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01/02/2019 | FRANCE | N°426800

France | France, Conseil d'État, Juge des référés, 01 février 2019, 426800


Vu la procédure suivante :

M. A...a demandé au juge des référés du tribunal administratif de Nantes, statuant sur le fondement de l'article L. 521-2 du code de justice administrative, d'enjoindre au préfet de la Loire-Atlantique d'enregistrer sa demande d'asile en procédure normale et de lui délivrer l'attestation correspondante dans un délai de 48 heures à compter de la notification de l'ordonnance à intervenir, sous astreinte de 150 euros par jour de retard. Par une ordonnance n° 1811972 du 20 décembre 2018, le juge des référés du tribunal administratif de Nantes a fai

t droit à sa demande.

Par une requête, enregistrée le 4 janvier 201...

Vu la procédure suivante :

M. A...a demandé au juge des référés du tribunal administratif de Nantes, statuant sur le fondement de l'article L. 521-2 du code de justice administrative, d'enjoindre au préfet de la Loire-Atlantique d'enregistrer sa demande d'asile en procédure normale et de lui délivrer l'attestation correspondante dans un délai de 48 heures à compter de la notification de l'ordonnance à intervenir, sous astreinte de 150 euros par jour de retard. Par une ordonnance n° 1811972 du 20 décembre 2018, le juge des référés du tribunal administratif de Nantes a fait droit à sa demande.

Par une requête, enregistrée le 4 janvier 2018 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, le ministre de l'intérieur demande au juge des référés du Conseil d'Etat, statuant sur le fondement de l'article L. 521-2 du code de justice administrative :

1°) d'annuler cette ordonnance ;

2°) de rejeter les conclusions présentées par M. A...en première instance.

Il soutient que :

- en refusant d'enregistrer la demande d'asile en procédure normale de M. A..., le préfet de la Loire-Atlantique n'a pas porté une atteinte grave et manifestement illégale au droit d'asile dès lors qu'un ressortissant étranger faisant l'objet d'une décision de transfert peut être regardé comme " en fuite " au sens de l'article 29 du règlement " Dublin III " lorsqu'il n'a pas déféré à ses obligations de pointage imposées dans le cadre d'une assignation à résidence et qu'il se manifeste à l'expiration du délai de six mois pour l'enregistrement de sa demande d'asile ;

- M. A...n'a pu avoir connaissance du " routing " prévu le 18 juillet 2018 en raison du manquement à son obligation de pointage survenu le 13 juillet 2018 ;

- le procès-verbal de police du 13 juillet 2018 établissant le défaut de pointage ne mentionne aucunement la circonstance que M. A...aurait été autorisé par un fonctionnaire de police à ne pas se rendre à ses trois dernières convocations des 11, 12 et 13 juillet 2018.

Par deux mémoires en intervention, enregistrés les 15 et 17 janvier 2019, l'association la Cimade demande au Conseil d'Etat de rejeter la requête présentée par le ministre de l'intérieur. Elle soutient que les moyens du ministre de l'intérieur ne sont pas fondés.

Par un mémoire en défense, enregistré le 17 janvier 2019, M. A...demande au juge des référés du Conseil d'Etat, statuant sur le fondement de l'article L. 521-2 du code de justice de administrative, d'ordonner avant dire droit la production par le ministre de l'intérieur de la preuve de sa manifestation auprès de l'Office français de l'immigration et de l'intégration (OFII) en août 2018 et auprès de la préfecture de la Loire-Atlantique en septembre 2018. Il conclut à titre principal au rejet de la requête et, à titre subsidiaire, à ce que soit posée une question préjudicielle à la Cour de justice de l'Union européenne relative à la conformité des modalités d'exécution des transferts par les autorités françaises au règlement dit " Dublin III " et au règlement d'application. En tout état de cause, de mettre à la charge de l'Etat le versement de la somme de 3 000 euros en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative. Il soutient que :

- le refus d'enregistrer sa demande d'asile porte une atteinte grave et manifestement illégale au droit d'asile ;

- le non-respect des obligations de pointage, qui lui ont été imposées dans le cadre de l'assignation à résidence, est justifié et ne saurait constituer une fuite, au sens de l'article 29 du règlement " Dublin III " ;

- il a toujours été localisable par les services préfectoraux et s'est manifesté auprès de plusieurs administrations au terme des 45 jours d'assignation à résidence ;

- l'administration n'a jamais cherché à lui notifier le " routing " fixé le

18 juillet 2018 ;

- il n'est pas établi que la France ait échangé avec l'Italie toutes les informations nécessaires à l'imminence du transfert ;

- il existe des risques sérieux de croire en la situation de défaillance systémique de la procédure d'asile en Italie.

