La jurisprudence francophone des Cours suprêmes


recherche avancée

25/06/2018 | FRANCE | N°414866

France | France, Conseil d'État, 6ème et 5ème chambres réunies, 25 juin 2018, 414866


Vu la procédure suivante :

Mme B...A...a demandé au juge des référés du tribunal administratif de Nantes, statuant sur le fondement de l'article L. 521-1 du code de justice administrative, de suspendre l'exécution de la décision du 11 août 2017 par laquelle la garde des sceaux, ministre de la justice, l'a nommée notaire à la résidence de La Flèche (Sarthe), office créé en application de la loi n° 2015-990 du 6 août 2015. Par une ordonnance n° 1707627 du 25 septembre 2017, le juge des référés a fait droit à cette demande.

Par un pourvoi, enregistré au secr

tariat du contentieux du Conseil d'Etat le 5 octobre 2017, la garde des sceaux, m...

Vu la procédure suivante :

Mme B...A...a demandé au juge des référés du tribunal administratif de Nantes, statuant sur le fondement de l'article L. 521-1 du code de justice administrative, de suspendre l'exécution de la décision du 11 août 2017 par laquelle la garde des sceaux, ministre de la justice, l'a nommée notaire à la résidence de La Flèche (Sarthe), office créé en application de la loi n° 2015-990 du 6 août 2015. Par une ordonnance n° 1707627 du 25 septembre 2017, le juge des référés a fait droit à cette demande.

Par un pourvoi, enregistré au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat le 5 octobre 2017, la garde des sceaux, ministre de la justice demande au Conseil d'Etat d'annuler cette ordonnance.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :

- la loi n° 2015-990 du 6 août 2015 ;

- le décret n° 73-609 du 5 juillet 1973 ;

- le décret n° 2016-216 du 26 février 2016 ;

- le décret n° 2016-661 du 20 mai 2016 ;

- l'arrêté du 16 septembre 2016 pris en application de l'article 52 de la loi n° 2015-990 du 6 août 2015 pour la croissance, l'activité et l'égalité des chances économiques ;

- l'arrêté du 4 novembre 2016 pris en application du V de l'article 16 du décret n° 2016-661 du 20 mai 2016 relatif aux officiers publics et ministériels et fixant la date de l'ouverture du dépôt des demandes de nomination sur un office notarial à créer ;

- l'arrêté du 24 janvier 2017 fixant les modalités des opérations de tirages au sort prévues à l'article 53 du décret n° 73-609 du 5 juillet 1973 relatif à la formation professionnelle dans le notariat et aux conditions d'accès aux fonctions de notaire ;

- le code de justice administrative ;

Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de M. Jean-Baptiste de Froment, maître des requêtes,

- les conclusions de Mme Julie Burguburu, rapporteur public.

Vu la note en délibéré, enregistrée le 12 juin 2018, présentée par la garde des sceaux, ministre de la justice.

Considérant ce qui suit :

1. Aux termes de l'article L. 521-1 du code de justice administrative : " Quand une décision administrative, même de rejet, fait l'objet d'une requête en annulation ou en réformation, le juge des référés, saisi d'une demande en ce sens, peut ordonner la suspension de l'exécution de cette décision, ou de certains de ses effets, lorsque l'urgence le justifie et qu'il est fait état d'un moyen propre à créer, en l'état de l'instruction, un doute sérieux quant à la légalité de la décision " ;

2. Le ministre de la justice se pourvoit en cassation contre l'ordonnance du 25 septembre 2017 par laquelle le juge des référés du tribunal administratif de Nantes a suspendu, sur le fondement des dispositions citées ci-dessus, l'exécution de la décision du 11 août 2017 par laquelle la garde des sceaux, ministre de la justice l'a nommée notaire à la résidence de La Flèche (Sarthe).

