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16/10/2018 | FRANCE | N°424480

France | France, Conseil d'État, 16 octobre 2018, 424480


Vu la procédure suivante :

La société à responsabilité limitée Unik 2 a demandé au juge des référés du tribunal administratif de Lille, statuant sur le fondement de l'article L. 521-2 du code de justice administrative d'ordonner, à titre principal, la suspension de l'arrêté du 1er août 2018 par lequel le préfet du Nord a prononcé la fermeture temporaire pour une durée de huit semaines à compter de la notification dudit arrêté, de son établissement principal situé 15 rue Royale à Lille, ainsi que de son établissement secondaire situé 27 rue Nationale à Lille, ou

, à titre subsidiaire, de ramener à de plus justes proportions la durée de la f...

Vu la procédure suivante :

La société à responsabilité limitée Unik 2 a demandé au juge des référés du tribunal administratif de Lille, statuant sur le fondement de l'article L. 521-2 du code de justice administrative d'ordonner, à titre principal, la suspension de l'arrêté du 1er août 2018 par lequel le préfet du Nord a prononcé la fermeture temporaire pour une durée de huit semaines à compter de la notification dudit arrêté, de son établissement principal situé 15 rue Royale à Lille, ainsi que de son établissement secondaire situé 27 rue Nationale à Lille, ou, à titre subsidiaire, de ramener à de plus justes proportions la durée de la fermeture administrative. Par une ordonnance n° 1807661 du 7 septembre 2018, le juge des référés du tribunal administratif de Lille a d'une part, par l'article 1er de l'ordonnance, ordonné la suspension de l'exécution de l'arrêté du 1er août 2018 en ce que la durée de fermeture excède cinq jours pour l'établissement situé 27 rue Nationale et trente jours pour l'établissement situé 15 rue Royale et, d'autre part, par l'article 2 de l'ordonnance ordonné la suspension de l'arrêté en ce qu'il impose à l'exploitant de la société d'afficher ledit arrêté sur la porte d'entrée des établissements concernés.

Par une requête et un nouveau mémoire, enregistrés les 25 septembre et

11 octobre 2018 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, la ministre du travail demande au juge des référés du Conseil d'Etat, statuant sur le fondement de l'article L. 521-2 du code de justice administrative, d'annuler l'article 1er de cette ordonnance.

Elle soutient que :

- l'arrêté litigieux ne porte pas une atteinte grave et manifestement illégale à la liberté de commerce et d'industrie ;

- le préfet du Nord pouvait imposer une durée de fermeture similaire aux deux établissements qui appartiennent à la même société, sont sous le contrôle du même gérant, ne disposent d'aucune autonomie de recrutement ou de gestion de leur personnel et comportent des emplois substituables ;

- l'arrêté litigieux n'est entaché d'aucune erreur d'appréciation quant à la gravité des infractions commises, dès lors que trois salariés sur les onze en activité lors du contrôle n'avaient pas fait l'objet d'une déclaration préalable à l'embauche, et que l'un d'eux, ressortissant étranger dont le récépissé de demande de titre de séjour ne l'autorisait pas à travailler a néanmoins travaillé un mois pour la société ;

- la durée de huit semaines est proportionnée au nombre et à la nature des infractions commises, à leur durée qui s'élève à respectivement 18 et 30 jours pour deux des salariés concernés employés comme coursiers, et au nombre de victimes ;

- le gérant de la société ne pouvait ignorer la volonté des services de l'Etat de renforcer la lutte contre le travail illégal dès lors que la mise en oeuvre d'actions concertées de contrôle dans le département avait fait l'objet de plusieurs actions de communication.

Par un mémoire en défense, enregistré 9 octobre 2018, la société à responsabilité limitée Unik 2 conclut au rejet de la requête. Elle soutient que la condition d'urgence justifiant la suspension est remplie et que l'arrêté litigieux porte une atteinte grave et manifestement illégale à la liberté de commerce et d'industrie.

