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13/07/2017 | FRANCE | N°412267

France | France, Conseil d'État, Juge des référés, formation collégiale, 13 juillet 2017, 412267


Vu la procédure suivante :

M. J...F..., M. H...F...et Mme D...F...ont demandé au juge des référés du tribunal administratif de Lyon, statuant sur le fondement de l'article L. 521-2 du code de justice administrative, d'enjoindre au centre hospitalier de Roanne de suspendre la décision médicale d'arrêter les traitements prodigués à leur père, M. I... F..., et d'ordonner le maintien de ces traitements. Par une ordonnance n° 1704433 du 26 juin 2017, le juge des référés du tribunal administratif de Lyon, statuant dans les conditions prévues au dernier alinéa de l'article L.

511-2 du code de justice administrative, a rejeté leur demande.

Par ...

Vu la procédure suivante :

M. J...F..., M. H...F...et Mme D...F...ont demandé au juge des référés du tribunal administratif de Lyon, statuant sur le fondement de l'article L. 521-2 du code de justice administrative, d'enjoindre au centre hospitalier de Roanne de suspendre la décision médicale d'arrêter les traitements prodigués à leur père, M. I... F..., et d'ordonner le maintien de ces traitements. Par une ordonnance n° 1704433 du 26 juin 2017, le juge des référés du tribunal administratif de Lyon, statuant dans les conditions prévues au dernier alinéa de l'article L. 511-2 du code de justice administrative, a rejeté leur demande.

Par une requête, enregistrée le 7 juillet 2017 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, MM. et A...F...demandent au juge des référés du Conseil d'Etat :

1°) d'annuler cette ordonnance ;

2°) de faire droit à leur demande de première instance, subsidiairement d'ordonner toute mesure utile, notamment une mesure d'expertise ;

3°) d'ordonner le maintien de M. I...F...au centre hospitalier de Roanne dans l'attente d'une place en établissement spécialisé ;

Ils soutiennent que :

- la condition d'urgence est remplie au regard du caractère irréversible qui s'attacherait à l'exécution de la décision d'arrêt de l'alimentation et de l'hydratation artificielles et à l'atteinte irrémédiable qui serait portée à la vie du patient ;

- contrairement à ce qui a été retenu lors de l'évaluation de l'état du patient réalisée les 6 et 7 juin 2017, M. I...F...manifeste des réactions comportementales et émotionnelles en présence de ses proches, telles que des signes de déglutition, des interactions avec son environnement et une poursuite visuelle, qui suggèrent un état plutôt pauci-relationnel ou état de conscience minimale plutôt qu'un état végétatif ;

- les conditions médicales permettant un arrêt des traitements ne sont pas réunies dès lors que ces traitements ne sont ni inutiles, ni disproportionnés par rapport à l'état de santé du patient et n'ont pas pour objet de le maintenir artificiellement en vie ; il s'en suit que la poursuite de ces traitements n'est pas constitutive d'une obstination déraisonnable.

Par un mémoire en défense, enregistré le 10 juillet 2017, le centre hospitalier de Roanne conclut au rejet de l'ensemble des conclusions de la requête, subsidiairement à ce que soit ordonné aux requérants d'accepter le placement du patient dans un service de rééducation post réanimation (SRPR) et à ce qu'il soit mis à la charge des requérants la somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et les entiers dépens. Il soutient que les moyens de la requête ne sont pas fondés.

Après avoir convoqué à une audience à huis-clos, d'une part, M. J... F..., M. H...F...et Mme D...F..., d'autre part, le centre hospitalier de Roanne ;

Vu le procès verbal de l'audience du 11 juillet 2017 à 10 heurs 30 au cours de laquelle ont été entendu :

- Le représentant de M. J...F..., M. H...F...et Mme D... F..., et M. J...F...en personne ;

- La représentante du centre hospitalier de Roanne et M. G...E..., responsable du service de réanimation médico-chirurgicale et soins continus de ce centre hospitalier ;

et à l'issue de laquelle le juge des référés a prononcé la clôture de l'instruction.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :

