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17/10/2016 | FRANCE | N°403730

France | France, Conseil d'État, Juge des référés, 17 octobre 2016, 403730


Vu la procédure suivante :

Par une requête et un mémoire en réplique, enregistrés les 22 septembre et 10 octobre 2016 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, la société Soufflet Agriculture et la société Sobra demandent au juge des référés du Conseil d'Etat, statuant sur le fondement de l'article L. 521-1 du code de justice administrative :

1°) à titre principal, d'ordonner la suspension de l'exécution de la décision n° 16-DCC-147 du 21 septembre 2016 par laquelle l'Autorité de la concurrence a autorisé la prise de contrôle exclusif par la société

Axéréal participations de la société Agri-Négoce, sous réserve du respect d'engage...

Vu la procédure suivante :

Par une requête et un mémoire en réplique, enregistrés les 22 septembre et 10 octobre 2016 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, la société Soufflet Agriculture et la société Sobra demandent au juge des référés du Conseil d'Etat, statuant sur le fondement de l'article L. 521-1 du code de justice administrative :

1°) à titre principal, d'ordonner la suspension de l'exécution de la décision n° 16-DCC-147 du 21 septembre 2016 par laquelle l'Autorité de la concurrence a autorisé la prise de contrôle exclusif par la société Axéréal participations de la société Agri-Négoce, sous réserve du respect d'engagements visant à remédier aux effets de cette opération sur le marché de la collecte de grains dans le département de Loir-et-Cher ;

2°) à titre subsidiaire, de suspendre l'exécution de cette décision en tant que les engagements au respect desquels elle subordonne l'autorisation sont insuffisants pour prévenir les effets anticoncurrentiels de l'opération litigieuse ;

3°) de mettre à la charge de l'Autorité de la concurrence la somme de 5 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Les sociétés requérantes soutiennent que :

- la condition d'urgence est remplie, dès lors que l'exécution de la décision contestée porte une atteinte grave et immédiate au maintien d'une concurrence effective sur le marché de la collecte des grains dans le département de Loir-et-Cher sans que les engagements pris par l'acquéreur soient suffisants pour y remédier ;

- il existe un doute sérieux quant à la légalité de la décision contestée ;

- à la suite d'une erreur d'appréciation de l'Autorité de la concurrence, les engagements principaux, au respect desquels est subordonnée l'autorisation de concentration, laisseront subsister des parts de marché trop importantes pour la nouvelle entité issue de la prise de contrôle de la société Agri-Négoce par la société Axéréal participations dans les zones d'Averdon, Herbault, Saint-Amand, Talcy et Villefrancoeur ;

- l'absence de raccordement au réseau ferroviaire des six silos proposés à la cession et la vétusté de trois d'entre eux rendent insuffisants les engagements principaux, ce qui traduit à nouveau une erreur d'appréciation de l'Autorité de la concurrence ;

- l'opération de concentration litigieuse aura pour effet de priver les agriculteurs de la possibilité de vendre leurs grains dans le cadre du négoce non coopératif dans les cinq zones précitées ;

- l'imprécision des engagements subsidiaires pris par la société Axéréal participations ne permet pas d'en apprécier le caractère suffisant ;

- en autorisant l'opération de concentration litigieuse, l'Autorité de la concurrence a méconnu les articles L. 340-1 et suivants du code de commerce.

Par un mémoire en défense, enregistré le 7 octobre 2016, l'Autorité de la concurrence conclut, d'une part, au non-lieu à statuer sur les conclusions tendant à la suspension de l'autorisation de concentration, l'opération de rachat ayant été exécutée depuis l'introduction de la requête, et, d'autre part, au rejet du surplus des conclusions de la requête, dès lors que la condition d'urgence n'est pas remplie et que les moyens soulevés par les sociétés requérantes ne sont pas de nature à faire naître un doute sérieux sur la légalité de la décision contestée.

Par un mémoire en défense, enregistré le 7 octobre 2016, la société Axéréal participations conclut, d'une part, au rejet pour irrecevabilité des conclusions tendant à la suspension de l'autorisation de concentration, l'opération de rachat ayant été exécutée depuis l'introduction de la requête, d'autre part, au rejet du surplus des conclusions de la requête, dès lors que la condition d'urgence n'est pas remplie et que les moyens soulevés par les sociétés requérantes ne sont pas de nature à faire naître un doute sérieux sur la légalité de la décision contestée, et, enfin, à ce que soit mise à la charge des sociétés Soufflet Agriculture et Sobra la somme de 5 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :

- le code de commerce ;

- le code de justice administrative ;

Après avoir convoqué à une audience publique, d'une part, la société Soufflet Agriculture et la société Sobra, et, d'autre part, l'Autorité de la concurrence et la société Axéréal participations ;

