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23/11/2016 | FRANCE | N°386143

France | France, Conseil d'État, 8ème - 3ème chambres réunies, 23 novembre 2016, 386143


Vu la procédure suivante :

Par une décision du 9 décembre 2015, le Conseil d'Etat statuant au contentieux, a sursis à statuer, jusqu'à ce que la Cour de justice de l'Union européenne se soit prononcée sur les questions qui lui avaient été renvoyées à titre préjudiciel par la Cour constitutionnelle belge dans l'arrêt n° 165/2014 du 13 novembre 2014, sur la requête de l'ordre des avocats de Paris tendant à :

1°) ce que la Cour de justice de l'Union européenne soit saisie à titre préjudiciel sur la validité et l'interprétation de la directive 2006/112/CE du Con

seil du 28 novembre 2006 relative au système commun de taxe sur la valeur ajoutée...

Vu la procédure suivante :

Par une décision du 9 décembre 2015, le Conseil d'Etat statuant au contentieux, a sursis à statuer, jusqu'à ce que la Cour de justice de l'Union européenne se soit prononcée sur les questions qui lui avaient été renvoyées à titre préjudiciel par la Cour constitutionnelle belge dans l'arrêt n° 165/2014 du 13 novembre 2014, sur la requête de l'ordre des avocats de Paris tendant à :

1°) ce que la Cour de justice de l'Union européenne soit saisie à titre préjudiciel sur la validité et l'interprétation de la directive 2006/112/CE du Conseil du 28 novembre 2006 relative au système commun de taxe sur la valeur ajoutée, et notamment son article 168, au regard des articles 47 et 52 de la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne ;

2°) l'annulation pour excès de pouvoir de la décision du 29 septembre 2014 du ministre des finances et des comptes publics, ensemble la décision implicite du Premier ministre refusant de faire droit à sa demande d'abrogation des articles 205 et 206 de l'annexe II au code général des impôts en tant qu'ils ne prévoient pas que la taxe sur la valeur ajoutée grevant les services juridiques utilisés dans le cadre d'une action en justice est déductible par les personnes non assujetties à cet impôt dans les mêmes conditions que pour les personnes assujetties ;

3°) ce qu'il soit enjoint au Premier ministre de modifier les dispositions contestées dans un délai qu'il appartiendra au Conseil d'Etat de fixer.

Par un arrêt n° C-543/14 du 28 juillet 2016, la Cour de justice de l'Union européenne s'est prononcée sur les questions qui lui avaient été renvoyées à titre préjudiciel par la Cour constitutionnelle belge.

Par un nouveau mémoire en défense, enregistré le 2 août 2016, le ministre des finances et des comptes publics persiste dans ses conclusions antérieures.

Vu les autres pièces du dossier, y compris celles visées par la décision du Conseil d'Etat du 9 décembre 2015 ;

Vu :

- la Constitution, notamment son Préambule ;

- le traité sur le fonctionnement de l'Union européenne ;

- le traité sur l'Union européenne ;

- la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne ;

- la directive 2006/112/CE du Conseil du 28 novembre 2006 ;

- le code général des impôts et le livre des procédures fiscales ;

- l'arrêt C-543/14 du 28 juillet 2016 de la Cour de justice de l'Union européenne ;

- le code de justice administrative ;

Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de Mme Karin Ciavaldini, maître des requêtes,

- les conclusions de M. Benoît Bohnert, rapporteur public ;

Considérant ce qui suit :

1. L'ordre des avocats de Paris demande l'annulation de la décision du 29 septembre 2014 par laquelle le ministre des finances et des comptes publics a rejeté sa demande tendant à l'abrogation des articles 205 et 206 de l'annexe II au code général des impôts, en tant qu'ils ne prévoient pas que la taxe sur la valeur ajoutée grevant les services juridiques utilisés dans le cadre d'une action en justice est déductible par les personnes non assujetties à cet impôt dans les mêmes conditions que pour les personnes assujetties. Il soutient que, dans cette mesure, ces dispositions méconnaissent les articles 20 et 47 de la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne, ainsi que la garantie des droits et le principe d'égalité garantis respectivement par les articles 16 et 6 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789.

2. Aux termes de l'article 9 paragraphe 1 de la directive 2006/112/CE du Conseil du 28 novembre 2006 relative au système commun de taxe sur la valeur ajoutée : " Est considéré comme "assujetti" quiconque exerce, d'une façon indépendante et quel qu'en soit le lieu, une activité économique, quels que soient les buts ou les résultats de cette activité. / Est considérée comme "activité économique" toute activité de producteur, de commerçant ou de prestataire de services (...) ". Aux termes de l'article 168 de la même directive : " Dans la mesure où les biens et les services sont utilisés pour les besoins de ses opérations taxées, l'assujetti a le droit, dans l'Etat membre dans lequel il effectue ces opérations, de déduire du montant de la taxe dont il est redevable les montants suivants : / a) la taxe sur la valeur ajoutée due ou acquittée dans cet Etat membre pour les biens qui lui sont ou lui seront livrés et pour les services qui lui sont ou lui seront fournis par un autre assujetti (...) ". Aux termes de l'article 271 du code général des impôts, qui assure la transposition de la directive du 28 novembre 2006 : " I. 1. La taxe sur la valeur ajoutée qui a grevé les éléments du prix d'une opération imposable est déductible de la taxe sur la valeur ajoutée applicable à cette opération (...) ". Aux termes de l'article 273 du même code : " Des décrets en Conseil d'Etat déterminent les conditions d'application de l'article 271. / Ils fixent notamment : / (...) - les modalités suivant lesquelles la déduction de la taxe ayant grevé les biens ou services qui ne sont pas utilisés exclusivement pour la réalisation d'opérations imposables doit être limitée ou réduite (...) ". Les conditions d'application de l'article 271 sont fixées par les articles 205 et 206 de l'annexe II au même code.

