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28/12/2017 | FRANCE | N°407601

France | France, Conseil d'État, 6ème chambre, 28 décembre 2017, 407601


Vu la procédure suivante :

Par une requête, un mémoire en réplique et un nouveau mémoire, enregistrés les 6 février, 4 août et 9 décembre 2017 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, l'association France Nature environnement demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler pour excès de pouvoir le décret n° 2016-1110 du 11 août 2016 relatif à la modification des règles applicables à l'évaluation environnementale des projets, plans et programmes ;

2°) subsidiairement, de surseoir à statuer et de renvoyer à la Cour de justice de l'Union européenne u

ne question préjudicielle portant sur l'interprétation des articles 4 et 6 de la directi...

Vu la procédure suivante :

Par une requête, un mémoire en réplique et un nouveau mémoire, enregistrés les 6 février, 4 août et 9 décembre 2017 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, l'association France Nature environnement demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler pour excès de pouvoir le décret n° 2016-1110 du 11 août 2016 relatif à la modification des règles applicables à l'évaluation environnementale des projets, plans et programmes ;

2°) subsidiairement, de surseoir à statuer et de renvoyer à la Cour de justice de l'Union européenne une question préjudicielle portant sur l'interprétation des articles 4 et 6 de la directive 2011/92/UE du 13 décembre 2011 ;

3°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :

- la directive 2001/42/CE du Parlement européen et du Conseil du 27 juin 2001 ;

- la directive 2011/92/UE du Parlement européen et du Conseil du 13 décembre 2011 ;

- la directive 2014/52/UE du Parlement européen et du Conseil du 16 avril 2014 ;

- le code de l'environnement ;

- l'ordonnance n° 2016-1058 du 3 août 2016 ;

- l'arrêt C-474-10 du 20 octobre 2011 de la Cour de justice de l'Union européenne ;

- la décision n° 400559 du 6 décembre 2017 du Conseil d'Etat statuant au contentieux ;

- le code de justice administrative ;

Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de M. Bruno Chavanat, conseiller d'Etat,

- les conclusions de M. Louis Dutheillet de Lamothe, rapporteur public.

1. Considérant que l'article 2 de la directive du 13 décembre 2011, dans sa rédaction en vigueur à la date du décret attaqué, prévoit que les " projets susceptibles d'avoirs des incidences notables sur l'environnement, notamment en raison de leur nature, de leurs dimensions ou de leur localisation " doivent êtres " soumis à une procédure de demande d'autorisation et à une évaluation en ce qui concerne leurs incidences ", qualifiée d'évaluation environnementale ;

2. Considérant que les conclusions de l'association France Nature Environnement doivent être interprétées comme tendant à l'annulation pour excès de pouvoir du décret du 11 août 2016 relatif à la modification des règles applicables à l'évaluation environnementale des projets, plans et programmes, pris notamment pour l'application des article L. 122-1 et L. 122-1-1 du code de l'environnement, en tant, d'une part, que l'article R. 122-6 du code de l'environnement, qu'il modifie, conserve au préfet de région la compétence pour procéder à l'évaluation environnementale de certains projets, d'autre part, que l'article R. 122-27 du même code, qu'il crée, confie dans certaines hypothèses, au préfet de région la compétence pour procéder à l'évaluation environnementale commune de plusieurs projets faisant l'objet d'une procédure d'autorisation concomitante ;

Sur le cadre juridique :

