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14/02/2018 | FRANCE | N°416152

France | France, Conseil d'État, 8ème - 3ème chambres réunies, 14 février 2018, 416152


1° L'EURL Recyclage Pièces Pots Métaux (RPPM), à l'appui de sa requête d'appel tendant à l'annulation du jugement n° 1402341 du 13 mai 2015 du tribunal administratif de Dijon en tant qu'il n'a que partiellement fait droit à sa demande tendant à la décharge des cotisations supplémentaires d'impôt sur les sociétés auxquelles elle a été assujettie au titre des années 2010 et 2011 et des pénalités correspondantes, a produit deux mémoires, enregistrés les 27 juillet et 30 août 2017 au greffe de la cour administrative d'appel de Lyon, en application de l'article 23-1 de l'ordon

nance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 portant loi organique sur le Cons...

1° L'EURL Recyclage Pièces Pots Métaux (RPPM), à l'appui de sa requête d'appel tendant à l'annulation du jugement n° 1402341 du 13 mai 2015 du tribunal administratif de Dijon en tant qu'il n'a que partiellement fait droit à sa demande tendant à la décharge des cotisations supplémentaires d'impôt sur les sociétés auxquelles elle a été assujettie au titre des années 2010 et 2011 et des pénalités correspondantes, a produit deux mémoires, enregistrés les 27 juillet et 30 août 2017 au greffe de la cour administrative d'appel de Lyon, en application de l'article 23-1 de l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 portant loi organique sur le Conseil constitutionnel, par lesquels elle soulève une question prioritaire de constitutionnalité.

Par un arrêt n°s 15LY02475,15LY03278 du 30 novembre 2017, enregistré le même jour au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, la cour administrative d'appel de Lyon, avant qu'il soit statué sur la requête d'appel de l'EURL RPPM, a décidé, par application des dispositions de l'article 23-2 de l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958, de transmettre au Conseil d'Etat la question de la conformité aux droits et libertés garantis par la Constitution des articles L. 76 B et L. 103 du livre des procédures fiscales.

Dans la question prioritaire de constitutionnalité transmise et dans un mémoire, enregistré le 10 janvier 2018 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, l'EURL RPPM soutient que les dispositions combinées des articles L. 76 B et L. 103 du livre des procédures fiscales, telles qu'interprétées par la jurisprudence du Conseil d'Etat, portent atteinte au principe constitutionnel des droits de la défense découlant de l'article 16 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789.

2° M. A...B..., à l'appui de sa requête d'appel tendant à l'annulation du jugement n° 1402342 du 13 mai 2015 par lequel le tribunal administratif de Dijon a rejeté sa demande tendant à la décharge des cotisations supplémentaires d'impôt sur le revenu et de contributions sociales auxquelles il a été assujetti au titre des années 2010 et 2011 et des pénalités correspondantes, a produit deux mémoires, enregistrés les 4 août et 5 septembre 2017 au greffe de la cour administrative d'appel de Lyon, en application de l'article 23-1 de l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 portant loi organique sur le Conseil constitutionnel, par lesquels il soulève une question prioritaire de constitutionnalité.

Par un arrêt n° 15LY02499 du 30 novembre 2017, enregistré le 4 décembre 2017 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, la cour administrative d'appel de Lyon, avant qu'il soit statué sur la requête d'appel de M.B..., a décidé, par application des dispositions de l'article 23-2 de l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958, de transmettre au Conseil d'Etat la question de la conformité aux droits et libertés garantis par la Constitution des articles L. 76 B et L. 103 du livre des procédures fiscales.

Dans la question prioritaire de constitutionnalité transmise et dans un mémoire, enregistré le 10 janvier 2018 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, M. B...soutient que les dispositions combinées des articles L. 76 B et L. 103 du livre des procédures fiscales, telles qu'interprétées par la jurisprudence du Conseil d'Etat, portent atteinte au principe constitutionnel des droits de la défense découlant de l'article 16 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen.

....................................................................................

Vu les autres pièces des dossiers ;

Vu :

- la Constitution, notamment son Préambule et son article 61-1 ;

- l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 ;

- le code général des impôts et le livre des procédures fiscales ;

- le code de justice administrative ;

Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de Mme Karin Ciavaldini, maître des requêtes,

- les conclusions de M. Benoît Bohnert, rapporteur public.

