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21/11/2018 | FRANCE | N°407936

France | France, Conseil d'État, 6ème et 5ème chambres réunies, 21 novembre 2018, 407936


Par une requête sommaire, un mémoire complémentaire et deux mémoires en réplique, enregistrés les 14 février 2017, 12 mai 2017, 27 février 2018 et 6 avril 2018 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, le syndicat professionnel Union des armateurs à la pêche de France demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler pour excès de pouvoir le décret n° 2016-1700 du 12 décembre 2016 portant extension et modification de la réglementation de la réserve naturelle nationale des Terres australes françaises ;

2°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 10 000 eu

ros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Vu les au...

Par une requête sommaire, un mémoire complémentaire et deux mémoires en réplique, enregistrés les 14 février 2017, 12 mai 2017, 27 février 2018 et 6 avril 2018 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, le syndicat professionnel Union des armateurs à la pêche de France demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler pour excès de pouvoir le décret n° 2016-1700 du 12 décembre 2016 portant extension et modification de la réglementation de la réserve naturelle nationale des Terres australes françaises ;

2°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 10 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :

- la Constitution, notamment son Préambule ;

- le code de l'environnement ;

- la loi n° 55-1052 du 6 août 1955 ;

- l'ordonnance n° 2000-914 du 18 septembre 2000 ;

- le code de justice administrative ;

Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de M. Jean-Baptiste de Froment, maître des requêtes,

- les conclusions de Mme Julie Burguburu, rapporteur public.

Vu la note en délibéré, enregistrée le 9 novembre 2018, présentée par l'Union des armateurs à la pêche de France.

Considérant ce qui suit :

1. L'Union des armateurs à la pêche de France demande au Conseil d'Etat d'annuler pour excès de pouvoir le décret du 12 décembre 2016 portant extension et modification de la réglementation de la réserve naturelle nationale des Terres australes françaises.

Sur la légalité externe du décret attaqué :

2. En premier lieu, d'une part, l'article R. 332-14 du code de l'environnement prévoit que l'extension du périmètre d'une réserve naturelle nationale existante ou la modification de sa réglementation font l'objet des mêmes modalités d'enquête et de consultation que celles applicables aux décisions de classement. Or l'article L. 332-2 du même code prévoit, depuis la loi du 12 juillet 2010 portant engagement national pour l'environnement, que le projet de création d'une réserve naturelle nationale est soumis à une enquête publique réalisée conformément au chapitre III du titre II du livre Ier du même code. Cependant, si les dispositions de l'article L. 332-2 du code de l'environnement ont été rendues applicables aux Terres australes et antarctiques françaises par les dispositions de l'article L. 640-1 du même code, c'est dans leur version en vigueur antérieurement à la modification résultant de la loi du 12 juillet 2010. Ni cette loi ni aucun autre texte n'a prévu l'application aux Terres australes et antarctiques françaises de cette nouvelle version de l'article L. 332-2 du code de l'environnement. D'autre part, si l'article R. 332-2 du même code prévoyait déjà, antérieurement à la loi du 12 juillet 2010, que le projet de création d'une réserve est soumis à enquête publique, l'article R. 643-1 du même code n'en prévoit pas l'application dans les Terres australes et antarctiques françaises. Par ailleurs, si l'article R. 332-14 du même code, rendu applicable dans les Terres australes et antarctiques françaises par l'article R. 643-1, prévoit que les mêmes modalités, notamment d'enquête, sont applicables pour l'extension du périmètre ou la modification de la réglementation d'une réserve naturelle nationale, il n'a pas eu pour effet de rendre applicables à ce territoire les dispositions relatives à l'enquête publique résultant de l'article R. 332-2. Par suite, le moyen tiré de ce que le projet de décret litigieux n'a pas été soumis à une enquête publique conformément à ces dispositions est inopérant.

3. En deuxième lieu, l'article 7 de la Charte de l'environnement a réservé au législateur le soin de définir les conditions et les limites dans lesquelles doit s'exercer le droit de toute personne à accéder aux informations relatives à l'environnement détenues par les autorités publiques et à participer à l'élaboration des décisions publiques ayant une incidence directe et significative sur l'environnement. Toutefois, à la date du décret litigieux, le législateur n'était pas intervenu pour définir les conditions et les limites dans lesquelles doit s'exercer, dans les Terres australes et antarctiques françaises, le droit de toute personne à participer à l'élaboration d'un tel décret. En particulier, aucune disposition n'y avait rendu expressément applicables les dispositions de l'article L. 120-1 du code de l'environnement alors en vigueur, reprises à l'article L. 123-19-1, qui définissent les conditions et limites dans lesquelles le principe de participation du public, prévu à l'article 7 de la Charte de l'environnement, est applicable aux décisions, autres que les décisions individuelles, des autorités publiques ayant une incidence sur l'environnement lorsque celles-ci ne sont pas soumises, par les dispositions législatives qui leur sont applicables, à une procédure particulière organisant la participation du public à leur élaboration.

