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29/07/2016 | FRANCE | N°401335

France | France, Conseil d'État, Juge des référés, 29 juillet 2016, 401335


Vu la procédure suivante :

Par une requête et un mémoire en réplique, enregistrés les 8 et 26 juillet 2016 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, la société Manufacture de tabacs Heintz Van Landewyck demande au juge des référés du Conseil d'Etat, statuant sur le fondement de l'article L. 521-1 du code de justice administrative :

1°) d'ordonner la suspension de l'exécution de l'arrêté du 24 juin 2016 du ministre des affaires sociales et du secrétaire d'Etat chargé du budget portant homologation des prix de vente au détail des tabacs manufacturés en Fra

nce, à l'exclusion des départements outre-mer, en tant qu'il ne mentionne pas ...

Vu la procédure suivante :

Par une requête et un mémoire en réplique, enregistrés les 8 et 26 juillet 2016 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, la société Manufacture de tabacs Heintz Van Landewyck demande au juge des référés du Conseil d'Etat, statuant sur le fondement de l'article L. 521-1 du code de justice administrative :

1°) d'ordonner la suspension de l'exécution de l'arrêté du 24 juin 2016 du ministre des affaires sociales et du secrétaire d'Etat chargé du budget portant homologation des prix de vente au détail des tabacs manufacturés en France, à l'exclusion des départements outre-mer, en tant qu'il ne mentionne pas certains de ses produits et en tant qu'il a abrogé l'arrêté du 4 février 2015 modifié portant homologation des prix de vente au détail des tabacs manufacturés en France ;

2°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 5 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- la condition d'urgence est remplie, dès lors que l'exécution de l'arrêté porte une atteinte grave et immédiate à ses intérêts en entraînant une perte de chiffre d'affaires ;

- il existe un doute sérieux quant à la légalité de l'arrêté contesté ;

- s'agissant de la légalité externe, l'administration a méconnu l'article 284 de l'annexe II au code général des impôts, en excluant les fabricants de l'accès à la nouvelle procédure de saisie des prix, a omis de l'informer sur le calendrier de dépôt de prix et ne l'a pas prévenue de ce que les prix qu'elle proposait n'étaient pas conformes ;

- l'arrêté est entaché d'erreurs substantielles ;

- s'agissant de la légalité interne, l'arrêté contrevient à la directive 2011/64/UE du 21 juin 2011 ainsi qu'à l'article 572 du code général des impôts et méconnaît en conséquence le principe de libre fixation des prix ;

- il méconnaît le principe de libre concurrence et le principe d'égalité.

Par deux mémoires en défense, enregistrés les 22 et 27 juillet 2016, le ministre des finances et des comptes publics conclut au rejet de la requête et à ce que soit mise à la charge de la société Manufacture de tabacs Heintz Van Landewyck la somme de 5 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative. Il soutient qu'aucune des conditions exigées par l'article L. 521-1 du code de justice administrative n'est remplie.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :

- la directive 2011/64/UE du 21 juin 2011 ;

- le code général des impôts et le livre des procédures fiscales ;

- le code de justice administrative ;

Après avoir convoqué à une audience publique, d'une part, la société Manufacture de tabacs Heintz Van Landewyck, d'autre part, la ministre des affaires sociales et de la santé et le ministre des finances et des comptes publics ;

Vu le procès-verbal de l'audience publique du 27 juillet 2016 à 11 heures au cours de laquelle ont été entendus :

- Me Boutet, avocat au Conseil d'Etat et à la Cour de cassation, avocat de la société Manufacture de tabacs Heintz Van Landewyck ;

- les représentants de la société Manufacture de tabacs Heintz Van Landewyck ;

- Me Froger, avocat au Conseil d'Etat et à la Cour de cassation, avocat du ministre des finances et des comptes publics ;

- les représentants du ministre des finances et des comptes publics ;

et à l'issue de laquelle le juge des référés a clos l'instruction ;

Considérant ce qui suit :

1. Aux termes du premier alinéa de l'article L. 521-1 du code de justice administrative : " Quand une décision administrative, même de rejet, fait l'objet d'une requête en annulation ou en réformation, le juge des référés, saisi d'une demande en ce sens, peut ordonner la suspension de l'exécution de cette décision, ou de certains de ses effets, lorsque l'urgence le justifie et qu'il est fait état d'un moyen propre à créer, en l'état de l'instruction, un doute sérieux quant à la légalité de la décision ". Il résulte de ces dispositions que le prononcé de la suspension d'un acte administratif est subordonné notamment à une condition d'urgence. L'urgence justifie la suspension de l'exécution d'un acte administratif lorsque celui-ci porte atteinte de manière suffisamment grave et immédiate, à un intérêt public, à la situation du requérant ou aux intérêts qu'il entend défendre. Il appartient au juge des référés d'apprécier concrètement, compte tenu des justifications fournies par le requérant, si les effets de l'acte contesté sont de nature à caractériser une urgence justifiant que, sans attendre le jugement de la requête au fond, l'exécution de la décision soit suspendue. L'urgence doit être appréciée objectivement et compte tenu de l'ensemble des circonstances de l'affaire.

2. Aux termes de l'article 572 du code général des impôts : " Le prix de détail de chaque produit exprimé aux 1 000 unités ou aux 1 000 grammes, est unique pour l'ensemble du territoire et librement déterminé par les fabricants et les fournisseurs agréés. Il est applicable après avoir été homologué par arrêté conjoint des ministres chargés de la santé et du budget, dans des conditions définies par décret en Conseil d'Etat. Il ne peut toutefois être homologué s'il est inférieur à la somme du prix de revient et de l'ensemble des taxes ". Aux termes de l'article 284 de l'annexe II à ce code dans sa rédaction applicable à l'arrêté du 24 juin 2016 : " A la demande de l'administration, les fournisseurs agréés communiquent, par voie dématérialisée auprès de la direction générale des douanes et droits indirects, les prix de vente au détail des tabacs manufacturés, pour chacun de leurs produits par marque et dénomination commerciale./Les prix sont homologués par arrêté conjoint du ministre chargé du budget et du ministre chargé de la santé et publiés au Journal officiel de la République française ".

