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03/12/2018 | FRANCE | N°425309

France | France, Conseil d'État, Juge des référés, 03 décembre 2018, 425309


Vu la procédure suivante :

M. B...A...a demandé au juge des référés du tribunal administratif de Lille de l'admettre au bénéfice de l'aide juridictionnelle provisoire et, statuant sur le fondement de l'article L. 521-2 du code de justice administrative, d'une part, d'enjoindre au préfet du Nord d'enregistrer sa demande d'asile et de lui délivrer une attestation de demande d'asile sous astreinte de 50 euros par jour de retard et, d'autre part, de suspendre l'exécution de la décision par laquelle l'Office français de l'immigration et de l'intégration (OFII) a suspendu à son

encontre le bénéfice des conditions matérielles d'accueil et d'enjo...

Vu la procédure suivante :

M. B...A...a demandé au juge des référés du tribunal administratif de Lille de l'admettre au bénéfice de l'aide juridictionnelle provisoire et, statuant sur le fondement de l'article L. 521-2 du code de justice administrative, d'une part, d'enjoindre au préfet du Nord d'enregistrer sa demande d'asile et de lui délivrer une attestation de demande d'asile sous astreinte de 50 euros par jour de retard et, d'autre part, de suspendre l'exécution de la décision par laquelle l'Office français de l'immigration et de l'intégration (OFII) a suspendu à son encontre le bénéfice des conditions matérielles d'accueil et d'enjoindre à l'OFII de lui octroyer le bénéfice de ces mêmes conditions et de rétablir le versement de l'allocation pour demandeur d'asile avec effet immédiat. Par une ordonnance n° 1809686 du 30 octobre 2018, le juge des référés du tribunal administratif de Lille a admis M. A...à titre provisoire au bénéfice de l'aide juridictionnelle et a rejeté le surplus de sa demande.

Par une requête et un mémoire en réplique, enregistrés le 9 et le 28 novembre 2018 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, M. A...demande au juge des référés du Conseil d'Etat, statuant sur le fondement de l'article L. 521-2 du code de justice administrative :

1°) d'annuler cette ordonnance en tant qu'elle rejette ses conclusions présentées sur le fondement de l'article L. 521-2 du code de justice administrative ;

2°) de faire droit à sa demande ;

3°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Il soutient que :

- la condition d'urgence est remplie dès lors que, d'une part, le fait de faire l'objet d'une décision de transfert à un Etat membre de l'Union européenne constitue une situation d'urgence, d'autre part, ne percevant plus l'allocation de demandeur d'asile depuis mars 2018 et risquant à tout moment de se faire expulser de son logement, il se trouve dans une situation de grande précarité, enfin, il est dépourvu d'une attestation permettant de justifier de la régularité de son séjour et est ainsi exposé à une mesure d'éloignement en méconnaissance des garanties accordées aux demandeurs d'asile ;

- il est porté une atteinte grave et manifestement illégale à son droit d'asile eu égard à l'expiration du délai de transfert, ce délai n'ayant pu être prolongé en l'absence d'information de l'Allemagne dans les conditions prévues par l'article 9 paragraphe 2 du règlement du règlement 1560/2003 de la Commission du 2 septembre 2003 ;

- la procédure de suspension des conditions matérielles d'accueil prévue à l'article D. 744-38 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile n'a pas été respectée, alors que cette suspension a pour lui des conséquences graves.

Par deux mémoires en défense, enregistrés le 26 et le 29 novembre 2018, le ministre de l'intérieur conclut au rejet de la requête. Il soutient que les moyens soulevés par le requérant ne sont pas fondés.

La requête a été communiquée à l'Office français de l'immigration et de l'intégration, qui n'a pas produit de mémoire.

Après avoir convoqué à une audience publique, d'une part, M. A... et, d'autre part, le ministre de l'intérieur et l'Office français de l'immigration et de l'intégration ;

Vu le procès-verbal de l'audience publique du 30 novembre 2018 à 15 heures au cours de laquelle ont été entendus :

- Me Delamarre, avocat au Conseil d'Etat et à la Cour de cassation, avocat de M. A...;

- les représentantes du ministre de l'intérieur ;

et à l'issue de laquelle le juge des référés a clos l'instruction ;

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :

- le règlement n° 604/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 ;

- le règlement n° 1560/2003 de la Commission du 2 septembre 2003 ;

- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- le code de justice administrative ;

Considérant ce qui suit :

1. Aux termes de l'article L. 521-2 du code de justice administrative : " Saisi d'une demande en ce sens justifiée par l'urgence, le juge des référés peut ordonner toutes mesures nécessaires à la sauvegarde d'une liberté fondamentale à laquelle une personne morale de droit public ou un organisme de droit privé chargé de la gestion d'un service public aurait porté, dans l'exercice d'un de ses pouvoirs, une atteinte grave et manifestement illégale. Le juge des référés se prononce dans un délai de quarante-huit heures ".

