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04/05/2018 | FRANCE | N°407462

France | France, Conseil d'État, 6ème et 5ème chambres réunies, 04 mai 2018, 407462


Vu la procédure suivante :

Par une requête, enregistrée le 2 février 2017 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, le conseil supérieur de l'ordre des experts-comptables demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler pour excès de pouvoir les dispositions du III de l'article 4 de l'ordonnance n° 2016-1635 du 1er décembre 2016 renforçant le dispositif français de lutte contre le blanchiment et le financement du terrorisme, en tant que ces dernières soumettent les experts-comptables et les salariés autorisés à exercer la profession en application des articles 83

ter et 83 quater de l'ordonnance n° 45-2138 du 19 septembre 1945 à l'obliga...

Vu la procédure suivante :

Par une requête, enregistrée le 2 février 2017 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, le conseil supérieur de l'ordre des experts-comptables demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler pour excès de pouvoir les dispositions du III de l'article 4 de l'ordonnance n° 2016-1635 du 1er décembre 2016 renforçant le dispositif français de lutte contre le blanchiment et le financement du terrorisme, en tant que ces dernières soumettent les experts-comptables et les salariés autorisés à exercer la profession en application des articles 83 ter et 83 quater de l'ordonnance n° 45-2138 du 19 septembre 1945 à l'obligation de communication systématique d'information prévue à l'article L. 561-15-1 du code monétaire et financier, ainsi que toutes les autres dispositions de la même ordonnance qui seraient indivisibles de celles-ci ;

2°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 7 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :

- la Constitution, notamment son article 38 ;

- la directive (UE) 2015/849 du Parlement européen et du Conseil du 20 mai 2015 ;

- le code monétaire et financier ;

- la loi n° 2016-731 du 3 juin 2016, notamment son article 118 ;

- l'ordonnance n° 2016-1635 du 1er décembre 2016, notamment son article 4 ;

- le code de justice administrative ;

Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de Mme Airelle Niepce, maître des requêtes,

- les conclusions de M. Louis Dutheillet de Lamothe, rapporteur public.

La parole ayant été donnée, avant et après les conclusions, à la SCP Garreau, Bauer-Violas, Feschotte-Desbois, avocat du conseil supérieur de l'ordre des experts-comptables.

1. Considérant que le I de l'article 118 de la loi du 3 juin 2016 renforçant la lutte contre le crime organisé, le terrorisme et leur financement, et améliorant l'efficacité et les garanties de la procédure pénale a autorisé le Gouvernement à prendre par ordonnance toute mesure relevant du domaine de la loi afin de : " (...) / 6° Garantir la confidentialité des informations reçues et détenues par le service mentionné à l'article L. 561-23 du code monétaire et financier et élargir les possibilités pour ce service de recevoir et de communiquer des informations ; (...) " ;

2. Considérant que, sur le fondement de cette habilitation, le III de l'article 4 de l'ordonnance du 1er décembre 2016 attaquée a modifié les dispositions de l'article L. 561-15-1 du code monétaire et financier, dont le I prévoient désormais que : " Les personnes mentionnées à l'article L. 561-2 adressent au service mentionné à l'article L. 561-23 les éléments d'information relatifs à certaines opérations présentant un risque élevé de blanchiment ou de financement du terrorisme en raison du pays ou du territoire d'origine ou de destination des fonds, de la nature des opérations en cause ou des structures juridiques impliquées dans ces opérations. Un décret en Conseil d'Etat fixe les conditions d'application du présent article en ce qui concerne notamment les personnes et les opérations concernées ainsi que les modalités de transmission de l'information " ;

3. Considérant que le conseil supérieur de l'ordre des experts-comptables demande l'annulation pour excès de pouvoir des dispositions du III de l'article 4 de l'ordonnance du 1er décembre 2016 en tant que ces dernières soumettent les experts-comptables et les salariés autorisés à exercer la profession en application des articles 83 ter et 83 quater de l'ordonnance du 19 septembre 1945, mentionnés tous deux au 12° de l'article L. 561-2 du code monétaire et financier, à l'obligation de communication systématique d'informations prévue à l'article L. 561-15-1 du même code ;

4. Considérant, en premier lieu, qu'aux termes du deuxième alinéa de l'article 38 de la Constitution : " Les ordonnances sont prises en Conseil des ministres après avis du Conseil d'Etat (...) " ; que, lorsque le Gouvernement prend des mesures par ordonnance, le texte qu'il retient ne peut être différent à la fois du projet qu'il a soumis au Conseil d'Etat et du texte adopté par ce dernier ; qu'il ressort des pièces produites par le ministre que l'ordonnance attaquée ne contient pas de dispositions qui différeraient à la fois du projet initial du Gouvernement et du texte adopté par la section des finances du Conseil d'Etat ; que, par suite, le moyen tiré de la méconnaissance des règles qui gouvernent l'examen par le Conseil d'Etat des projets d'ordonnance doit être écarté ;