4. Le respect par une décision réglementaire du principe de participation du public défini à l'article 7 de la Charte de l'environnement s'apprécie au regard des dispositions législatives prises afin de préciser, pour ce type de décisions, les conditions et les limites d'applicabilité de ce principe. Dès lors, en l'absence de telles dispositions législatives, il ne saurait être utilement soutenu devant le juge de l'excès de pouvoir que la procédure suivie pour l'élaboration d'une décision publique ayant une incidence directe et significative sur l'environnement méconnaît les dispositions de l'article 7 de la Charte de l'environnement. Au demeurant, contrairement à ce qui est soutenu, s'agissant des décisions publiques ayant une telle incidence sur l'environnement, l'enquête publique n'est pas l'unique modalité de respect du principe de participation du public.

5. En troisième lieu, l'administration pouvait légalement, de sa propre initiative, organiser, ainsi que, comme cela ressort des pièces du dossier, elle l'a régulièrement fait, une procédure d'information et de participation du public à l'élaboration du projet de décret litigieux qui se conformait à celle prévue à l'article L. 120-1 du code de l'environnement. La circonstance que, contrairement à ce que prévoient les dispositions du dernier alinéa du II de l'article L. 120-1 dans sa rédaction alors applicable, elle n'aurait pas, à la date de la publication du décret litigieux, rendu publics par voie électronique la synthèse des observations du public ainsi que, dans un document séparé, les motifs justifiant ce décret est, par elle-même, sans incidence sur la légalité du décret attaqué.

6. Enfin, contrairement à ce qui est soutenu, le règlement du conseil maritime ultramarin du bassin Sud Océan indien prévoit, à son article 7, la possibilité, dont il a été fait usage en l'espèce, de consulter ce conseil par voie électronique. Par suite, le moyen tiré de l'irrégularité de la consultation du conseil maritime ultramarin du bassin Sud Océan indien ne peut qu'être écarté.

Sur la légalité interne du décret attaqué :

7. Aux termes de l'article L. 332-1 du code de l'environnement : " I. - Des parties du territoire terrestre ou maritime d'une ou de plusieurs communes peuvent être classées en réserve naturelle lorsque la conservation de la faune, de la flore, du sol, des eaux, des gisements de minéraux et de fossiles et, en général, du milieu naturel présente une importance particulière ou qu'il convient de les soustraire à toute intervention artificielle susceptible de les dégrader. / II. - Sont prises en considération à ce titre : / 1° La préservation d'espèces animales ou végétales et d'habitats en voie de disparition sur tout ou partie du territoire national ou présentant des qualités remarquables ; / 2° La reconstitution de populations animales ou végétales ou de leurs habitats ; / 3° La conservation des jardins botaniques et arboretums constituant des réserves d'espèces végétales en voie de disparition, rares ou remarquables ; / 4° La préservation de biotopes et de formations géologiques, géomorphologiques ou spéléologiques remarquables ; / 5° La préservation ou la constitution d'étapes sur les grandes voies de migration de la faune sauvage ; / 6° Les études scientifiques ou techniques indispensables au développement des connaissances humaines ; / 7° La préservation des sites présentant un intérêt particulier pour l'étude de l'évolution de la vie et des premières activités humaines. / III. - Le classement peut s'étendre aux eaux sous juridiction de l'Etat ainsi que, pour le plateau continental, aux fonds marins et à leur sous-sol, en conformité avec la convention des Nations Unies sur le droit de la mer, conclue à Montego Bay le 10 décembre 1982, notamment ses parties V, VI et XII. / (...) ". Aux termes de l'article L. 332-3 du même code : " I. - L'acte de classement d'une réserve naturelle peut soumettre à un régime particulier et, le cas échéant, interdire à l'intérieur de la réserve toute action susceptible de nuire au développement naturel de la faune et de la flore, au patrimoine géologique et, plus généralement, d'altérer le caractère de ladite réserve. / Peuvent notamment être réglementés ou interdits la chasse, la pêche, les activités agricoles, forestières, pastorales, industrielles, commerciales, sportives et touristiques, l'exécution de travaux publics ou privés, l'utilisation des eaux, la circulation ou le stationnement des personnes, des véhicules et des animaux. / (...) / II. - L'acte de classement tient compte de l'intérêt du maintien des activités traditionnelles existantes dans la mesure où elles sont compatibles avec les intérêts définis à l'article L. 332-1. ".