- le code de la santé publique ;

- le code de justice administrative ;

Considérant ce qui suit :

1. Il résulte de l'instruction que M. I...F..., né le 14 septembre 1952, a été admis, le 15 février 2017, au centre hospitalier universitaire de Saint-Etienne afin de subir, le lendemain, une intervention chirurgicale au cours de laquelle il a présenté un arrêt cardio-respiratoire entraînant une anoxie cérébrale d'une dizaine de minutes, à l'origine de troubles neurologiques très importants. Une première limitation thérapeutique a été envisagée par les médecins de cet établissement. Le 18 avril 2017, le patient a été transféré, à titre temporaire, dans l'attente d'une place disponible dans un établissement prenant en charge des patients en état végétatif ou pauci-relationnel, au centre hospitalier de Roanne, au sein du service de réanimation-soins continus de cet établissement où il se trouve toujours. Les 6 et 7 juin 2017, une évaluation clinique et neuro-physiologique de l'état de M. I...F...a été effectuée dans le service de rééducation post réanimation de l'Hôpital Pierre Wertheimer de Lyon. Au vu de la conclusion de cette évaluation, selon laquelle " la probabilité d'une évolution péjorative vers un état végétatif permanent est quasi certaine ", le docteurE..., responsable du service de réanimation-soins continus du centre hospitalier de Roanne, à ce titre médecin en charge de M. I... F..., a informé la famille du patient de la décision, prise à l'issue d'une procédure collégiale le 12 juin 2017, d'interrompre les traitements, c'est-à-dire la nutrition et l'hydratation artificielles, à compter du 16 juin. M. J...F..., M. H...F...et Mme D... F..., trois des quatre enfants du patient, ont saisi, sur le fondement de l'article L. 521-2 du code de justice administrative, le juge des référés du tribunal administratif de Lyon d'une demande de suspension de l'exécution de la décision médicale d'arrêter les traitements. Par une ordonnance du 26 juin 2017, ce juge, statuant collégialement conformément aux dispositions du dernier alinéa de l'article L. 511-2 du code de justice administrative, a rejeté la demande. M. J... F..., M. H...F...et Mme D...F...ont interjeté appel de son ordonnance.

Sur l'office du juge des référés statuant sur le fondement de l'article L. 521-2 du code de justice administrative :

2. Aux termes de l'article L. 521-2 du code de justice administrative : " Saisi d'une demande en ce sens justifiée par l'urgence, le juge des référés peut ordonner toutes mesures nécessaires à la sauvegarde d'une liberté fondamentale à laquelle une personne morale de droit public ou un organisme de droit privé chargé de la gestion d'un service public aurait porté, dans l'exercice d'un de ses pouvoirs, une atteinte grave et manifestement illégale (...) ".

3. En vertu de cet article, le juge administratif des référés, saisi d'une demande en ce sens justifiée par une urgence particulière, peut ordonner toutes mesures nécessaires à la sauvegarde d'une liberté fondamentale à laquelle une autorité administrative aurait porté une atteinte grave et manifestement illégale. Ces dispositions législatives confèrent au juge des référés, qui se prononce en principe seul et qui statue, en vertu de l'article L. 511-1 du code de justice administrative, par des mesures qui présentent un caractère provisoire, le pouvoir de prendre, dans les délais les plus brefs et au regard de critères d'évidence, les mesures de sauvegarde nécessaires à la protection des libertés fondamentales.

4. Toutefois, il appartient au juge des référés d'exercer ses pouvoirs de manière particulière, lorsqu'il est saisi sur le fondement de l'article L. 521-2 du code de justice administrative d'une décision, prise par un médecin sur le fondement du code de la santé publique, et conduisant à interrompre ou à ne pas entreprendre un traitement au motif que ce dernier traduirait une obstination déraisonnable, dans la mesure où l'exécution de cette décision porterait de manière irréversible une atteinte à la vie. Il doit alors, le cas échéant en formation collégiale conformément à ce que prévoit le troisième alinéa de l'article L. 511-2 du code de justice administrative, prendre les mesures de sauvegarde nécessaires pour faire obstacle à son exécution lorsque cette décision pourrait ne pas relever des hypothèses prévues par la loi, en procédant à la conciliation des libertés fondamentales en cause, que sont le droit au respect de la vie et le droit du patient de consentir à un traitement médical et de ne pas subir un traitement qui serait le résultat d'une obstination déraisonnable.