Vu l'ordonnance attaquée ;

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :

- le code du travail ;

- le code de justice administrative ;

Après avoir convoqué à une audience publique, d'une part, la ministre du travail et, d'autre part, la société à responsabilité limitée Unik 2 ;

Vu le procès-verbal de l'audience publique du 11 octobre 2018 à 14 heures 30 au cours de laquelle ont été entendus :

- les représentants de la ministre du travail ;

- Me Gury, avocat au Conseil d'Etat et à la Cour de cassation, avocat de la société à responsabilité limitée Unik 2 ;

- les représentants de la société à responsabilité limitée Unik 2 ;

et à l'issue de laquelle le juge des référés a clos l'instruction ;

Considérant ce qui suit :

1. Aux termes de l'article L. 521-2 du code de justice administrative : " Saisi d'une demande en ce sens justifiée par l'urgence, le juge des référés peut ordonner toutes mesures nécessaires à la sauvegarde d'une liberté fondamentale à laquelle une personne morale de droit public ou un organisme de droit privé chargé de la gestion d'un service public aurait porté, dans l'exercice d'un de ses pouvoirs, une atteinte grave et manifestement illégale. Le juge des référés se prononce dans un délai de quarante-huit heures " ;

2. Aux termes de l'article L. 8211-1 du même code : " Sont constitutives de travail illégal, dans les conditions prévues par le présent livre, les infractions suivantes : (...) / 1° Travail dissimulé ; (...) / 4° Emploi d'étranger non autorisé à travailler ". Aux termes de l'article L. 8221-5 du même code : " Est réputé travail dissimulé par dissimulation d'emploi salarié le fait pour tout employeur : (...) / 3° Soit de se soustraire intentionnellement aux déclarations relatives aux salaires ou aux cotisations sociales assises sur ceux-ci auprès des organismes de recouvrement des contributions et cotisations sociales ou de l'administration fiscale en vertu des dispositions légales ". Aux termes de l'article L. 8272-2 du code du travail : " Lorsque l'autorité administrative a connaissance d'un procès-verbal relevant une infraction prévue aux 1° à 4° de l'article L. 8211-1 ou d'un rapport établi par l'un des agents de contrôle mentionnés à l'article L. 8271-1-2 constatant un manquement prévu aux mêmes 1° à 4°, elle peut, si la proportion de salariés concernés le justifie, eu égard à la répétition ou à la gravité des faits constatés, ordonner par décision motivée la fermeture de l'établissement ayant servi à commettre l'infraction, à titre temporaire et pour une durée ne pouvant excéder trois mois ". Il résulte de ces dispositions combinées que le travail dissimulé et l'emploi d'un étranger non autorisé à travailler constituent des infractions de nature à justifier le prononcé de la sanction administrative de fermeture provisoire de l'établissement où l'une de ces infractions a été relevée et que la durée maximale de fermeture à ce titre est de trois mois.

3. Le 18 janvier 2018, lors d'un contrôle réalisé dans le cadre d'une opération conduite sous l'égide du Comité départemental anti-fraude de Lille et s'inscrivant dans une campagne annoncée par les pouvoirs publics, associant des agents de la direction régionale des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l'emploi Hauts-de-France, ainsi que des agents de la direction zonale de la police aux frontières zone Nord Lille, deux établissements exploités dans le centre de Lille, sous la même enseigne " Unik Kebab ", par la société à responsabilité limitée Unik 2 qui exerce l'activité de restauration rapide de type " kebab " ont été contrôlés. Au cours du contrôle du premier établissement, situé 15 rue Royale, il a été constaté que deux personnes en situation de travail n'avaient pas fait l'objet de déclaration préalable à l'embauche et que l'une d'elle, de nationalité étrangère, était détentrice d'un récépissé de demande de carte de séjour portant l'indication " n'autorise pas le titulaire à travailler ". Ces deux salariés qui travaillaient en qualité de livreur à scooter, ont déclaré être en période d'essai, démunis de contrat de travail et travailler depuis dix huit jours pour l'un et un mois pour l'autre. Lors du contrôle du second établissement, situé 27 rue Nationale, il a été constaté qu'une personne en situation de travail n'avait pas fait l'objet d'une déclaration préalable à l'embauche. Cette salariée, travaillant en qualité de serveuse a déclaré avoir été embauchée le matin même. Par un arrêté du 1er août 2018, notifié le 3 septembre 2018, le préfet du Nord a prononcé, à raison de ces faits, la sanction administrative de fermeture des deux établissements pour une durée de huit semaines à compter de la notification dudit arrêté et a enjoint à l'exploitant d'afficher l'arrêté en cause sur la porte d'entrée de chaque établissement durant toute la durée de la fermeture. Saisi par la société Unik 2 sur le fondement de l'article L.521-2 du code de justice administrative, le juge des référés du tribunal administratif de Lille a, par une ordonnance du 7 septembre 2018 enjoint au préfet du Nord de suspendre, d'une part, l'exécution de l'arrêté du 1er août 2018 prononçant la fermeture administrative des établissements exploités par la SARL Unik 2, en ce que la durée fixée par cette mesure excédait cinq jours pour l'établissement situé 27 rue Nationale à Lille et trente jours pour l'établissement situé 15 rue Royale à Lille et d'autre part, l'exécution de l'obligation d'affichage. La ministre du travail relève appel de cette ordonnance en ce qu'elle suspend, dans la mesure rappelée

ci-dessus, la sanction de fermeture administrative.