Vu le procès-verbal de l'audience publique du 11 octobre 2016 à 15 heures au cours de laquelle ont été entendus :

- Me Spinosi, avocat au Conseil d'Etat et à la Cour de Cassation, avocat de la société Soufflet Agriculture et de la société Sobra ;

- les représentants de la société Soufflet Agriculture et de la société Sobra ;

- les représentants de l'Autorité de la concurrence ;

- Me Molinié, avocat au Conseil d'Etat et à la Cour de Cassation, avocat de la société Axéréal participations ;

- les représentants de la société Axéréal participations ;

et à l'issue de laquelle le juge des référés a clos l'instruction ;

Considérant ce qui suit :

1. La société Soufflet Agriculture et la société Sobra demandent la suspension de l'exécution de la décision n° 16-DCC-147 du 21 septembre 2016 par laquelle l'Autorité de la concurrence a autorisé la prise de contrôle exclusif par la société Axéréal participations de la société Agri-Négoce, sous réserve du respect d'engagements qui, aux termes des paragraphes 107 et suivants de la décision, consistent pour la société Axéréal participations, à titre principal, à céder six silos de collecte implantés dans cinq zones locales situées dans le département de Loir-et-Cher et à ne pas les réacquérir, ni exercer sur ceux-ci une influence directe ou indirecte, pour une période couverte par le secret des affaires, et, à titre subsidiaire, en cas d'échec dans la cession du silo situé à Herbault ou dans celle du silo situé à Saint-Amand, à céder des silos proposés en substitution offrant des capacités de stockage et des caractéristiques techniques au moins équivalentes.

2. Aux termes du premier alinéa de l'article L. 521-1 du code de justice administrative : " Quand une décision administrative, même de rejet, fait l'objet d'une requête en annulation ou en réformation, le juge des référés, saisi d'une demande en ce sens, peut ordonner la suspension de l'exécution de cette décision, ou de certains de ses effets, lorsque l'urgence le justifie et qu'il est fait état d'un moyen propre à créer, en l'état de l'instruction, un doute sérieux quant à la légalité de la décision ". Eu égard à leur objet, les pouvoirs ainsi conférés au juge des référés ne peuvent s'exercer que dans la mesure où la décision dont la suspension est demandée n'a pas produit tous ses effets.

3. Il ressort des pièces du dossier que la prise de contrôle exclusif de la société Agri-Négoce par la société Axéréal participations a été réalisée le 30 septembre 2016, postérieurement à l'introduction de la requête. Dans ces conditions, il n'y a plus lieu de statuer sur les conclusions principales des sociétés Soufflet Agriculture et Sobra tendant à la suspension de l'exécution de la décision autorisant l'opération de concentration litigieuse, qui sont devenues sans objet. En revanche, il y a lieu de statuer sur les conclusions subsidiaires des sociétés requérantes tendant à la suspension de la décision contestée en tant qu'elle précise les engagements au respect desquels est subordonnée l'autorisation donnée par l'Autorité de la concurrence à l'opération litigieuse.

4. Pour démontrer l'urgence qu'il y a à suspendre l'exécution, dans cette mesure, de la décision contestée ainsi que le doute sérieux pesant sur la légalité de celle-ci, les sociétés requérantes soutiennent que les engagements souscrits par la société Axéréal participations ne sauraient maintenir une concurrence suffisante sur le marché de la collecte des grains dans le département de Loir-et-Cher, dès lors qu'ils font subsister une part de marché de la nouvelle entité supérieure à 65 % dans cinq zones de collecte locales, qu'aucun des silos proposés à la cession n'est relié à un embranchement ferroviaire en fonctionnement et exploitable, que trois silos parmi les six proposés à la cession ne sont pas viables et, enfin, que l'opération de concentration obligerait les agriculteurs à adhérer à une coopérative agricole du fait de la disparition, sur les zones en cause, du seul opérateur important proposant ses services sous la forme du négoce non coopératif.

5. En premier lieu, par l'opération litigieuse, le premier opérateur de collecte de grains dans les zones d'Averdon, Herbault, Saint-Amand, Talcy et Villefrancoeur a pris le contrôle du deuxième opérateur, permettant à l'entité issue de ce rapprochement d'y détenir potentiellement plus de 65 % des parts de marché. Les engagements énoncés à titre principal par la décision contestée prévoient la cession par la société Axéréal participations de six silos de collecte situés dans ces cinq zones, de façon à réduire les parts de marché de la nouvelle entité. Si la cession de ces silos laisserait malgré tout subsister une part de marché supérieure à 65 % dans la zone de Talcy, il ressort des pièces du dossier ainsi que des indications fournies à l'audience que la société Axéréal participations y dispose déjà d'une part de marché supérieure à 65 %. Par suite, dans la mesure où il ne saurait être fait grief aux engagements pris de ne pas accroître le degré de concurrence préexistant à l'opération de concentration, le moyen tiré de ce que ces engagements laisseraient subsister des parts de marché trop importantes pour la société Axéréal participations n'est, en l'état de l'instruction, de nature ni à caractériser l'urgence à suspendre l'exécution de la décision contestée, ni à faire naître un doute sérieux sur l'existence d'une erreur d'appréciation commise par l'Autorité de la concurrence.