2. Le droit constitutionnel d'asile, qui a le caractère d'une liberté fondamentale, a pour corollaire le droit de solliciter le statut de réfugié. S'il implique que l'étranger qui sollicite la reconnaissance de la qualité de réfugié soit en principe autorisé à demeurer sur le territoire jusqu'à ce qu'il ait été statué sur sa demande, ce droit s'exerce dans les conditions définies par les articles L. 741-1 et suivants du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile. L'article L. 742-3 de ce code prévoit que l'étranger dont l'examen de la demande d'asile relève de la responsabilité d'un autre Etat peut faire l'objet d'un transfert vers l'Etat qui est responsable de cet examen en application des dispositions du règlement du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013.

3. Il résulte de l'article 29 du règlement du 26 juin 2013 que le transfert peut avoir lieu pendant une période de six mois à compter de l'acceptation de la demande de prise en charge, cette période étant susceptible d'être portée à dix-huit mois si l'intéressé " prend la fuite ". Aux termes de l'article 7 du règlement de la Commission du 2 septembre 2003 : " 1. Le transfert vers l'Etat responsable s'effectue de l'une des manières suivantes : a) à l'initiative du demandeur, une date limite étant fixée ; b) sous la forme d'un départ contrôlé, le demandeur étant accompagné jusqu'à l'embarquement par un agent de l'Etat requérant et le lieu, la date et l'heure de son arrivée étant notifiées à l'Etat responsable dans un délai préalable convenu :

c) sous escorte, le demandeur étant accompagné par un agent de l'Etat requérant, ou par le représentant d'un organisme mandaté par l'Etat requérant à cette fin, et remis aux autorités de l'Etat responsable (...) ". Il résulte de ces dispositions que le transfert d'un demandeur d'asile vers un Etat membre qui a accepté sa prise ou sa reprise en charge, sur le fondement du règlement du 26 juin 2013, s'effectue selon l'une des trois modalités définies à l'article 7 cité

ci-dessus : à l'initiative du demandeur, sous la forme d'un départ contrôlé ou sous escorte. Le 2. de l'article 9 du règlement de la Commission du 2 septembre 2003 prévoit en outre qu'il incombe à l'Etat membre qui, notamment lorsque la personne concernée prend la fuite, ne peut procéder au transfert dans le délai normal de six mois, d'informer l'Etat responsable avant l'expiration de ce délai et précise qu' " à défaut, la responsabilité du traitement de la demande de protection internationale et les autres obligations découlant du règlement (UE) no 604/2013 incombent à cet Etat membre conformément aux dispositions de l'article 29, paragraphe 2, dudit règlement ".

4. Il résulte clairement des dispositions mentionnées au point précédent que, d'une part, la notion de fuite doit s'entendre comme visant le cas où un ressortissant étranger se serait soustrait de façon intentionnelle et systématique au contrôle de l'autorité administrative en vue de faire obstacle à une mesure d'éloignement le concernant. D'autre part, dans l'hypothèse où le transfert du demandeur d'asile s'effectue sous la forme d'un départ contrôlé, il appartient, dans tous les cas, à l'Etat responsable de ce transfert d'en assurer effectivement l'organisation matérielle et d'accompagner le demandeur d'asile jusqu'à l'embarquement vers son lieu de destination. Une telle obligation recouvre la prise en charge du titre de transport permettant de rejoindre l'Etat responsable de l'examen de la demande d'asile depuis le territoire français ainsi que, le cas échéant et si nécessaire, celle du pré-acheminement du lieu de résidence du demandeur au lieu d'embarquement. Enfin, dans l'hypothèse où le demandeur d'asile se soustrait intentionnellement à l'exécution de son transfert ainsi organisé, il doit être regardé comme en fuite au sens des dispositions de l'article 29 du règlement du 26 juin 2013 rappelées au point 3, ce dont l'Etat responsable du transfert doit, s'il entend s'en prévaloir, informer l'Etat responsable avant l'expiration du délai normal de transfert.

5. M.A..., ressortissant afghan qui déclare être entré irrégulièrement en France le 8 juillet 2017, a présenté une demande d'asile le 14 septembre 2017 à la préfecture du Nord. Le relevé de ses empreintes ayant fait apparaître qu'il avait été précédemment identifié en Allemagne, les services de la préfecture ont saisi les autorités allemandes d'une demande de reprise en charge du requérant, en application du règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013. Le 21 septembre 2017, les autorités allemandes ont rejeté cette demande, au motif qu'elles avaient déjà, le 14 août 2017, accepté la reprise en charge de M.A..., à la demande de la préfecture de police. Le 20 octobre 2017, le préfet du Nord a pris un arrêté de transfert, notifié à M. A...le même jour, et a assigné l'intéressé à résidence avec obligation de se présenter deux fois par semaine dans les locaux de la direction zonale de la police aux frontières de Lille, pendant une durée de 45 jours, renouvelable une fois. Le 6 novembre 2017, l'officier de police judiciaire du service de la police aux frontières de Lille a dressé un procès-verbal de non respect d'assignation à résidence indiquant que l'intéressé ne s'était jamais présenté au service. Le