3. Considérant qu'aux termes du paragraphe 1 de l'article 6 de la directive du 13 décembre 2011 : " Les États membres prennent les mesures nécessaires pour que les autorités susceptibles d'être concernées par le projet, en raison de leurs responsabilités spécifiques en matière d'environnement, aient la possibilité de donner leur avis sur les informations fournies par le maître d'ouvrage et sur la demande d'autorisation. À cet effet, les États membres désignent les autorités à consulter, d'une manière générale ou cas par cas. (...) " ; que l'article L. 122-1 du code de l'environnement, pris pour la transposition des articles 2 et 6 de cette directive, dispose, dans sa rédaction applicable en l'espèce issue de l'ordonnance du 3 août 2016, que : " (...) II. - Les projets qui, par leur nature, leur dimension ou leur localisation, sont susceptibles d'avoir des incidences notables sur l'environnement ou la santé humaine font l'objet d'une évaluation environnementale en fonction de critères et de seuils définis par voie réglementaire et, pour certains d'entre eux, après un examen au cas par cas effectué par l'autorité environnementale. (...) / III. - L'évaluation environnementale est un processus constitué de l'élaboration, par le maître d'ouvrage, d'un rapport d'évaluation des incidences sur l'environnement, dénommé ci-après " étude d'impact ", de la réalisation des consultations prévues à la présente section, ainsi que de l'examen, par l'autorité compétente pour autoriser le projet, de l'ensemble des informations présentées dans l'étude d'impact et reçues dans le cadre des consultations effectuées et du maître d'ouvrage. (...) / V. - Lorsqu'un projet est soumis à évaluation environnementale, le dossier présentant le projet comprenant l'étude d'impact et la demande d'autorisation déposée est transmis par le maître d'ouvrage pour avis à l'autorité environnementale ainsi qu'aux collectivités territoriales et à leurs groupements intéressés par le projet. (...) " ; que l'article L. 122-1-1 du même code, également pris pour la transposition de la directive du 13 décembre 2011, prévoit, dans sa rédaction applicable en l'espèce que : " I.- L'autorité compétente pour autoriser un projet soumis à évaluation environnementale prend en considération l'étude d'impact, l'avis des autorités mentionnées au V de l'article L. 122-1 ainsi que le résultat de la consultation du public et, le cas échéant, des consultations transfrontières. (...) " ;

4. Considérant que, la directive du 13 décembre 2011 a pour finalité commune avec la directive du 27 juin 2001 relative à l'évaluation des incidences de certains plans et programmes sur l'environnement de garantir qu'une autorité compétente et objective en matière d'environnement soit en mesure de rendre un avis sur l'évaluation environnementale des plans et programmes ou sur l'étude d'impact des projets, publics ou privés, susceptibles d'avoir des incidences notables sur l'environnement, avant leur approbation ou leur autorisation, afin de permettre la prise en compte de ces incidences ; qu'eu égard à l'interprétation des dispositions de l'article 6 de la directive du 27 juin 2001 donnée par la Cour de justice de l'Union européenne dans son arrêt rendu le 20 octobre 2011 dans l'affaire C- 74/10, et à la finalité identique des dispositions des deux directives relatives au rôle " des autorités susceptibles d'être concernées par le projet, en raison de leurs responsabilités spécifiques en matière d'environnement ", il résulte clairement des dispositions de l'article 6 de la directive du 13 décembre 2011 que, si elles ne font pas obstacle à ce que l'autorité publique compétente pour autoriser un projet ou en assurer la maîtrise d'ouvrage soit en même temps chargée de la consultation en matière environnementale, elles imposent cependant que, dans une telle situation, une séparation fonctionnelle soit organisée au sein de cette autorité, de manière à ce qu'une entité administrative, interne à celle-ci, dispose d'une autonomie réelle, impliquant notamment qu'elle soit pourvue de moyens administratifs et humains qui lui sont propres, et soit ainsi en mesure de remplir la mission de consultation qui lui est confiée et de donner un avis objectif sur le projet concerné ;

Sur les conclusions dirigées contre les articles R. 122-6 et R. 122-27 du code de l'environnement, issus du décret attaqué :

5. Considérant, en premier lieu, que le 11° de l'article 1er du décret attaqué a modifié les dispositions de l'article R. 122-6 du code de l'environnement, qui désignent l'autorité environnementale mentionnée aux articles L. 122-1 et L. 122-1-1 du code de l'environnement précités selon les différents types de projets soumis à évaluation environnementale ; que les I, II et III de l'article R. 122-6 désignent ainsi respectivement soit le ministre chargé de l'environnement, soit la formation d'autorité environnementale du Conseil général de l'environnement et du développement durable (CGEDD), soit la mission régionale d'autorité environnementale du CGEDD de la région sur le territoire de laquelle le projet doit être réalisé ; que ce même 11° de l'article 1er du décret attaqué a cependant maintenu, au IV du même article R. 122-6 du code l'environnement, la désignation du préfet de région sur le territoire de laquelle le projet de travaux, d'ouvrage ou d'aménagement doit être réalisé, en qualité d'autorité environnementale, pour les projets autres que ceux pour lesquels une autre autorité est désignée par les I, II et III du même article ;