Sur la compétence du tribunal administratif :

3. Aux termes de l'article 52 de la loi pour la croissance, l'activité et l'égalité des chances économiques : " I. - Les notaires, les huissiers de justice et les commissaires-priseurs judiciaires peuvent librement s'installer dans les zones où l'implantation d'offices apparaît utile pour renforcer la proximité ou l'offre de services. / Ces zones sont déterminées par une carte établie conjointement par les ministres de la justice et de l'économie, sur proposition de l'Autorité de la concurrence en application de l'article L. 462-4-1 du code de commerce. (...) / A cet effet, cette carte identifie les secteurs dans lesquels, pour renforcer la proximité ou l'offre de services, la création de nouveaux offices de notaire (...) apparaît utile. / (...) / II. - Dans les zones mentionnées au I, lorsque le demandeur remplit les conditions de nationalité, d'aptitude, d'honorabilité, d'expérience et d'assurance requises pour être nommé en qualité de notaire (...) le ministre de la justice le nomme titulaire de l'office de notaire (...) créé. (...) ". Aux termes de l'article 49 du décret du 5 juillet 1973 relatif à la formation professionnelle dans le notariat et aux conditions d'accès aux fonctions de notaire, dans sa rédaction issue du décret du 20 mai 2016 relatif aux officiers publics et ministériels : " Peuvent demander leur nomination sur un office à créer les personnes qui remplissent les conditions générales d'aptitude aux fonctions de notaire. / (...) ". Aux termes de l'article 51 du même décret : " Les demandes sont enregistrées par téléprocédure sur le site internet du ministère de la justice. Elles sont horodatées. / La demande mentionne la zone choisie parmi celles figurant sur la carte susmentionnée et, au sein de cette zone, la commune dans laquelle le demandeur souhaite être nommé. Chaque demandeur ne peut déposer qu'une seule demande par zone. ". Aux termes de l'article 52 du même décret : " Pour chaque zone fixée par la carte, les demandes sont instruites suivant leur ordre d'enregistrement. / En cas de demandes formées par une même personne et portant sur plusieurs zones, l'une quelconque de ses demandes est susceptible de donner lieu à la nomination de son auteur, sans possibilité pour lui d'exprimer un ordre de préférence. / (...) ". Aux termes de l'article 53 du même décret : " (...) lorsque le nombre des demandes de création d'office enregistrées dans les vingt-quatre heures suivant la date d'ouverture du dépôt des demandes précisée à l'article 50 du présent décret est supérieur, pour une même zone, aux recommandations, l'ordre de ces demandes est déterminé par tirage au sort (...). ". Par un arrêté du 16 septembre 2016, les ministres de l'économie et des finances et de la justice ont établi la carte prévue à l'article 52 précité de la loi du 6 août 2015, qui comporte deux cent quarante-sept zones dans lesquelles la création d'offices de notaire apparaît utile pour renforcer la proximité ou l'offre de services et ils ont fixé, pour chacune de ces zones, une recommandation sur le nombre d'offices notariaux à créer pour les années 2016-2018.

4. Il ressort des pièces du dossier soumis au juge des référés du tribunal administratif de Nantes que, par un arrêté du 11 août 2017, le ministre de la justice a nommé Mme A...titulaire de l'office à créer à la résidence de la Flèche et que l'intéressée soutenait qu'elle avait, avant cette nomination, renoncé à sa candidature sur cet office. Le ministre de la justice se pourvoit en cassation contre l'ordonnance du 25 septembre 2017 par laquelle le juge des référés du tribunal administratif de Nantes a suspendu, à la demande de Mme A..., l'exécution de l'arrêté du 11 août 2017, sur le fondement des dispositions citées au point précédent.

Sur la compétence du tribunal administratif :

5. Pour écarter l'exception d'incompétence soulevée devant lui par le ministre de la justice, le juge des référés du tribunal administratif de Nantes a jugé que, en admettant même que la décision en cause puisse être regardée comme réglementaire, elle relevait, en vertu du deuxième alinéa de l'article R. 312-10 du code de justice administrative, de la compétence du tribunal administratif de Nantes, dès lors que son champ d'application était nécessairement limité au ressort de ce tribunal. Toutefois, la décision par laquelle le ministre nomme un candidat, après avoir vérifié qu'il remplit les conditions générales d'aptitude aux fonctions de notaire, qui ne porte pas sur le principe de la création de l'office pour lequel l'intéressé a déposé sa candidature, constitue un acte individuel. Les recours contre une telle décision, qui n'est pas au nombre de celles dont le Conseil d'Etat est compétent pour connaître en premier et dernier ressort, relèvent de la compétence en premier ressort du tribunal administratif. Ce motif, qui répond à un moyen soulevé devant les juges du fond et dont l'examen n'implique l'appréciation d'aucune circonstance de fait, peut, en tout état de cause, être substitué au motif erroné retenu par l'ordonnance attaquée pour écarter l'exception d'incompétence soulevée. Le moyen du ministre, tiré de ce que le juge des référés du tribunal administratif aurait commis une erreur de droit en statuant sur la demande de Mme A...tendant à la suspension de la décision litigieuse en tant qu'elle la nomme et non en tant qu'elle crée un office, doit donc être écarté.