11 décembre 2017, M. A... s'est présenté à la convocation qui lui avait été faite à la préfecture afin de se voir remettre les titres de transport et le laissez-passer nécessaires pour quitter le territoire français et a été placé en rétention. Il a toutefois refusé d'embarquer le lendemain sur le vol à destination de l'Allemagne sur lequel une place lui avait été réservée et a été remis en liberté. L'Office français de l'immigration et de l'intégration (OFII) a cessé de le faire bénéficier, à compter du mois de mars 2018, de l'allocation pour demandeur d'asile. Le

24 octobre 2018, M. A...a présenté une nouvelle demande d'enregistrement de sa demande d'asile en procédure normale, à laquelle un refus a été opposé. Le 26 octobre 2018, M. A...a saisi le juge des référés du tribunal administratif de Lille d'un recours tendant, sur le fondement de l'article L. 521-2 du code de justice administrative, d'une part, à ce qu'il soit enjoint au préfet du Nord d'enregistrer sa demande d'asile en procédure normale et de lui délivrer une attestation de demande d'asile dans un délai de 24 heures à compter de la notification de l'ordonnance à intervenir, sous astreinte de 50 euros par jour de retard, et, d'autre part, de suspendre la décision par laquelle l'OFII a suspendu le bénéfice des conditions matérielles d'accueil et d'enjoindre à l'OFII de lui octroyer le bénéfice de ces mêmes conditions et de rétablir le versement de l'allocation pour demandeur d'asile avec effet immédiat. Par une ordonnance du 30 octobre 2018, dont M. A...relève appel, le juge des référés du tribunal administratif de Lille a rejeté ses conclusions présentées sur le fondement de l'article L. 521-2 du code de justice administrative.

Sur les conclusions relatives à l'enregistrement de la demande d'asile :

6. Il résulte de ce qui est indiqué au point 4 que, dans l'hypothèse où l'administration a respecté les obligations qui sont les siennes dans l'organisation d'un départ contrôlé et où l'intéressé s'est soustrait intentionnellement à l'exécution de ce départ, puis a demandé à nouveau l'enregistrement de sa demande après l'expiration du délai de transfert de six mois, le demandeur doit être regardé comme en fuite au sens des dispositions de l'article 29 du règlement du 26 juin 2013. Il résulte de l'instruction que l'administration a procédé à l'acheminement de M.A..., qui avait refusé l'aide qui lui avait été proposée par l'Office français de l'immigration et d'intégration pour l'exécution de son transfert et n'avait pas respecté l'obligation de pointage dont était assortie son assignation à résidence, en vue de son embarquement vers l'Allemagne par un vol organisé le 12 décembre 2017. Il résulte également de l'instruction qu'il a alors refusé d'embarquer, en précisant aux agents de police qu'il souhaitait rester en France. Enfin, il résulte des différentes pièces produites en cause d'appel par le ministre de l'intérieur et des précisions apportées par celui-ci au cours de l'audience que les autorités allemandes doivent être regardées comme ayant reçu le même jour l'information prévue au 2. de l'article 9 du règlement du 2 septembre 2003, soit avant l'expiration du délai normal de transfert le 14 février 2018. Dans ces conditions, le ministre de l'intérieur est fondé à se prévaloir de ce que M. A...était en fuite au sens de l'article 29 du règlement du 26 juin 2013 pour porter le délai de transfert à dix-huit mois.

7. Par suite, M. A...n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que le juge des référés du tribunal administratif de Lille a jugé, en conséquence, que le préfet du Nord n'avait pas commis d'illégalité grave et manifeste en refusant d'enregistrer sa demande d'asile en procédure " normale ".

Sur les conclusions relatives au bénéfice des conditions matérielles d'accueil :

8. Les conclusions de M.A..., qui est célibataire et sans enfant et demeure hébergé à Douai dans le cadre du programme d'accueil et d'hébergement des demandeurs d'asile, tendant à se voir rétablir le bénéfice de l'allocation pour demandeur d'asile ne satisfont pas, dans les circonstances de l'espèce, à la condition d'urgence prévue par l'article L. 521-2 du code de justice administrative. Il n'est, par suite, pas fondé à soutenir que c'est à tort que le juge des référés du tribunal administratif de Lille les a rejetées.

9. Il résulte de tout ce qui précède que la requête de M. A...doit être rejetée, y compris ses conclusions tendant à l'application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

O R D O N N E :

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Article 1er : La requête de M. A...est rejetée.

Article 2 : La présente ordonnance sera notifiée à M. B...A..., au ministre de l'intérieur et à l'Office français de l'immigration et de l'intégration.


Synthèse
Formation : Juge des référés
Numéro d'arrêt : 425309
Date de la décision : 03/12/2018
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Plein contentieux

Publications
Proposition de citation : CE, 03 déc. 2018, n° 425309
Inédit au recueil Lebon

Composition du Tribunal
Avocat(s) : SCP DELAMARRE, JEHANNIN

Origine de la décision
Date de l'import : 11/12/2018
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CE:2018:425309.20181203
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