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26/02/2016 | FRANCE | N°386483

France | France, Conseil d'État, 6ème ssjs, 26 février 2016, 386483


Vu la procédure suivante :

Par une requête et un nouveau mémoire, enregistrés les 16 décembre 2014 et 4 janvier 2016 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, M. B...demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler pour excès de pouvoir le premier alinéa de l'article 15 du décret du 12 juillet 2005 relatif aux règles de déontologie de la profession d'avocat, dans sa rédaction issue du décret du 28 octobre 2014 relatif aux modes de communications des avocats, en tant qu'il prévoit que la publicité et la sollicitation personnalisée sont permises à l'avocat " si l

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Vu la procédure suivante :

Par une requête et un nouveau mémoire, enregistrés les 16 décembre 2014 et 4 janvier 2016 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, M. B...demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler pour excès de pouvoir le premier alinéa de l'article 15 du décret du 12 juillet 2005 relatif aux règles de déontologie de la profession d'avocat, dans sa rédaction issue du décret du 28 octobre 2014 relatif aux modes de communications des avocats, en tant qu'il prévoit que la publicité et la sollicitation personnalisée sont permises à l'avocat " si leur mise en oeuvre respecte les principes essentiels de la profession " à l'exclusion de tout élément comparatif ou dénigrant, ainsi que les deuxième et troisième alinéas de ce même article ;

2°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 6 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;

Par un mémoire en défense, enregistré le 23 novembre 2015, le garde des sceaux, ministre de la justice, conclut au rejet de la requête. Il soutient que les moyens soulevés par le requérant ne sont pas fondés.

La requête a été communiquée au Premier ministre, qui n'a pas produit de mémoire.

En application des dispositions de l'article R. 611-7 du code de justice administrative, les parties ont été informées que la décision du Conseil d'Etat était susceptible d'être fondée sur le moyen, relevé d'office, tiré de ce qu'il n'y a pas lieu de statuer sur les conclusions tendant à l'annulation du deuxième alinéa de l'article 15 du décret du 12 juillet 2005, dans sa rédaction issue du décret attaqué, en tant qu'il n'exclut pas du renvoi qu'il fait au décret du 25 août 1972 l'article 2 de ce décret, dès lors que ces dispositions ont été annulées dans une telle mesure par la décision n° 386296 du 9 novembre 2015 du Conseil d'Etat, statuant au contentieux.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :

- la directive 2006/123/CE du Parlement européen et du Conseil du 12 décembre 2006 ;

- la loi n° 71-1130 du 31 décembre 1971, notamment ses articles 3 bis et 66-4 ;

- la loi n° 2014-344 du 17 mars 2014 ;

- le décret n° 72-785 du 25 août 1972 ;

- le décret n° 2005-790 du 12 juillet 2005 ;

- l'arrêt de la Cour de justice de l'Union européenne C-119/09 du 5 avril 2011 ;

- la décision n° 386296 du 9 novembre 2015 du Conseil d'Etat, statuant au contentieux ;

- la décision n° 361593 du 13 décembre 2013 du Conseil d'Etat, statuant au contentieux ;

- le code de justice administrative.

Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de M. Jean-Baptiste de Froment, maître des requêtes,

- les conclusions de M. Xavier de Lesquen, rapporteur public ;

En ce qui concerne les conclusions de la requête tendant à l'annulation du deuxième alinéa de l'article 15 du décret attaqué :

1. Considérant qu'il ressort des termes mêmes de la requête de M. B...que ses conclusions doivent être regardées comme tendant à l'annulation du deuxième alinéa de l'article 15 du décret du 12 juillet 2005 relatif aux règles de déontologie de la profession d'avocat, dans sa rédaction issue du décret du 28 octobre 2014, en tant que ces dispositions n'excluent pas du renvoi qu'elles font au décret du 25 août 1972 l'article 2 de ce décret ; que, par sa décision n° 386296 du 9 novembre 2015, le Conseil d'Etat, statuant au contentieux, a annulé, dans une telle mesure, le deuxième alinéa de l'article 15 du décret du 12 juillet 2005 susvisé ; qu'ainsi les conclusions de M. B...dirigées contre ces dispositions sont devenues sans objet ; qu'il n'y a pas lieu d'y statuer ;

En ce qui concerne les conclusions de la requête tendant à l'annulation des premier et troisième alinéas de l'article 15 du décret attaqué :