Considérant ce qui suit :

1. Les questions prioritaires de constitutionnalité transmises par la cour administrative d'appel de Lyon portent sur les mêmes dispositions du livre des procédures fiscales. Il y a lieu de les joindre pour statuer par une seule décision.

2. Il résulte des dispositions de l'article 23-4 de l'ordonnance du 7 novembre 1958 portant loi organique sur le Conseil constitutionnel que, lorsqu'une juridiction relevant du Conseil d'Etat a transmis à ce dernier, en application de l'article 23-2 de cette même ordonnance, la question de la conformité à la Constitution d'une disposition législative, le Conseil constitutionnel est saisi de cette question de constitutionnalité à la triple condition que la disposition contestée soit applicable au litige ou à la procédure, qu'elle n'ait pas déjà été déclarée conforme à la Constitution dans les motifs et le dispositif d'une décision du Conseil constitutionnel, sauf changement des circonstances, et que la question soit nouvelle ou présente un caractère sérieux.

3. Aux termes de l'article 16 de la Déclaration de 1789 : " Toute société dans laquelle la garantie des droits n'est pas assurée, ni la séparation des pouvoirs déterminée, n'a point de Constitution ". Il résulte de la jurisprudence du Conseil constitutionnel que sont garantis par cette disposition le droit des personnes intéressées à exercer un recours juridictionnel effectif, le droit à un procès équitable et le principe du contradictoire, ainsi que les droits de la défense lorsqu'est en cause une sanction ayant le caractère d'une punition.

4. Aux termes de l'article L. 76 B du livre des procédures fiscales : " L'administration est tenue d'informer le contribuable de la teneur et de l'origine des renseignements et documents obtenus de tiers sur lesquels elle s'est fondée pour établir l'imposition faisant l'objet de la proposition prévue au premier alinéa de l'article L. 57 ou de la notification prévue à l'article L. 76. Elle communique, avant la mise en recouvrement, une copie des documents susmentionnés au contribuable qui en fait la demande ". Aux termes de l'article L. 80 D du même livre, dans sa rédaction applicable aux procédures en cause dans le litige : " Les décisions mettant à la charge des contribuables des sanctions fiscales sont motivées au sens de la loi n° 79-587 du 11 juillet 1979 relative à la motivation des actes administratifs et à l'amélioration des relations entre l'administration et le public, quand un document ou une décision adressés au plus tard lors de la notification du titre exécutoire ou de son extrait en a porté la motivation à la connaissance du contribuable. / Les sanctions fiscales ne peuvent être prononcées avant l'expiration d'un délai de trente jours à compter de la notification du document par lequel l'administration a fait connaître au contribuable ou redevable concerné la sanction qu'elle se propose d'appliquer, les motifs de celle-ci et la possibilité dont dispose l'intéressé de présenter dans ce délai ses observations ". Aux termes de l'article L. 103 du même livre : " L'obligation du secret professionnel, telle qu'elle est définie aux articles 226-13 et 226-14 du code pénal, s'applique à toutes les personnes appelées à l'occasion de leurs fonctions ou attributions à intervenir dans l'assiette, le contrôle, le recouvrement ou le contentieux des impôts, droits, taxes et redevances prévus au code général des impôts. / Le secret s'étend à toutes les informations recueillies à l'occasion de ces opérations. Pour les informations recueillies à l'occasion d'un examen contradictoire de la situation fiscale personnelle, l'obligation du secret professionnel nécessaire au respect de la vie privée s'impose au vérificateur à l'égard de toutes personnes autres que celles ayant, par leurs fonctions, à connaître du dossier ".

5. Il résulte de la jurisprudence du Conseil d'Etat que l'administration ne peut, en principe, sans méconnaître les dispositions précitées de l'article L. 76 B du livre des procédures fiscales, fonder un redressement sur des renseignements et des documents qu'elle a obtenus de tiers sans informer le contribuable, avant la mise en recouvrement, de la teneur et de l'origine de ces renseignements et documents afin qu'il soit mis à même de demander, avant la mise en recouvrement des impositions, que les pièces concernées soient mises à sa disposition. Toutefois, les dispositions législatives protégeant le secret professionnel, telles que l'article L. 103 du livre des procédures fiscales, peuvent faire obstacle à la communication par l'administration à un contribuable de renseignements concernant un tiers, sans le consentement de celui-ci ou de toute personne habilitée à cet effet. Un tel refus de communication, reposant sur la protection du secret professionnel, ne fait pas obstacle à ce que, sous le contrôle du juge de l'impôt, les redressements soient fondés sur les renseignements ou documents communiqués au contribuable après occultation des informations qui seraient susceptibles de porter atteinte au secret professionnel.