8. En premier lieu, la requérante soutient que l'interdiction, prévue au nouvel article 34 du décret tel que modifié par le décret litigieux, de toute activité de pêche professionnelle sur la zone dite du " banc Skiff ", qui est l'une des zones de protection renforcées marines identifiée par ce décret, serait inadéquate et disproportionnée, et constitutive d'une erreur d'appréciation. Toutefois, il ressort des pièces du dossier que le " banc Skiff ", qui est un mont sous-marin situé à l'ouest de l'archipel de Kerguelen, est une zone de haute valeur écologique présentant une forte concentration et une importante diversité d'écosystèmes marins vulnérables. Elle est ainsi une zone de fraie essentielle pour différentes espèces, dont la légine australe et le poisson des glaces, et présente une forte abondance de larves de poissons. Elle est également une zone d'alimentation essentielle pour de nombreux oiseaux et mammifères marins. Il ressort également des pièces du dossier que, contrairement à ce que soutient la requérante, les fonds marins du " banc Skiff " d'une profondeur supérieure à 500 mètres présentent aussi un intérêt écologique. Or, la pêche à la palangre de fond, défendue par la requérante, présente un risque important de captures d'espèces non visées ainsi que de captures accidentelles d'oiseaux. Par ailleurs, la pêche de la légine à la palangre reste autorisée sur le pourtour du banc à une profondeur de plus de 500 mètres. Par suite, le moyen tiré de l'erreur d'appréciation du décret litigieux sur ce point doit être écarté.

9. En deuxième lieu, le syndicat requérant soutient que l'interdiction générale, à laquelle procède le décret litigieux, de l'usage du filet maillant ainsi que des engins de pêche avec des arts-traînants susceptibles d'affecter l'intégrité des fonds marins est disproportionnée au regard de l'objectif recherché. Toutefois, il ressort des pièces du dossier que la pêche au chalut de fond, y compris lorsqu'il s'agit d'un " chalut de fond léger ", est fortement préjudiciable à l'intégrité des écosystèmes vulnérables du territoire maritime des Terres australes et antarctiques françaises. Les filets maillant peuvent par ailleurs être perdus sur le fond et contribuer ainsi à l'augmentation de la mortalité par pêche. Contrairement à ce qui est soutenu, l'interdiction en cause, qui n'est pas disproportionnée au regard de l'objectif recherché, n'a ni pour objet ni pour effet d'exclure, par principe, l'usage du chalut de fond dans le cadre de campagnes de prélèvements menées à des fins scientifiques, laquelle peut, en application de l'article 24 du décret modifié, être autorisée par dérogation accordée par le représentant de l'Etat. Par suite, le moyen tiré de l'erreur d'appréciation du décret litigieux sur ce point également doit être écarté.

10. Enfin, les restrictions que le décret apporterait à la liberté d'entreprendre sont, en tout état de cause, justifiées par des objectifs d'intérêt général et proportionnées au regard de ces objectifs.

11. Il résulte de tout ce qui précède et sans qu'il soit besoin de statuer sur la fin de non-recevoir opposée par le ministre que le syndicat professionnel requérant n'est pas fondé à demander l'annulation du décret qu'il attaque.

12. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mis à la charge de l'Etat, qui n'est pas la partie perdante dans la présente instance, le versement à l'Union des armateurs à la pêche de France de la somme qu'elle demande au titre des frais exposés par elle et non compris dans les dépens.

D E C I D E :

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Article 1er : La requête de l'Union des armateurs à la pêche de France est rejetée.

Article 2 : La présente décision sera notifiée à l'Union des armateurs à la pêche de France, au Premier ministre, à la ministre des outre-mer et au ministre d'Etat, ministre de la transition écologique et solidaire.


Synthèse
Formation : 6ème et 5ème chambres réunies
Numéro d'arrêt : 407936
Date de la décision : 21/11/2018
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Publications
Proposition de citation : CE, 21 nov. 2018, n° 407936
Inédit au recueil Lebon

Composition du Tribunal
Rapporteur ?: M. Jean-Baptiste de Froment
Rapporteur public ?: Mme Julie Burguburu

Origine de la décision
Date de l'import : 27/11/2018
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CE:2018:407936.20181121
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