Vu la procédure suivante :
Par une requête et un mémoire en réplique, enregistrés les 18 décembre 2015 et 8 février 2016 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, le haut-commissaire de la République en Polynésie française demande au Conseil d'Etat de déclarer les 2° et 5° de l'article LP 2 de la " loi du pays " n° 2015-15 LP/APF adoptée le 26 novembre 2015 portant réglementation de l'activité de généalogie en Polynésie française, non conformes au bloc de légalité défini au III de l'article 176 de la loi organique du 27 février 2004 portant statut d'autonomie de la Polynésie française.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
- la Constitution, notamment son Préambule et son article 74 ;
- la loi organique n° 2004-192 du 27 février 2004 ;
- le code de justice administrative ;
Après avoir entendu en séance publique :
- le rapport de Mme Isabelle Lemesle, conseiller d'Etat,
- les conclusions de M. Edouard Crépey, rapporteur public ;
1. Considérant que le haut-commissaire de la République en Polynésie française défère au Conseil d'Etat, sur le fondement des dispositions de l'article 176 de la loi organique du 27 février 2004 portant statut de la Polynésie française, le 2° et le 5° de l'article LP 2 de la " loi du pays " adoptée le 26 novembre 2015 par l'assemblée de la Polynésie française, en application des dispositions de l'article 140 de la même loi organique, portant réglementation de l'activité de la généalogie en Polynésie française ; que ces dispositions conditionnent la délivrance d'une carte professionnelle pour l'exercice de l'activité de généalogiste notamment d'une part, à la justification " de l'obtention d'un diplôme universitaire approfondi en généalogie successorale " et, d'autre part, à une " parfaite maîtrise d'une des langues polynésiennes " ;
2. Considérant qu'il est loisible à l'assemblée de la Polynésie française d'apporter à la liberté d'entreprendre des limitations justifiées par l'intérêt général, à la condition qu'il n'en résulte pas d'atteintes disproportionnées au regard de l'objectif poursuivi ; qu'en l'espèce, la subordination de l'exercice de l'activité de généalogiste, familial ou successoral, à la délivrance d'une carte professionnelle, dans l'objectif de professionnaliser l'activité de généalogiste en Polynésie française et de protéger les consommateurs qui ont recours à de telles prestations, qui constitue un motif d'intérêt général eu égard aux spécificités locales et en particulier à la nécessité de constituer un cadastre dans un contexte foncier historiquement et juridiquement complexe, tenant notamment à la difficulté d'établir certains lignages, n'apporte pas à la liberté d'entreprendre des restrictions disproportionnées par rapport à l'objectif poursuivi ; que par suite, le moyen tiré de l'atteinte illégale portée à la liberté d'entreprendre, garantie par l'article 4 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen, ne peut qu'être écarté ;
3. Considérant toutefois que le principe d'égalité ne s'oppose ni à ce qu'une " loi du pays " règle de façon différente des situations différentes ni à ce qu'elle déroge à l'égalité pour des raisons d'intérêt général, à la condition que, dans l'un et l'autre cas, la différence de traitement qui en résulte soit en rapport direct avec l'objet du texte qui l'établit et ne soit pas manifestement disproportionnée au regard des motifs susceptibles de la justifier ; que si le motif d'intérêt général mentionné au point 2 justifie que l'exercice de la profession de généalogiste soit réservé à des professionnels maîtrisant un certain niveau de connaissance, de diplôme, ou d'expérience en matière de généalogie appliquée à la Polynésie française, la différence de traitement qui résulte de la condition, posée par le 2° de l'article LP 2 de la " loi du pays " litigieuse, imposant " l'obtention d'un diplôme universitaire approfondi en généalogie successorale " est manifestement disproportionnée à l'objectif poursuivi dès lors qu'il ressort clairement des débats devant l'assemblée de la Polynésie française que ces dispositions visent uniquement le diplôme délivré par l'université de la Polynésie française, alors même qu'il n'est pas établi qu'il soit le seul à garantir le niveau de compétence nécessaire pour exercer correctement la profession de généalogiste en Polynésie française ; qu'il en va de même de l'exigence d'une " parfaite maîtrise d'une des langues polynésiennes ", posée par le 5° du même article ; qu'en effet, il découle de la condition litigieuse, alors même que la connaissance et la pratique, au côté de la langue française, de l'une des langues polynésiennes sont utiles, tant pour la compréhension des actes de propriété les plus anciens que pour permettre la communication avec certaines personnes concernées par les recherches entreprises, une différence de traitement manifestement disproportionnée à l'objectif poursuivi ; qu'il suit de là que les dispositions du 2° et du 5° de l'article LP 2 de la " loi du pays " méconnaissent le principe d'égalité devant la loi ;
4. Considérant qu'il résulte de ce qui précède que, sans qu'il soit besoin d'examiner les autres moyens de la requête, le haut-commissaire de la République en Polynésie française est fondé à demander à ce que soient déclarés illégaux le 2° de l'article LP 2 de la " loi du pays " attaquée, en tant qu'il impose de justifier de l'obtention d'un diplôme universitaire approfondi en généalogie successorale, ainsi que le 5° du même article ;
D E C I D E :
--------------
Article 1er : Le 2° de l'article LP 2 de la " loi du pays " n° 2015-15 LP/APF adoptée le 26 novembre 2015 en tant qu'il impose de justifier de l'obtention d'un diplôme universitaire approfondi en généalogie successorale et le 5° du même article sont déclarés illégaux et ne peuvent être promulgués.
Article 2 : Le surplus des conclusions du haut-commissaire de la République en Polynésie française est rejeté.
Article 3 : La présente décision sera notifiée haut-commissaire de la République en Polynésie française, au président de la Polynésie française et au président de l'assemblée de la Polynésie française.
Copie en sera adressé à la ministre des outre-mer.