2. Considérant qu'aux termes du deuxième alinéa de l'article 3 bis de la loi du 31 décembre 1971 portant réforme de certaines professions judiciaires et juridiques, dans sa rédaction issue de la loi du 17 mars 2014 relative à la consommation : " Dans les conditions fixées par décret en Conseil d'Etat, l'avocat est autorisé à recourir à la publicité ainsi qu'à la sollicitation personnalisée " ; qu'aux termes de l'article 66-4 de la même loi, dans sa rédaction issue de la même loi du 17 mars 2014 : " Sera puni des peines prévues à l'article L. 121-23 du code de la consommation quiconque se sera livré au démarchage en vue de donner des consultations ou de rédiger des actes en matière juridique. Toute publicité aux mêmes fins est subordonnée au respect de conditions fixées par le décret visé à l'article 66-6. / Toutefois, le premier alinéa du présent article n'est pas applicable aux avocats qui, en toutes matières, restent soumis aux dispositions de l'article 3 bis " ; qu'aux termes de l'article 15 du décret du 12 juillet 2005 relatif aux règles de déontologie de la profession d'avocat, dans sa rédaction issue du décret du 28 octobre 2014 : " La publicité et la sollicitation personnalisée sont permises à l'avocat si elles procurent une information sincère sur la nature des prestations de services proposées et si leur mise en oeuvre respecte les principes essentiels de la profession. Elles excluent tout élément comparatif ou dénigrant. / La publicité s'opère dans les conditions prévues par le décret du 25 août 1972 susvisé. / La sollicitation personnalisée prend la forme d'un envoi postal ou d'un courrier électronique adressé au destinataire de l'offre de service, à l'exclusion de tout message textuel envoyé sur un terminal téléphonique mobile. Elle précise les modalités de détermination du coût de la prestation, laquelle fera l'objet d'une convention d'honoraires. " ; qu'enfin, le décret du 25 août 1972 relatif au démarchage et à la publicité en matière de consultation et de rédaction d'actes juridiques, dans sa rédaction actuellement applicable, prévoit, à son article 2, que : " La publicité en vue de donner des consultations, de rédiger des actes ou de proposer son assistance en matière juridique ne peut être faite par voie de tracts, affiches, films cinématographiques, émissions radiophoniques ou télévisées ", à son article 3, que : " Les dispositions de l'article 2 ne sont pas applicables aux administrations et services publics, aux associations, syndicats professionnels et autres organismes à but non lucratif. Elles ne sont pas applicables non plus aux entreprises qui fournissent des renseignements, informations ou prestations de service comportant à titre accessoire ou incident des renseignements d'ordre juridique ", à son article 4, que : " La publicité faite, par quelque moyen que ce soit, aux fins mentionnées à l'article 2 ne doit contenir aucune indication contraire à la loi. Elle doit s'abstenir, notamment, de toute mention méconnaissant la discrétion professionnelle ou portant atteinte à la vie privée. / Toute publicité mensongère ou contenant des renseignements inexacts ou fallacieux est prohibée ", et à son article 5, que : " Toute infraction aux articles 2, 3 et 4 du présent décret sera punie d'une amende de 90 euros à 150 euros (...). / En cas de récidive, ces peines pourront être portées au double " ;

3. Considérant, d'une part, que M. B...soutient que les dispositions de l'article 15 du décret du 12 juillet 2005, dans leur rédaction issue du décret du 28 octobre 2014, sont contraires aux dispositions de la directive 2006/123/CE du Parlement européen et du Conseil du 12 décembre 2006 ;

4. Considérant qu'aux termes de l'article 24 de la directive 2006/123/CE du 12 décembre 2006 relative aux services dans le marché intérieur : " 1. Les Etats membres suppriment toutes les interdictions totales visant les communications commerciales des professions réglementées. / 2. Les Etats membres veillent à ce que les communications commerciales faites par les professions réglementées respectent les règles professionnelles conformes au droit communautaire, qui visent notamment l'indépendance, la dignité et l'intégrité de la profession ainsi que le secret professionnel, en fonction de la spécificité de chaque profession. Les règles professionnelles en matière de communications commerciales doivent être non discriminatoires, justifiées par une raison impérieuse d'intérêt général et proportionnées " ; qu'il résulte clairement de ces dispositions, telles que la Cour de justice de l'Union européenne les a interprétées par arrêt C-119/09 du 5 avril 2011, que si les règles relatives aux communications commerciales faites par les professions réglementées doivent être non discriminatoires, justifiées par une raison impérieuse d'intérêt général et proportionnées, les Etats membres restent toutefois libres de prévoir des interdictions relatives au contenu ou aux modalités de communications commerciales de ces professions réglementées, pour autant que les règles prévues soient justifiées et proportionnées aux fins d'assurer notamment l'indépendance, la dignité et l'intégrité de la profession ;