3. En premier lieu, aux termes de l'article 20 de la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne : " Toutes les personnes sont égales en droit " et, aux termes de l'article 47 de la même Charte : " Toute personne dont les droits et libertés garantis par le droit de l'Union ont été violés a droit à un recours effectif devant un tribunal dans le respect des conditions prévues au présent article. / Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue équitablement, publiquement et dans un délai raisonnable par un tribunal indépendant et impartial, établi préalablement par la loi. Toute personne a la possibilité de se faire conseiller, défendre et représenter. / Une aide juridictionnelle est accordée à ceux qui ne disposent pas de ressources suffisantes, dans la mesure où cette aide serait nécessaire pour assurer l'effectivité de l'accès à la justice ".

4. Par l'arrêt du 28 juillet 2016, Ordre des barreaux francophones et germanophone e.a., C-543/14, la Cour de justice de l'Union européenne a jugé que la garantie conférée par le principe d'égalité des armes garanti par l'article 47 de la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne ne s'étend pas à l'assujettissement des prestations de services des avocats à la taxe sur la valeur ajoutée. Elle a, en particulier, relevé que le principe d'égalité des armes, qui est un corollaire de la notion même de procès équitable et a pour but d'assurer l'équilibre entre les parties à la procédure, s'il implique l'obligation d'offrir à chaque partie une possibilité raisonnable de présenter sa cause, y compris ses preuves, dans des conditions qui ne la placent pas dans une situation de net désavantage par rapport à son adversaire, n'implique pas l'obligation de mettre les parties sur un pied d'égalité s'agissant des coûts financiers supportés dans le cadre de la procédure judiciaire. Elle a ajouté que, si l'assujettissement des prestations de services des avocats à la taxe sur la valeur ajoutée et l'exercice du droit à déduction sont, certes, susceptibles de conférer, pour un montant d'honoraires identique, un avantage pécuniaire au justiciable ayant la qualité d'assujetti par rapport au justiciable non assujetti, cet avantage pécuniaire n'est, cependant, pas susceptible d'affecter l'équilibre procédural des parties.

5. L'ordre des avocats de Paris soutient que la circonstance que seuls les justiciables ayant la qualité d'assujetti puissent déduire la taxe sur la valeur ajoutée grevant les frais des auxiliaires de justice porte atteinte au principe d'égalité des armes garanti par l'article 47 de la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne et au principe d'égalité garanti par l'article 20 de cette Charte. Il résulte de ce qu'a jugé la Cour de justice, rappelé au point 4, que ce moyen ne peut qu'être écarté s'agissant des frais d'avocat et, pour les mêmes motifs, des frais des autres auxiliaires de justice.

6. En second lieu, les articles 205 et 206 de l'annexe II au code général des impôts, en tant qu'ils ne prévoient pas que la taxe sur la valeur ajoutée grevant les services juridiques utilisés dans le cadre d'une action en justice est déductible par les personnes non assujetties à cet impôt dans les mêmes conditions que pour les personnes assujetties, se bornent à faire application des dispositions législatives précitées du code général des impôts, qui assurent la transposition de l'article 168 de la directive du 28 novembre 2006. Il en résulte que le moyen tiré de la méconnaissance par ces articles réglementaires des articles 6 et 16 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789 est inopérant.

7. Il résulte de tout ce qui précède que l'ordre des avocats de Paris n'est pas fondé à demander l'annulation de la décision du 29 septembre 2014 du ministre des finances et des comptes publics. Ses conclusions à fin d'injonction ne peuvent, par suite, qu'être rejetées.

D E C I D E :

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Article 1er : La requête de l'ordre des avocats de Paris est rejetée.

Article 2 : La présente décision sera notifiée à l'ordre des avocats de Paris, au Premier ministre, au ministre de l'économie et des finances et au conseil des barreaux européens.


Synthèse
Formation : 8ème - 3ème chambres réunies
Numéro d'arrêt : 386143
Date de la décision : 23/11/2016
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Publications
Proposition de citation : CE, 23 nov. 2016, n° 386143
Inédit au recueil Lebon

Composition du Tribunal
Rapporteur ?: Mme Karin Ciavaldini
Rapporteur public ?: M. Benoît Bohnert

Origine de la décision
Date de l'import : 03/07/2018
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CE:2016:386143.20161123
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