4. Si la SARL Unik 2 soutient que l'absence de déclaration préalable à l'embauche des deux salariés recrutés comme livreurs à scooter est liée à l'hospitalisation de son gérant, seul compétent pour procéder au recrutement des salariés et à l'inexpérience de la personne qui, en l'absence du gérant et bien qu'elle n'y fût pas habilitée a cru pouvoir y procéder et que pour la troisième personne son embauche avait eu lieu le matin même en remplacement d'un salarié qui s'était cassé la jambe, elle ne conteste pas la réalité des manquements. Il ressort en outre des pièces du dossier que le gérant a indiqué qu'il avait été alerté par l'expert comptable de la société sur l'impossibilité d'embaucher une personne de nationalité étrangère dépourvue d'autorisation de travail mais avait préféré continuer à l'employer dans l'attente qu'un titre lui soit accordé. Par ailleurs, si la société indique ne jamais avoir été sanctionnée par le passé, elle n'établit pas que les faits en cause auraient revêtu un caractère accidentel ou exceptionnel. Ces manquements qui constituent une situation de travail dissimulé ont été sanctionnés pénalement, ils étaient de nature à justifier une mesure de fermeture administrative.

5. La SARL Unik 2 soutient par ailleurs qu'il y avait lieu de traiter de manière distincte les deux établissements dès lors que leur organisation est distincte et qu'ils sont situés à plus d'un kilomètre l'un de l'autre. Toutefois, elle ne produit, à l'appui de son affirmation, aucun document relatif à l'organisation ou aux modalités de fonctionnement de ses deux établissements ; au demeurant, elle n'a pas présenté lors des contrôles de registre du personnel pour l'un ou l'autre. Dans ces conditions, et alors que ces deux établissements de restauration rapide qui, sous la même enseigne, proposent les mêmes spécialités culinaires, sont situés dans le centre de Lille, sont gérés par la même personne et ont tous deux servi à la commission de l'infraction de travail dissimulé, la société n'est pas fondée à soutenir qu'il est manifeste que, dans l'exercice des pouvoirs de sanction qu'elle tient des dispositions du code du travail, l'autorité administrative aurait dû les traiter de manière distincte.

6. Pour les motifs exposés ci-dessus, il n'apparaît pas, en l'état de l'instruction, que l'arrêté de fermeture pour une durée de deux mois porte à la liberté du commerce et de l'industrie une atteinte grave et manifestement illégale, seule susceptible de justifier le prononcé par le juge des référés d'une mesure sur le fondement de l'article L. 521-2 du code de justice administrative. Il y a lieu, par suite, d'annuler dans la mesure demandée par la ministre du travail, l'ordonnance attaquée et, sans qu'il soit besoin d'examiner la condition d'urgence, de rejeter les conclusions tendant à la suspension de la sanction de fermeture temporaire présentées par la SARL Unik 2 sur le fondement de l'article L. 521-2.

O R D O N N E :

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Article 1er : L'article 1er de l'ordonnance du 7 septembre 2018 du juge des référés du tribunal administratif de Lille est annulé.

Article 2 : La demande de suspension de la sanction de fermeture temporaire, présentée par la SARL Unik 2 devant le juge des référés du tribunal administratif de Lille, est rejetée.

Article 3 : la présente ordonnance sera notifiée à la SARL Unik 2 et à la ministre du travail.


Synthèse
Numéro d'arrêt : 424480
Date de la décision : 16/10/2018
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Plein contentieux

Publications
Proposition de citation : CE, 16 oct. 2018, n° 424480
Inédit au recueil Lebon

Composition du Tribunal
Avocat(s) : SCP SPINOSI, SUREAU

Origine de la décision
Date de l'import : 23/10/2018
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CE:2018:424480.20181016
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