5. Considérant que, dans sa rédaction issue du décret du 28 octobre 2014, le décret du 12 juillet 2005 relatif à la déontologie de la profession d'avocat permet à l'avocat de recourir à la publicité et à la sollicitation personnalisée, en fixant les conditions de mise en oeuvre de ces dernières ; que si le premier alinéa de l'article 15 du décret du 12 juillet 2005 interdit d'intégrer, à l'occasion d'opérations de publicité ou de sollicitation personnalisée, tout élément comparatif ou dénigrant, cette restriction a pour objectif d'assurer le respect des règles professionnelles visant à l'indépendance, la dignité et l'intégrité de la profession d'avocat ; que, si le troisième alinéa du même article prohibe le recours à la sollicitation personnalisée par message textuel envoyé sur un téléphone mobile, cette restriction tient compte, d'une part, du caractère intrusif de ces "minimessages", qui s'apparentent à du démarchage téléphonique, lui-même prohibé par les obligations déontologiques de la profession d'avocat, d'autre part, de ce que, par leurs caractéristiques, ces "minimessages" ne permettent pas d'assurer, dans tous les cas, un contenu respectant les obligations d'information posées par le règlement intérieur national de la profession, dont l'article 10.2 prévoit qu'elles doivent permettre à l'avocat de " faire état de sa qualité et permettre, quel qu'en soit le support, de l'identifier, de le localiser, de le joindre, de connaître le barreau auquel il est inscrit, la structure d'exercice à laquelle il appartient et, le cas échéant, le réseau dont il est membre " ; que les restrictions ainsi prévues par les dispositions réglementaires précitées, qui relèvent du pouvoir d'appréciation laissé aux Etats membres par l'article 24 de la directive du 12 décembre 2006 quant à l'encadrement du contenu et des modalités de communications commerciales de ces professions réglementées et s'appliquent à l'ensemble des avocats, sont proportionnées aux raisons impérieuses d'intérêt général de protection de l'indépendance, de la dignité et de l'intégrité de la profession d'avocat d'une part, et de bonne information du client d'autre part ; qu'ainsi, M. B...n'est pas fondé à soutenir que les dispositions réglementaires qu'il conteste seraient incompatibles avec la directive du Parlement européen et du Conseil du 12 décembre 2006 relative aux services dans le marché intérieur ;

6. Considérant, d'autre part, que, par sa décision n° 361593 du 13 décembre 2013, le Conseil d'Etat statuant au contentieux a annulé la décision du 23 juillet 2012 du garde des sceaux, ministre de la justice, en tant qu'elle refusait d'abroger les mots " dès lors qu'elle est exclusive de toute forme de démarchage " figurant au second alinéa de l'article 15 du décret du 12 juillet 2005 relatif aux règles de déontologie de la profession d'avocat et le troisième alinéa de cet article, au motif que ces dispositions qui excluaient toute forme de démarchage, étaient incompatibles avec les articles 4 et 24 de la directive du Parlement européen et du Conseil du 12 décembre 2006 relative aux services dans le marché intérieur ; qu'il résulte de ce qui a été dit au point 5 que les nouvelles dispositions édictées à la suite de cette annulation contentieuse fixent un nouveau régime encadrant, comme l'autorisent les dispositions précitées de la directive du 12 décembre 2006, les modalités de communication des avocats ; qu'en édictant ces nouvelles dispositions, le décret attaqué n'a nullement méconnu l'autorité de la chose jugée par cette décision ;

7. Considérant qu'il résulte de ce qui précède que M. B...n'est pas fondé à demander l'annulation des premier et troisième alinéas de l'article 15 du décret attaqué ;

8. Considérant qu'il n'y a pas lieu, dans les circonstances de l'espèce, de faire droit aux conclusions présentées par M. B...au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

D E C I D E :

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Article 1er : Il n'y a pas lieu de statuer sur la requête de M. B...en tant qu'elle tend à l'annulation du deuxième alinéa de l'article 15 du décret du 12 juillet 2005, dans sa rédaction issue du décret du 28 octobre 2014.

Article 2 : Le surplus des conclusions de la requête est rejeté.

Article 3 : La présente décision sera notifiée à M. A...B..., au Premier ministre et au garde des sceaux, ministre de la justice.


Synthèse
Formation : 6ème ssjs
Numéro d'arrêt : 386483
Date de la décision : 26/02/2016
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Publications
Proposition de citation : CE, 26 fév. 2016, n° 386483
Inédit au recueil Lebon

Composition du Tribunal
Rapporteur ?: M. Jean-Baptiste de Froment
Rapporteur public ?: M. Xavier de Lesquen

Origine de la décision
Date de l'import : 20/02/2018
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CE:2016:386483.20160226
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