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28/06/2017 | FRANCE | N°407125

France | France, Conseil d'État, 10ème - 9ème chambres réunies, 28 juin 2017, 407125


Vu la procédure suivante :

Par une requête et deux mémoires en réplique, enregistrés les 23 janvier, 19 avril et 30 mai 2017 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, la société Pearly investissements demande au Conseil d'Etat :

1°) de déclarer non conformes au bloc de légalité défini au III de l'article 176 de la loi organique du 27 février 2004 portant statut d'autonomie de la Polynésie française les articles LP 73, LP 109, LP 110, LP 114, LP 115 et LP 116 de la " loi du pays " 2016-43 LP/ASP du 13 décembre 2016 publiée au Journal officiel de la Polyné

sie française le 21 décembre 2016, réglementant les activités professionnelles...

Vu la procédure suivante :

Par une requête et deux mémoires en réplique, enregistrés les 23 janvier, 19 avril et 30 mai 2017 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, la société Pearly investissements demande au Conseil d'Etat :

1°) de déclarer non conformes au bloc de légalité défini au III de l'article 176 de la loi organique du 27 février 2004 portant statut d'autonomie de la Polynésie française les articles LP 73, LP 109, LP 110, LP 114, LP 115 et LP 116 de la " loi du pays " 2016-43 LP/ASP du 13 décembre 2016 publiée au Journal officiel de la Polynésie française le 21 décembre 2016, réglementant les activités professionnelles liées à la production et la commercialisation des produits perliers et nacriers en Polynésie française ;

2°) de mettre à la charge de la Polynésie française la somme de 1500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :

- la Constitution, notamment son Préambule et son article 74 ;

- la loi organique n° 2004-192 du 27 février 2004 ;

- le code de procédure civile, notamment son article 642 ;

- le code de justice administrative ;

Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de M. Pierre Ramain, maître des requêtes,

- les conclusions de M. Edouard Crépey, rapporteur public ;

Considérant ce qui suit :

1. La société Pearly investissements demande au Conseil d'Etat, sur le fondement des dispositions de l'article 176 de la loi organique du 27 février 2004 portant statut de la Polynésie française, de déclarer non conforme au bloc de légalité défini au III de cet article les dispositions des articles LP 73, LP 109, LP 110, LP 114, LP 115 et LP 116 de la " loi du pays " du 13 décembre 2016 réglementant les activités professionnelles liées à la production et à la commercialisation des produits perliers et nacriers en Polynésie française.

Sur les fins de non-recevoir opposées en défense :

2. Aux termes du II de l'article 176 de la loi organique du 27 février 2004 : " A l'expiration de la période de huit jours suivant l'adoption d'un acte prévu à l'article 140 dénommé "loi du pays" (...), l'acte prévu à l'article 140 dénommé "loi du pays" est publié au Journal officiel de la Polynésie française à titre d'information pour permettre aux personnes physiques ou morales, dans le délai d'un mois à compter de cette publication, de déférer cet acte au Conseil d'Etat. Le recours des personnes physiques ou morales est recevable si elles justifient d'un intérêt à agir (...) ".

3. D'une part, le délai ainsi imparti pour déférer au Conseil d'Etat la "loi du pays " attaquée, publiée pour information au Journal officiel de la Polynésie française le 21 décembre 2016, a commencé à courir le 22 décembre 2016 à 0 h 00. Il aurait normalement dû expirer le 22 janvier à minuit, heure de Papeete. Toutefois, le 22 janvier étant un dimanche, le délai de recours contentieux s'est trouvé prorogé jusqu'au lundi 23 janvier à minuit, heure de Papeete, soit le mardi 24 janvier à onze heures du matin, heure de Paris. La requête a été enregistrée au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat le 23 janvier à 18 heures, soit dans les délais fixés par le I de l'article 176 de la loi organique du 27 février 2004. Elle n'est, dès lors, pas tardive, contrairement à ce que soutient la Polynésie française.

4. D'autre part, il ressort des pièces du dossier que la société requérante est enregistrée au registre du commerce de la Polynésie française et exerce une activité de vente au détail de perles. La circonstance qu'elle ne soit pas titulaire d'une carte professionnelle de négociants en cours de validité est sans incidence sur son intérêt à agir dans la mesure où elle conteste les dispositions de la " loi du pays " attaquée relatives aux détaillants bijoutiers et non les dispositions applicables à l'activité de négociant. Dès lors, la fin de non-recevoir tirée par la Polynésie française du défaut d'intérêt à agir de la société requérante contre les dispositions contestées de la " loi du pays " doit être écartée.