3. Par un arrêté du 3 mars 2016 portant homologation des prix du tabac, la ministre des affaires sociales et le secrétaire d'Etat chargé du budget ont modifié partiellement l'arrêté du 4 février 2015 du secrétaire d'Etat chargé du budget, en reprenant les nouveaux produits, les modifications des prix et en supprimant les produits retirés de la vente.

4. Par une lettre du 6 avril 2016, la direction générale des douanes et des droits indirects a informé les fabricants et fournisseurs agréés de tabacs manufacturés du lancement de la prochaine campagne d'homologation pour 2016. Elle a précisé les changements de procédure en matière de saisie de prix, a rappelé les modalités à respecter pour l'application de la règle du prix unique et a indiqué que le non-respect de cette règle entraînerait un refus d'homologation.

5. L'administration a constaté que les prix d'environ 90 produits transmis par la société Manufacture de tabacs Heintz Van Landewyck n'étaient pas conformes à la règle du prix unique. En conséquence, la ministre des affaires sociales et le secrétaire d'Etat chargé du budget n'ont pas homologué le prix de ces produits dans l'arrêté qu'ils ont pris le 24 juin 2016. La société requérante demande la suspension de l'exécution de cet arrêté en tant qu'il n'a pas homologué ces produits et en tant qu'il a abrogé, en ce qui concerne les concerne, l'arrêté modifié du 4 février 2015.

6. La société soutient que l'arrêté aura des conséquences économiques et sociales qui affecteront sa situation en la conduisant à retirer de la vente près de 90 produits, dont une marque de cigarettes représentant un tiers du volume de ses ventes, à reprendre ses stocks chez les buralistes, à les détruire et à licencier du personnel.

7. Il résulte de l'instruction que le groupe luxembourgeois Landewyck Group S.à r.l. (LAG), qui a une expérience de plus de 150 ans sur le marché du tabac, distribue ses produits dans plus de quarante pays. La société requérante, dénommée Manufacture de tabacs Heintz Van Landewyck, également de droit luxembourgeois, créée il y a sept ans, produit des tabacs qui sont distribués dans divers pays, notamment en France qui est son quatrième marché.

8. C'est une autre société du groupe, de droit français, la société Landewyck France qui assure la promotion des produits en France. Dès lors qu'elle n'est pas requérante, les éléments qui sont relatifs à l'impact de l'arrêté sur cette société ne peuvent pas être pris en compte.

9. Il ressort du dernier état des écritures de la société et des éléments qui ont été fournis au cours de l'audience que l'estimation de la perte du chiffre d'affaires sur quatre mois est de 12 millions d'euros toutes taxes comprises et que le coût de la destruction des stocks et le manque à gagner sur les produits non distribués est évalué à 1,9 millions d'euros sur la même période. Le total estimé des pertes est donc de près de 14 millions d'euros. Compte tenu du chiffre d'affaires total annuel toutes taxes comprises de la société, s'élevant à 730 millions d'euros en 2015, la perte estimée est relativement faible. Il en va de même si on ramène ce montant de pertes en le calculant sans prendre en compte les taxes, qui constituent près de 80% du prix de vente des produits, et si on le compare au chiffre d'affaires total hors taxe de 155 millions d'euros. Par ailleurs, aucun élément n'est donné sur l'impact estimé de la décision de l'administration sur le résultat de la société. Si la société soutient que l'arrêté, qui est entré en vigueur le 11 juillet dernier, l'empêche notamment de vendre sa principale marque et va limiter sa présence en France et si elle indique qu'elle ne détient que 1% du marché français, l'impact de la décision dont la suspension est demandée n'aura d'effet que jusqu'au prochain arrêté dont il a été indiqué à l'audience qu'il devrait intervenir en octobre 2016. Enfin, les conséquences de l'arrêté sur les effectifs de la société ne sont pas établies. Par suite, l'arrêté ne peut être regardé comme susceptible de porter atteinte de manière grave et immédiate à l'équilibre financier de la société et de contribuer à sa disparition du marché français.

10. Il résulte de ce qui précède que, sans qu'il soit besoin d'examiner l'existence d'un doute sérieux quant à la légalité de l'arrêté contesté, la condition d'urgence ne peut être regardée comme remplie. Il y a lieu, par suite, de rejeter la requête de la société ainsi que, par voie de conséquence, sa demande présentée au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

11. Il n'y a pas lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de la société Manufacture de tabacs Van Ledewyck la somme que réclame l'Etat au titre des mêmes dispositions.

O R D O N N E :

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Article 1er : La requête de la société Manufacture de tabacs Van Ledewyck est rejetée.

Article 2 : Les conclusions présentées par l'Etat sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.

Article 3 : L'ordonnance sera notifiée à la société Manufacture de tabacs Heintz Van Landewyck, à la ministre des affaires sociales et de la santé et au ministre des finances et des comptes publics.


Synthèse
Formation : Juge des référés
Numéro d'arrêt : 401335
Date de la décision : 29/07/2016
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Publications
Proposition de citation : CE, 29 jui. 2016, n° 401335
Inédit au recueil Lebon

Composition du Tribunal
Avocat(s) : SCP BOUTET, HOURDEAUX ; SCP FOUSSARD, FROGER

Origine de la décision
Date de l'import : 20/02/2018
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CE:2016:401335.20160729
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