5. Considérant, en deuxième lieu, que les dispositions de l'article L. 561-15-1 du code monétaire et financier soumettaient, avant l'intervention de l'ordonnance du 1er décembre 2016, certaines des personnes énumérées à l'article L. 561-2 du même code à une obligation de communication systématique d'informations à destination du service mentionné à l'article L. 561-23 de ce code, d'une part, pour certaines opérations de transmission de fonds à partir de seuils précisés par décret, d'autre part, pour certaines opérations financières " présentant un risque élevé de blanchiment ou de financement du terrorisme en raison du pays ou du territoire d'origine ou de destinations des fonds, du type d'opération ou des structures juridiques concernées " répondant à des critères objectifs précisés par décret en Conseil d'Etat ; que les modifications apportées à l'article L. 561-15-1 du code monétaire et financier par le III de l'article 4 de l'ordonnance attaquée conduisent à étendre cette obligation à toutes les personnes énumérées à l'article L. 561-2 du même code ; que, ce faisant, ces dispositions n'excédent pas les limites de l'habilitation donnée au Gouvernement par le 6° du I de l'article 118 de la loi du 3 juin 2016 précité ;

6. Considérant, en troisième lieu, qu'il est loisible au législateur ou, en cas d'application de l'article 38 de la Constitution, au Gouvernement intervenant par voie d'ordonnance dans les limites de l'habilitation dont il dispose, d'apporter à la liberté d'entreprendre, qui découle de l'article 4 de la Déclaration de 1789, des limitations liées à des exigences constitutionnelles ou justifiées par l'intérêt général, à la condition qu'il n'en résulte pas d'atteintes disproportionnées au regard de l'objectif poursuivi ;

7. Considérant que les dispositions du I de l'article L. 561-15-1 du code monétaire et financier précitées ont pour objet de soumettre les personnes mentionnées à l'article L. 561-2 du même code à une obligation de transmission systématique d'informations portant sur certaines opérations identifiées comme présentant un risque particulier en matière de blanchiment ou de financement du terrorisme, afin d'offrir des capacités d'investigations renforcées à la cellule de renseignement financier Tracfin et d'améliorer ce faisant l'efficacité du dispositif de lutte contre le blanchiment de capitaux et le financement du terrorisme ; que les dispositions du second alinéa de ce I donnent compétence au pouvoir réglementaire pour préciser, en fonction de la profession concernée, quelles opérations sont regardées comme à risque " en raison du pays ou du territoire d'origine ou de destinations des fonds, de la nature des opérations en cause ou des structures juridiques impliquées " et justifient ainsi une transmission d'information à Tracfin ; qu'eu égard à l'intérêt général qui s'attache à la lutte contre le blanchiment de capitaux et le financement du terrorisme, et compte tenu de l'encadrement du renvoi opéré au pouvoir réglementaire pour déterminer, sous le contrôle du juge administratif, pour chaque profession concernée et en fonction de ses particularités, tant les opérations soumises à l'obligation de transmission systématique d'informations que les modalités de la transmission, les dispositions du I de l'article L. 561-15-1 ne sauraient être regardées comme portant, par elles-mêmes, une atteinte disproportionnée à la liberté d'entreprendre ;

8. Considérant qu'il résulte de ce qui précède, sans qu'il soit besoin de statuer sur la fin de non-recevoir opposée par le ministre, que le conseil supérieur de l'ordre des experts-comptables n'est pas fondé à demander l'annulation des dispositions du III de l'article 4 de l'ordonnance attaquée en tant que ces dernières soumettent les experts-comptables et les salariés autorisés à exercer la profession à l'obligation de communication systématique d'information prévue à l'article L. 561-15-1 du code monétaire et financier ; que ses conclusions présentées au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ne peuvent, par suite, qu'être rejetées ;

D E C I D E :

--------------

Article 1er : La requête du conseil supérieur de l'ordre des experts-comptables est rejetée.

Article 2 : La présente décision sera notifiée au conseil supérieur de l'ordre des experts-comptables, au Premier ministre et au ministre de l'économie et des finances.


Synthèse
Formation : 6ème et 5ème chambres réunies
Numéro d'arrêt : 407462
Date de la décision : 04/05/2018
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Publications
Proposition de citation : CE, 04 mai. 2018, n° 407462
Inédit au recueil Lebon

Composition du Tribunal
Rapporteur ?: Mme Airelle Niepce
Rapporteur public ?: M. Louis Dutheillet de Lamothe
Avocat(s) : SCP GARREAU, BAUER-VIOLAS, FESCHOTTE-DESBOIS

Origine de la décision
Date de l'import : 22/05/2018
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CE:2018:407462.20180504
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