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06/04/2018 | FRANCE | N°417192

France | France, Conseil d'État, 6ème et 5ème chambres réunies, 06 avril 2018, 417192


Vu la procédure suivante :

Par un mémoire, enregistré le 11 janvier 2018 au secrétariat du contentieux du Conseil d'État, et présenté en application de l'article 23-5 de l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958, M. B...A...demande au Conseil d'État, à l'appui de sa requête tendant à l'annulation pour excès de pouvoir de la décision implicite de rejet du Premier ministre résultant du silence gardé sur sa demande en date du 20 octobre 2017 tendant à l'abrogation du titre IV du décret n° 2009-158 du 11 février 2009 relatif aux fonds de dotation, de renvoyer au Conseil

constitutionnel la question de la conformité aux droits et libertés gara...

Vu la procédure suivante :

Par un mémoire, enregistré le 11 janvier 2018 au secrétariat du contentieux du Conseil d'État, et présenté en application de l'article 23-5 de l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958, M. B...A...demande au Conseil d'État, à l'appui de sa requête tendant à l'annulation pour excès de pouvoir de la décision implicite de rejet du Premier ministre résultant du silence gardé sur sa demande en date du 20 octobre 2017 tendant à l'abrogation du titre IV du décret n° 2009-158 du 11 février 2009 relatif aux fonds de dotation, de renvoyer au Conseil constitutionnel la question de la conformité aux droits et libertés garantis par la Constitution des dispositions de l'article 435-3 du code pénal.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :

- la Constitution, notamment son Préambule et ses articles 34 et 61-1 ;

- la convention sur la lutte contre la corruption d'agents publics étrangers dans les transactions commerciales internationales, signée à Paris le 17 décembre 1997, et le décret n° 2000-948 du 28 septembre 2000 portant publication de cette convention ;

- l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 ;

- le code pénal ;

- le code de procédure pénale ;

- le code de justice administrative ;

Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de M. Vivien David, maître des requêtes en service extraordinaire,

- les conclusions de M. Louis Dutheillet de Lamothe, rapporteur public.

Vu la note en délibéré, enregistrée le 28 mars 2018, présentée par M.A... ;

Considérant ce qui suit :

1. Aux termes du premier alinéa de l'article 23-5 de l'ordonnance du 7 novembre 1958 portant loi organique sur le Conseil constitutionnel : " Le moyen tiré de ce qu'une disposition législative porte atteinte aux droits et libertés garantis par la Constitution peut être soulevé, y compris pour la première fois en cassation, à l'occasion d'une instance devant le Conseil d'Etat (...) ". Il résulte des dispositions de ce même article que le Conseil constitutionnel est saisi de la question prioritaire de constitutionnalité à la triple condition que la disposition contestée soit applicable au litige ou à la procédure, qu'elle n'ait pas déjà été déclarée conforme à la Constitution dans les motifs et le dispositif d'une décision du Conseil constitutionnel, sauf changement des circonstances, et que la question soit nouvelle ou présente un caractère sérieux.

2. Aux termes de l'article 140 de la loi du 4 août 2008 de modernisation de l'économie, ayant institué les fonds de dotation, un tel fonds " peut faire appel à la générosité publique après autorisation administrative dont les modalités sont fixées par décret ". En application de cette disposition, le décret du 11 février 2009 relatif aux fonds de dotation dispose, en son article 12, que le préfet peut ne pas donner l'autorisation notamment : " Lorsqu'un membre du conseil d'administration a fait l'objet, depuis moins de cinq ans, d'une condamnation définitive pour l'une des infractions prévues par les articles (...) 435-1 à 435-4 (...) du code pénal (...) ". Est ainsi visé l'article 435-3 du code pénal qui, réprimant la corruption d'agent public étranger, au sens notamment de la convention sur la lutte contre la corruption d'agents publics étrangers dans les transactions commerciales internationales signée à Paris le 17 décembre 1997, dispose que : " Est puni de dix ans d'emprisonnement et de 150 000 euros d'amende le fait, par quiconque, de proposer, sans droit, à tout moment, directement ou indirectement, à une personne dépositaire de l'autorité publique, chargée d'une mission de service public ou investie d'un mandat électif public dans un Etat étranger ou au sein d'une organisation internationale publique, des offres, des promesses, des dons, des présents ou des avantages quelconques, pour elle-même ou pour autrui, pour qu'elle accomplisse ou s'abstienne d'accomplir, ou parce qu'elle a accompli ou s'est abstenue d'accomplir un acte de sa fonction, de sa mission ou de son mandat, ou facilité par sa fonction, sa mission ou son mandat. / Est puni des mêmes peines le fait, par quiconque, de céder à une personne visée au premier alinéa qui sollicite, sans droit, à tout moment, directement ou indirectement, des offres, des promesses, des dons, des présents ou des avantages quelconques, pour elle-même ou pour autrui, pour accomplir ou avoir accompli, pour s'abstenir ou s'être abstenue d'accomplir un acte visé audit alinéa ".