Après avoir convoqué à une audience publique d'une part, le ministre de l'intérieur et, d'autre part, M. A...et l'association la Cimade ;

Vu le procès-verbal de l'audience publique du lundi 21 janvier 2019 à 14 heures 30 au cours de laquelle ont été entendus :

- les représentantes du ministre de l'intérieur ;

- Me Poupet, avocate au Conseil d'Etat et à la Cour de cassation, avocate de M. A... ;

- le représentant de l'association la Cimade ;

et à l'issue de laquelle le juge des référés a clos l'instruction.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :

- la Constitution ;

- le règlement (UE) n° 604/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 ;

- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- le code de justice administrative.

Considérant ce qui suit :

1. Aux termes de l'article L. 521-2 du code de justice administrative : " Saisi d'une demande en ce sens justifiée par l'urgence, le juge des référés peut ordonner toutes mesures nécessaires à la sauvegarde d'une liberté fondamentale à laquelle une personne morale de droit public ou un organisme de droit privé chargé de la gestion d'un service public aurait porté, dans l'exercice d'un de ses pouvoirs, une atteinte grave et manifestement illégale. Le juge des référés se prononce dans un délai de quarante-huit heures ".

2. Le droit constitutionnel d'asile, qui a le caractère d'une liberté fondamentale, a pour corollaire le droit de solliciter le statut de réfugié. S'il implique que l'étranger qui sollicite la reconnaissance de la qualité de réfugié soit, en principe, autorisé à demeurer sur le territoire jusqu'à ce qu'il ait été statué sur sa demande, ce droit s'exerce dans les conditions définies par le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile. L'article L. 742-3 de ce code prévoit que l'étranger dont l'examen de la demande d'asile relève de la responsabilité d'un autre Etat peut faire l'objet d'un transfert vers l'Etat qui est responsable de cet examen en application des dispositions du règlement du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013. Ce transfert peut avoir lieu pendant une période de six mois à compter de l'acceptation de la demande de prise en charge, susceptible d'être portée à dix-huit mois dans les conditions prévues à l'article 29 de ce règlement si l'intéressé " prend la fuite ". Il résulte clairement des dispositions de l'article 29, que la notion de fuite doit s'entendre comme visant notamment le cas où un ressortissant étranger se serait soustrait de façon intentionnelle et systématique au contrôle de l'autorité administrative en vue de faire obstacle à une mesure d'éloignement le concernant.

3. M.A..., ressortissant guinéen, né le 26 février 1992, qui a déclaré être arrivé en France en septembre 2017, a sollicité l'asile le 19 février 2018 à la préfecture de la Loire-Atlantique. Le relevé de ses empreintes a fait apparaitre qu'il avait préalablement présenté deux demandes d'asile en Italie, le 11 février et le 30 mai 2017. L'administration a saisi les autorités italiennes d'une demande de reprise en charge qui a été implicitement acceptée le 7 mars 2018. Par deux arrêtés du 29 mai 2018, le préfet de la Loire-Atlantique a décidé du transfert de M. A...aux autorités italiennes et a prononcé à son encontre une mesure d'assignation à résidence. Par un jugement du 1er juin 2018, notifié le même jour, le tribunal administratif de Nantes a rejeté la demande d'annulation de ces décisions. M. A...a saisi le 18 décembre 2018 le juge des référés du tribunal administratif de Nantes, statuant sur le fondement de l'article L. 521-2 du code de justice administrative, d'une requête tendant à ce qu'il soit fait injonction au préfet de la Loire-Atlantique d'enregistrer sa demande d'asile en procédure normale et de lui délivrer l'attestation correspondante dans un délai de 48 heures sous astreinte de 150 euros par jour de retard. Le ministre de l'intérieur relève appel de l'ordonnance du 20 décembre 2018 par laquelle le juge des référés du tribunal administratif de Nantes a enjoint au préfet de la Loire-Atlantique d'enregistrer selon la procédure normale la demande d'asile de M. A... et de lui délivrer l'attestation afférente dans un délai de quinze jours.