Sur la publicité de l'audience :

5. Aux termes des dispositions de l'article L. 731-1 du code de justice administrative : " Par dérogation aux dispositions de l'article L. 6, le président de la formation de jugement peut, à titre exceptionnel, décider que l'audience aura lieu ou se poursuivra hors la présence du public, si la sauvegarde de l'ordre public ou le respect de l'intimité des personnes ou de secrets protégés par la loi l'exige. ". Dans les circonstances de l'espèce, compte tenu des informations couvertes par le secret médical échangées au cours de l'audience et du respect de l'intimité de la famille, il a été fait application de ces dispositions en tenant l'audience, devant une formation collégiale, hors la présence du public.

Sur les dispositions applicables au litige :

6. Aux termes de l'article L. 1110-1 du code la santé publique : " Le droit fondamental à la protection de la santé doit être mis en oeuvre par tous moyens disponibles au bénéfice de toute personne ". L'article L. 1110-2 de ce code dispose : " La personne malade a droit au respect de sa dignité ".

7. Aux termes de l'article L. 1110-5 du même code : " Toute personne a, compte tenu de son état de santé et de l'urgence des interventions que celui-ci requiert, le droit de recevoir, sur l'ensemble du territoire, les traitements et les soins les plus appropriés et de bénéficier des thérapeutiques dont l'efficacité est reconnue et qui garantissent la meilleure sécurité sanitaire et le meilleur apaisement possible de la souffrance au regard des connaissances médicales avérées. Les actes de prévention, d'investigation ou de traitements et de soins ne doivent pas, en l'état des connaissances médicales, lui faire courir de risques disproportionnés par rapport au bénéfice escompté (...) ". L'article L. 1110-5-1 dispose : " Les actes mentionnés à l'article L. 1110-5 ne doivent pas être mis en oeuvre ou poursuivis lorsqu'ils résultent d'une obstination déraisonnable. Lorsqu'ils apparaissent inutiles, disproportionnés ou lorsqu'ils n'ont d'autre effet que le seul maintien artificiel de la vie, ils peuvent être suspendus ou ne pas être entrepris, conformément à la volonté du patient et, si ce dernier est hors d'état d'exprimer sa volonté, à l'issue d'une procédure collégiale définie par voie réglementaire. / La nutrition et l'hydratation artificielles constituent des traitements qui peuvent être arrêtés conformément au premier alinéa du présent article. / Lorsque les actes mentionnés aux deux premiers alinéas du présent article sont suspendus ou ne sont pas entrepris, le médecin sauvegarde la dignité du mourant et assure la qualité de sa vie en dispensant les soins palliatifs mentionnés à l'article L. 1110-10 ".

8. Aux termes de l'article L. 1111-4 du même code : " Toute personne prend, avec le professionnel de santé et compte tenu des informations et des préconisations qu'il lui fournit, les décisions concernant sa santé. (...) / Aucun acte médical ni aucun traitement ne peut être pratiqué sans le consentement libre et éclairé de la personne et ce consentement peut être retiré à tout moment. (...) / Lorsque la personne est hors d'état d'exprimer sa volonté, la limitation ou l'arrêt de traitement susceptible d'entraîner son décès ne peut être réalisé sans avoir respecté la procédure collégiale mentionnée à l'article L. 1110-5-1 et les directives anticipées ou, à défaut, sans que la personne de confiance prévue à l'article L. 1111-6 ou, à défaut la famille ou les proches, aient été consultés. La décision motivée de limitation ou d'arrêt de traitement est inscrite dans le dossier médical.(...)".