3. Mis en examen du chef de corruption d'agent public étranger sur le fondement de ce dernier article, M. A...a, le 20 octobre 2017, demandé au Premier ministre de supprimer la mention faite aux articles 435-1 à 435-4 du code pénal dans l'article 12 du décret du 11 février 2009. Il demande au Conseil d'Etat d'annuler pour excès de pouvoir la décision implicite de rejet du Premier ministre et de lui enjoindre d'abroger ce décret en tant qu'il mentionne les textes précités, dont l'article 435-3. Cette disposition est donc applicable au litige. Elle n'a pas déjà été déclarée conforme à la Constitution dans les motifs et le dispositif d'une décision du Conseil constitutionnel.

Sur le caractère sérieux de la question :

En ce qui concerne l'incompétence négative du législateur et la méconnaissance du principe de légalité des délits et des peines :

4. Aux termes de l'article 8 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen: " (...) nul ne peut être puni qu'en vertu d'une loi établie et promulguée antérieurement au délit, et légalement appliquée ". Le législateur tient du principe de légalité des délits et des peines qui résulte de cet article, ainsi que de l'article 34 de la Constitution, l'obligation de fixer lui-même le champ d'application de la loi pénale et de définir les crimes et délits en termes suffisamment clairs et précis pour exclure l'arbitraire. Il résulte par ailleurs de l'article 9 de la même Déclaration que, s'agissant des crimes et délits, la culpabilité ne saurait résulter de la seule imputabilité matérielle d'actes pénalement sanctionnés. En conséquence, et conformément aux dispositions combinées de l'article 9 précité et du principe de légalité des délits et des peines, la définition d'une incrimination, en matière délictuelle, doit inclure, outre l'élément matériel de l'infraction, l'élément moral, intentionnel ou non, de celle-ci.

5. En premier lieu, l'article 121-2 du code pénal dispose que : " Les personnes morales, à l'exclusion de l'État, sont responsables pénalement, selon les distinctions des articles 121-4 à 121-7, des infractions commises, pour leur compte, par leurs organes ou représentants. / Toutefois, les collectivités territoriales et leurs groupements ne sont responsables pénalement que des infractions commises dans l'exercice d'activités susceptibles de faire l'objet de conventions de délégation de service public ". En l'absence d'indication contraire sur la responsabilité des personnes morales, le principe et les conditions posées par cette disposition générale du code s'appliquent de plein droit, précisant les personnes et le type d'infractions concernés, ainsi que les circonstances dans lesquelles cette responsabilité peut être engagée. Il ne peut, dès lors, être sérieusement soutenu que l'article 435-3 serait imprécis sur ce point.