6. Dans les questions prioritaires de constitutionnalité transmises par la cour administrative d'appel de Lyon, les requérants soutiennent que les dispositions combinées des articles L. 76 B et L. 103 du livre des procédures fiscales, telles qu'interprétées par la jurisprudence du Conseil d'Etat, portent atteinte au principe constitutionnel des droits de la défense découlant de l'article 16 de la Déclaration de 1789.

7. En premier lieu, le principe constitutionnel du respect des droits de la défense, garanti par l'article 16 de la Déclaration de 1789, ne s'applique pas aux décisions émanant des autorités administratives, sauf lorsqu'elles prononcent une sanction ayant le caractère d'une punition. Par suite, il ne saurait être utilement invoqué à l'encontre des dispositions contestées, en tant qu'elles régissent la procédure administrative d'établissement de l'impôt.

8. En deuxième lieu, il résulte des dispositions précitées de l'article L. 80 D du livre des procédures fiscales, qui ont pour objet de garantir le respect des principes constitutionnels du contradictoire et des droits de la défense dans la procédure administrative d'établissement des pénalités fiscales, que l'administration ne peut légalement fonder l'application de telles pénalités sur des éléments qui n'auraient pas été portés à la connaissance du contribuable au plus tard lors de la notification du titre exécutoire ou de son extrait, et sur lesquels il a pu présenter des observations. Par suite, il ne peut davantage être soutenu que l'interprétation donnée par le Conseil d'Etat des dispositions combinées des articles L. 76 B et L. 103 du livre des procédures fiscales autoriserait l'administration à établir les pénalités fiscales en s'affranchissant du respect du principe constitutionnel des droits de la défense.

9. En troisième lieu, les règles générales de la procédure contentieuse interdisent au juge de se fonder sur des pièces qui n'auraient pas été soumises au débat contradictoire, à la seule exception des documents dont le refus de communication constitue l'objet même du litige. Par suite, il ne peut fonder sa décision sur le contenu de documents qui n'auraient pas été communiqués à l'autre partie, et ce alors même que ces documents auraient été couverts par un secret garanti par la loi. Ainsi, si l'administration produisait une pièce tout en indiquant qu'elle présente un caractère secret et ne peut être communiquée à l'autre partie, celle-ci ne pourrait qu'être écartée des débats sans pouvoir être utilisée par le juge pour fonder sa décision. Dès lors, les requérants ne sont pas fondés à soutenir que les dispositions combinées des articles L. 76 B et L. 103 du livre des procédures fiscales permettraient au juge de l'impôt, en méconnaissance du principe constitutionnel des droits de la défense, de statuer sur le fondement de documents utilisés par l'administration pour établir l'imposition en litige et qui n'auraient pas été communiqués au contribuable dans leur intégralité.

10. Il résulte de ce qui précède que les questions prioritaires de constitutionnalité invoquées, qui ne sont pas nouvelles, ne présentent pas un caractère sérieux. Dès lors, il n'y a pas lieu de les renvoyer au Conseil constitutionnel.

D E C I D E :

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Article 1er : Il n'y a pas lieu de renvoyer au Conseil constitutionnel les questions prioritaires de constitutionnalité transmises par la cour administrative d'appel de Lyon.

Article 2 : La présente décision sera notifiée à l'EURL Recyclage Pièces Pots Métaux, à M. A... B... et au ministre de l'action et des comptes publics.

Copie en sera adressée au Conseil constitutionnel, au Premier ministre et à la cour administrative d'appel de Lyon.


Synthèse
Formation : 8ème - 3ème chambres réunies
Numéro d'arrêt : 416152
Date de la décision : 14/02/2018
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Autres

Publications
Proposition de citation : CE, 14 fév. 2018, n° 416152
Inédit au recueil Lebon

Composition du Tribunal
Rapporteur ?: Mme Karin Ciavaldini
Rapporteur public ?: M. Benoît Bohnert

Origine de la décision
Date de l'import : 20/02/2018
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CE:2018:416152.20180214
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