6. Considérant, en second lieu, que le 27° de l'article 1er du décret attaqué a inséré dans le code de l'environnement un nouvel article R. 122-27 relatif à l'évaluation environnementale commune susceptible d'être mise en oeuvre pour plusieurs projets faisant l'objet d'une procédure d'autorisation concomitante ; que le deuxième alinéa de cet article R. 122-27 désigne l'autorité environnementale mentionnée aux articles L. 122-1 et L. 122-1-1 du code de l'environnement précités selon le type de projets soumis à évaluation environnementale commune ; qu'ainsi, ces dispositions prévoient, d'une part, que " lorsque la formation d'autorité environnementale du CGEDD est compétente pour un des projets, elle est l'autorité environnementale unique ", d'autre part, que, " dans les autres cas, le préfet de région est compétent sauf lorsqu'une mission régionale d'autorité environnementale du CGEDD est compétente au titre de l'un des projets. " ;

7. Considérant qu'en maintenant ou en prévoyant la désignation du préfet de région en qualité d'autorité environnementale pour certains projets ou groupes de projets sans qu'aucune disposition du décret attaqué, ni aucune autre disposition législative ou réglementaire ne prévoit de dispositif propre à garantir que, dans les cas où le préfet de région est également compétent pour autoriser le projet concerné ou un ou plusieurs des projets faisant l'objet d'une procédure d'autorisation concomitante, en particulier lorsqu'il agit en sa qualité de préfet du département où se trouve le chef-lieu de la région en vertu de l'article 7 du décret précité du 29 avril 2004, ou dans les cas où il est en charge de l'élaboration ou de la conduite du projet ou d'un ou plusieurs de ces projets au niveau local, la compétence consultative en matière environnementale soit exercée par une entité disposant d'une autonomie réelle à son égard, les dispositions des 11° et 27° de l'article 1er du décret attaqué ont méconnu les exigences découlant du paragraphe 1 de l'article 6 de la directive du 13 décembre 2011 rappelées au point 4 ;

8. Considérant qu'il résulte de ce qui précède que ces dispositions doivent être annulées respectivement en tant que l'article R. 122-6 du code de l'environnement, qu'elles modifient, conservent au préfet de région la compétence pour procéder à l'évaluation environnementale de certains projets et en tant que l'article R. 122-27 du même code, qu'elles créent, confient au même préfet la compétence pour procéder l'évaluation environnementale commune de certains projets faisant l'objet d'une procédure d'autorisation concomitante ;

Sur les conclusions présentées au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :

9. Considérant qu'il n'y a pas lieu, dans les circonstances de l'espèce, de faire droit aux conclusions de l'association France Nature Environnement au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;

D E C I D E :

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Article 1er : Le 11° et le 27° de l'article 1er du décret du 11 août 2016 sont annulés respectivement en tant qu'il maintient, au IV de l'article R. 122-6 du code de l'environnement, et en tant qu'il prévoit, à l'article R. 122-27 du même code, la désignation du préfet de région en qualité d'autorité environnementale.

Article 2 : Le surplus des conclusions de la requête de l'association France Nature Environnement est rejeté.

Article 3 : La présente décision sera notifiée à l'association France Nature Environnement, au Premier ministre, au ministre d'Etat, ministre de la transition écologique et solidaire et à la ministre des armées.


Synthèse
Formation : 6ème chambre
Numéro d'arrêt : 407601
Date de la décision : 28/12/2017
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Publications
Proposition de citation : CE, 28 déc. 2017, n° 407601
Inédit au recueil Lebon

Composition du Tribunal
Rapporteur ?: M. Bruno Chavanat
Rapporteur public ?: M. Louis Dutheillet de Lamothe

Origine de la décision
Date de l'import : 05/07/2019
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CE:2017:407601.20171228
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