9. Aux termes de l'article R. 4127-36 du même code : " Le consentement de la personne examinée ou soignée doit être recherché dans tous les cas. / Lorsque le malade, en état d'exprimer sa volonté, refuse les investigations ou le traitement proposés, le médecin doit respecter ce refus après avoir informé le malade de ses conséquences. / Si le malade est hors d'état d'exprimer sa volonté, le médecin ne peut intervenir sans que la personne de confiance, à défaut, la famille ou un de ses proches ait été prévenu et informé, sauf urgence ou impossibilité ". Enfin, l'article R. 4127-37-2 de ce code dispose : " I.-La décision de limitation ou d'arrêt de traitement respecte la volonté du patient antérieurement exprimée dans des directives anticipées. Lorsque le patient est hors d'état d'exprimer sa volonté et en l'absence de directives anticipées, la décision de limiter ou d'arrêter les traitements dispensés, au titre du refus d'une obstination déraisonnable, ne peut être prise qu'à l'issue de la procédure collégiale prévue à l'article L. 1110-5-1 et après qu'a été recueilli auprès de la personne de confiance ou, à défaut, auprès de la famille ou de l'un des proches le témoignage de la volonté exprimée par le patient. / II.-Le médecin en charge du patient peut engager la procédure collégiale de sa propre initiative. Il est tenu de le faire à la demande de la personne de confiance, ou, à défaut, de la famille ou de l'un des proches. La personne de confiance ou, à défaut, la famille ou l'un des proches est informé, dès qu'elle a été prise, de la décision de mettre en oeuvre la procédure collégiale. / III.-La décision de limitation ou d'arrêt de traitement est prise par le médecin en charge du patient à l'issue de la procédure collégiale. Cette procédure collégiale prend la forme d'une concertation avec les membres présents de l'équipe de soins, si elle existe, et de l'avis motivé d'au moins un médecin, appelé en qualité de consultant. Il ne doit exister aucun lien de nature hiérarchique entre le médecin en charge du patient et le consultant. L'avis motivé d'un deuxième consultant est recueilli par ces médecins si l'un d'eux l'estime utile. / (...) IV.-La décision de limitation ou d'arrêt de traitement est motivée. La personne de confiance, ou, à défaut, la famille, ou l'un des proches du patient est informé de la nature et des motifs de la décision de limitation ou d'arrêt de traitement. La volonté de limitation ou d'arrêt de traitement exprimée dans les directives anticipées ou, à défaut, le témoignage de la personne de confiance, ou de la famille ou de l'un des proches de la volonté exprimée par le patient, les avis recueillis et les motifs de la décision sont inscrits dans le dossier du patient ".

10. Il résulte des dispositions précédemment citées que toute personne doit recevoir les soins les plus appropriés à son état de santé, sans que les actes de prévention, d'investigation et de soins qui sont pratiqués lui fassent courir des risques disproportionnés par rapport au bénéfice escompté. Ces actes ne doivent toutefois pas être poursuivis par une obstination déraisonnable et peuvent être suspendus ou ne pas être entrepris lorsqu'ils apparaissent inutiles ou disproportionnés ou n'ayant d'autre effet que le seul maintien artificiel de la vie, que le patient soit ou non en fin de vie. Il résulte aussi de ces dispositions qu'elles habilitent le médecin en charge d'un patient hors d'état d'exprimer sa volonté, à arrêter ou à ne pas mettre en oeuvre, lorsqu'ils procèderaient d'une obstination déraisonnable et à l'issue d'une procédure collégiale après consultation de la personne de confiance, de la famille ou d'un proche, les traitements qui apparaissent inutiles, disproportionnés ou sans autre effet que le seul maintien artificiel de la vie. Dans ce cas, il appartient au médecin de sauvegarder en tout état de cause la dignité du patient et de lui dispenser des soins palliatifs.