6. En deuxième lieu, il résulte de l'article 435-3 contesté, réprimant le fait " à tout moment " de proposer un " avantage quelconque " à la personne " pour qu'elle accomplisse ou s'abstienne d'accomplir, ou parce qu'elle a accompli ou s'est abstenue d'accomplir un acte... ", que sont indifférents la nature de l'avantage en cause, qui peut être matériel ou moral, de même que le moment où il est proposé, la proposition étant punissable que l'agent ait ou non déjà accompli l'acte recherché. En précisant par ailleurs que, pour être punissable, la sollicitation doit avoir été adressée à une " personne dépositaire de l'autorité publique, chargée d'une mission de service public ou investie d'un mandat électif public dans un Etat étranger ou au sein d'une organisation internationale publique ", le texte se réfère à des notions présentes en de nombreuses incriminations, connues tant du droit pénal que du droit public, et dont le contenu, déjà précisé par la jurisprudence, se trouve en outre éclairé par l'article 1er de la convention sur la lutte contre la corruption d'agents publics étrangers dans les transactions commerciales internationales, signée à Paris le 17 décembre 1997, pour l'application de laquelle l'article 435-3 a été initialement créé. Cet article n'apparaît, par suite, ambigu ni sur la nature et le moment des sollicitations incriminées ni sur les agents publics concernés.

7. En troisième lieu, il résulte des dispositions générales du code pénal, en particulier des articles 113-1 à 113-13 fixant les conditions d'application de la loi pénale dans l'espace, ainsi que de l'article 689 du code de procédure pénale, qu'une infraction pénale n'est, en principe, justiciable des juridictions françaises qu'autant que la loi française lui est applicable et que toute application de la loi pénale française implique que l'existence de l'infraction s'apprécie au regard des catégories juridiques qu'elle définit. Le juge compétent doit donc rechercher s'il est en présence d'une " personne dépositaire de l'autorité publique, chargée d'une mission de service public ou investie d'un mandat électif public ", au sens du droit français, même si, eu égard à l'objet de l'infraction comme aux stipulations des conventions internationales tendant à sa répression et que l'article 435-3 met en oeuvre, il lui appartient de tenir compte des éléments pertinents issus notamment de la législation de l'Etat dans lequel la personne exerce ses fonctions. Le moyen tiré de ce que le texte ne préciserait pas la loi au regard de laquelle s'apprécient les notions qu'il emploie, ne présente pas, en conséquence, de caractère sérieux.

8. En quatrième lieu, l'article 121-3 du code pénal dispose, en son premier alinéa, que : " Il n'y a point de crime ou de délit sans intention de le commettre ". En l'absence de précision contraire sur l'élément moral de l'infraction, le principe énoncé dans cette disposition générale du code s'applique de plein droit. En outre, aux termes de l'article litigieux, la proposition n'est punissable qu'autant qu'elle a été faite à la personne " pour qu'elle accomplisse ou s'abstienne d'accomplir, ou parce qu'elle a accompli ou s'est abstenue d'accomplir un acte... ". Il s'en déduit que l'infraction, supposant une volonté de corrompre, est intentionnelle. Le moyen tiré de ce que l'article 435-3 du code pénal ne fournirait aucune précision quant à l'élément moral de l'infraction, ne présente donc pas non plus de caractère sérieux.

9. En cinquième lieu, il résulte de l'article 112-1 du code pénal, disposition générale applicable de plein droit, que sont seuls punissables les faits constitutifs d'une infraction à la date à laquelle ils ont été commis. La loi du 30 juin 2000 ayant institué l'article 453-3 du code pénal disposait, en outre, à son article 3, jusqu'à son abrogation par loi du 13 novembre 2007, que : " Les articles 435-1 à 435-4 du code pénal ainsi que l'article 689-8 du code de procédure pénale entreront en vigueur à la date d'entrée en vigueur sur le territoire de la République des conventions ou protocoles visés par ces articles ". Aux termes du décret susvisé du 28 septembre 2000, la convention sur la lutte contre la corruption d'agents publics étrangers dans les transactions commerciales internationales signée à Paris le 17 décembre 1997, pour l'application de laquelle l'article 435-3 a été initialement créé, est entrée en vigueur en France le 29 septembre 2000. Il s'ensuit qu'il ne peut être sérieusement soutenu que le principe de non-rétroactivité des lois en matière répressive a été méconnu.