Sur la condition d'urgence :

6. L'urgence justifie que soit prononcée la suspension d'un acte administratif lorsque l'exécution de celui-ci porte atteinte, de manière suffisamment grave et immédiate, à un intérêt public, à la situation du requérant ou aux intérêts qu'il entend défendre. Il appartient au juge des référés d'apprécier concrètement, compte tenu des justifications fournies par le requérant, si les effets de l'acte litigieux sont de nature à caractériser une urgence justifiant que, sans attendre le jugement de la requête au fond, l'exécution de la décision soit suspendue. Il lui appartient également, l'urgence s'appréciant objectivement et compte tenu de l'ensemble des circonstances de chaque espèce, de faire apparaître dans sa décision tous les éléments qui, eu égard notamment à l'argumentation des parties, l'ont conduit à considérer que la suspension demandée revêtait un caractère d'urgence.

7. Pour juger que la condition d'urgence devait être regardée comme remplie, le juge des référés a relevé que la nomination contestée privait Mme A...de la possibilité d'être nommée dans tous les autres offices à créer où elle avait présenté sa candidature, pour lesquels les tirages au sort en vue de la détermination de l'ordre d'examen des candidatures devaient se dérouler au cours du mois de septembre 2017. Contrairement à ce que soutient le ministre, pour estimer ainsi que, dans les circonstances de l'espèce, la condition d'urgence devait être regardée comme remplie, le juge des référés n'a pas méconnu les dispositions citées au point 3 ci-dessus de l'article 52 du décret du 5 juillet 1973 relatif à la formation professionnelle dans le notariat et aux conditions d'accès aux fonctions de notaire qui excluent la formulation, par les candidats, d'un ordre de préférence. Par suite, le moyen d'erreur de droit soulevé par le ministre doit être écarté.

Sur l'existence de moyens propres à faire naître un doute sérieux sur la légalité des décisions litigieuses :

8. Le moyen retenu par le juge des référés comme paraissant de nature, en l'état de l'instruction, à créer un doute sérieux quant à la légalité de la décision litigieuse, n'est pas, contrairement à ce que soutient le ministre, exclusivement tiré de ce que la demande de Mme A...pour la zone de La Flèche ne pouvait aboutir en raison de sa tardiveté, mais également de la circonstance que, en tout état de cause, l'intéressée avait fait connaître sa renonciation à sa candidature pour cette zone antérieurement à l'édiction de l'arrêté litigieux. Par suite, si le ministre relève à bon droit une erreur du juge des référés sur le premier point, son moyen tiré de l'erreur de droit qu'il aurait commise en retenant l'existence d'un moyen de nature à créer un doute sérieux sur la légalité de l'acte attaqué doit être écarté.

9. Il résulte de tout ce qui précède que le ministre de la justice n'est pas fondé à demander l'annulation de l'ordonnance qu'il attaque. Son pourvoi ne peut, par suite, qu'être rejeté.

D E C I D E :

--------------

Article 1er : Le pourvoi de la garde des sceaux, ministre de la justice est rejeté.

Article 2 : La présente décision sera notifiée à la garde des sceaux, ministre de la justice et à Mme B...A....


Synthèse
Formation : 6ème et 5ème chambres réunies
Numéro d'arrêt : 414866
Date de la décision : 25/06/2018
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Publications
Proposition de citation : CE, 25 jui. 2018, n° 414866
Inédit au recueil Lebon

Composition du Tribunal
Rapporteur ?: M. Jean-Baptiste de Froment
Rapporteur public ?: Mme Julie Burguburu

Origine de la décision
Date de l'import : 03/07/2018
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CE:2018:414866.20180625
Association des cours judiciaires suprmes francophones
Organisation internationale de la francophonie
Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie. Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie.
Logo iall 2012 website award