11. Pour apprécier si les conditions d'un arrêt des traitements de suppléance des fonctions vitales, au nombre desquels l'alimentation et l'hydratation artificielles, sont réunies s'agissant d'un patient victime de lésions cérébrales graves, quelle qu'en soit l'origine, qui se trouve dans un état végétatif ou dans un état de conscience minimale le mettant hors d'état d'exprimer sa volonté, le médecin en charge doit se fonder sur un ensemble d'éléments, médicaux et non médicaux, dont le poids respectif ne peut être prédéterminé et dépend des circonstances particulières à chaque patient, le conduisant à appréhender chaque situation dans sa singularité. En sus des éléments médicaux, qui doivent couvrir une période suffisamment longue, être analysés collégialement et porter notamment sur l'état actuel du patient, sur l'évolution de son état depuis la survenance de l'accident ou de la maladie, sur sa souffrance et sur le pronostic clinique, le médecin doit accorder une importance toute particulière à la volonté que le patient peut avoir, le cas échéant, antérieurement exprimée, quels qu'en soient la forme et le sens. A cet égard, dans l'hypothèse où cette volonté demeurerait inconnue, elle ne peut être présumée comme consistant en un refus du patient d'être maintenu en vie dans les conditions présentes. Le médecin doit également prendre en compte les avis de la personne de confiance, dans le cas où elle a été désignée par le patient, des membres de sa famille ou, à défaut, de l'un de ses proches, en s'efforçant de dégager une position consensuelle.

Sur le litige :

12. Il résulte de l'instruction, en particulier de l'évaluation clinique et électro-physiologique de la conscience à la suite de l'anoxie cérébrale présentée par M. I...F..., qui a été effectuée les 6 et 7 juin 2017 dans le service de rééducation post réanimation de l'Hôpital Pierre Wertheimer de Lyon, que les examens pratiqués confirment l'état végétatif. La conclusion de cette évaluation est : " dans le contexte d'une encéphalopathie anoxique, à plus de trois mois d'évolution, la probabilité d'une évolution péjorative vers un état végétatif permanent est quasi certaine au regard de notre expérience et de la littérature scientifique ". C'est au vu des résultats de cette évaluation ainsi que de ceux des examens pratiqués antérieurement depuis l'arrivée du patient au centre hospitalier de Roanne, qu'a été prise le 12 juin 2017, à l'issue d'une procédure collégiale, la décision d'un arrêt des traitements et de mise en route d'une sédation terminale.

13. Il résulte également de l'instruction, notamment des échanges en séance devant le juge des référés du Conseil d'Etat, que la famille de M. F...qui avait exprimé à plusieurs reprises son hostilité à l'arrêt des traitements a été informée des motifs de la décision d'arrêt des traitements par l'équipe médicale du centre hospitalier de Roanne en charge du patient, sans avoir été consultée préalablement. Elle n'a pas non plus été entendue par l'équipe médicale qui a procédé à l'évaluation clinique et électro-physiologique de la conscience dont les résultats ont exercé une influence importante, sinon déterminante, sur la décision d'arrêt des traitements. La famille du patient n'a pas reçu de cette équipe médicale d'explications sur l'interprétation scientifique des réactions du patient à certains stimuli que M. J...F...dit avoir observées et qui lui apparaissent comme des manifestations de conscience. Cette absence d'explication est apparue lors de l'audience particulièrement dommageable dans une affaire dont l'origine est un arrêt cardio-respiratoire qui s'est produit lors d'une intervention chirurgicale en milieu hospitalier. Les relations entre la famille du patient et les équipes médicales du centre hospitalier universitaire de Saint-Etienne, qui ont respectivement pratiqué l'intervention chirurgicale, pris en charge le patient dans le service de réanimation et envisagé un arrêt des traitements, sont apparues fortement dégradées. Dans ce contexte conflictuel s'est installé un climat de défiance qui n'a pas disparu lorsque le patient a été transféré, précisément en raison des relations tendues entre les équipes médicales du centre hospitalier universitaire de Saint-Etienne et la famille du patient, dans un service du centre hospitalier de Roanne, au demeurant normalement pas adapté à la prise en charge d'un patient dans un état végétatif durable.