6. En deuxième lieu, ainsi qu'il a été souligné au cours de l'audience publique, la détention d'un silo disposant d'un embranchement ferroviaire, si elle peut conférer un avantage concurrentiel sur le marché de la commercialisation des grains, n'est susceptible de procurer sur le marché de la collecte des grains, seul en cause dans la présente affaire, que des avantages très indirects et difficiles à mesurer. En outre, si les sociétés requérantes soutiennent que la vétusté des silos proposés à la cession qui sont situés à Saint-Amand, Champigny-en-Beauce et Herbault les rend non viables, il ressort des pièces du dossier, en particulier du test de marché effectué par l'Autorité de la concurrence, que plusieurs concurrents ont manifesté leur intérêt pour le rachat de ces silos, ce qui constitue une circonstance déterminante pour apprécier le caractère suffisant des engagements au respect desquels l'autorisation de concentration est subordonnée. En effet, ainsi qu'il a été exposé au cours de l'audience, la viabilité d'un silo de collecte de grains dépend principalement de sa localisation géographique et de la présence d'installations de stockage, d'un dispositif de pesage et d'un dispositif d'analyse des grains, le degré de vétusté du silo étant quant à lui pris en compte dans la détermination du prix de vente du silo. Par suite, le moyen tiré de ce que l'absence de raccordement au réseau ferroviaire des silos proposés à la cession et la vétusté de trois d'entre eux rendraient insuffisants les engagements pris par la société Axéréal participations n'est, en l'état de l'instruction, de nature ni à caractériser l'urgence à suspendre l'exécution de la décision contestée, ni à faire naître un doute sérieux sur l'existence d'une erreur d'appréciation commise par l'Autorité de la concurrence.

7. En troisième et dernier lieu, si les sociétés requérantes soutiennent que l'opération de concentration litigieuse aura pour effet, dans les zones en cause, de priver les agriculteurs de la possibilité de continuer de vendre leurs grains dans le cadre du négoce non coopératif, cette circonstance, au demeurant non établie par les pièces du dossier, est sans incidence sur l'appréciation du caractère suffisant des engagements pris pour maintenir une concurrence suffisante sur le marché de la collecte des grains dans le département de Loir-et-Cher. Par suite, ce moyen n'est, en l'état de l'instruction, de nature ni à caractériser l'urgence à suspendre l'exécution de la décision contestée, ni à établir l'existence d'un doute sérieux quant à la légalité de celle-ci.

8. Il résulte de tout ce qui précède, et sans qu'il soit besoin d'examiner l'argumentation des sociétés requérantes contestant le caractère suffisant des engagements pris à titre subsidiaire par la société Axéréal participations, qu'en l'état de l'instruction, aucune des conditions auxquelles les dispositions de l'article L. 521-1 du code de justice administrative subordonnent le prononcé d'une mesure de suspension n'est remplie. Par suite, les conclusions subsidiaires présentées par les sociétés Soufflet Agriculture et Sobra ne peuvent qu'être rejetées, ainsi que leurs conclusions présentées au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge des sociétés Soufflet Agriculture et Sobra une somme de 2 500 euros chacune à verser à la société Axéréal participations au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

O R D O N N E :

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Article 1er : Il n'y a pas lieu de statuer sur les conclusions de la requête de la société Soufflet Agriculture et de la société Sobra tendant à la suspension de la décision n° 16-DCC-147 du 21 septembre 2016 de l'Autorité de la concurrence en tant qu'elle autorise la prise de contrôle exclusif, par la société Axéréal participations, de la société Agri-Négoce.

Article 2 : Le surplus des conclusions de la requête de la société Soufflet Agriculture et de la société Sobra est rejeté.

Article 3 : Les sociétés Soufflet Agriculture et Sobra verseront chacune la somme de 2 500 euros à la société Axéréal Participations au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 4 : La présente ordonnance sera notifiée à la société Soufflet Agriculture, à la société Sobra, à l'Autorité de la concurrence et à la société Axéréal participations.


Synthèse
Formation : Juge des référés
Numéro d'arrêt : 403730
Date de la décision : 17/10/2016
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Publications
Proposition de citation : CE, 17 oct. 2016, n° 403730
Inédit au recueil Lebon

Composition du Tribunal
Avocat(s) : SCP SPINOSI, SUREAU ; SCP PIWNICA, MOLINIE

Origine de la décision
Date de l'import : 22/11/2016
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CE:2016:403730.20161017
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