4. Le ministre de l'intérieur soutient que M. A...devait être regardé comme étant en situation de fuite dès lors que l'intéressé, assigné à résidence, s'est soustrait par trois fois, les 11, 12 et 13 juillet 2018, à son obligation de pointage à la police aux frontières de Nantes faisant ainsi obstacle à ce que les services de police lui notifient le " routing " prévu le

18 juillet 2018.

5. Il résulte de l'instruction que M. A...a été assigné à résidence pour une durée de quarante-cinq jours par arrêté du préfet de la Loire-Atlantique daté du 29 mai 2018 comportant une obligation de " pointage " quotidien auprès du commissariat central de Nantes s'achevant le 13 juillet 2018. Il est constant que l'intéressé s'est conformé à ses obligations de pointage jusqu'au 10 juillet 2018 inclus. Il résulte de l'instruction que si la préfecture de la Loire-Atlantique avait reçu communication, dès le 4 juillet 2018, du " routing " prévu pour M. A... le 18 juillet 2018, ce document n'a pas été communiqué à l'intéressé qui n'a pas davantage été informé que son retour vers l'Italie était organisé pour le 18 juillet. En outre, il ne résulte pas de l'instruction que l'administration ait cherché, entre le 11 et le 18 juillet 2018, à informer M. A...de l'organisation de son retour en Italie pour le 18 juillet 2018 ni n'ait cherché à lui notifier le document organisant ce retour, alors même qu'elle disposait, notamment, d'une adresse postale pour joindre l'intéressé, dont il n'est pas allégué qu'elle aurait été erronée ou sans lien avec l'intéressé. Dans ces conditions, la seule circonstance que M. A... n'ait pas respecté son obligation de pointage lors des trois derniers jours de son assignation à résidence, pour regrettable qu'elle soit, ne peut à elle seule caractériser la volonté de l'intéressé de se soustraire de façon intentionnelle et systématique au contrôle de l'autorité administrative en vue de faire obstacle à une mesure d'éloignement alors que l'intéressé n'avait pas été informé par l'administration, qui en avait pourtant la possibilité, de l'organisation de son prochain retour vers l'Italie et que l'administration n'a effectué aucune démarche pour informer l'intéressé de ce que son retour vers l'Italie devrait être effectué le 18 juillet. Par suite, M. A... ne peut être regardé, dans les circonstances de l'espèce, comme étant en fuite au sens du règlement du règlement du 26 juin 2013.

6. Il résulte de ce qui précède, sans qu'il soit besoin de statuer sur la condition d'urgence, que le ministre de l'intérieur n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que, par l'ordonnance attaquée, le juge des référés du tribunal administratif de Nantes a fait droit à la requête présentée par M. A...sur le fondement des dispositions de l'article L. 521-2 du code de justice administrative.

7. Il y a lieu de mettre à la charge de l'Etat la somme de 2 000 euros en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

O R D O N N E :

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Article 1er : L'intervention de l'association la Cimade est admise.

Article 2 : La requête du ministre de l'intérieur est rejetée.

Article 3 : L'Etat versera une somme de 2 000 euros à M.A..., en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 4 : Le surplus des conclusions des parties est rejeté.

Article 5 : La présente ordonnance sera notifiée au ministre de l'intérieur, à M. B...A...et à l'association la Cimade.


Synthèse
Formation : Juge des référés
Numéro d'arrêt : 426800
Date de la décision : 01/02/2019
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Plein contentieux

Publications
Proposition de citation : CE, 01 fév. 2019, n° 426800
Inédit au recueil Lebon

Composition du Tribunal
Avocat(s) : SCP DE NERVO, POUPET

Origine de la décision
Date de l'import : 19/02/2019
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CE:2019:426800.20190201
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