En ce qui concerne la méconnaissance du principe de nécessité des incriminations et des peines :

10. Aux termes de l'article 8 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen : " La loi ne doit établir que des peines strictement et évidemment nécessaires (...) ". En conséquence, la détermination des sanctions dont sont assorties les infractions ne doit pas, eu égard à la qualification des faits en cause, être entachée d'erreur manifeste d'appréciation.

11. En premier lieu, il résulte de l'article 435-3 du code pénal que l'infraction de corruption d'un agent public étranger n'est constituée qu'autant que peut être caractérisé un fait matériel ayant consisté à " proposer " à cette personne, " directement ou indirectement ", à des fins de corruption, " des offres, des promesses, des dons, des présents ou des avantages quelconques, pour elle-même ou pour autrui ". Il ne peut, dès lors, être sérieusement soutenu que le législateur aurait méconnu le principe de nécessité des délits et des peines en incriminant une simple intention délictueuse.

12. En second lieu, il ressort du texte litigieux et de l'article 433-1 du même code que le comportement incriminé est de même nature, qu'il s'agisse d'un agent public national ou étranger. Il se déduit, en outre, des engagements internationaux de la France et des travaux préparatoires de la loi du 30 juin 2000 que le législateur a entendu tenir compte de la gravité des conséquences de faits de corruption, qui nuisent à l'ensemble des pays en créant des distorsions de concurrence, déstabilisant l'Etat de droit et favorisant le développement de la criminalité organisée ainsi que le financement du terrorisme. En particulier, ainsi que l'indique le préambule de la convention sur la lutte contre la corruption d'agents publics étrangers dans les transactions commerciales internationales, pour l'application de laquelle l'article 435-3 a été créé, les Etats parties considèrent " que la corruption est un phénomène répandu dans les transactions commerciales internationales, y compris dans le domaine des échanges et de l'investissement, qui suscite de graves préoccupations morales et politiques, affecte la bonne gestion des affaires publiques et le développement économique et fausse les conditions internationales de concurrence " et " que la responsabilité de la lutte contre la corruption dans le cadre de transactions commerciales internationales incombe à tous les pays ". Par ailleurs, une telle infraction n'est pas dépourvue de conséquences négatives sur le respect du droit et de l'économie en France lorsque les faits en cause sont justiciables de la loi française, soit qu'ils aient été commis, en tout ou partie, sur le territoire de la République, soit qu'un ou plusieurs de leurs auteurs, complices ou victimes aient été de nationalité française. Enfin, les engagements internationaux de la France tout comme l'exemple des législations étrangères invitent les Etats à prévoir et appliquer des sanctions comparables pour la corruption des agents publics nationaux et étrangers. Dans ces conditions, il n'apparaît pas que le législateur ait pu commettre une erreur manifeste d'appréciation en incriminant la corruption d'agent public étranger et en lui appliquant des peines identiques à celles prévues pour la corruption de leurs homologues nationaux.

13. Il résulte de tout ce qui précède que la question prioritaire de constitutionnalité soulevée, qui n'est pas nouvelle, ne présente pas un caractère sérieux. Il n'y a pas lieu, par suite, de la renvoyer au Conseil constitutionnel.

D E C I D E :

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Article 1er : Il n'y a pas lieu de renvoyer au Conseil constitutionnel la question prioritaire de constitutionnalité soulevée par M.A....

Article 2 : La présente décision sera notifiée à M. B...A..., au Premier ministre, à la garde des sceaux, ministre de la justice, et au ministre de l'action et des comptes publics.

Copie en sera adressée au Conseil constitutionnel.


Synthèse
Formation : 6ème et 5ème chambres réunies
Numéro d'arrêt : 417192
Date de la décision : 06/04/2018
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Publications
Proposition de citation : CE, 06 avr. 2018, n° 417192
Inédit au recueil Lebon

Composition du Tribunal
Rapporteur ?: M. Vivien David
Rapporteur public ?: M. Louis Dutheillet de Lamothe

Origine de la décision
Date de l'import : 10/04/2018
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CE:2018:417192.20180406
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