Sur les articles LP 73, LP 109, LP 110 et LP 116 :

5. L'article LP 73 institue un régime d'autorisation administrative pour exercer l'activité de détaillant bijoutier de produits perliers. Les articles LP 109 et LP 110 instituent des sanctions administratives et pénales en cas de non respect des conditions fixées par la " loi du pays " pour bénéficier d'un des régimes d'autorisation prévus par cette loi. L'article LP 116 donne un délai de trois mois aux personnes physiques ou morales qui, à la date de promulgation de la " loi du pays ", exercent les activités de commerçant de nucléus, de détaillant bijoutier de produits perliers et de détaillant artisan de produits perliers pour se mettre en conformité avec les dispositions de la " loi du pays " et déposer une demande d'autorisation pour exercer l'activité concernée.

6. Il est loisible à la Polynésie française d'apporter à la liberté d'entreprendre des limitations justifiées par l'intérêt général, à la condition qu'il n'en résulte pas d'atteinte disproportionnée au regard de l'objectif poursuivi.

7. Il ressort des pièces du dossier, et notamment des travaux préparatoires de la " loi du pays " attaquée, que le secteur perlicole représente 3 000 emplois et 80 % des exportations de la Polynésie française, constituant ainsi le deuxième secteur économique du territoire, et que celui-ci connaît, depuis plusieurs années, une crise économique et écologique liée à la surproduction. Ainsi, en un quart de siècle, le cours de la perle de Tahiti a été divisé par dix alors que la production locale était multipliée par vingt-cinq, et le tiers des exploitations a cessé son activité au cours des huit dernières années. Par ailleurs, la production réelle n'est pas connue avec certitude et seules les exportations déclarées font l'objet d'un suivi statistique. Ainsi, en adoptant la loi du pays attaquée, la Polynésie française a entendu, pour améliorer l'organisation et la qualité de la production tout en préservant les milieux naturels dans le cadre du développement durable, instituer des outils de régulation de la production en fixant notamment des quotas de production attribués à chaque exploitation et en mettant en place un suivi des stocks aux différentes étapes de la production et de la commercialisation.

8. Cependant, dès lors que l'ensemble des autres étapes de la production et de la commercialisation sont strictement contrôlées, les objectifs poursuivis par la " loi du pays " contestée, consistant à garantir la qualité et la traçabilité de la production, ne justifient pas que l'on soumette à un régime d'autorisation administrative préalable l'activité de détaillant bijoutier. Par ailleurs, aucun des autres motifs d'intérêt général invoqués, et notamment pas la protection de la santé et de la sécurité des consommateurs, ne justifie la mise en place d'un tel régime, alors, en particulier, que la quasi-totalité de la production est exportée.

9. Par suite, la société requérante est fondée, sans qu'il soit besoin d'examiner les autres moyens dirigés contre ces dispositions, à demander à ce soit déclarées illégales les dispositions de l'article LP 73 instituant un régime d'autorisation pour les détaillants bijoutiers de produits perliers ainsi que, par voie de conséquence, les dispositions des articles LP 109, LP 110 et LP 116, qui sont indivisibles de celles de l'article LP 73, en tant qu'elles sont applicables aux détaillants bijoutiers de produits perliers.

Sur les articles LP 114 et LP 115 :

En ce qui concerne la légalité externe :

10. Contrairement à ce que soutient la société requérante, l'article 31 de la loi organique du 27 février 2004 organisant, sous certaines conditions, la participation des institutions de la Polynésie française à l'exercice de certaines des compétences conservées par l'Etat en vertu de l'article 14 de la même loi ne s'applique, s'agissant de la détermination des infractions et de l'édiction de sanctions à caractère pénal, qu'en matière de jeux de hasard. Les dispositions de la " loi du pays " attaquée sont étrangères à cette matière. L'article 20 de la loi organique du 27 février 2004 précise, par ailleurs, que "la Polynésie française peut assortir les infractions aux [...] " lois du pays " [...] de peines d'amende, y compris des amendes forfaitaires dans le cadre défini par le code de procédure pénale... ". Dès lors, la société requérante ne peut utilement soutenir que la procédure à laquelle l'article 32 de la même loi subordonne une telle participation aurait été méconnue et que la Polynésie française n'était pas compétente pour prévoir l'application de sanctions en cas de non respect des dispositions de la " loi du pays " attaquée.