14. Ainsi qu'il a été dit au point 11, l'appréciation sur le point de savoir si la poursuite des traitements traduit une obstination déraisonnable doit se fonder sur un ensemble d'éléments, médicaux et non médicaux, qui doivent couvrir une période suffisamment longue, dont le poids respectif ne peut être prédéterminé et dépend des circonstances particulières à chaque patient, dont la situation doit être appréhendée dans sa singularité. Une importance toute particulière doit être donnée, lorsque le patient est hors d'état d'exprimer sa volonté et que celle-ci demeure inconnue faute de directives anticipées ou d'indications données de son vivant, aux avis émis par la famille qui doit alors être placée en situation de comprendre, au regard de ses propres perceptions et interprétations à cet égard, dans quel état se trouve réellement le patient et quelles sont les perspectives d'évolution de cet état.

15. Dans ces conditions, en l'état de l'instruction, avant qu'il ne soit statué sur la présente requête et sous réserve qu'un transfert, envisagé lors de l'audience, du patient dans un service destiné à la prise en charge de patients en état végétatif ou pauci-relationnel d'un autre établissement ne rende caduque la décision litigieuse d'arrêt des traitements prise par le docteur E..., il convient d'ordonner une mesure d'instruction consistant en une nouvelle évaluation clinique et électro-physiologique de la conscience, telle que celle effectuée les 6 et 7 juin 2017, à l'effet non seulement de confirmer ou infirmer à l'issue de la nouvelle période de temps écoulée les résultats de celle-ci, et d'affiner si possible le pronostic d'évolution de l'état du patient, mais aussi d'entendre la famille à l'issue des examens et de répondre à ces interrogations sur l'interprétation que l'on peut donner, au vu des résultats de l'évaluation, des réactions du patient à des stimuli qu'elle a constatées. Le médecin chargé de cette nouvelle évaluation clinique et électro-physiologique de la conscience, qui accomplira sa mission dans les conditions prévues par les articles R. 621-2 à R. 621-14 du code de justice administrative, remettra son rapport, qui comportera un compte rendu de l'entretien avec la famille, dans le délai de deux mois à compter de sa désignation. Ce médecin, qui pourrait être celui chargé de l'évaluation précédente des 6 et 7 juin 2017 ou, le cas échéant, un autre praticien expert en ce domaine, sera désigné par le président de la section du contentieux du Conseil d'Etat.

16. L'exécution de la décision d'arrêt des traitements litigieuse est suspendue jusqu'à ce que le juge d'appel, le cas échéant après renvoi de l'affaire dans une autre formation de jugement dans les conditions de droit commun, se soit prononcé, une fois la mesure d'instruction énoncée au point 15 effectuée. Les autres conclusions en demande et en défense sont réservées.

O R D O N N E :

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Article 1er : Avant de statuer sur la requête, il sera procédé à la mesure d'instruction telle qu'elle est exposée au point 15 ci-dessus.

Article 2 : Jusqu'à ce qu'il soit statué sur la requête, l'exécution de la décision d'arrêt de traitement litigieuse est suspendue.

Article 3 : La présente ordonnance sera notifiée à que M. J...F..., M. H...F..., Mme D...F...et au centre hospitalier de Roanne.

Délibéré à l'issue de la séance du 11 juillet 2017 où siégeaient : M. Jean Courtial, président de chambre, présidant ; Mme K...et Mme B...C..., conseillers d'Etat, juges des référés.


Synthèse
Formation : Juge des référés, formation collégiale
Numéro d'arrêt : 412267
Date de la décision : 13/07/2017
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Plein contentieux

Publications
Proposition de citation : CE, 13 jui. 2017, n° 412267
Inédit au recueil Lebon

Composition du Tribunal
Rapporteur ?: M. Jean Courtial

Origine de la décision
Date de l'import : 22/07/2017
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CE:2017:412267.20170713
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