l'ampleur des conséquences qu'une publication sous forme nominative serait susceptible d'entraîner tant dans les relations avec la clientèle traditionnelle de cet établissement qu'avec les prestataires de services extérieurs, la décision litigieuse serait susceptible d'engendrer pour la requérante un préjudice disproportionné. Il s'ensuit, qu'en l'état de l'instruction, le moyen tiré du caractère excessif d'une publication sous forme nominative est de nature à créer un doute sérieux sur la légalité de la décision contestée.

13. Il résulte de ce qui précède que la Banque X... est fondée à demander la suspension, jusqu'à ce que le Conseil d'Etat se soit prononcé au fond sur le recours dirigé contre la décision du 11 juillet 2019, de l'exécution de la décision de publier cette décision au registre de l'ACPR, sous forme nominative.

14. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat (ACPR) une somme de 3000 euros à verser à la Banque X... au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative. Les mêmes dispositions font obstacles à ce qu'il soit fait droit aux conclusions présentées, à leur titre, par l'Etat (ACPR).

O R D O N N E :
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Article 1er : L'exécution de la décision de publier au registre de l'ACPR, sous forme nominative, la décision de la commission des sanctions du 11 juillet 2019 est suspendue jusqu'à ce que le Conseil d'Etat se soit prononcé au fond sur le recours dirigé contre la décision du 11 juillet 2019.
Article 2 : L'Etat (ACPR) versera à la Banque X... une somme de 3000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 3 : Les conclusions présentées par l'Etat (ACPR) au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.
Article 4 : La présente ordonnance sera notifiée à la Banque X... et à l'Autorité de contrôle prudentiel et de résolution.


Synthèse
Formation : Juge des référés
Numéro d'arrêt : 432874
Date de la décision : 07/08/2019
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Publications
Proposition de citation : CE, 07 aoû. 2019, n° 432874
Inédit au recueil Lebon

Composition du Tribunal
Avocat(s) : SCP MATUCHANSKY, POUPOT, VALDELIEVRE ; SCP LYON-CAEN, THIRIEZ

Origine de la décision
Date de l'import : 06/09/2019
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CE:2019:432874.20190807
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