En ce qui concerne la légalité interne :

11. En premier lieu, l'article LP 114 institue une obligation de déclaration des stocks existants de produits perliers détenus par les producteurs, négociants et détaillants, en précisant le délai et le service auprès duquel effectuer cette déclaration et renvoie à un arrêté pris en conseil des ministres la définition des modalités d'enregistrement de ces stocks. Le moyen tiré de ce que, faute de préciser les moyens dont disposeront les détaillants bijoutiers pour s'assurer de ce que leurs achats porteront exclusivement sur des perles de culture ayant fait l'objet d'un contrôle au titre des articles LP 58 et LP 59, ces dispositions seraient entachées d'incompétence négative et d'erreur manifeste d'appréciation est sans incidence sur la légalité de l'article LP 114, qui se borne à prévoir une procédure déclarative des stocks détenus par les détaillants.

12. En second lieu, l'article LP 115 prévoit la délivrance de plein droit d'une autorisation administrative pour les producteurs, négociants et entreprises franches de produits perliers bénéficiant d'une autorisation en cours de validité à la date de promulgation de la " loi du pays ". La société requérante soutient que ces dispositions méconnaîtraient le principe d'égalité devant la loi et le principe de sécurité juridique en ce qu'elles ne prévoient pas la délivrance d'une autorisation administrative de plein droit aux détaillants bijoutiers de produits perliers, à titre de dispositions transitoires. Cependant, il résulte de ce qui a été dit au point 9 de la présente décision que la " loi du pays " contestée n'a pas pu légalement imposer un régime d'autorisation administrative aux entreprises exerçant une activité de détaillants bijoutiers. Par suite, ces moyens tirés de l'absence de régime transitoire et de la différence de traitement en résultant avec les autres entreprises de la filière perlicole ne peuvent qu'être écartés.

13. Il résulte de tout ce qui précède que la société requérante n'est fondée à demander que soient déclarés illégales que les dispositions de l'article LP 73 de la " loi du pays " contestée ainsi que celles des articles LP 109, LP 110 et LP 116 en tant qu'elles s'appliquent aux détaillants bijoutiers de produits perliers.

Sur les conclusions présentées au titre de l'article L. 761-1 du code de la justice administrative :

14. Il y a lieu de mettre à la charge de la Polynésie française, une somme de 1 500 euros, à verser à la société Pearly investissements au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative. Ces dispositions font, en revanche, obstacle à ce qu'une somme soit mise à la charge de la société Pearly investissements, qui n'est pas, dans la présente instance, la partie perdante.

D E C I D E :

--------------

Article 1er : L'article LP 73 de la " loi du pays " n° 2016/LP/ASP du 13 décembre 2016, ainsi que les articles LP 109, LP 110 et LP 116, en tant qu'ils s'appliquent aux détaillants bijoutiers de produits perliers, sont déclarés illégaux et ne peuvent être promulgués.

Article 2 : Le surplus des conclusions de la société Pearly investissements est rejeté.

Article 3 : La Polynésie française versera à la société Pearly investissements une somme de 1 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 4 : Les conclusions présentées par la Polynésie française au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.

Article 5 : La présente décision sera notifiée à la société Pearly investissements, au président de la Polynésie française et au président de l'assemblée de la Polynésie française.

Copie en sera adressée au Haut-commissaire de la République en Polynésie française et à la ministre des outre-mer.


Synthèse
Formation : 10ème - 9ème chambres réunies
Numéro d'arrêt : 407125
Date de la décision : 28/06/2017
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Publications
Proposition de citation : CE, 28 jui. 2017, n° 407125
Inédit au recueil Lebon

Composition du Tribunal
Rapporteur ?: M. Pierre RAMAIN
Rapporteur public ?: M. Edouard Crépey

Origine de la décision
Date de l'import : 11/07/2017
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CE:2017:407125.20170628
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